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                                                                                                                                            Date : 20030523

                                                                                                                                Dossier : IMM-2657-02

Ottawa (Ontario), le 23 mai 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

Entre :

                                                            Russell Edward COWELL

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de Lorenne Clark, membre de la section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, en date du 21 mai 2002, qui avait annulé l'ordonnance du 21 septembre 1998 de la SAI sursoyant à l'exécution de la mesure de renvoi prononcée contre le demandeur le 29 avril 1998 par la section d'arbitrage, et qui avait ordonné l'exécution de la mesure de renvoi dans les meilleurs délais, est rejetée.

                                                                                                                                              « Yvon Pinard »             

                                                                                                                                                                 Juge                       

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                                                                                                            Date : 20030523

                                                                                                                                Dossier : IMM-2657-02

                                                                                                                           Référence : 2003 CFPI 624

Entre :

                                                            Russell Edward COWELL

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision de Lorenne Clark, membre de la section d'appel de l'immigration (la SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, en date du 21 mai 2002, qui avait annulé l'ordonnance du 21 septembre 1998 de la SAI sursoyant à l'exécution de la mesure de renvoi prononcée contre le demandeur le 29 avril 1998 par la section d'arbitrage, et qui avait ordonné l'exécution de la mesure de renvoi dans les meilleurs délais.

[2]         Le demandeur, né en Angleterre le 26 avril 1964, est arrivé au Canada comme personne à charge de sa mère le 15 octobre 1981, avec le statut d'immigrant ayant obtenu le droit d'établissement.


[3]         Le demandeur a été l'objet d'un rapport aux termes de l'article 27 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), après avoir été reconnu coupable d'entrée par effraction dans une habitation, une infraction contraire au paragraphe 348(1) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, pour laquelle il a été condamné à un emprisonnement de deux ans avec sursis. Le rapport de l'article 27 reposait sur l'allégation selon laquelle il était une personne décrite à l'alinéa 27(1)d) de la Loi, puisqu'il avait été reconnu coupable d'une infraction pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois avait été imposée.

[4]         Une enquête menée devant un arbitre de l'immigration concluait que le demandeur était une personne visée par l'alinéa 27(1)d) de la Loi, et une mesure d'expulsion fut prononcée contre lui le 29 avril 1998. Le demandeur a fait appel de la mesure d'expulsion à la SAI, en application du paragraphe 70(1) de la Loi.

[5]         Avant l'audience de la SAI, le demandeur et le défendeur ont négocié une recommandation conjointe de sursis à l'exécution de la mesure de renvoi, sous réserve de certaines conditions, notamment l'obligation pour le demandeur de signaler à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) toutes les accusations et condamnations criminelles le concernant. Le demandeur a signé la recommandation conjointe le 5 août 1998.

[6]         Le 22 août 1998, le demandeur était accusé de huit infractions criminelles se rapportant à des événements qui s'étaient produits entre le 5 décembre 1996 et le 18 août 1998. Ces accusations étaient toutes rattachées à un différend qui avait éclaté entre lui et son ex-épouse de fait à propos de la garde de leur fille, Presley.


[7]         La recommandation conjointe des parties visant à surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi fut acceptée par la SAI, et les modalités convenues ont été reproduites, avec certaines modifications, dans l'ordonnance de suspension datée du 21 septembre 1998.

[8]         Le 20 octobre 1998, une dénonciation révisée contenant dix accusations criminelles était préparée et déposée devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Deux accusations, l'une de harcèlement criminel et l'autre de violation des conditions de l'ordonnance de probation, étaient supprimées de la dénonciation initiale du 18 août, et quatre accusations de mise en circulation de faux documents y étaient ajoutées.

[9]         Le 22 mars 2000, le demandeur était reconnu coupable sur les dix chefs figurant dans la dénonciation révisée, et, le 2 juin 2000, il était condamné à une peine d'emprisonnement de deux ans moins un jour, et à deux années de probation.

[10]       Par avis de requête en date du 17 mai 2001, le ministre a demandé à la SAI d'annuler le sursis d'exécution de la mesure d'expulsion prononcée contre le demandeur, aux motifs qu'il avait contrevenu aux modalités de l'ordonnance de suspension. C'est la décision de la SAI de faire droit à la requête qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[11]       La décision de la SAI figure à la deuxième page de ses motifs :

La validité juridique de la mesure de renvoi a été reconnue à l'audience de l'appel. Je considère que Russell Edward Cowell, intimé dans la requête et appelant dans l'appel (l' « appelant » ), a enfreint les conditions de son sursis et n'a pas démontré qu'il ne devait pas être renvoyé du Canada eu égard aux circonstances particulières de l'espèce. La requête du ministre est donc accueillie, l'ordonnance datée du 21 septembre 1998 - aux termes de laquelle il était sursis à la mesure de renvoi prise le 29 avril 1998 - est annulée et j'ordonne en outre que la mesure de renvoi soit exécutée dans les meilleurs délais.


