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                                                                 Date : 20030221

                                                             Dossier : IMM-5804-01

                                                 Référence neutre : 2003 CFPI 189

Entre :

                             Gustave HITIMANA

                                                    Partie demanderesse

                                  - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                          ET DE L'IMMIGRATION

                                                    Partie défenderesse

                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

   Il s'agit ici d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié(la « CISR » ), rendue le 22 novembre 2001, statuant que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention, tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la « Loi » ).

   Le demandeur est originaire du Rwanda et allègue qu'il a une crainte bien fondée de persécution en raison de son appartenance àun groupe social particulier, soit la famille d'un couple mixte.


   Lors du génocide au Rwanda en 1994, le demandeur, alors âgé de 12 ans, a été témoin du meurtre de son père et de son frère, ainsi que de la disparition de sa mère. Il a alors trouvé refuge chez sa tante. En 1995, celle-ci a cependant été arrêtée par l'armée du nouveau gouvernement tutsi, suite à une querelle concernant sa propriété. Étant recherché, le demandeur a alors été placé dans un internat, grâce à un prêtre ami de la famille. En 1997, il a dûquitter pour le Togo, où il a été hébergé par une famille. Lorsque l'aide financière du prêtre fut terminée, il a déménagé et s'est loué une chambre ailleurs. Il s'est trouvé du travail au port de Lomé. Une fois que la famille avec laquelle il avait vécu à Togo eut appris qu'il pourrait se débrouiller, ils ont envoyé des militaires qui lui soutiraient, sous menace d'emprisonnement, de l'argent qu'ils partageaient par la suite avec la famille. Entre-temps, le demandeur a fait une demande auprès du Haut-Commissariat aux réfugiés, demande qui a été déclarée irrecevable. Au cours de son travail au port de Lomé, le demandeur a fait la connaissance d'un passeur grâce auquel il a atteint le Canada en février 2001.

   Le demandeur soumet que la CISR a commis une erreur déraisonnable en ne considérant pas la preuve et les « raisons impérieuses » qui font qu'il a une crainte bien fondée de persécution. L'arrêt-clé au sujet de l'application du paragraphe pertinent de la Loi, le paragraphe 2(3), est Canada (M.E.I.) c. Obstoj, [1992] 2 C.F. 739, oùla Cour d'appel fédérale a exprimé ce qui suit à la page 748 :

. . . Quelle que soit l'interprétation du paragraphe 2(3), elle doit s'étendre àquiconque a été reconnu comme réfugié à un moment donné, même bien après la date de la Convention. Il n'est donc guère surprenant que ce paragraphe doive être interprété comme exigeant des autorités canadiennes qu'elles accordent la reconnaissance du statut de réfugié pour des raisons d'ordre humanitaire à cette catégorie spéciale et limitée de personnes, c'est-à-dire ceux qui ont souffert d'une persécution tellement épouvantable que leur seule expérience constitue une raison impérieuse pour ne pas les renvoyer, lors même qu'ils n'auraient plus aucune raison de craindre une nouvelle persécution.

Les circonstances exceptionnelles envisagées par le paragraphe 2(3) doivent certes s'appliquer uniquement à une petite minorité de demandeurs actuels. . . .

   Cette Cour, sous la plume du juge Rothstein, a traité des implications de Obstoj dans l'arrêt Hassan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration(le 4 mai 1994), A-653-92, [1994] A.C.F. no 630 (1re inst.) (QL) :


[10]      En me fondant sur la décision Obstoj, je ne crois pas qu'il soit nécessaire que le statut de réfugié d'un requérant ait été reconnu pour que le paragraphe 2(3) puisse recevoir application. De fait, dans les circonstances appropriées, ce paragraphe pourra s'appliquer à la détermination du statut de réfugié elle-même.

