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Date : 20041022

Dossier : IMM-10216-03

Référence : 2004 CF 1472

Ottawa (Ontario), le 22 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                               SAMIR ELMAHI

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (Loi), porte sur une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (tribunal), rendue le 5 décembre 2003. Dans cette décision, le tribunal a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'article 2 de la Loi sur l'immigration.


QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Les questions en litige sont les suivantes :

1.         Est-ce que le tribunal a erré en rejetant la requête du demandeur visant à faire retirer du dossier les notes au point d'entrée?

2.         Est-ce que le tribunal a violé la règle audi alteram partem?

3.         Est-ce que le tribunal aurait dû prendre sa décision en se basant sur l'article 97.1 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIRP) au lieu de considérer la demande sous l'ancienne Loi sur l'immigration?

4.         Est-ce que le tribunal a fait preuve de partialité lors de l'audience?

5.         Est-ce que le tribunal a commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant au manque de crédibilité du demandeur?

[3]                Pour les motifs suivants, je réponds par la négative à ces questions et je rejetterai donc la présente demande de contrôle judiciaire.

CONTEXTE FACTUEL

[4]                Le demandeur est né au Maroc le 25 février 1970. Le demandeur allègue une crainte fondée de persécution en raison de ses opinions politique réelles ou imputées. Il affirme craindre pour sa vie et risquer de subir des traitements ou des peines cruels et/ou inusités s'il devait retourner dans son pays d'origine.


[5]                Le demandeur allègue avoir commencé à avoir des problèmes à partir du 1er octobre 1999 où il aurait été arrêté par un policier en civil dans un bar alors qu'il aurait ouvertement critiqué le roi Mohamed VI. Le demandeur allègue avoir été détenu pendant cinq jours. Lors de son arrestation, il aurait subi la Falaka (méthode de torture qui consiste à suspendre un individu par les pieds et à les frapper violemment). Le demandeur affirme avoir été hospitalisé suite à ses blessures. On lui aurait amputé quatre orteils du pied gauche. De plus, le demandeur indique avoir été brûlé au bras droit et avoir reçu des coups de pied à la tête. Il allègue qu'après son arrestation, les policiers auraient perquisitionné son domicile et auraient continué à le rechercher.

[6]                Suite à sa libération le 6 octobre 1999, il aurait quitté la ville pour aller trouver refuge chez une tante à Casablanca jusqu'au 21 août 2001 et se serait envolé la même journée pour la France. Il y est demeuré jusqu'au 6 octobre 2001. Le lendemain, il est arrivé au Canada et a demandé le statut de réfugié.

DÉCISION CONTESTÉE

[7]                Le tribunal a rejeté la demande d'asile en concluant que le demandeur n'était pas crédible.


[8]                Il a d'abord constaté que ce dernier avait omis plusieurs faits importants dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP). Il a trouvé invraisemblable que le demandeur ait réussi à quitter son pays sans problème alors qu'il était soit disant recherché par les autorités marocaines. Le tribunal a également constaté que le demandeur s'était contredit à plusieurs reprises notamment en ce qui a trait aux sévices subis lors de sa détention, au nombre de visites des gendarmes qui étaient à sa recherche et à son lieu de résidence entre 1999 et 2001.

[9]                Selon le tribunal, le témoignage du demandeur était inconsistant avec celui du témoin, M. Gordon Schomberg.

[10]            Il a également noté plusieurs contradictions entre le témoignage du demandeur et ses déclarations au point d'entrée. Le demandeur aurait tenté d'exagérer son histoire pour augmenter ses chances de succès.

[11]            En ce qui a trait aux prétentions du demandeur à l'effet que sa demande devait être entendue en vertu de la nouvelle loi, le tribunal a conclu que puisque certains éléments de preuve de fond avaient été déposés le 9 avril 2002, les dispositions de l'article 191 de la Loi s'appliquaient et conséquemment la demande devait être entendue en vertu de l'ancienne loi.

ANALYSE


[12]            La norme de contrôle pour les questions de fait est la norme de la décision manifestement déraisonnable; pour les questions mixtes de droit et de fait, la norme de la décision raisonnable simpliciter; pour les questions strictes de droit, la norme de la décision correcte (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1999] 4 C.F. 269 (1ère inst.), Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 300 (1ère inst.) (QL), Boye c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1329 (1èreinst.) (QL).

Est-ce que le tribunal a erré en rejetant la requête du demandeur visant à faire retirer du dossier les notes au point d'entrée?

[13]            Il a été reconnu par la Cour fédérale d'appel que la Commission, en tant que tribunal spécialisé, a pleine compétence pour déterminer la valeur probante de la preuve qui lui est présentée. En autant que les conclusions du tribunal ne sont pas manifestement déraisonnables, il n'y a pas matière à révision (Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'immigration (1993), 160 N.R. 315 aux pages 316 et 317 (C.A.F.)).

