Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                           Date : 20030812

                                                                                                                             Dossier : IMM-3342-02

                                                                                                                           Référence : 2003 CF 968

Ottawa (Ontario), ce 12e jour d'août 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                    ANA ISABEL CERDAS SOLANO

                                                  JOSE LUIS PORTUGUEZ CERDAS

                                            ANDREA MARIA PORTUGUEZ CERDAS

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction

[1]                 Les demandeurs, Ana Isabel Cerdas Solano, Jose Luis Portuguez Cerdas et Andrea Maria Portuguez Cerdas, demandent le contrôle judiciaire de la décision qu'a prononcée la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 18 juin 2002. La Commission a déclaré que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.


Les faits

[2]                 Ana Isabel Cerdas Solano, (la demanderesse) est une femme de 42 ans, originaire du Costa Rica. Elle affirme qu'elle est persécutée par son ex-mari et revendique le statut de réfugié pour le motif qu'elle fait partie d'un « groupe social particulier » , les femmes victimes de violence familiale. Ses deux enfants, Jose Luis et Andrea Maria Portuguez Cerdas, revendiquent également le statut de réfugié dans le cadre de sa revendication. La demanderesse est la représentante désignée de son enfant mineur, Andrea.

[3]                 La demanderesse s'est mariée le 17 mars 1977 (à l'âge de 16 ans) avec M. Jose Franciso Portuguez Badilla. La demanderesse est tombée enceinte un mois après son mariage. Son mari l'a constamment maltraitée après le mariage; elle affirme en effet qu'elle a été régulièrement violée et battue par son mari. M. Badilla buvait également de façon excessive. La demanderesse a déclaré que son mari ne la laissait pas sortir de la maison, ne lui donnait pas d'argent et lui disait qu'il la tuerait si elle le quittait.


[4]                 En mai 1977, la demanderesse et son mari se sont établis aux États-Unis. La situation familiale ne s'est pas améliorée; la demanderesse était isolée et son mari a continué de la maltraiter. Le 25 décembre 1977, la demanderesse a demandé à une voisine de l'aider, et celle-ci l'a conduite à l'hôpital où elle a donné naissance à son premier enfant, Gisela. Son mari n'est pas venu à l'hôpital et n'était pas à la maison lorsqu'elle y est retournée avec le nouveau-né. Lorsqu'il est revenu à la maison, son mari a déclaré à la demanderesse qu'il ne voulait pas entendre le bébé pleurer. M. Badilla n'a pas donné d'argent à la demanderesse pour qu'elle puisse acheter du lait ou des vêtements, et elle n'a pas été en mesure de demander de l'aide parce qu'ils n'avaient pas le téléphone. La demanderesse a déclaré à son mari qu'elle voulait retourner au Costa Rica.

[5]                 M. Badilla a finalement consenti à laisser la demanderesse retourner au Costa Rica et lui a remis deux billets d'avion, pour qu'elle parte le 25 juillet 1979. La demanderesse est revenue avec son enfant chez ses parents au Costa Rica. Elle était déjà à cette époque enceinte et a donné naissance à son deuxième enfant le 2 septembre 1979.

[6]                 La demanderesse s'est plainte à la police lorsqu'elle est revenue au Costa Rica mais on lui a dit qu'il n'y avait pas de preuve contre son mari qui se trouvait à l'étranger. La demanderesse n'a donc pu obtenir de l'aide pour régler sa situation. Elle a travaillé comme couturière et comme femme de ménage. Ses parents lui ont dit qu'elle devait se trouver un logement.


[7]                 La mère de la demanderesse a appris que M. Badilla devait revenir au Costa Rica. Ses parents lui ont dit qu'elle devait habiter avec lui. La demanderesse s'est adressée à un centre pour femmes maltraitées pour demander de l'aide pour ses enfants et de l'argent pour ses études. Elle n'a obtenu aucune assistance. Un mois plus tard, le mari de la demanderesse est revenu au Costa Rica et lui a demandé de le pardonner. Il a trouvé une maison pour sa famille. La demanderesse est tombée enceinte une troisième fois (en 1985) et son mari a repris ses anciennes habitudes et a recommencé à la maltraiter. La demanderesse a essayé d'obtenir l'aide d'un groupe de lutte contre la violence familiale en 1986, mais son mari n'ayant pas répondu à la convocation que lui avait fait parvenir le groupe, elle n'a pas obtenu d'aide.

