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Date : 20030221

Dossier : T-882-02

Référence neutre : 2003 CFPI 224

Vancouver (Colombie-Britannique), le vendredi 21 février 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

ENTRE :

                                                              BRAD MAREK

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Historique


[1]                 Ces motifs se rapportent à deux appels qui ont été réglés sur dossier au moyen d'une ordonnance rendue par Monsieur le juge Pinard; les appels ont été interjetés par Brad Marek, un détenu purgeant une peine d'emprisonnement pour une période indéterminée à l'établissement Mountain, exploité par le Service correctionnel du Canada (le SCC), à la suite de deux ordonnances rendues par Monsieur le protonotaire Hargrave qui : (1) a radié, le 28 octobre 2002, la demande de contrôle judiciaire par laquelle M. Marek sollicitait l'annulation d'un rapport sur l'évolution du plan correctionnel (le rapport sur l'évolution) et d'une évaluation pour décision (le rapport d'évaluation), lesquels étaient tous deux datés du 22 avril 2002; et (2) a refusé, le 29 octobre 2002, par suite de l'ordonnance qu'il avait rendue la veille, la demande que M. Marek avait présentée en vue d'obtenir l'autorisation de déposer des affidavits et des documents supplémentaires. Étant donné que M. Marek a interjeté appel contre les ordonnances du protonotaire le 15 novembre 2002, il doit obtenir de la Cour une prorogation du délai d'appel.

[2]                 Le protonotaire Hargrave a radié la demande de M. Marek parce que celui-ci avait omis de se prévaloir d'un autre recours approprié, à savoir la procédure de règlement des griefs prévue dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la Loi ou la LSCMLC) et dans le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (le Règlement).

[3]                 Le protonotaire a radié la demande de contrôle judiciaire; quant à la demande visant le dépôt d'affidavits et de documents supplémentaires, il estimait que la question n'avait plus qu'un intérêt théorique.


[4]                 L'un des volets du critère relatif à l'octroi d'une prorogation de délai est identique à l'un des volets du critère relatif à la radiation d'une demande de contrôle judiciaire : il s'agit de savoir si la demande est dépourvue de fondement. Je n'ai donc pas à examiner séparément la question de la prorogation de délai et la question du bien-fondé de la décision par laquelle le protonotaire a radié la demande.

[5]                 En outre, parce que la décision que le protonotaire Hargrave a rendue au sujet de la radiation influe sur le caractère final de l'instance, je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire à nouveau (voir Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.)).

Le contexte

[6]                 Afin de comprendre le fondement de la décision du protonotaire Hargrave de radier la demande de M. Marek, il faut connaître dans une certaine mesure le contexte.

[7]                 Un élément clé de ce contexte est la réparation sollicitée par M. Marek dans sa demande et la raison y afférente. M. Marek sollicite l'annulation de deux rapports préparés par Kevin Johnson, agent de liberté conditionnelle de l'établissement. M. Marek veut également que ces deux rapports soient retirés des dossiers du SCC le concernant et que de nouveaux rapports soient préparés pour être déposés auprès de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la CNLC) afin d'être utilisés dans le cadre de l'examen effectué par cette dernière au sujet de diverses formes de liberté dont il pourrait bénéficier.

[8]                 Lorsque M. Marek a présenté sa demande le 28 mai 2002, la demande était défectueuse; Monsieur le juge Mackay a ordonné, le 4 juin 2002, que des modifications y soient apportées. L'audience relative à l'examen effectué par la CNLC devait avoir lieu aux mois de juillet et d'août 2002. Le dossier de la demande a été déposé au début du mois de septembre 2002.

[9]                 Dans sa demande, M. Marek conteste à maints égards le rapport sur l'évolution et le rapport d'évaluation préparés par M. Johnson. Il allègue que le rapport sur l'évolution renferme des inexactitudes importantes, qu'il est contraire à la Loi, qu'il est incomplet en ce sens que certaines tâches qui doivent être accomplies en vertu des Instructions permanentes ne l'ont pas été (comme l'omission de tenir des séances de gestion du cas et l'omission de consulter), ce qui a compromis l'équité de l'audience tenue par la CNLC puisque l'auteur du rapport d'évaluation recommandait que la libération conditionnelle ne soit pas accordée.

[10]            De plus, les affidavits de M. Marek semblent donner à entendre qu'il croit que M. Johnson a fait preuve de partialité à son endroit et qu'il a délibérément empêché le progrès qu'il accomplissait en vue d'être mis en liberté, cela étant selon lui l'intention secrète de M. Johnson.


[11]            La loi offre un autre contexte. La LSCMLC de 1992 réorganisait complètement les dispositions législatives antérieures relatives à la libération conditionnelle et au service pénitentiaire. Elle incorporait un certain nombre d'éléments portant sur les droits des détenus, lesquels découlaient de décisions importantes rendues par la Cour suprême du Canada à la fin des années 1970 et au début des années 1980, au point de vue de l'équité procédurale, le fait que le milieu carcéral est un milieu spécial et constitue un facteur important dont il faut tenir compte étant toujours pris en considération.

