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Date : 20050208

Dossier : IMM-1849-04

Référence : 2005 CF 179

ENTRE :

                                                                    LI MIN LAI

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE SIMPSON

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par un membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 12 février 2004 (la décision) par laquelle il a décidé que Li Min Lai (la demanderesse) n'est ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger.


LES FAITS

[2]                La demanderesse est une citoyenne chinoise âgée de 47 ans qui, de 1980 à 2000, a travaillé à la Fushun Bus Company (la Société) à titre de directrice du Bureau de la planification familiale. Cette Société employait environ 3 800 femmes et la demanderesse dirigeait un personnel composé de 10 femmes. En vertu des lois chinoises, les femmes n'avaient pas le droit d'avoir plus d'un enfant. Toutefois, avant 1985, de nombreuses femmes travaillant à la Société avaient eu deux enfants et, en conséquence, la Société avait dû payer des amendes importantes.

[3]                La preuve a révélé que la défenderesse n'a jamais obligé une femme à se faire avorter. Elle a plutôt eu recours à des arguments, à l'éducation ainsi qu'à des incitatifs financiers pour persuader les femmes de se conformer à la loi. Elle a eu beaucoup de succès. Après 1985, chaque employée qui est tombée enceinte en contravention des lois en matière de planification familiale a accepté de se faire avorter pendant les trois premiers mois de sa grossesse.

[4]                En mai 2000, la demanderesse a découvert que Yuan Wang, la belle-fille du directeur général de la Société, était enceinte de six mois, malgré qu'elle eût déjà une fille. Par la suite, la demanderesse s'est rendue à tous les deux jours à la maison de Yuan Wang et y demeurait de trois à six heures. Durant ces visites, la demanderesse a dit à Yuan Wang que si elle avait l'enfant :

-           elle et son mari perdraient leurs emplois bien rémunérés


-           ils se verraient imposer une amende

-           ils ne pourraient enregistrer leur deuxième enfant au registre familial, ce qui aurait pour conséquence que l'enfant ne pourrait pas s'instruire

-           elle serait arrêtée

[5]                Apparemment, toutes ces menaces étaient vraies, sauf la dernière. La demanderesse a affirmé qu'elle avait ajouté la dernière menace lorsque le timing était devenu critique. Éventuellement, Yuan Wang a accepté et la demanderesse l'a accompagnée à l'hôpital pour qu'elle se fasse avorter (l'avortement). Par la suite, la demanderesse a appris que le père de Yuan Wang tentait de se procurer un faux certificat médical, ce qui aurait permis à Yuan Wang d'avoir l'enfant.

[6]                La demanderesse a prétendu que le fait d'avoir persuadé Yuan Wang de se faire avorter avait entraîné pour elle de graves conséquences. Les fenêtres de sa maison ont été fracassées, elle a été sauvagement battue à trois reprises et elle a perdu son emploi. La police n'est pas intervenue et le Bureau de la sécurité publique (le BSP) l'a pourchassée. Elle a demandé de l'aide auprès des autorités de la planification familiale provinciale et auprès de la section des plaintes du peuple, mais personne n'a rien fait. Enfin, la demanderesse a payé un agent qui l'a aidée à quitter la Chine pour le Canada.

[7]                La demanderesse est arrivée au Canada le 26 septembre 2001 et a revendiqué le statut de réfugié le 18 octobre 2001.

LA DÉCISION

[8]                La Commission a conclu que la demanderesse était exclue du statut de réfugié au sens de la Convention parce qu'elle avait commis un crime contre l'humanité. La Commission a également conclu que sa version des faits quant à la persécution de la part des autorités était invraisemblable.

Exclusion - L'alinéa 1(f)a) de la Convention relative au statut des réfugiés des Nations Unies, R.T. Can. no 6 (la Convention)


[9]                La Commission a conclu que la demanderesse avait « forcé » Yuan Wang à se faire avorter en exerçant sans relâche une pression extrême. La Commission en est venue à cette conclusion en se fondant sur la déclaration de l'agent d'immigration (la déclaration), datée du 9 janvier 2002, laquelle décrit l'entrevue qu'il a eue avec la demanderesse le 18 octobre 2001. La déclaration fait état que, durant l'entrevue, laquelle a été menée avec l'aide d'un interprète du mandarin, la demanderesse a déclaré qu'elle « s'était acquittée de ses fonctions avec beaucoup de sérieux et qu'elle avait fait beaucoup pour faire observer les règlements, par exemple au moyen d'avortements et de stérilisations forcés » . La Commission a tenu compte de la question de la traduction et de la question de savoir si le mot « forcé » a été utilisé ou si la demanderesse a vraiment déclaré qu'elle avait « pressé » les femmes ou qu'elle avait « convaincu » les femmes. Si on se fie à l'expérience de l'interprète ainsi que sur celle de l'agent d'immigration, la Commission était convaincue que le mot « forcé » n'avait pas été utilisé à la légère ou par erreur.

