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Date : 20030801

Dossier : T-1505-01

Référence : 2003 CF 944

OTTAWA (ONTARIO), LE 1er AOÛT 2003

En présence de :         MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU                               

ENTRE :

                                                       HELMUT OBERLANDER

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur réclame un contrôle judiciaire de la décision du gouverneur en conseil d'annuler sa citoyenneté canadienne en date du 12 juillet 2001.


[2]                Le demandeur est né le 15 février 1924 en Ukraine. Lui et sa femme ont immigré au Canada le 13 mai 1954. Ils sont débarqués à Québec et se sont établis à Kitchener (Ontario). Il y a 31 ans, la famille a déménagé à Waterloo où elle habite depuis. Le 12 avril 1960, le demandeur et sa femme sont devenus citoyens canadiens et ils ont dû, à ce moment-là, abandonner leur citoyenneté allemande. Le demandeur et sa femme ont deux filles issues de leur mariage, toutes deux nées au Canada. Une d'elle souffre de maladie mentale et est à la charge de ses parents.

[3]                Il a été porté à l'attention du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) que le demandeur avait obtenu sa citoyenneté canadienne au moyen d'une fraude, d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Le gouverneur en conseil peut annuler la citoyenneté canadienne, sur rapport du ministre, quand celle-ci a été obtenue à la suite d'une fraude, d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Cependant, avant qu'un tel rapport puisse être soumis au gouverneur en conseil, la personne concernée doit avoir la possibilité de demander le renvoi de l'affaire devant la Cour fédérale qui, si le renvoi a lieu, décidera si l'intéressé a obtenu sa citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle des faits essentiels.

[4]                Les articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi) sont ainsi rédigés :



10. (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en conseil peut, lorsqu'il est convaincu, sur rapport du ministre, que l'acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l'intéressé, à compter de la date qui y est fixée :

a) soit perd sa citoyenneté;

b) soit est réputé ne pas avoir répudié sa citoyenneté.

10. (1) Subject to section 18 but notwithstanding any other section of this Act, where the Governor in Council, on a report from the Minister, is satisfied that any person has obtained, retained, renounced or resumed citizenship under this Act by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances,

(a) the person ceases to be a citizen, or

(b) the renunciation of citizenship by the person shall be deemed to have had no effect,

as of such date as may be fixed by order of the Governor in Council with respect thereto.(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l'a acquise à raison d'une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l'un de ces trois moyens.

(2) A person shall be deemed to have obtained citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances if the person was lawfully admitted to Canada for permanent residence by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances and, because of that admission, the person subsequently obtained citizenship.

18. (1) Le ministre ne peut procéder à l'établissement du rapport mentionné à l'article 10 sans avoir auparavant avisé l'intéressé de son intention en ce sens et sans que l'une ou l'autre des conditions suivantes ne se soit réalisée :

a) l'intéressé n'a pas, dans les trente jours suivant la date d'expédition de l'avis, demandé le renvoi de l'affaire devant la Cour;

b) la Cour, saisie de l'affaire, a décidé qu'il y avait eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

18. (1) The Minister shall not make a report under section 10 unless the Minister has given notice of his intention to do so to the person in respect of whom the report is to be made and

(a) that person does not, within thirty days after the day on which the notice is sent, request that the Minister refer the case to the Court; or

(b) that person does so request and the Court decides that the person has obtained, retained, renounced or resumed citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances.

(2) L'avis prévu au paragraphe (1) doit spécifier la faculté qu'a l'intéressé, dans les trente jours suivant sa date d'expédition, de demander au ministre le renvoi de l'affaire devant la Cour. La communication de l'avis peut se faire par courrier recommandé envoyé à la dernière adresse connue de l'intéressé.

(2) The notice referred to in subsection (1) shall state that the person in respect of whom the report is to be made may, within thirty days after the day on which the notice is sent to him, request that the Minister refer the case to the Court, and such notice is sufficient if it is sent by registered mail to the person at his latest known address.

(3) La décision de la Cour visée au paragraphe (1) est définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel.

(3) A decision of the Court made under subsection (1) is final and, notwithstanding any other Act of Parliament, no appeal lies therefrom.



