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                                                                                                                                Date : 20030729

                                                                                                                               Dossier : T-97-03

                                                                                                                  Référence : 2003 CF 923

Ottawa (Ontario), le mardi 29 juillet 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA PROTONOTAIRE MIREILLE TABIB

ENTRE :

EMILE MENNES

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

ROBERT SIMPSON, YVAN THIBAULT,

LUCY McCLUNG et

LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA PROTONOTAIRE TABIB :

[1]                La Cour est saisie d'une requête des défendeurs présentée par écrit en application de la règle 369 des Règles de la Cour fédérale (1998) afin d'obtenir la radiation de l'avis de demande du demandeur.


[2]                Les motifs invoqués par les défendeurs sont les suivants :

-            les défendeurs nommés ne sont pas les parties appropriées, et le procureur général devrait être constitué défendeur en lieu et place des défendeurs actuels;

-            la demande vise plus d'une ordonnance ou décision, contrairement à la règle 302 des Règles de la Cour fédérale (1998);

-            le demandeur n'a pas signifié et produit dans le délai prévu à la règle 306 les affidavits qu'il entend invoquer à l'appui de sa demande;

-            le demandeur n'est pas fondé à demander une injonction contre l'État;

-           la demande n'a aucune chance d'être accueillie et constitue un abus de procédure.

[3]                Subsidiairement, les défendeurs demandent une ordonnance enjoignant au demandeur de fournir un cautionnement pour les dépens.

[4]                En réponse à la requête, le demandeur a déposé son propre affidavit daté du 23 mai 2003. Par objection préliminaire, les défendeurs contestent cet affidavit, en particulier ses paragraphes 50 à 64, qu'ils jugent scandaleux, inexacts et diffamatoires à l'endroit de deux avocates du ministère de la Justice. Les défendeurs s'en prennent aussi à l'affidavit dans son ensemble au motif qu'il contient un témoignage d'opinion, du ouï-dire irrecevable et des arguments juridiques.


[5]                Après avoir lu attentivement l'affidavit du demandeur, j'estime qu'il est pour l'essentiel dénué de toute pertinence. Les seules allégations de fait qui sont pertinentes pour les besoins de la requête présentée à la Cour figurent aux paragraphes 1, 4 à 6, 11 à 13 et 46. Les paragraphes 14 à 18, 20, 21, 51 et 65 peuvent être qualifiés d'arguments susceptibles d'être formulés à l'encontre de la requête et je les permets même s'ils n'ont pas leur place dans un affidavit. Les autres paragraphes seront radiés.

[6]                La partie de la requête visant la radiation des défendeurs désignés et leur remplacement par le procureur général sera examinée plus loin. Les défendeurs font valoir à cet égard qu'ils ne sont pas directement touchés par les ordonnances recherchées alors que, si la Cour pouvait les rendre, lesdites ordonnances les toucheraient directement. L'un des principaux problèmes de la demande (et il est loin d'être le seul) est précisément qu'elle vise l'obtention de remèdes et d'ordonnances inappropriés. Je me pencherai donc tout d'abord sur le caractère approprié des conclusions et remèdes demandés.

[7]                Les conclusions recherchées aux paragraphes 3 à 12, 21 et 22 revêtent la forme de jugements déclaratoires selon lesquels les défendeurs, ou certains d'entre eux, auraient perpétré certains actes criminels ou infractions, le demandeur faisant référence de façon précise à certaines provisions du Code criminel et du Code de discipline du Service correctionnel du Canada. Aux paragraphes 13 à 19, le demandeur sollicite des jugements déclaratoires selon lesquels certains actes accomplis par les défendeurs ou certains d'entre eux constituent des délits civils contre lui ou un tiers, ou les deux. Au paragraphe 20, il demande un jugement déclaratoire portant qu'il ait droit à une indemnité de 50 000 $ pour atteinte à ses droits constitutionnels. Au paragraphe 23, il sollicite une injonction enjoignant au défendeur Service correctionnel du Canada ou à ses préposés, ou les deux, de ne « jamais plus » saisir, ouvrir, fouiller ou lire sa correspondance avec le président de l'assemblée législative de l'Alberta.


[8]                Il est manifestement inapproprié de saisir la Cour d'une demande visant à obtenir un jugement déclaratoire selon lequel une ou plusieurs personnes ont commis des actes criminels ou des infractions criminelles, et une telle demande n'a aucune chance d'être accueillie. De même, la Cour n'a pas compétence pour émettre une injonction contre un préposé ou un mandataire de l'État (art. 22 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50). Même si elle avait ce pouvoir, le remède demandé aurait manifestement une portée trop grande, le Service correctionnel du Canada étant autorisé, par règlement, à intercepter les communications entre un détenu et un membre de l'assemblée législative lorsque sont réunies les conditions prévues dans le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le Règlement). En ce qui concerne les délits civils dont aurait été victime le demandeur ou pour lesquels il aurait droit à une indemnité, ce remède doit être demandé par voie d'une action, et non par voie de demande de contrôle judiciaire.