[10]            Lorsqu'elle a utilisé le mot « forcé » , la Commission croyait que la demanderesse avait voulu dire qu'elle exerçait des pressions extrêmes sur les femmes de telle sorte qu'elles consentaient à se faire avorter alors qu'elles auraient normalement refusé. La Commission n'a pas cru que la demanderesse avait obligé qui que ce soit physiquement à se faire avorter. La Commission a déclaré que : « [La demanderesse] a exercé sur Yuan Wang des pressions extrêmes telles que celle-ci a suivi la [la demanderesse] pour aller subir un avortement, alors qu'elle était enceinte de sept mois, et malgré le fait qu'elle s'était clairement et résolument opposée à l'avortement » .


[11]            La Commission, ayant conclu que la demanderesse avait obligé Yuan Wang à se faire avorter, a évalué si cette conclusion devait entraîner l'exclusion. La Commission a conclu que la demanderesse n'avait pas agi dans le dessein d'être cruelle - elle avait agi dans le but d'appliquer la politique de l'enfant unique de la Chine. Toutefois, la Commission a également conclu qu'une politique qui oblige une femme à se faire avorter est un crime contre l'humanité. À cet égard, la Commission a invoqué la décision rendue par le juge Evans dans Yang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 174. La Commission a conclu que la demanderesse était très fière de son travail et qu'elle savait de toute évidence ce qu'elle faisait.

[12]            L'avocat de la demanderesse a prétendu devant la Commission que la demanderesse ne faisait qu'appliquer la politique de l'enfant unique de la Chine qui, selon la Cour suprême du Canada, n'a pas la persécution pour objet. Toutefois, la Commission a souligné que l'application de la politique pouvait équivaloir à de la persécution et qu'elle avait atteint ce point en l'espèce.

La vraisemblance

[13]            La Commission n'a pas accepté que le directeur général de la Société aurait fait preuve d'hostilité envers la demanderesse, compte tenu qu'il avait le pouvoir de l'arrêter avant qu'elle ne persuade Yuan Wang de se faire avorter. De même, la Commission n'a pas accepté que les autorités de planification familiale auraient refusé de l'aider, compte tenu qu'elle a appliqué pendant longtemps la politique de l'enfant unique et qu'elle ne faisait que son travail.


[14]            La Commission a également écarté une grande partie de la preuve documentaire de la demanderesse. Elle n'a accordé aucun poids à deux lettres écrites par son mari parce qu'elle provenait d'une partie intéressée. La lettre écrite par son employée, Kong Lina, a été écartée par la Commission car elle ne croyait pas qu'elle aurait écrit une lettre accusant le directeur général de persécution et qu'elle aurait envoyé cette lettre dans une enveloppe donnant comme adresse de retour le nom de la Société. Il y avait également trois brefs d'assignation que la Commission a estimés trop vagues pour être d'une quelconque utilité. Deux approbations de mesures disciplinaires ont également été rejetées car elles ne faisaient que mentionner que la demanderesse s'était absentée de son travail.

[15]            La Commission a accepté la preuve médicale de la demanderesse et a conclu que le mari de Yuan Wang a pu attaquer la demanderesse en raison du rôle qu'elle avait joué dans l'avortement de Yuan Wang. Toutefois, la Commission a conclu que cela n'équivalait pas à de la persécution. De plus, la Commission a tiré une conclusion négative du fait que la demanderesse n'a pas fait mention de ses problèmes au Bureau de la planification familiale lors de son entrevue du 18 octobre 2001 et a conclu que, même si le tort infligé par le mari de Yuan Wang aurait pu constituer de la persécution, elle n'a pas démontré qu'il n'était pas possible de se réclamer de la protection de l'État.

[16]            La demanderesse a également prétendu que les enquêtes menées par Citoyenneté et Immigration Canada sur la Société lui faisaient courir des risques.

LES QUESTIONS EN LITIGE

1.         L'intimé a-t-il enfreint les règles de justice naturelle ou de l'équité procédurale en ne transmettant pas l'information complète à la demanderesse?


2.         La Commission a-t-elle commis une erreur quant à l'alinéa 1(F)a) de la Convention lorsqu'elle a conclu que la demanderesse obligeaient des femmes à se faire avorter?

