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Date : 20030929

Dossier : IMM-5244-02

Référence : 2003 CF 1113

Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY                          

ENTRE :

                                                                     ATILLA BALINT

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                              - et -

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                            MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                 Attila Balint est venu au Canada en provenance de la Roumanie au cours de l'été 2000. Il a immédiatement demandé l'asile disant que la police roumaine l'avait battu à deux reprises du fait qu'il était rom. Un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a statué sur sa demande et l'a rejetée. M. Balint allègue que la Commission a commis de graves erreurs et il demande, par la présente demande de contrôle judiciaire, une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué.

[2]                 La Commission a émis beaucoup de réserves sur le témoignage de M. Balint et elle a estimé que celui-ci aurait dû essayer davantage d'obtenir la protection de l'État ou celle d'autres personnes. M. Balint conteste les motifs exposés par la Commission pour attaquer sa crédibilité et il prétend que la Commission l'a soumis à des attentes irréalistes. Ce ne sont pas tous ses arguments qui sont bien fondés. Néanmoins, je conclus que la Commission a commis un certain nombre d'erreurs sur deux questions essentielles et j'ordonnerai que M. Balint ait une nouvelle audience.

I. Les agressions de la police

[3]                 Au coeur de la demande de M. Balint se trouvait l'accusation qu'il a portée contre la police. Il a dit qu'en février 2000, la police l'avait arrêté, l'avait interrogé et l'avait brutalisé. Il est allé se plaindre auprès du chef de police, ce qui a amené les mêmes agents à l'interpeller une deuxième fois, deux mois plus tard. Les agents l'ont prévenu de ne plus déposer de plaintes et ils ont étendu à sa famille leurs menaces de nouveaux actes de violence. En juillet 2000, lorsqu'il a reçu une assignation à se présenter au poste de police, il a craint de nouvelles représailles pour avoir déposé sa plainte. Il a décidé de quitter la Roumanie pour chercher refuge au Canada.

[4]                 La Commission a été troublée par une partie du témoignage entourant la première agression physique. M. Balint témoigne que la police l'avait violemment agressé et l'avait laissé au bord de la route. Après une heure, il a réussi à prendre le volant et à conduire jusque chez lui. La Commission s'est demandé comment la victime d'une telle agression pouvait conduire une voiture.

[5]                 M. Balint a dit qu'il n'avait pas cherché un traitement médical dans les deux jours qui ont suivi. Il a expliqué que ses blessures étaient simplement des ecchymoses mais qu'il voulait avoir un certificat médical quand il a déposé sa plainte contre la police. La Commission a conclu que le comportement de M. Balint était _ incompatible avec le comportement d'une personne qui allègue avoir été sévèrement battue et clouée au sol pendant une heure à la suite de ces mauvais traitements _. La Commission disposait de deux rapports médicaux - un pour chaque agression - qui ont confirmé les blessures de M. Balint.

[6]                 La Commission a également conclu que la première agression physique était un _ coup de hasard _. Lorsque les agents de police ont arrêté M. Balint, ils ne l'ont pas identifié comme un Rom, d'après la Commission. Ce n'est qu'après que M. Balint les eut informés qu'il revenait d'une conférence rom qu'ils ont décidé de le battre.

[7]                 Se fondant sur ces réserves qui s'ajoutent à quelques autres incohérences mineures, la Commission a décidé que M. Balint n'était pas un demandeur crédible. Relativement à la première agression, la Commission paraît avoir conclu qu'elle avait effectivement eu lieu, mais elle a douté que l'agression ait été aussi grave que M. Balint l'a fait paraître. La Commission n'a pas contesté le témoignage de M. Balint relativement à la deuxième agression. En conséquence, même d'après l'évaluation de la preuve faite par la Commission, M. Balint a été agressé par la police uniquement du fait qu'il était rom et il a subi des blessures confirmées par un rapport médical. De plus, lorsqu'il s'est plaint de cet incident, la police l'a agressé de nouveau et les a menacés à plusieurs reprises, sa famille et lui.


[8]         À mon avis, la Commission aurait dû examiner si cet élément de preuve pouvait appuyer la demande de M. Balint, même si elle doutait des autres aspects de cette demande.

