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Date : 20041115

Dossier : IMM-9713-03

Référence : 2004 CF 1599

ENTRE :

                                                  MOHAMMAD HANIF BALOUCH

                                                     (alias Mohammed Hanif Balouch)

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]                Le demandeur a présenté une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire qui vise une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande qu'il a présentée en vue d'obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention ou une protection similaire au Canada. La demande présentée par le demandeur était fondée sur sa crainte alléguée de persécution dans son pays de nationalité, le Pakistan, du fait de ses opinions et de ses activités politiques. Les motifs de la décision de la Section de la protection des réfugiés sont datés du 4 novembre 2003.

[2]                L'autorisation a été accordée. Au début de l'audition de la demande de contrôle judiciaire, l'avocat du défendeur a soutenu avec insistance que la demande devait être rejetée sans que soit tenue une audience à l'égard du bien-fondé de la demande parce que le demandeur ne s'était pas adressé à la Cour en n'ayant [TRADUCTION] « rien à se reprocher » . En particulier, l'avocat du défendeur a prétendu que le demandeur avait fait de fausses déclarations dans son affidavit déposé à la Cour comme fondement de la demande d'autorisation. La Cour ne disposait d'aucun document écrit à l'égard de la prétention du défendeur et ni la Cour ni l'avocate du demandeur n'avaient reçu un avis préalable à l'égard de la prétention grave du défendeur.

[3]                L'audition de la demande de contrôle judiciaire a été ajournée et un calendrier a été établi pour l'échange et le dépôt de documents écrits à l'égard de la prétention du défendeur. Lorsque l'audience a repris, la prétention du défendeur a été entendue en tant que question préliminaire. À la suite de la présentation des observations, la Cour était convaincue que la prétention du défendeur était bien fondée. Par conséquent, la Cour a informé les avocats que la demande serait rejetée sans que soit tenue une audience à l'égard du bien-fondé de la demande. Les brefs motifs qui suivent ont été énoncés au soutien de la décision de la Cour de rejeter la présente demande sans que soit tenue une audience à l'égard du bien-fondé de la demande.


[4]                L'autorisation de contrôle judiciaire a été accordée et la présente demande de contrôle judiciaire est réputée avoir été formée par une ordonnance datée du 28 juillet 2004. À ce moment, aux fins d'établir si elle devait accorder l'autorisation, la Cour disposait du dossier de demande du demandeur qui comprenait un exemplaire de la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, un exemplaire de l'avis de décision de la SPR et de ses motifs de décision, l'affidavit du demandeur déposé au soutien de sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire et le mémoire des faits et du droit du demandeur. La Cour disposait en outre de l'exposé des arguments déposé au nom du défendeur.

[5]                Il est intéressant de noter le fait que ni l'avocat du défendeur, lorsqu'il a préparé l'exposé des arguments du défendeur, ni la Cour, lorsqu'elle a tranché la question de savoir si elle devait accorder l'autorisation, n'avaient à leur disposition la transcription de l'audience tenue devant la Section de la protection des réfugiés, encore moins des photocopies de tout le dossier dont disposait la Section de la protection des réfugiés. Par conséquent, ni l'avocat du défendeur ni la Cour n'étaient en mesure de comparer les faits déclarés sous serment dans l'affidavit du demandeur déposé à la Cour avec le témoignage sous serment du demandeur rendu devant la Section de la protection des réfugiés.


[6]                Par contre, une photocopie de l'exposé narratif des renseignements personnels du demandeur était incluse comme pièce à l'affidavit du demandeur dans le dossier du demandeur. Étant donné que le demandeur a assisté à l'audience tenue devant la Section de la protection des réfugiés avec son avocat qui n'était pas l'avocate qui a préparé son dossier de demande et qui le représentait devant la Cour, il était le seul en mesure d'assurer une concordance entre son témoignage et son affidavit. S'il y avait eu un doute dans son esprit, il était loisible à lui-même et à sa nouvelle avocate d'obtenir, à ses propres frais, un exemplaire des bandes magnétiques de l'audience tenue devant la Section de la protection des réfugiés et de faire une comparaison entre son témoignage enregistré et l'ébauche de son affidavit avant qu'il en atteste la vérité.

[7]                L'affidavit d'un demandeur est crucial dans le processus d'autorisation. L'avocat du défendeur doit pouvoir se fier à l'affidavit du demandeur lorsqu'il prépare son exposé des arguments. La Cour elle-même doit pouvoir se fier à l'affidavit du demandeur lorsqu'elle tranche la question de savoir si elle doit accorder l'autorisation.