[8]                 Le jour de l'anniversaire de naissance de son fils Jose Luis, le 23 septembre 2000, la demanderesse a appelé la police parce que son mari était arrivé à la maison en état d'ébriété et qu'il lui avait lancé une bouteille. Elle affirme que les policiers ne se sont pas déplacés. M. Badilla a menacé Luis avec un couteau. Après cet incident, le mari de la demanderesse lui a encore demandé de le pardonner.

[9]                 La demanderesse a appris qu'en février 2001 son troisième enfant, Andrea, avait été agressée physiquement et sexuellement par M. Badilla. Son fils Jose Luis a été témoin de l'agression ce qui a provoqué une confrontation avec son père. La demanderesse a déménagé sa famille dans une maison située à l'extérieur de San José entre les mois de mars et mai 2001. Elle a envoyé sa fille au Canada le 3 avril 2001. Le 19 mai 2001, son fils Luis a quitté le Costa Rica pour se rendre au Canada. La demanderesse quant à elle est arrivée au Canada le 6 septembre 2001 et a revendiqué le statut de réfugié le lendemain.

La décision de la Commission

[10]            La Commission a examiné la narration qu'a faite la demanderesse des mauvais traitements qu'elle avait subis et dont faisait état l'exposé narratif de son FRP, tel que résumé ci-dessus.


[11]            La Commission a déclaré à l'audience que la demande soulevait la question de la protection de l'État. La Commission a noté que le Costa Rica était un pays démocratique, avec un système judiciaire indépendant et un corps policier efficace.

[12]            La Commission a déclaré que la demanderesse avait témoigné qu'elle avait porté plainte en 1979 et 1986 mais qu'elle n'avait pas confiance dans le système judiciaire du Costa Rica et qu'elle avait peur de son mari.

[13]            La Commission a déclaré que la preuve documentaire montre que le Costa Rica a fait des efforts soutenus pour lutter contre la violence faite aux femmes, et qu'il avait notamment apporté de l'aide aux victimes et renforcé la répression des infractions commises en milieu familial. La Commission a également noté que l'exploitation sexuelle des mineurs est une infraction punissable par une peine de deux à dix ans d'emprisonnement et qu'il existait une ligne de secours accessible 24 heures par jour pour les mineurs victimes d'agression sexuelle.

[14]            La Commission a conclu que le Costa Rica fait un effort sérieux pour apporter de l'aide aux victimes de violence familiale et sexuelle. La Commission a déclaré que la demanderesse ne s'était pas acquittée du fardeau d'établir que l'État ne pouvait la protéger contre les crimes commis par son mari contre elle et ses enfants. La Commission a donc jugé que la demanderesse et ses enfants n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

Question en litige


[15]            La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de révision lorsqu'elle a conclu que l'État du Costa Rica était en mesure de protéger la demanderesse contre la maltraitance de son mari?

La norme de contrôle

[16]            L'examen de la façon dont la Commission a appliqué la jurisprudence relative à la « protection de l'État » à la demande de la demanderesse soulève une question de fait et de droit. La norme de contrôle applicable en matière de question de fait et de droit est celle du caractère raisonnable simpliciter : Cihal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 577 (QL); Balogh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2002 FCT 809, [2002] A.C.F. n ° 1080 (QL).

Analyse

[17]            La demanderesse soutient que la Commission aurait dû tenir compte du fait qu'elle aurait dû obtenir de l'aide en 1979 et 1986, et qu'elle ne l'a pas obtenue. Elle note également que les appels téléphoniques qu'elle a faits pour obtenir de l'aide n'ont rien donné et soutient qu'elle ne s'attendait pas à ce que l'État lui porte assistance. En outre, la demanderesse note qu'elle craignait la réaction de son mari, dans le cas où elle porterait plainte. Elle affirme avoir été victime de violence conjugale à une époque où il n'y avait pas de lois touchant directement cette question. La demanderesse soutient qu'elle a vécu séparée de son mari pendant plusieurs années mais que malgré cette séparation elle continue à être maltraitée par lui.


[18]            La Commission n'a pas mis en doute la véracité de la version de la demanderesse mais a conclu qu'elle n'était pas visée par la définition de réfugié au sens de la Convention parce qu'elle n'avait pas démontré que le Costa Rica n'était pas en mesure de la protéger efficacement contre les mauvais traitements de son mari.