II. Protection de l'État

[9]         M. Balint s'est plaint au chef de police après la première agression physique. Lorsque cela a entraîné une deuxième agression, il a décidé de ne pas retourner. Il n'a pas essayé d'obtenir de l'aide d'autres organisations parce que leurs mandats n'incluaient pas les affaires policières. Il ne connaissait pas bien l'Union démocratique des Roms en Roumanie (l'UDRR), un groupe voué à la promotion des droits des Roms. Il connaissait vaguement le Bureau de l'ombudsman.

[10]       La Commission a qualifié de _ velléitaire _ la seule tentative de M. Balint d'obtenir la protection de l'État. Elle a estimé que M. Balint, en tant que dirigeant dans sa communauté, aurait pu mieux faire et aurait certainement connu les organismes qui viennent souvent en aide aux Roms. Elle a également estimé qu'il aurait dû demander de l'aide à son ami Sandor Csurkuly, un activiste rom. La Commission a examiné une masse considérable de preuve documentaire qui montrait que la Roumanie est en train de prendre des mesures en vue d'améliorer les conditions générales de ses populations rom.

[11]       La Commission ne disposait d'aucun élément de preuve que l'UDRR ou l'ombudsman avait un bureau à Targu Mures, la ville où vivait M. Balint. Néanmoins, la Commission pouvait conclure à bon droit que M. Balint aurait dû mieux les connaître.


[12]       La Commission a estimé que M. Balint aurait dû répondre aux assignations qu'il a reçues de la police en juillet 2000. Elle a dit à M. Balint que les assignations auraient pu marquer le début de l'enquête du chef de police sur sa plainte. Dans ses motifs, la Commission a dit que M. Balint était d'accord que c'était une possibilité. J'ai examiné le dossier et je n'ai trouvé aucune concession de ce genre de la part de M. Balint. Il a reconnu que les assignations auraient pu avoir un lien avec sa plainte, mais il pensait que cela aurait entraîné une deuxième série de représailles pour avoir déposé la première plainte et non une réparation contre les agresseurs.

[13]       Comme je l'ai dit, M. Balint avait montré que la police lui avait fait subir des agressions physiques du fait qu'il était rom. Lorsqu'il a essayé d'obtenir la protection de l'État, la police l'a de nouveau agressé, l'a prévenu de ne plus déposer de plaintes et les a menacés, sa famille et lui. L'analyse que la Commission a faite de la protection de l'État ne révèle aucun recours effectif, dont M. Balint aurait pu se prévaloir afin de protéger sa famille et lui-même, dans ces circonstances. La Commission n'a identifié aucun organisme ou bureau qui aurait pu vraiment l'aider. La preuve documentaire a révélé que les brutalités policières contre les Roms étaient un problème d'actualité. La Roumanie faisait des efforts pour traiter cette question, mais elle n'était pas toujours en mesure d'amener les responsables de ces actes devant la justice. D'autres plaintes, que ce soit au chef de police ou à d'autres personnes, auraient entraîné de nouvelles punitions comme le craignait M. Balint.


[14]       À mon avis, la Commission aurait dû se demander si l'omission de M. Balint de faire une autre tentative pour obtenir la protection de l'État était justifiée par sa crainte de subir d'autres mauvais traitements.

[15]       En conséquence, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et ordonner une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué. L'avocat de M. Balint a demandé la possibilité de proposer deux questions de portée générale - une sur le critère juridique de la protection de l'État, et l'autre sur la distinction entre discrimination et persécution. Vu les motifs qui fondent ma décision relative à la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Balint, aucune des questions ne sied à une certification.

                                                                        JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.          Une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué est ordonnée.

3.          Aucune question n'est certifiée.

_ James W. O'Reilly _

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


                                                                 COUR FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                                   IMM-5244-02

INTITULÉ :                                                                                  ATILLA BALINT

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE:                                                         le mardi 29 juillet 2003

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                                        le juge O' Reilly

DATE DES MOTIFS :                                                               le lundi 29 septembre 2003

COMPARUTIONS :

Rocco Galati                                                                                   pour le demandeur

                                                              

Alexis Singer

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Galati Rodrigues Azevedo

& Associates

Toronto (Ontario)                                                                           pour le demandeur

                                                                                                      

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                               pour le défendeur


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