[5]                Le 27 janvier 1995, le ministre a signé un avis dans lequel il indiquait son intention de présenter un rapport au gouverneur en conseil recommandant l'annulation de la citoyenneté du demandeur. Dans cet avis, le ministre alléguait que le demandeur avait été admis au Canada comme résident permanent et qu'il avait acquis la citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle des faits essentiels, étant donné qu'il avait omis de divulguer aux agents canadiens de l'Immigration et de la Citoyenneté son appartenance à la Sicherheitspolizei und SD (Sipo/SD allemande) et à l'Einsatzkommando 10A (Ek 10a) durant la Deuxième Guerre mondiale, ainsi que sa participation à l'exécution de civils durant cette période.

[6]                Le demandeur a réclamé que sa cause soit renvoyée à la Cour fédérale, laquelle a procédé par voie d'action. Le juge MacKay de la Cour fédérale a rendu sa décision le 28 février 2000 : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Oberlander, [2000] A.C.F. no 229 (1re inst.) (QL) (Oberlander). Il a conclu que le demandeur était membre de l'Ek 10a, une brigade mobile d'exécution chargée de mettre en oeuvre _ la solution finale _ du Troisième Reich dans l'ancienne Union soviétique, surtout en Ukraine. Le juge MacKay a cependant souligné qu'aucun élément de preuve n'avait été déposé à l'appui d'une quelconque participation à des activités criminelles ou à des crimes de guerre et qu'il n'était pas prouvé que le demandeur avait commis personnellement des crimes de guerre. Il a également conclu qu'en 1953, au moment où le demandeur a demandé à immigrer au Canada, il y avait en place un processus bien établi dans le cadre duquel lui et d'autres personnes cherchant à immigrer ici ont été interrogées au sujet de leurs activités en temps de guerre. Le juge MacKay a affirmé que le demandeur avait menti aux agents canadiens de l'Immigration et de la Citoyenneté en dissimulant son appartenance à l'Ek 10a. Il a conclu que le demandeur a été admis comme résident permanent au Canada en 1954 grâce à un visa obtenu par fausse déclaration ou par dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Il n'avait donc pas le droit d'établissement et il n'a pu acquérir le domicile canadien. En 1960, il a obtenu la citoyenneté en faisant faussement valoir qu'il avait acquis le domicile canadien. Il a donc acquis la citoyenneté canadienne en raison d'une fausse déclaration.


[7]                Par suite de quoi, le demandeur a été invité à soumettre au ministre des observations écrites faisant valoir pourquoi l'annulation ne devrait pas avoir lieu. Le demandeur a accepté l'invitation et a présenté des observations détaillées au gouverneur en conseil. Le ministre a alors remis au demandeur une copie du rapport destiné au gouverneur en conseil et il l'a invité à soumettre d'autres observations. Le demandeur, sa femme, sa fille et sa petite-fille ont tous déposé des observations que le ministre a annexées à la décision du juge MacKay ainsi qu'une version provisoire du décret. Tous ces documents faisaient partie du rapport du ministre qui a été remis au gouverneur en conseil.

[8]                Par le décret C.P. 2001-1227, le gouverneur en conseil annulait la citoyenneté du demandeur en date du 12 juillet 2001.


[9]                La simple attribution par la loi d'un pouvoir au gouverneur en conseil ne signifie pas que son exercice échappe à tout contrôle judicaire : Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et al., [1980] 2 R.C.S. 735, à la page 748. Les décrets du gouverneur en conseil sont assujettis au contrôle judiciaire dans les mêmes conditions que les lois. Comme ils résultent principalement de pouvoirs délégués, l'intervention des tribunaux est justifiée lorsque le gouverneur en conseil, prenant un décret en conseil, outrepasse le pouvoir qui lui a été conféré : Reyes c. Canada (Procureur général), [1983] 2 C.F. 125, à la page 134 (1re inst.). Dans pareil cas, la procédure appropriée est d'émettre un avis introductif d'une instance engagée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7 : Saskatchewan Wheat Pool et al. c. Canada (Procureur général) (1993), 67 F.T.R. 98, à la page 100.