3.         La Commission a-t-elle commis une erreur en tirant ses conclusions sur la vraisemblance?

4.         La Commission a-t-elle commis une erreur quant à la revendication sur place?

5.         La Commission a-t-elle commis une erreur quant à la question de l'État?

ANALYSE

La question no 1 - L'équité

[17]            La demanderesse prétend que l'intimé n'a pas transmis l'information complète lorsqu'il a révisé certaines parties des communications par courriel avec l'ambassade du Canada à Beijing. De plus, les notes prises par l'agent qui a communiqué avec la Société n'ont pas été produites. La demanderesse prétend que l'information manquante pourrait être très pertinente quant à sa revendication sur place. On prétend que ce comportement constitue un manquement à la justice naturelle ou à l'équité procédurale.

[18]            Si la demanderesse était préoccupée par la non divulgation, elle ou son avocat aurait dû soulever cette question devant la Commission. Les courriels auxquels la demanderesse renvoie n'ont pas été déposés en preuve. Selon moi, la demanderesse a renoncé à son droit de porter plainte lorsqu'elle n'a pas soulevé la question à la première occasion.


La question no 2- L'exclusion

[19]            La demanderesse critique la conclusion de la Commission que la déclaration était « raisonnablement fidèle » même si elle n'a pas été faite sous serment et qu'elle n'a été signée que trois mois après l'entrevue. La demanderesse prétend également que cette conclusion était contraire à la déclaration de la Commission que « le document ne précise pas comment ces renseignements ont été enregistrés lors de l'entrevue ni comment leur exactitude a été vérifiée » . La demanderesse prétend que, dans ces circonstances, il était déraisonnable d'accepter le renseignement figurant dans la déclaration selon lequel elle obligeait des femmes à se faire avorter même si, durant l'audience, elle a nié avoir utilisé le mot « forcé » lors de l'entrevue.

[20]            Selon moi, cette question n'est pas importante. Outre ce qu'elle a pu dire à l'agent d'immigration, il ressort clairement de sa preuve qu'avec ses tactiques obstinées et hautement abusives, elle a obligé des femmes enceintes travaillant à la Société à se faire avorter.

La question no 3 - La vraisemblance


[21]            Sur cette question, la demanderesse prétend, notamment, que la Commission a commis une erreur en rejetant la lettre de son employé sans renvoyer à son explication. Elle a expliqué que son employé a pu expédier la lettre à la poste parce que son mari travaillait au Bureau de poste. Toutefois, comme cette explication ne traitait pas de la question importante, c'est-à-dire de l'utilisation de l'adresse de la Société par l'employé comme adresse de retour, il n'y avait pas lieu, selon moi, que la Commission mentionne l'explication de la demanderesse.

La question no 4 - La revendication sur place

[22]            La position de la demanderesse est que la Commission a rejeté sommairement sa revendication sur place sans examiner attentivement la preuve et sans le mentionner dans sa décision. La preuve de la demanderesse était que, après le premier jour d'audience de la Commission, son mari a été emmené par les autorités chinoises parce que l'intimé avait communiqué avec la Société.

[23]            Selon moi, comme on a conclu que le fondement de la revendication (c'est-à-dire la persécution par l'employeur et par le Bureau de la sécurité publique) n'était pas crédible, la Commission n'était pas tenue d'examiner cette question.

La question no 5 - La protection de l'État


[24]            La position de la demanderesse sur cette question est que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la possibilité qu'il n'y avait pas de protection efficace de l'État parce que l'État a refusé d'appliquer ses lois. La demanderesse renvoie à la décision Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] A.C.F. no 438, à l'appui de sa prétention.

[25]            Dans Elcock, précitée, le demandeur a été jugé crédible et disposait d'une preuve documentaire montrant que les autorités de l'État à Grenade n'intervenaient pas dans les cas de violence familiale. Par conséquent, l'existence de lois et de politiques n'étaient pas importante. Toutefois, selon moi, cette prétention n'est pas pertinente aux faits de l'espèce parce que les allégations de persécution de la demanderesse n'ont pas été crues.


CONCLUSION

[26]            Pour tous ces motifs, la Cour ordonne que la demande soit rejetée.

                « Sandra J. Simpson »                                                                                                                                   Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 8 février 2005

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    IMM-1849-04

INTITULÉ :                                                     LI MIN LAI

c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                             EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 16 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :                                  LE 8 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Simon K. Yu                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Brad hardstaff                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Simon K. Yu                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Edmonton (Alberta)

John H. Sims, c.r.                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada            

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