[8]                Dans des documents additionnels déposés au nom du défendeur à la suite de la première audience devant la Cour, le défendeur prétend qu'il y a sept (7) contradictions entre l'affidavit du demandeur et son témoignage rendu devant la Section de la protection des réfugiés, comme il a été inscrit dans la transcription, dont certaines sont plus importantes que d'autres et dont certaines exigent que l'on se fie à des inférences devant être tirées de la transcription. L'avocat du défendeur soutient avec insistance que les contradictions, prises de façon cumulative, étaient d'une telle nature et d'un tel nombre que la Cour aurait dû conclure que le demandeur cherchait délibérément à tromper la Cour. L'avocat a soutenu avec insistance que, compte tenu de l'importance des affidavits des demandeurs dans le processus de demande d'autorisation, les contradictions entre les affidavits du demandeur et les transcriptions devraient être traitées très sévèrement.


[9]                L'avocate du demandeur a soutenu avec insistance que la transcription dont disposait la Cour n'est pas fiable. Elle a mentionné qu'à la page 623 du dossier du tribunal, qui est la page 170 d'une transcription de 251 pages, l'individu qui a transcrit les enregistrements sur bandes magnétiques de l'audience, et qui a ainsi créé la transcription, a inséré ce qui suit :

[TRADUCTION]

VEUILLEZ NOTER : L'ÉMISSION DU DEMANDEUR EST REMPLIE DE PARASITES À PARTIR D'ICI[1]

Cela étant établi, la même personne a fourni et signé la déclaration suivante à la fin de la transcription :

[TRADUCTION]

JE DÉCLARE PAR LA PRÉSENTE QUE CE QUI PRÉCÈDE EST UNE TRANSCRIPTION EXACTE DE LA BANDE MAGNÉTIQUE ET QUE J'AI PRÊTÉ LE SERMENT DE GARDER LE SECRET[2]

Bien qu'un examen de la transcription révèle de nombreuses notations de portions inaudibles, selon mon expérience, le nombre de telles notations n'est pas inhabituel. En outre, cela vaut la peine de mentionner que bien qu'un interprète ait été à la disposition du demandeur durant toute l'audience, ce dernier, apparemment à son choix, a participé à l'audience presque entièrement en anglais.

[10]            Il va sans dire que les réparations demandées dans des demandes comme celle en l'espèce font l'objet d'un pouvoir discrétionnaire. Dans la décision Basu c. Canada[3], suivant des faits plutôt différents de ceux établis devant la Cour en l'espèce, mon collègue M. le juge Rouleau a écrit ce qui suit aux pages 40 et 41 :


Il est évident, à mon sens, que la Cour doit, en exerçant sa compétence, tenir compte de nombreux facteurs, dont le moindre n'est pas l'intérêt public. Des considérations d'ordre public m'obligent à repousser la demande. La maxime « on ne doit pas tirer avantage d'un délit » a été adoptée et suivie depuis des siècles. Ce principe a été énoncé assez succinctement dans l'arrêt Cleaver v. Mutual Reserve Fund Life Association [...], par le lord juge Fry :

[TRADUCTION] Il me paraît qu'aucun système de droit ne peut à raison inclure dans les droits dont il assure l'exécution, ceux que la personne qui les revendique tire directement de son délit.... Cette règle d'ordre public, comme tous les principes de cette nature, doit être appliquée dans tous les cas où cela est possible sans égard à la nature particulière du droit revendiqué ou à la forme de cette revendication.

Plus récemment, dans l'arrêt Hall v. Hebert [...], la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a invoqué la maxime et ajouté qu'il serait manifestement inacceptable, du point de vue de personnes équitables et sensées, qu'un tribunal aide un demandeur qui a violé la loi.

Dans le cas qui nous occupe, le demandeur ne veut pas être indemnisé d'un dommage qu'il a subi en commettant des actes délictueux. Au contraire, il s'agit d'un cas où il tente en fait de tirer avantage de son délit. Je ne vois aucune raison quelle qu'elle soit qui m'autorise à exercer mon pouvoir discrétionnaire en sa faveur et à lui accorder la réparation demandée. Faire droit à cette demande serait encourager la criminalité, servirait une fin préjudiciable et serait contraire en fin de compte à l'ordre public.                                                [Les références sont omises.]

[11]            Compte tenu des faits de la présente affaire, je ne vais pas jusqu'à décrire le comportement du demandeur lorsqu'il a signé sous serment son affidavit comme une « illégalité » . Cela dit, je suis convaincu que, à tout le moins, le comportement du demandeur devrait être décrit comme une « inconvenance » ou comme un comportement par lequel il a présenté à la Cour une ou plusieurs fausses déclarations négligentes.