[10]            La loi et la compétence peuvent toujours faire l'objet d'un contrôle judiciaire et la Cour est en droit de vérifier que les procédures décrites aux articles 10 et 18 de la Loi ont été respectées. Je n'ai aucun doute qu'en l'espèce, les conditions préalables à l'exercice des pouvoirs du gouverneur en conseil d'annuler la citoyenneté du demandeur ont été remplies. En l'espèce, aucune question n'a été soulevée à l'encontre des conclusions de la Cour ou de la procédure suivie par le ministre. De plus, il ne s'agit pas d'une situation où le gouverneur en conseil a décidé d'agir de sa propre initiative ou d'un cas où l'intéressé a été privé de la possibilité de présenter sa cause avant que le ministre fasse une recommandation au gouverneur en conseil. Dans la présente affaire, le demandeur a eu pleinement l'occasion de produire des éléments de preuve et de présenter des observations à toutes les étapes du processus d'annulation.


[11]            Le demandeur ne prétend pas que le gouverneur en conseil n'avait pas le pouvoir de prendre le décret contesté mais seulement que ce décret est invalide, soit parce que le gouverneur en conseil n'a pas tenu compte du fait qu'il avait le pouvoir discrétionnaire de ne pas annuler la citoyenneté du demandeur, soit parce qu'il a omis de fournir des motifs adéquats pour sa décision. Le demandeur prétend également que le gouverneur en conseil ne semble pas avoir tenu compte des lignes directrices du gouvernement voulant que l'annulation de la citoyenneté et le renvoi d'une personne du Canada ne doivent être amorcés que contre des personnes impliquées dans des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Le demandeur ajoute que si l'on oppose les facteurs positifs jouant en sa faveur à la conclusion de fausse déclaration tirée par le juge McKay, en l'absence de toute preuve d'implication personnelle dans des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité, le décret contesté n'est pas raisonnable et doit être annulé.

[12]            Le fondement de l'annulation de la citoyenneté du demandeur est énoncé clairement et en termes non équivoques dans le décret contesté rédigé en ces termes :

Attendu que la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a donné l'avis exigé à l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté à la personne mentionnée dans l'annexe ci-jointe concernant son intention d'établir le rapport visé à l'article 10 de la Loi sur la citoyenneté, que l'intéressé a demandé le renvoi de l'affaire devant la Cour et que la ministre a renvoyé l'affaire à la Cour fédérale (la _ Cour _);

Attendu que la Cour a statué que l'intéressé a été admis au Canada à titre de résident permanent par l'un des trois moyens mentionnés au paragraphe 10(2) de la Loi sur la citoyenneté, soit la fraude, la fausse déclaration ou la dissimulation intentionnelle de faits essentiels et que, grâce à cette admission, il a subséquemment acquis la citoyenneté canadienne;

Attendu que la Cour a statué que l'intéressé a acquis la citoyenneté en application de la Loi par fausse déclaration, fraude ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels;

Attendu que le gouverneur en conseil peut, lorsqu'il est convaincu, sur rapport de la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, que la personne mentionnée dans l'annexe ci-jointe a été admise au Canada à titre de résident permanent par l'un des moyens mentionnés au paragraphe 10(2) de la Loi sur la citoyenneté, savoir la fausse déclaration, la fraude ou la dissimulation intentionnelle de faits essentiels et que, grâce à cette admission, elle a par la suite acquis la citoyenneté canadienne;

Attendu que le gouverneur en conseil est convaincu, après avoir pris connaissance du rapport de la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, que la personne mentionnée dans l'annexe ci-jointe a acquis la citoyenneté en application de la Loi par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels;

Son Excellence le gouverneur général en conseil, sur la recommandation de la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, en application de l'article 10 de la Loi sur la citoyenneté, déclare par la présente que la personne visée à l'annexe ci-jointe cesse d'être un citoyen canadien à compter de la date du présent décret.