[12]       La SAI motivait ainsi sa décision :

-           le demandeur s'est engagé à observer les modalités de la suspension le 5 août 1998, date à laquelle il a souscrit aux modalités proposées par l'avocat pour inclusion dans la recommandation conjointe de suspension. La suspension elle-même a pris effet le 21 septembre 1998;

-           le demandeur n'a pas signalé à CIC qu'il avait été accusé le 22 août 1998 de dix infractions commises entre le 5 décembre 1996 et le 18 août 1998. Il n'a pas non plus révélé à CIC qu'il avait été par la suite, le 22 mars 2000, reconnu coupable sur les dix chefs d'accusation;

-           l'explication du demandeur selon laquelle il croyait que sa mère avait informé CIC de ses condamnations n'est pas satisfaisante. Sa mère était présente à l'audience, mais elle n'y a pas témoigné, et sa preuve par affidavit n'indiquait pas avec précision quand et où elle avait signalé les condamnations. D'ailleurs, si le demandeur était en mesure de téléphoner à sa mère après avoir été incarcéré, il pouvait également téléphoner à CIC pour se conformer aux modalités de la suspension. Il ne peut imputer à sa mère le fait que ses condamnations n'ont pas été rapportées à CIC, puisque c'est à lui qu'il revenait de s'assurer du respect des modalités de la suspension;

-           le demandeur n'a pas signalé ses condamnations du 11 août 1999 [il n'y avait en fait pas de condamnations le 11 août 1999. La SAI a confondu la date des déclarations de culpabilité, c'est-à-dire le 22 mars 2000, avec la date de la mise en accusation sur les dix chefs] dans un rapport de CIC daté et signé par lui le 16 août 1999 concernant le sursis d'exécution de l'ordonnance de renvoi; et

-           appliquant les facteurs exposés dans l'affaire Ribic c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (S.A.I. 84-9623), 20 août 1985, la SAI a estimé que les facteurs défavorables au demandeur étaient plus nombreux que les facteurs qui lui étaient favorables.

[13]       Selon le demandeur, la SAI a eu tort de dire qu'il avait contrevenu aux modalités de l'ordonnance de suspension prononcée le 21 septembre 1998 en ne signalant pas à CIC les accusations et condamnations criminelles dont il avait été l'objet. La condition applicable de l'ordonnance de suspension est ainsi rédigée :

3.              Signaler sans délai toute autre accusation ou condamnation criminelle au CIC de Vancouver, en personne ou, s'il est en détention, par téléphone ou par écrit.


[14]       Le texte de cette condition diffère de celui qui apparaît dans la recommandation conjointe, ainsi rédigée :

4.             Signaler sans délai au Centre d'immigration du Canada toute accusation ou condamnation criminelle.

[15]       La SAI a estimé que le demandeur s'était engagé à respecter les modalités de l'ordonnance de suspension lorsqu'il avait signé le 5 août la recommandation conjointe, avant le dépôt des accusations criminelles contre lui, et qu'il aurait donc dû signaler immédiatement à CIC lesdites accusations. Il m'est impossible de souscrire au raisonnement de la SAI sur ce point. D'abord, la SAI devait voir si le demandeur avait contrevenu aux conditions de l'ordonnance de suspension, non à celles de la recommandation conjointe. Deuxièmement, les conditions de la recommandation conjointe, bien que semblables à celles de l'ordonnance, ne sont pas exactement les mêmes. Troisièmement, les conditions fixées par la SAI n'ont eu de force juridique que lorsque l'ordonnance a pris effet le 21 septembre 1998. Quatrièmement, la SAI n'était pas liée par la recommandation conjointe au moment de décider quelles conditions allaient figurer dans l'ordonnance de suspension. Il était illogique pour la SAI d'affirmer ensuite que le demandeur était lié par la recommandation conjointe, dont les modalités auraient pu ne jamais être acceptées ou ne jamais avoir de force juridique. Par conséquent, je crois que la SAI a eu tort de dire que le demandeur était lié par les conditions de la suspension le jour où il a signé la recommandation conjointe. Le demandeur n'est devenu lié que lorsque la suspension a pris effet le 21 septembre 1998.


[16]       Le demandeur était tenu de signaler immédiatement à CIC « toute autre accusation ou condamnation criminelle » . Une simple lecture de l'ordonnance de suspension donne à penser que cette obligation a pris naissance le 21 septembre 1998 et que « toute autre accusation » s'entendait des accusations survenant après cette date. Par conséquent, le demandeur était tenu de signaler les accusations résultant de la dénonciation révisée produite le 20 octobre 1998 (ce qu'il n'a pas fait), mais non les accusations figurant dans la dénonciation initiale produite le 22 août 1998.