[14]            En l'espèce, le demandeur a déposé une requête écrite ensuite verbale lors de l'audition pour faire rejeter la pièce M-4 (les notes au point d'entrée) car elle ne constituait pas un élément crédible et digne de foi.


[15]            Il allègue que le tribunal aurait dû rejeter cet élément de preuve parce qu'il ne l'a pas complété lui-même. Lors de l'audience, il a été établi que l'agent d'immigration au point d'entrée, M. Jacques, a rempli le formulaire pour le demandeur étant donné que ce dernier avait de la difficulté à écrire en français. Dans son témoignage, l'agent Jacques a déclaré que le demandeur aurait refusé l'assistance d'un interprète alléguant pouvoir s'exprimer en français. Je ne crois pas que le fait que le demandeur n'ait pas rempli lui-même le document lui cause préjudice. Je crois plutôt que c'est la véracité du contenu du document qui importe. D'après le témoignage de l'agent, il est fréquent que l'agent d'immigration remplisse le document au point d'entrée lorsque le demandeur ne parle pas l'une des deux langues officielles ou lorsqu'il n'est pas en mesure de remplir lui-même le formulaire adéquatement.

[16]            Le réclamant allègue que le tribunal n'a pas traité de sa requête dans la décision. Mais cette requête a été tranchée lors de l'audience et les motifs du refus ont été communiqués au demandeur de vive voix. Selon moi, en conservant la pièce M-4 en preuve, le tribunal n'avait pas à motiver de nouveau dans sa décision les motifs du rejet de la requête présentée. Il n'y a pas d'erreur ici qui mérite une révision.

Est-ce que le tribunal a violé la règle audi alteram partem?

[17]            Le demandeur reproche aux décideurs de ne pas lui avoir permis de produire tous les éléments de preuve et d'interroger les témoins. Il soumet qu'il y a eu violation à la règle audi alteram partem car les notes au point d'entrée étaient basées sur des notes manuscrites d'un autre agent d'immigration.

[18]            À son arrivée à l'aéroport de Dorval, c'est l'agent Custeau qui a interrogé le demandeur. Étant donné l'heure tardive, cet agent a ajourné le dossier au lendemain. L'agent Jacques a continué le dossier et après avoir validé les informations prises par l'agent Custeau avec le demandeur, il a complété le document au point d'entrée avec ce dernier.

[19]            Les notes prises par l'agent Custeau n'ont pas pu être déposées car elles n'étaient plus disponibles au moment de l'audience. Le demandeur souligne qu'il n'a pas eu la chance de contre-interroger l'agent Custeau.

[20]            Il est vrai que l'agent Jacques a affirmé avoir utilisé les notes laissées par son collègue M. Custeau. Mais dans son témoignage, l'agent Jacques a précisé avoir confirmé et validé avec le demandeur les notes prises la veille. À la demande du tribunal, l'agent Jacques a tenté de retrouver ces notes sans succès et les commissaires ont quand même décidé d'admettre en preuve le document au point d'entrée.

[21]            Le demandeur a pu contre-interroger l'agent Jacques. Il a fait entendre ses témoins et déposer sa documentation.

[22]            Je ne suis pas d'avis qu'une brèche à la règle de audi alteram partem a été établie.

[23]            Quant à l'absence d'interprète, la preuve démontre que ce service a été offert au demandeur mais il l'a refusé.

Est-ce que le tribunal aurait dû prendre sa décision en se basant sur l'article 97.1 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIRP) au lieu de considérer la demande sous l'ancienne Loi sur l'immigration?

[24]            Les articles 190 et 191 des dispositions transitoires de la Loi de lisent comme suit :


Application de la nouvelle loi

190. La présente loi s'applique, dès l'entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu'aux autres questions soulevées, dans le cadre de l'ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n'a été prise.

Anciennes règles, nouvelles sections

191. Les demandes et procédures présentées ou introduites, à l'entrée en vigueur du présent article, devant la Section du statut de réfugié sont, dès lors que des éléments de preuve de fond ont été présentés, mais pour lesquelles aucune décision n'a été prise, continuées sous le régime de l'ancienne loi, par la Section de la protection des réfugiés de la Commission.

Application of this Act

190. Every application, proceeding or matter under the former Act that is pending or in progress immediately before the coming into force of this section shall be governed by this Act on that coming into force.

Convention Refugee Determination Division

191. Every application, proceeding or matter before the Convention Refugee Determination Division under the former Act that is pending or in progress immediately before the coming into force of this section, in respect of which substantive evidence has been adduced but no decision has been made, shall be continued under the former Act by the Refugee Protection Division of the Board.