[12]            Dans la décision Murugamoorthy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4], les faits soumis à Mme la juge Reed étaient beaucoup plus près de ceux soumis à la Cour en l'espèce. Au paragraphe [1] de ses motifs, elle a écrit ce qui suit :


Ces motifs ont trait à une demande de contrôle judiciaire ainsi qu un argument développé par l'avocat de la requérante, tous deux fondés sur un affidavit faux. La requérante sollicitait l'annulation d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [...], alléguant trois motifs à l'appui : que la Commission 1) a tiré des conclusions de fait abusives; [...]

La juge Reed a poursuivi comme suit au paragraphe [2] de ses motifs :

C'est en examinant la première question, l'allégation de conclusions de fait abusives, qu'on prend conscience de la fausseté des motifs invoqués. [...]

La juge Reed a mentionné ce qui suit au paragraphe [10] :

Lorsqu'elle accorde l'autorisation d'engager une procédure de contrôle judiciaire, la Cour n'a pas le dossier des procédures qui se sont déroulées devant la Commission. Elle se fie à l'affidavit de la requérante quant à ce qui s'est produit au cours de ces procédures.

[13]            Par conséquent, après avoir examiné des extraits de la transcription dont elle disposait et apparemment sans avoir examiné le bien-fondé du premier argument, soit les conclusions de fait abusives, la juge Reed a rejeté pour le motif précédemment énoncé la demande de contrôle judiciaire. Elle a mentionné que deux (2) autres arguments qui lui étaient soumis étaient tous les deux « fallacieux » .


[14]            Je remarque que la juge Reed décrit l'affidavit dont elle disposait comme un affidavit « faux » . Elle mentionne ensuite que lorsqu'une procédure est engagée sur le fondement d'un affidavit faux, cela constitue un outrage au tribunal. J'estime que je n'ai pas à aller aussi loin compte tenu des faits de la présente affaire. Je me limite à conclure que, à tout le moins, l'affidavit du demandeur, comme il a été déposé, révélait un comportement négligent de sa part lors de la préparation et de la signature de cet affidavit. L'avocat du défendeur a pris la peine de mentionner qu'il ne prétendait pas que l'avocate actuelle du demandeur avait eu un comportement négligent. Comme l'avocat du défendeur, j'estime que rien ne permet, d'aucune façon, de critiquer le comportement de l'avocate actuelle du demandeur.

[15]            Je réitère les commentaires de la juge Reed et mes propres commentaires exprimés précédemment dans les présents motifs selon lesquels un affidavit d'un demandeur est crucial pour qu'une décision juste soit rendue à l'étape de l'autorisation d'une demande de contrôle judiciaire comme celle en l'espèce. Cela dit, il est clair que, lors de la préparation et de la signature sous serment d'un affidavit d'un demandeur, il est nécessaire que le demandeur et, le cas échéant, son avocat fassent preuve de diligence considérable afin de s'assurer que l'avocat du défendeur et la Cour ne soient pas trompés. Compte tenu des faits de la présente affaire, je conclus que l'avocat du défendeur et la Cour ont été trompés par les fausses déclarations contenues dans l'affidavit signé par le demandeur, que cet affidavit ait été signé intentionnellement ou simplement négligemment. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée sans que le bien-fondé de la demande soit examiné.


[16]            Lorsque la première audience tenue à l'égard de la présente demande de contrôle judiciaire a été ajournée, j'ai adjugé des dépens au demandeur parce que l'avocat du défendeur a soulevé pour la première fois lors de cette audience la question des fausses déclarations contenues dans l'affidavit, ce qui a nécessité un ajournement. J'ai fixé les dépens de cette comparution à 1 000 $. L'avocat du défendeur, après avoir maintenant réussi à démontrer les prétentions soulevées lors de la première audience, demande que des dépens compensatoires soient adjugés. Je suis convaincu qu'une ordonnance à cet égard est justifiée compte tenu de mes conclusions relatives au comportement du demandeur. Des dépens de 1 000 $ contre le demandeur seront adjugés au défendeur.

« Frederick E. Gibson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 15 novembre 2004

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-9713-03

INTITULÉ :                                        MOHAMMAD HANIF BALOUCH

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

         

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 3 NOVEMBRE 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                       LE 15 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Linda Martschenko                                                        POUR LE DEMANDEUR

Greg George                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Linda Martschenko

Avocate

Windsor (Ontario)

(519) 973-4940                                                            POUR LE DEMANDEUR

                                                                                                                                                           

Greg G. George

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

(416) 952-9631                                                            POUR LE DÉFENDEUR          

                                 

                                                           



[1]       Dossier du tribunal, à la page 623.

[2]       Dossier du tribunal, à la page 704.

[3]         [1992] 2 C.F. 38.

[4]         [1998] A.C.F. no 121 (Q.L.) (C.F. 1 re inst.).

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