[17]       La SAI a aussi fait une erreur lorsqu'elle a dit que le demandeur avait été reconnu coupable sur les dix chefs d'accusation déposés le 11 août 1999 et qu'il avait contrevenu aux conditions de l'ordonnance de suspension en ne signalant pas les condamnations dans un rapport de CIC du 16 août 1999 concernant le sursis d'exécution de la mesure de renvoi. Le 11 août était la date à laquelle l'acte formel d'accusation avait été déposé à la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Le demandeur n'a été reconnu coupable que le 22 mars 2000, et le demandeur n'aurait donc pas pu les signaler le 16 août 1999. La SAI devait sûrement confondre, puisqu'elle avait déjà considéré la présumée déclaration des condamnations du 22 mars dans les paragraphes immédiatement antérieurs.

[18]       Le demandeur soutient que la conclusion de la SAI selon laquelle il n'a rien fait pour signaler ses condamnations après son incarcération est manifestement déraisonnable au vu de la preuve. Le demandeur soutient aussi que la SAI a eu tort de considérer négativement le fait que sa mère n'avait pas témoigné à l'audience, et tort aussi de dire que l'affidavit de sa mère n'était pas assez détaillé. Il ressort clairement des motifs de la SAI qu'elle a pris en compte toute la preuve dont elle disposait au moment de l'audience, y compris la preuve par affidavit de la mère du demandeur. Il ne semble pas que la SAI ait jugé négativement la non-convocation de la mère du demandeur comme témoin, bien qu'elle semble avoir été près de le faire, ainsi que l'atteste ce passage de ses motifs :

... Sa mère, Doreen O'Neil, a assisté à l'audience de l'appelant du début à la fin, mais elle n'a pas témoigné. À l'évidence, elle savait pertinemment si elle avait ou non signalé les condamnations postérieures au sursis et elle aurait pu témoigner, étant présente, mais elle ne l'a pas fait. Elle a toutefois fourni un affidavit à l'appui de l'appelant. [...] Je trouve que cet élément de preuve manque de précision quant au moment et à l'endroit où elle a rapporté ces condamnations.


[19]       Il appartenait à la SAI, le juge des faits, d'apprécier la preuve qu'elle avait devant elle. La SAI a accepté la preuve produite par le défendeur selon laquelle le demandeur n'avait pas signalé ses condamnations à CIC. Elle avait aussi devant elle les arguments du demandeur, qui reconnaissait que « techniquement, il aurait dû signaler la dénonciation révisée » et qu'il y avait eu « contravention technique aux conditions relatives à l'obligation de déclarer les accusations et condamnations » . Rien n'indique que la SAI a ignoré des preuves pertinentes ou tenu compte de preuves hors de propos, et donc la Cour ne peut intervenir dans la conclusion qu'elle a tirée, ni revoir de nouveau la preuve qu'elle avait devant elle (voir, par exemple les précédents suivants : Hoang c. Canada (M.E.I.) (1990), 13 Imm.L.R. (2d) 35 (C.A.F.), Cherrington c. Canada (M.C.I.) (1995), 94 F.T.R. 198 et Tse c. Canada (Secrétaire d'État) (1994), 72 F.T.R. 36).

[20]       Quoi qu'il en soit, la SAI a ensuite estimé qu'il revenait au demandeur de signaler à CIC ses condamnations criminelles, non de déléguer cette tâche à sa mère, et qu'il devait veiller au respect des conditions de l'ordonnance de suspension. Il n'était pas déraisonnable pour la SAI de dire que le demandeur avait contrevenu aux conditions de l'ordonnance de suspension, en ne s'assurant pas que CIC était informée de ses condamnations criminelles. Les conditions de l'ordonnance précisent clairement la procédure de déclaration qui devait être observée en cas d'incarcération. Le demandeur devait soit téléphoner à CIC, soit lui écrire, pour l'informer de ses condamnations. Le demandeur a témoigné qu'il avait tenté de téléphoner à frais virés à CIC, mais que CIC n'avait pas accepté les frais. Devant son incapacité de téléphoner, il aurait dû prendre le moyen suivant qui lui était offert, c'est-à-dire informer CIC par écrit. Rien n'indique que c'est ce que le demandeur a cherché à faire.


[21]       La SAI a fait des erreurs évidentes en ce qui a trait à la recommandation conjointe et aux accusations déposées le 22 août 1998, et elle s'est fourvoyée sur la date des condamnations du demandeur. Cependant, sa décision ultime selon laquelle le demandeur a négligé de signaler ses condamnations du 22 mars 2000 n'est pas en soi déraisonnable. La SAI serait probablement arrivée à la même décision quand bien même n'aurait-elle pas auparavant commis d'erreurs. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                                            « Yvon Pinard »             

                                                                                                                                                                 Juge                       

OTTAWA (ONTARIO)

le 23 mai 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                 IMM-2657-02

INTITULÉ :                                                Russell Edward COWELL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                      le 23 avril 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :        MONSIEUR LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                              le 23 mai 2003

COMPARUTIONS:

M. Glen Sherman                                                                                    POUR LE DEMANDEUR

Mme Helen Park                                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Glen Sherman Law Corporation                                                            POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

M. Morris Rosenberg                                                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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