[25]            Contrairement aux prétentions du demandeur, je suis d'avis que le tribunal a bien appliqué les règles transitoires. La distinction principale qui existe entre l'article 190 et l'article 191 est basé sur le dépôt d'élément de preuve sur le fond. Il ne faut pas lire isolément l'article 190. L'article 191 prévoit que si des éléments de preuve de fond ont été présentés sans qu'une décision ne soit encore rendue, l'ancienne loi continue de s'appliquer.

[26]            Il faut donc se demander si des éléments de preuve de fond ont été présentés ici. Ma collègue la juge Tremblay-Lamer dans la cause Isufi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 880, [2003] A.C.F. no 1208 (1ère inst.) (QL), s'appuyant sur l'arrêt Aquino c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 144 N.R. 315 de la Cour d'appel fédérale, s'est prononcée sur cette question au paragraphe 10 :

Le dépôt d'un FRP ne constitue pas une preuve de fond. Dans l'arrêt Aquino c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1992), 144 N.R. 315, la Cour d'appel fédérale avait jugé qu'un FRP qui avait été déposé, mais qui n'était pas constaté dans le dossier ni n'avait été inscrit comme pièce lors de l'audience ne pouvait être considéré comme un élément de preuve produit durant l'instance. [...]

[27]            Dans le présent dossier, une première audience a été tenue le 9 avril 2002, soit avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. Lors de cette audience le demandeur a lui-même déposé en preuve une modification au FRP et une copie de son passeport. Ces deux éléments ont été admis par le tribunal comme étant respectivement les pièces P-1A et P-2. Il ne fait aucun doute que ces deux éléments matériels constituent une preuve de fond.

Est-ce que le tribunal a fait preuve de partialité lors l'audience?


[28]            Le droit à une audition juste et impartiale est un des principes de justice naturelle des plus importants. Le critère de partialité consiste à se demander si une personne raisonnable et bien informée aurait une crainte raisonnable de partialité. Ce critère a été analysé dans la décision Valente c. la Reine, [1985] 2 R.C.S. 673 à la page 684, se référant à une décision du juge de Grandpré dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369 :

... la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique ... »

[29]            Celui ou celle qui invoque la partialité doit la soulever à la première occasion au risque de se voir apposer le principe de la renonciation. Donc, il ne faut pas attendre la fin du litige pour soulever cette crainte (P. Foucher, Droit administratif, Common law en poche, volume 8, Éditions Yvon Blais, 1997 à la page 85).

[30]            Rien dans la preuve démontre qu'une objection a été faite lors de l'audition concernant la partialité des deux membres du tribunal. J'ai lu les passages cités par le procureur du demandeur et je ne suis pas convaincu qu'une personne raisonnable et bien informée en viendrait à une telle conclusion.


Est-ce que le tribunal a commis une erreur manifestement déraisonnable en concluant au manque de crédibilité de demandeur?

[31]            Le demandeur a connu des problèmes avec les autorités marocaines en 1999. Toutefois, ce n'est qu'en 2001 qu'il a finalement quitté le Maroc. Il affirme avoir demandé à deux reprises un visa canadien sans obtenir de succès. Avant de se rendre au Canada, il a transité par la France où vivaient ses soeurs et y est demeuré pendant six semaines. Il a réussi à traverser les frontières du Maroc sans problème malgré le fait qu'il était recherché par la gendarmerie. Les décideurs ont déclaré ne pas croire à son histoire de crainte de persécution. Je ne vois pas de motifs d'intervention.

[32]            Les membres du tribunal n'ont accordé aucune valeur probante au rapport médical du docteur Bossé ainsi qu'au rapport psychologique déposé. Dans son témoignage, le Dr. Bossé mentionne que cinq des sept cicatrices constatées auraient pu être causées par différents événements. Il était loisible au tribunal d'apprécier la preuve des experts en fonction de la véracité des faits qu'on leur a présentée (Danailov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 1019 (1ère inst.) (QL).

[33]            En conclusion, je n'ai pu soulever d'erreur manifestement déraisonnable dans cette décision.

[34]            Le demandeur a soumis la question suivante pour être certifiée :

Pour l'application de l'article 190 des dispositions transitoires de la LIPR, le critère applicable n'est-il pas celui de : « pour lesquelles, aucune décision n'a été prise » .

[35]            Le défendeur s'oppose à cette question. Je crois plutôt ici que c'est l'article 191 des dispositions transitoires qui s'applique. En conséquence, aucune question ne sera certifiée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question n'est certifiée.

              « Michel Beaudry »       

Juge


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                                                           IMM-10216-03

INTITULÉ :                                                          SAMIR ELMAHI et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                           

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  le 6 octobre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                                         L'HONORABLE JUGE BEAUDRY


DATE DES MOTIFS :                                         le 22 octobre 2004

COMPARUTIONS :

Lucrèce M. Joseph                               POUR LE DEMANDEUR

Lisa Maziade                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lucrèce M. Joseph                                POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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