[19]            Dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême a jugé que le revendicateur du statut de réfugié doit fournir des preuves convaincantes établissant l'incapacité de l'État à le protéger, s'il veut réfuter la présomption relative à la protection assurée par l'État. La Cour a déclaré à la page 726 de ses motifs que la présomption sert à renforcer la raison d'être de la protection internationale à titre de mesure auxiliaire qui entre en jeu si le demandeur ne dispose d'aucune solution de rechange.

[20]            J'estime que la décision qu'a rendue la Commission au sujet de la capacité de l'État du Costa Rica de protéger les demandeurs n'est pas déraisonnable, et que, par conséquent, elle n'est pas susceptible d'être révisée.


[21]            Comme la Commission le mentionne dans sa décision, la preuve documentaire indique que le gouvernement du Costa Rica considère aujourd'hui la violence contre les femmes et les enfants comme un problème social grave et qu'il a adopté un certain nombre de lois et programmes visant à protéger les femmes se trouvant dans la situation de la demanderesse. La preuve indique que la Loi de 1996 visant à réprimer la violence familiale prévoyait des mesures destinées à aider les victimes de violence familiale. Les autorités reçoivent aujourd'hui une formation spéciale pour s'occuper des cas de violence familiale et les victimes de sexe féminin ont un droit prioritaire en matière de possession du foyer conjugal. En outre, la preuve documentaire citée par la Commission indique que les efforts déployés par le gouvernement pour mettre en oeuvre la loi « contre la violence familiale » sont coordonnés au plus haut niveau du gouvernement, notamment au sein du ministère de la Sécurité.

[22]            La preuve montre que la demanderesse a porté plainte à la police en 1979, qu'elle a contacté un groupe de lutte contre la violence familiale en 1986 et qu'elle a appelé la police en 2000. En 1979, les services de police ont répondu qu'ils ne pouvaient rien faire parce qu'il n'y avait pas de preuve et parce que le mari de la demanderesse vivait aux États-Unis. La demanderesse a porté plainte en l'an 2000 lorsqu'elle a appelé la police pendant le party d'anniversaire de son fils, mais lorsque la police n'est pas venue, elle n'a pas déposé de plainte officielle. À l'audience, la demanderesse a confirmé qu'elle n'avait pas porté de plainte officielle entre 1996 et 2000. Elle n'a pas porté plainte à la police en 2001 lorsqu'elle a découvert que sa fille avait été agressée sexuellement. La Commission n'a pas jugé que la demanderesse n'était pas crédible mais elle a conclu que celle-ci n'avait pas porté plainte officiellement, qu'elle n'avait pas divorcé de son mari et qu'elle n'avait pas été maltraitée entre les mois de mai et septembre 2001, lorsqu'elle vivait séparée de son mari à San José.


[23]            Dans l'ensemble, je suis convaincu que la preuve permet d'affirmer que le Costa Rica fait des progrès dans sa lutte contre la violence familiale faite aux femmes et aux enfants. J'estime que la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n'a pas utilisé toutes les mesures de protection mises en place par l'État du Costa Rica, est raisonnable. La demanderesse n'a déposé aucune plainte officielle après les réformes législatives de 1996 et l'adoption de mesures visant à lutter contre la violence familiale. Par conséquent, j'estime que la Commission n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a conclu que les demandeurs n'avaient pas réfuté la présomption relative à la protection assurée par l'État et qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

Conclusion

[24]            La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[25]            Les parties ont eu la possibilité de soulever une question grave de portée générale, comme l'autorise l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, chapitre 27, et ne l'ont pas fait. Aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire concernant la décision du 18 juin 2002 de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est rejetée.

2.         Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                                                                                                                                  

                                                                                                                                                                 Juge                      


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-3342-02

INTITULÉ :                                        Ana Isabel Cerdras Solano et al. c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :              le 27 mai 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Monsieur le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                      le12 août 2003

COMPARUTIONS :

M. Jorge Colasurdo                                                                        POUR LES DEMANDEURS

Mme Annie Van Der Meerschen                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jorge Colasurdo                                                                             POUR LES DEMANDEURS

2002 - 502, rue Bélanger est

Montréal (Québec) H2S 1G4

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Montréal (Québec) H2Z 1X4

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.