[12]            Cette nouvelle législation exige que le SCC obtienne des renseignements (article 23); qu'il veille, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements concernant un délinquant soient à jour, exacts et complets et qu'il corrige les renseignements ou qu'il fasse mention des corrections non effectuées (article 24); qu'il communique à la CNLC les renseignements pertinents dont il dispose pour prendre la décision relative à la mise en liberté ou à la surveillance des délinquants (article 25).

[13]            Le délinquant à qui la Loi ou les règlements permettent de présenter des observations avant la prise d'une décision a le droit de recevoir tous les renseignements entrant en ligne de compte dans celle-ci, ou un sommaire de ces renseignements (article 27).

[14]            Je n'ai pas à énoncer toute la gamme de décisions prises par le SCC auxquelles ces dispositions relatives à la communication s'appliquent.

[15]            L'article 90 de la Loi prévoit qu' « [e]st établie, conformément aux règlements d'application [...], une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants [...] » .

[16]            La partie II de la LSCMLC traite de la mise en liberté sous condition et du maintien en incarcération. L'article 141 est la disposition qui exige la communication au détenu de l'information (ou d'un résumé) devant être prise en considération par la CNLC dans le cadre de l'examen. La Loi crée également une section d'appel chargée d'examiner les décisions prises par la CNLC; l'un des motifs d'appel est que la CNLC a fondé sa décision « sur des renseignements erronés ou incomplets » .

[17]            La partie III de la Loi établit le Bureau de l'enquêteur correctionnel du Canada (l'enquêteur), dont la fonction est de mener « des enquêtes sur les problèmes des délinquants liés aux décisions, recommandations, actes ou omissions qui proviennent du [SCC] » .

[18]            Je note que, dans ce cas-ci, M. Marek a téléphoné au bureau de l'enquêteur le 7 mai 2002 [TRADUCTION] « au sujet de la préparation du cas aux fins de l'examen à venir en vue d'une libération conditionnelle » . L'enquêteur concerné, qui a écrit à M. Marek le 8 mai 2002, a examiné le système informatique et il a noté que le rapport d'évaluation [TRADUCTION] « a[vait] été consulté et [qu'il était] daté du 24 avril 2002 » .

[19]            L'enquêteur du commissaire a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION] Si le dossier renferme des renseignements erronés ou inexacts, vous devriez soumettre une demande en vue de faire corriger le dossier conformément à la documentation ci-jointe. Étant donné les contraintes de temps, je soumettrais également les commentaires que vous aurez présentés par écrit au sujet de votre cas à la Commission nationale des libérations conditionnelles pour examen par les membres de la Commission bien avant l'audience, par l'entremise de l'équipe de gestion des cas. Si des documents n'ont pas été rédigés, vous devriez faire part de vos commentaires par écrit au gestionnaire d'unité.

[20]            La pièce que l'enquêteur du commissaire a envoyée à M. Marek était un document de trois pages intitulé : [TRADUCTION] « Demande en vue de la correction du dossier » . Il y est fait mention de l'article 24 de la Loi et du Manuel de gestion des cas. La première mesure à prendre consiste à faire part de l'inexactitude à l'agent de gestion des cas. Le problème pourrait être réglé à ce moment-là ou la demande de correction peut être refusée et, si elle l'est, il existe d'autres mesures que le détenu peut prendre, notamment au moyen de la procédure de règlement des griefs.

Analyse et conclusions

[21]            À mon avis, la LSCMLC crée un code exhaustif équilibré régissant toute l'incarcération du délinquant jusqu'à ce qu'il soit mis en liberté. Elle renferme d'importantes dispositions portant sur l'exactitude des renseignements générés par le Service ainsi que sur les mécanismes de correction. Elle oblige le Service et la CNLC à divulguer au délinquant les renseignements sur lesquels leurs décisions sont fondées. Le détenu a la possibilité de présenter des observations.


[22]            Ce qui est ici particulièrement pertinent, c'est que la LSCMLC et le Règlement établissent une procédure de règlement des griefs qui, dans certains cas, a été considérée par la Cour comme fournissant un autre recours par rapport au contrôle judiciaire. (Voir Tehrankari c. Canada (Service correctionnel) (1998), 162 F.T.R. 289 dans le contexte de l'obligation de conserver des dossiers exacts, Giesbrecht c. Canada, [1998] A.C.F. no 621, dans le contexte du transfèrement imposé, et Bordage c. Établissement Archambault, [2000] A.C.F. no 1976, dans le contexte de la cote de sécurité.)