[13]            Lorsqu'une décision est prise précisément en fonction des motifs énoncés dans le rapport du ministre et qu'il n'existe pas d'éléments de preuve contraires, les motifs de décision du gouverneur général en conseil sont ceux du ministre : Al Yamani c. Canada (Solliciteur général) (1re inst.), [1996] 1 C.F. 174, à la page 220. Le décret contesté renvoie expressément au rapport du ministre et appuie les conclusions tirées par la Cour. Dans son rapport au gouverneur en conseil, le ministre mentionne entre autres choses qu'il est _ maintenant en mesure de recommander la révocation _seulement_ parce que la Section de première instance de la Cour fédérale a statué que M. Oberlander a obtenu la citoyenneté par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels _. Les principales conclusions de fait tirées par le juge MacKay dans la décision Oberlander, précitée, sont soulignées dans son rapport. Le ministre fait notamment remarquer que _ _l_es éléments de preuve produits montrent que M. Oberlander a servi au sein de l'Ek 10a, porté l'uniforme de cette unité, vécu, mangé et voyagé avec elle et, en définitive, contribué à ce qu'elle atteigne ses objectifs _. Par conséquent, il était raisonnable pour le juge MacKay de conclure que toute personne qui a travaillé pour l'unité et qui l'a servie de la façon que M. Oberlander l'a fait était en fait un membre de cette unité. Il a également fait observer que _ _c_ompte tenu de la conclusion tirée par le juge MacKay, si M. Oberlander avait divulgué, au moment de présenter sa demande d'immigration au Canada, le fait qu'il avait servi au sein de l'Ek 10a durant la guerre et la nature de ses activités pendant cette même période, il n'aurait pas été admis au Canada en 1953. Par conséquent, M. Oberlander n'a pu obtenir la citoyenneté canadienne que par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels touchant ses activités en temps de guerre » .

[14]            Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Bogutin (1998), 144 F.T.R. 1, au paragraphe 118, la Cour a déclaré que _ [l]a décision qui est rendue à l'issue du renvoi constitue le fondement factuel du rapport du ministre et, à terme, celui de la décision du gouverneur en conseil _. Le rapport du ministre constitue une explication claire et rationnelle de la décision du gouverneur en conseil voulant que le demandeur ait obtenu la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. À mon avis, cela satisfait à l'obligation, pour le gouverneur en conseil, de fournir les motifs qui l'ont incité à annuler la citoyenneté canadienne du demandeur : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux pages 845, 848 et 849 (Baker); et Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 72, aux paragraphes 20 à 22. Cette approche est également compatible avec l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Canada (Secrétaire d'État) c. Luitjens (1992), 142 N.R. 173 (C.A.F.). La Loi exige expressément que le ministre rédige un rapport après que la Cour a rendu sa décision. Par conséquent, le rapport du ministre est différent du _ mémoire _ rédigé par un agent du ministère que la Cour suprême a analysé dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3 (Suresh), aux paragraphes 16 et 116. La présente affaire se distingue donc de l'arrêt Suresh.

[15]            Cela dit, en l'absence d'une obligation légale expresse (comme celle énoncée au paragraphe 28(5) de la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11), je n'ai pas à décider de façon formelle s'il y a ou non une obligation implicite de la part du gouverneur en conseil de donner des motifs, ce que nie catégoriquement le défendeur qui fait état à la Cour des observations suivantes du juge Dickson dans l'arrêt Thorne's Hardware Ltd. c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106, aux pages 112 et 113 (Thorne's Hardware Ltd.) : _ [l]es gouvernements ne publient pas les motifs de leurs décisions; ils peuvent être mus par une foule de considérations d'ordre politique, économique ou social, ou par leur propre intérêt    _.

[16]            Non plus ne puis-je déduire à la lecture du décret contesté, qui reprend le libellé de l'article 10 de la Loi, qu'il est fondé sur un mauvais principe de droit ou que le gouverneur en conseil a cru erronément qu'il n'avait pas de pouvoir discrétionnaire aux termes de la loi habilitante. De plus, il est clair à la lecture de son rapport que le ministre reconnaît lui-même le fait que le pouvoir du gouverneur en conseil d'annuler la citoyenneté est un pouvoir discrétionnaire. Je remarque que dans son rapport, le ministre déclare _ _qu'a_u moment de décider de l'opportunité de révoquer ou non la citoyenneté, le gouverneur en conseil devrait tenir compte de la politique gouvernementale relative à l'"absence de havre", des conclusions tirées par le juge de première instance lors du renvoi ainsi que des arguments soumis par M. Oberlander _.

[17]            Le gouverneur en conseil n'était pas obligé de mentionner tous les éléments dont il a tenu compte pour arriver à sa décision. Le fait que les éléments secondaires ne sont pas mentionnés dans le décret contesté ne prouve nullement qu'il n'en a pas tenu compte ou qu'ils ont été écartés arbitrairement. La vrai question est de savoir si les motifs invoqués dans le décret contesté constituent, en vertu de la loi, un motif suffisant d'annulation de la citoyenneté du demandeur. C'est bel et bien le cas, et la Cour ne devrait pas amorcer une réévaluation des observations et des éléments de preuve soumis par les parties.