[11]      M'appuyant toujours sur la décision Obstoj, je crois qu'en l'espèce, la Commission a commis une erreur de droit en jugeant que le paragraphe 2(3) ne s'appliquait qu'aux requérants qui continuaient de craindre d'être persécutés. À moins que l'on ne craigne que cette interprétation du paragraphe 2(3) porte atteinte à l'exigence habituelle selon laquelle les requérants doivent démontrer qu'ils craignent toujours d'être persécutés, on doit reconnaître, tel que l'a fait remarquer le juge Hugessen dans la décision Obstoj, que le paragraphe 2(3) ne s'applique qu'à une petite minorité de requérants actuels, c'est-à-dire de requérants appartenant à une catégorie spéciale et restreinte et pouvant démontrer qu'ils ont été persécutés de manière si épouvantable que cela seul constitue une raison impérieuse de ne pas les renvoyer dans le pays où ils ont subi cette persécution. Bien qu'un grand nombre de demandeurs du statut de réfugiépourront s'estimer visés par le paragraphe 2(3), on doit se souvenir que toute forme de persécution est associée, par définition, àla mort, àdes blessures physiques ou àd'autres sévices. Le paragraphe 2(3), tel qu'il a étéinterpré té, ne s'applique qu'àdes cas extraordinaires de persécution si exceptionnelle que même l'éventualitéd'un changement de contexte ne justifierait pas le renvoi du requérant.

(Je souligne.)

   Finalement, le juge Noël, dans l'arrêt Shahid c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration (le 15 février 1995), IMM-6907-93, [1995] A.C.F. no 251 (1re inst.) (QL), a indiqué la procédure à suivre pour déterminer si un requérant peut bénéficier de la protection du paragraphe 2(3) de la Loi :

[25] . . . Une fois qu'elle a entrepris d'examiner la demande du requérant au regard du paragraphe 2(3), la Commission est tenue de prendre en considération le degré d'atrocité des actes dont il a été la victime ainsi que les répercussions de ces actes sur son état physique et mental, puis de juger si ces facteurs constituent en soi une raison impérieuse de ne pas le renvoyer dans son pays d'origine. . . .

   L'existence, dans un cas donné, de « raisons impérieuses » est une question de fait (voir Rasanayagam c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration (le 25 juillet 1995), A-816-91, A-817-91 et A-818-91 (1re inst.)).


   En l'espèce, la CISR a considéré le fait que le demandeur avait 14 ans lorsque sa tante fut arrêtée en 1995, qu'il n'a pas vu ses ravisseurs et qu'il n'a jamais été identifié par eux, trouvant alors que le demandeur n'avait pas démontré qu'il avait des motifs valables de craindre d'être persécuté en cas de retour dans son pays. De plus, la CISR a considéré que le demandeur s'était montré débrouillard durant ses années au Togo et depuis qu'il est au Canada, et a jugé qu'il n'avait pas prouvé avoir subi, du fait de l'assassinat de son père ou de la détention de sa tante, un traumatisme psychologique pouvant constituer une raison impérieuse de ne pas retourner au Rwanda. Le demandeur n'a donc pas établi que sa persécution passée a laissé des séquelles psychologiques permanentes du niveau requis pour l'application du paragraphe 2(3).

   Bien que le demandeur affirme avoir subi un traumatisme suite aux événements en cause, cette affirmation n'a pas été étayée devant la CISR, que ce soit par le demandeur lui-même ou par un expert. Puisque le demandeur s'est montrédoué d'une capacité d'adaptation et de débrouillardise, je suis d'avis qu'il n'était pas manifestement déraisonnable de conclure qu'il ne souffrait pas d'un traumatisme psychologique constituant une raison impérieuse au sens du paragraphe 2(3) de la Loi (voir Gicu c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration(le 5 mars 1999), IMM-2140-98, au paragraphe 16).

Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                         

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 21 février 2003


                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

             NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                              IMM-5804-01

INTITULÉ :                           Gustave HITIMANA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le 9 janvier 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE :     L'honorable juge Pinard

EN DATE DU :                    21 février 2003

ONT COMPARU :

Me Eveline Fiset                      POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me François Joyal                      POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Eveline Fiset                               POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                      POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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