[23]            L'intention, en ce qui concerne l'introduction d'une procédure de règlement des griefs (qui comporte quatre paliers : le dépôt d'une plainte et trois paliers de présentation du grief) avant le contrôle judiciaire, est de fournir à peu de frais au détenu une procédure de réparation rapide et facile d'accès dans les délais impartis par le Règlement. À cet égard, il ne peut pas être supposé, comme M. Marek le fait, que les solutions ne sont pas élaborées au palier du dépôt de la plainte ou au premier palier de présentation du grief, et que le troisième palier de la procédure de règlement du grief est nécessairement en cause. On cherche également à éviter la fragmentation dans la prise de décision ainsi qu'une multitude de procédures.


Conclusions

[24]            Si j'applique la Loi, la jurisprudence ainsi que les principes et le contexte ici en cause, je dois rejeter les deux appels que M. Marek a interjetés contre les ordonnances du protonotaire Hargrave radiant la demande et la requête que le demandeur avait présentée en vue de soumettre de nouveaux faits et de nouveaux documents.

[25]            Au moyen du contrôle judiciaire, le demandeur cherche à faire réviser le rapport sur l'évolution et le rapport d'évaluation, soit la documentation dont la CNLC doit tenir compte dans le contexte des demandes de libération conditionnelle.

[26]            Je suis convaincu que le système de règlement des griefs est, pour ce type de recours, une solution de rechange adéquate; à mon avis, il est préférable de suivre cette voie plutôt que d'avoir recours au contrôle judiciaire; cependant, il reste que le contrôle judiciaire est toujours possible pour corriger des erreurs commises dans la décision rendue au troisième palier de la procédure de règlement des griefs.

[27]            Le contrôle judiciaire présente des problèmes pour les plaideurs qui agissent pour leur propre compte, comme le montre la demande ici en cause. La procédure de règlement des griefs est destinée à remédier à pareils problèmes au point de vue du temps, du contenu, du processus, de l'accès et de la réparation.


[28]            En outre, comme l'enquêteur correctionnel le lui a fait savoir, M. Marek disposait d'un autre recours interne : indiquer et communiquer directement à la CNLC les défectuosités qui, selon lui, existaient dans les deux rapports. Tel est le but de la communication préalable à l'audience. La CNLC, agissant à titre judiciaire, doit examiner les arguments de M. Marek et doit rendre compte à la Section d'appel si elle commet une erreur en se fondant sur des renseignements erronés, la Section d'appel étant de son côté assujettie à la compétence de la Cour en matière de supervision.

[29]            Le demandeur a invoqué la Charte comme motif en vue de soutenir que la procédure de règlement des griefs n'était pas adéquate parce que le SCC n'avait pas la compétence voulue pour examiner pareilles questions. Les manquements dont se plaint le demandeur ne sont pas des manquements à la Charte en tant que tels, mais des manquements à la Loi, au Règlement ainsi qu'aux procédures et manuels d'exploitation internes du Service. La procédure de règlement des griefs peut tenir compte de ce type de manquement. En d'autres termes, la Charte a uniquement été invoquée comme toile de fond par rapport aux manquements législatifs, réglementaires, procéduraux ou politiques.

[30]            Le demandeur affirme que le protonotaire a été partial en arrivant à sa décision. Ce motif est entièrement dénué de fondement. Le protonotaire appliquait simplement la loi aux faits de l'affaire.


[31]            En dernier lieu, l'argument du demandeur selon lequel le protonotaire a excédé sa compétence n'est pas fondé en ce qui concerne le règlement de l'appel de l'ordonnance de radiation. À coup sûr, un protonotaire a compétence pour radier un document introductif d'instance en vertu de l'article 221 des Règles (voir Creighton c. Franko (1998) F.T.R. 303 (1re inst.)). Cela étant, la requête en radiation ne concerne pas directement la mise en liberté ou l'incarcération du demandeur (voir le texte français de l'alinéa 50(1)f) des Règles).

[32]            J'aimerais enfin faire une dernière remarque. Le dossier mis à ma disposition ne montre pas clairement où en est M. Marek dans le processus suivi par la CNLC, mais je suis d'accord avec lui pour dire que les questions qu'il a soulevées doivent être examinées et tranchées par le Service et par la CNLC. Il ne s'agit pas de questions n'ayant plus qu'un intérêt théorique. M. Marek a le droit de faire examiner ces questions conformément aux procédures prévues par le législateur, que j'ai énoncées dans ces motifs.

[33]            Puisque la demande de M. Marek a été radiée, l'appel relatif au dépôt d'affidavits et de documents supplémentaires ne sert à rien.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

Ces appels des ordonnances rendues par le protonotaire Hargrave les 28 et 29 octobre 2002 sont rejetés sans que les dépens soient adjugés.

« F. Lemieux »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      T-882-02

INTITULÉ :                                                                     BRAD MAREK

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                             

ET ORDONNANCE :                                                   Monsieur le juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                                                  le 21 février 2003

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Brad Marek                                                                 pour son propre compte

Établissement Mountain

Agassiz (C.-B.)

M. Morris Rosenberg                                                        pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada                                 

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