[9]                La radiation totale ou partielle d'une demande sur présentation d'une requête préliminaire ne doit être accordée que très exceptionnellement (David Bull Laboratories (Can.) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588). Or, les conclusions recherchées dans ces paragraphes sont si clairement inappropriées, les décisions contestées sont si nombreuses et les allégations formulées à l'appui sont si décousues, oiseuses, confuses et malveillantes que, dans leur forme actuelle, elles constituent selon moi un abus de procédure. Les paragraphes 3 à 23 de l'avis de demande énonçant certaines des conclusions recherchées seront donc radiés, tout comme le paragraphe 24, dans lequel la Cour est invitée à considérer le reste de la demande comme une action. Tous les paragraphes de l'avis de demande se rapportant à ces remèdes et conclusions sont également radiés.


[10]            Restent donc les conclusions recherchées aux paragraphes 1, 2, 25 et 26 de l'avis de demande. Les paragraphes 1 et 2 visent l'obtention de jugements déclaratoires selon lesquels les motifs invoqués par le Service correctionnel du Canada pour intercepter la correspondance entre le demandeur et le président de l'assemblée législative de l'Alberta sont insuffisants eu égard au Règlement et cette interception porte atteinte aux droits garantis au demandeur par l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Le paragraphe 25 demande l'adjudication des dépens de la demande, et le paragraphe 26, selon la formule habituelle, « toute autre ordonnance » que la Cour jugera opportune.

[11]            Il appert que la conclusion recherchée aux paragraphes 1 et 2 de l'avis de demande se rapporte à un seul cas d'interception d'une lettre du président de l'assemblée législative de l'Alberta adressée au demandeur. Le deuxième motif invoqué par les défendeurs dans leur requête ne s'applique donc pas. On pourrait bien sûr douter que le remède demandé ait quelque utilité, que l'avis de demande ait été déposé dans le délai imparti et qu'ayant omis de présenter un grief conformément à la procédure établie par le Règlement le demandeur puisse avoir droit au contrôle judiciaire, mais les défendeurs ont, avec raison, évité de soulever ces questions dans leur requête, puisqu'elles doivent normalement être débattues à l'audience portant sur le fond de la demande (voir Hamilton-Wentworth (Municipalité régionale) c. Canada (2000) 187 F.T.R. 287; Lazar c. Canada (P.G.) [1998] A.C.F. no 867). Les défendeurs n'ont donc pas établi que la demande, en ce qui a trait à ces deux conclusions, est si manifestement dépourvue de chance de succès qu'elle doive être radiée.


[12]            La demande de contrôle judiciaire ne visant qu'un seul cas d'interception d'une lettre du président de l'assemblée législative de l'Alberta, il est clair qu'elle ne touche pas directement les défendeurs comme l'exige l'alinéa 303(1)a) des Règles de la Cour fédérale (1998). Il est donc inapproprié que ces personnes soient désignées à titre de défendeurs dans le cadre de l'instance, et ils seront radiés de l'intitulé de la cause. Conformément à la règle 303(2), le procureur général du Canada sera constitué défendeur à leur place.

[13]            Pour ce qui est de la question de savoir si la demande doit être radiée en raison de l'omission du demandeur de signifier et de produire dans le délai imparti par les Règles les affidavits qu'il entend invoquer à l'appui de sa demande, le dossier de la Cour révèle que l'affidavit du demandeur daté du 31 janvier 2003 a été déposé le même jour, de pair avec un affidavit de signification par la poste au sous-procureur général du Canada.

[14]            Quoi qu'il soit advenu de l'envoi destiné aux défendeurs, je n'ai aucun motif de douter que le demandeur ait voulu prendre et qu'il ait pris des mesures appropriées pour leur signifier l'affidavit dans le délai imparti. Je rejette donc ce motif de radiation.


[15]            Compte tenu de ce qui précède, la demande de contrôle judiciaire pourra suivre son cours, mais seulement en ce qui concerne la décision du Service correctionnel du Canada d'intercepter la lettre adressée au demandeur par le président de l'assemblée législative de l'Alberta et les conclusions recherchées aux paragraphes 1, 2, 25 et 26 de l'avis de demande initial. Des modifications substantielles doivent également être apportées à l'avis de demande de façon à y supprimer toute allégation ne se rapportant pas précisément et uniquement à la décision contestée et aux motifs donnant ouverture aux conclusions recherchées. Je le répète, les allégations contenues dans l'avis de demande sont généralement décousues, oiseuses, confuses et malveillantes. Lorsqu'elles sont pertinentes, c'est souvent en rapport avec une conclusion radiée par la présente ordonnance. La Cour ne peut donc pas procéder de manière chirurgicale pour retirer les allégations non pertinentes et recoudre les parties restantes en un avis de demande cohérent et complet. L'avis de demande sera donc radié en entier, le demandeur étant autorisé à l'amender conformément aux présents motifs.