[18]            Dans l'arrêt Thorne's Hardware Ltd., précité, page 111, la Cour suprême a déclaré que _ [l]es décisions prises par le gouverneur en conseil sur des questions de commodité publique et de politique générale sont sans appel et ne peuvent être examinées par voie de procédures judiciaires _. Bien que les droits d'une personne soient en jeu, il y a des éléments de politique générale en cause dans la décision d'annuler la citoyenneté. La _ décision sans appel _ est rendue ici par le plus haut organe politique du gouvernement canadien. Une analyse contextuelle des articles 10 et 18 de la Loi confirme que l'intention du législateur était de faire de ces décisions politiques des décisions sans appel et de les mettre à l'abri des examens judiciaires, en dépit de l'absence d'une clause privative.


[19]            De plus, l'historique législatif montre que le législateur a choisi de transférer au gouverneur en conseil le pouvoir d'annuler la citoyenneté, pouvoir qu'exerçaient auparavant les tribunaux ou le secrétaire d'État du Canada. Le pouvoir d'annuler la citoyenneté est confié au gouverneur en conseil afin qu'il soit exercé indépendamment de la décision factuelle rendue par la Cour selon laquelle une personne a acquis la citoyenneté canadienne par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels (il fut un temps où ce pouvoir était exercé par une commission nommée par le gouverneur en conseil). (L'historique de l'article 18 de la Loi remonte à la Loi sur la naturalisation, S.R.C. 1906, ch. 77, art. 66. Des modifications ont été apportées par les lois suivantes, et ce jusqu'en 1970, avant la version dont nous nous servons aujourd'hui : S.C. 1914, ch. 44, art. 7; S.C. 1919-1920, ch. 59, art. 2; S.R.C. 1927, ch. 138, art. 9; S.C. 1946, ch. 15, art. 21; S.C. 1950, ch. 29, art. 8; S.C. 1951, ch. 12, art. 1; S.R.C. 1952, ch. 33, art. 19; S.C. 1958, ch. 24, art. 2; S.C. 1967-1968, ch. 4, art. 5; et S.R.C. 1970, ch. 19, art. 18).


[20]            Si je tiens compte de tous les éléments pertinents, y compris le degré relatif d'expertise du décideur, les buts visés par les dispositions applicables et la législation habilitante, ainsi que la présence de garanties judiciaires préalables sous forme d'un renvoi à la Cour fédérale, je dois conclure que la norme de contrôle applicable à la décision d'annuler la citoyenneté est la décision manifestement déraisonnable : Suresh, précité; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 1 R.C.S. 982 (Pushpanathan); Baker, précité; Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan (2003), 302 N.R. 1 (C.S.C.); et Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia (2003), 302 N.R. 34 (C.S.C.). De plus, le simple fait que la Cour pourrait arriver à une conclusion différente n'est pas une raison valable pour aller à l'encontre de cette décision. Pour que la décision manifestement déraisonnable s'applique comme norme de contrôle, il faut que le défaut soit évident, donc facile à cerner au vu du dossier. Si, pour déceler le défaut il faut procéder à _ un examen ou à une analyse en profondeur _, alors, la décision n'est pas _ manifestement déraisonnable _ : Suresh, précité, paragraphes 29 et 30; Pushpanathan, précité; Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S 249, au paragraphe 38; et Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 57.

[21]            En l'espèce, le demandeur n'a pas réussi à prouver que le décret contesté est manifestement déraisonnable. Le seul fait que la décision du gouverneur en conseil était défavorable au demandeur ne suffit pas à justifier l'intervention de la Cour. Par ailleurs, je suis loin d'être convaincu du bien-fondé de l'argument du demandeur voulant que la décision contestée soit contraire à l'intérêt public et ce, même après avoir fait _ un examen ou _à_ une analyse en profondeur _. J'estime également qu'il était raisonnablement loisible au gouverneur en conseil de décider d'annuler la citoyenneté canadienne du demandeur.