[16]            Dans leur requête, les défendeurs demandent, à titre subsidiaire, dans le cas où la demande suivrait son cours, une prorogation du délai imparti pour prendre diverses mesures, ce qui ne sera pas nécessaire puisque le demandeur devra produire un avis de demande amendé, ainsi qu'une ordonnance enjoignant au demandeur de fournir un cautionnement pour les dépens.

[17]            Suivant les règles 415 et 416(1)f) des Règles de la Cour fédérale (1998), la Cour peut ordonner à un demandeur de fournir un cautionnement pour les dépens lorsque le défendeur n'a pu obtenir l'exécution d'une ordonnance pour les dépens afférents à la même instance ou à une autre instance. De tels dépens demeurent effectivement impayées dans le dossier de la Cour A-408-00.


[18]            L'ordonnance de fournir un cautionnement pour les dépens est une mesure discrétionnaire. La règle 417 énonce certains des facteurs à prendre en considération dans l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire : l'indigence du demandeur et le fait que la Cour soit convaincue du bien-fondé de la cause. Le demandeur a certainement fait la preuve de son indigence. Cependant, comme je l'ai mentionné précédemment, je suis loin d'être convaincue du bien-fondé de la demande. Il s'agirait en soi d'un motif suffisant pour exercer mon pouvoir discrétionnaire pour faire droit à la requête des défendeurs et ordonner qu'un cautionnement pour les dépens soit fourni malgré l'indigence du demandeur. Je suis par ailleurs d'autant plus persuadée de le faire qu'il appert qu'au cours des cinq dernières années, le demandeur a saisi la Cour d'au moins neuf instances, en plus de huit appels, qui ont été soit rejetés, soit abandonnés. Puisque la requête des défendeurs est accueillie dans sa quasi-intégralité, et que la contestation du demandeur est pour l'essentiel oiseuse et abusive, j'adjugerai aussi les dépens de la requête aux défendeurs. J'arrive donc à la conclusion qu'il est opportun et nécessaire d'exiger du demandeur qu'il fournisse un cautionnement pour les dépens qui pourraient être adjugés aux défendeurs. Cependant, vu l'indigence du demandeur, le cautionnement sera fourni en tranches conformément à la règle 416(2).

LA COUR ORDONNE :

1.          La requête des défendeurs est accueillie en partie.

2.          Les défendeurs Robert Samson, Yvan Thibault, Lucy McClung et le Service correctionnel du Canada voient leurs noms radiés à titre de défendeurs, et le procureur général du Canada est constitué défendeur. L'intitulé de la cause devient donc le suivant :

Entre :

Emile Mennes

demandeur


et

Le procureur général du Canada

défendeur

3.          L'avis de demande est radié, le demandeur étant autorisé à le modifier conformément au paragraphe [15] des présents motifs. Le demandeur signifiera et déposera son avis de demande modifié au plus tard 30 jours après avoir fourni le cautionnement pour les dépens conformément à la présente ordonnance.

4.          Au plus tard 90 jours après la date de la présente ordonnance, le demandeur déposera la somme initiale de 750 $ à titre de cautionnement pour les dépens.

5.          Jusqu'à la fourniture du cautionnement pour les dépens, le demandeur s'abstiendra de toute démarche dans le cadre de l'instance, sauf la formation d'un appel visant la présente ordonnance.

6.          Le défendeur pourra, s'il engage des frais, demander par requête la fourniture d'un autre cautionnement pour les dépens.

7.          Le défendeur a droit aux dépens afférents à la requête.

                                                                                                                                  « Mireille Tabib »          

Protonotaire              


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                              T-97-03

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                                 EMILE MENNES c. ROBERT

SIMPSON ET AL.

                                                                             

REQUÊTE EXAMINÉE PAR ÉCRIT SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                              MADAME LA PROTONOTAIRE MIREILLE TABIB

DATE DE L'ORDONNANCE:                                             29 JUILLET 2003

OBSERVATIONS ÉCRITES :

EMILE MENNES

POUR L'APPELANT/ DEMANDEUR

MELANIE TOOLSIE

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EMILE MENNES, CAMPBELLFORD (ONTARIO)

POUR L'APPELANT/ DEMANDEUR

MORRIS ROSENBERG, TORONTO (ONTARIO)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE


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