[22]            De l'avis du demandeur, _traduction_ _ il semblerait que le gouverneur en conseil n'a pas tenu compte _ des lignes directrices concernant l'annulation de la citoyenneté des immigrants qui ont participé à la Deuxième Guerre mondiale ou qu'elles n'ont pas été appliquées _ équitablement et uniformément _ en l'espèce. Au moment où le décret contesté a été rendu, et ce qui est plus important encore, au moment où le rapport du ministre a été soumis au gouverneur en conseil, il était prescrit dans les lignes directrices (Programme canadien sur les crimes de guerre, Rapport 2000-2001, page 3) que :

On considère qu'une personne est complice si, tout en étant au fait de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité, elle a contribué directement ou indirectement à la perpétration de ces crimes. La seule appartenance à une organisation jugée responsable d'avoir commis des atrocités peut permettre d'établir la complicité, si la raison d'être de l'organisation est de perpétrer des actes de brutalité, p. ex. des escadrons de la mort.

[23]            La Cour et la Cour d'appel fédérale ont à maintes reprises statué que l'appartenance à une organisation responsable d'avoir commis des atrocités peut permettre d'établir la complicité si la raison d'être de l'organisation est de perpétrer des actes de brutalité, p. ex., les esquadrons de la mort. Puisqu'il était interprète et qu'il avait travaillé longtemps pour le Ek 10a, une unité mobile de tueries, il était raisonnablement loisible au gouverneur en conseil de déduire que le demandeur était complice des activités de l'unité comme personnel de soutien et fournisseur d'information. Par conséquent, j'estime que la cause du demandeur est directement visée par les lignes directrices : Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 205 N.R. 282 (C.A.F.); Sivakumar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.); Alza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 110 F.T.R. 187; et Zadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 90 F.T.R. 210.


[24]            En l'espèce, il n'y a aucune preuve que les lignes directrices, lesquelles ne lient pas le gouverneur en conseil, n'ont pas été appliquées de façon équitable et uniforme. Quoi qu'il en soit, il n'y a pas de lien direct entre les lignes directrices et la doctrine de l'attente légitime. Les tribunaux ont établi à maintes occasions que rien dans le droit canadien ou le droit britannique ne permet d'affirmer que la doctrine de l'attente légitime peut créer des droits substantiels. Plutôt, la doctrine n'est qu'une partie des règles d'équité procédurale qui peuvent régir les tribunaux administratifs. La doctrine de l'attente légitime ne peut être invoquée pour empêcher l'exercice d'une obligation légale ou pour conférer un statut défini par la loi à une personne qui, de toute évidence, ne correspond pas à la définition donnée par la loi. Ce qui revient à dire que si une autorité publique peut être liée par la procédure qu'elle s'est engagée à suivre, en aucun cas peut-elle se placer en conflit par rapport à ses obligations et négliger les exigences du droit : Baker, précité, aux pages 839 et 840; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 358, aux pages 371 et 372 (C.A.); et Lidder c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 621, au paragraphe 4 (C.A.).

[25]            En conclusion, le demandeur n'a pas réussi à cerner une erreur susceptible de contrôle judiciaire en application du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale dans la décision du gouverneur en conseil d'annuler sa citoyenneté canadienne. Le paragraphe 10(1) de la Loi exige que le gouverneur en conseil soit _ convaincu _ qu'une personne a acquis, conservé, répudié ou réintégré sa citoyenneté aux termes de la Loi _ par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels _. À mon avis, le gouverneur en conseil a _ rempli ses fonctions dans les limites du pouvoir et du mandat que lui a confiés le législateur _. Pour les motifs que j'ai invoqués, la décision n'était ni manifestement erronée ni manifestement déraisonnable.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire présentée à l'encontre de la décision d'annuler la citoyenneté du demandeur rendue par le décret C.P. 2001-1227, pris le 12 juillet 2001 conformément au paragraphe 10(1) de la Loi sur la citoyenneté, soit rejetée avec dépens.

                                                                                 « Luc Martineau »              

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Josette Noreau, B.Tra.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                           T-1505-01

INTITULÉ :                                                          HELMUT OBERLANDER c. P.G.C.

DATE DE L'AUDIENCE :                                  LE 23 JUIN 2003

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                     LE JUGE MARTINEAU

DATE :                                                                  Le 1er août 2003

COMPARUTIONS :

BARBARA JACKMAN                                         POUR LE DEMANDEUR

ERIC HAFEMANN

PETER VITA                                                          POUR LE DÉFENDEUR

NEETA LOGSETTY

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BARBARA JACKMAN                                         POUR LE DEMANDEUR

TORONTO (ONTARIO)

ERIC HAFEMANN

WATERLOO (ONTARIO)                                   

MORRIS ROSENBERG                                        POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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