Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030320

Dossier : IMM-1574-02

Référence neutre : 2003 CFPI 330

Toronto (Ontario), le jeudi 20 mars 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SNIDER

ENTRE :

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                              - et -

                                                                    KAI XIAN CHEN

(alias WEN LE CHEN)

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                 Kai Xian Chen (le défendeur) est né en République populaire de Chine (RPC) et prétend être un citoyen de ce pays. Il est arrivé au Canada avec un passeport grenadin au nom de Wen Le Chen le 12 juin 2000. Il prétendait alors craindre avec raison d'être persécuté parce qu'il est un adepte du Tian Dao (aussi connu sous le nom de « Tien Dao » ), une religion illégale en RPC. David Cooke, de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), a reconnu que M. Chen était un réfugié au sens de la Convention dans une décision datée du 19 mars 2002. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le demandeur) demande le contrôle judiciaire de cette décision.

[2]                 La question la plus importante dont la Commission était saisie consistait à déterminer si le défendeur était devenu un citoyen de la Grenade. Si le défendeur avait acquis la citoyenneté grenadine, il aurait perdu sa citoyenneté chinoise conformément au droit chinois et le pays de référence aux fins de sa revendication du statut de réfugié aurait été la Grenade et non la RPC.

[3]                 Avant de venir au Canada, le défendeur a passé environ quatre mois à la Grenade, ce qui correspond approximativement au temps nécessaire à l'obtention de la citoyenneté grenadine. Il a présenté un passeport grenadin daté de 1998 lorsqu'il est arrivé au Canada. Ce passeport était établi au nom de Wen Le Chen et comportait la photo et la date de naissance du défendeur. Les autorités grenadines ont confirmé que Wen Le Chen était un citoyen à part entière de la Grenade. Une fonctionnaire grenadine a confirmé que la photo de Wen Le Chen figurant dans le dossier du bureau de l'immigration et des passeports de la Grenade correspondait à celle de Kai Xian Chen que la Commission lui avait envoyée. Un expert en contrefaçon de la Gendarmerie royale du Canada a examiné le passeport grenadin et a conclu qu'il s'agissait d'un [traduction] « passeport authentique de la Grenade, qui ne portait pas de trace d'altération. L'expertise judiciaire ne permet cependant pas de savoir si le passeport a été obtenu de manière légitime ou non » (le rapport d'expertise).


Questions en litige

[4]                 Les questions en litige peuvent être énoncées de la manière suivante :

           La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en rendant une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait :

           a)         relativement à la citoyenneté du défendeur;

b)         relativement à l'adhésion du défendeur au Tian Dao?

Analyse

[5]                 Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée, malgré le fait que la Commission n'a pas tenu compte de tous les éléments de preuve qui lui avaient été présentés pour conclure que le passeport avait été altéré et que cette conclusion reposait sur des hypothèses qui n'étaient pas étayées par la preuve.


Question no 1 : Citoyenneté du défendeur

Norme de contrôle

[6]                 Je conviens avec le défendeur que les conclusions de fait constituent l'essentiel de la compétence de la Commission et ne devraient être modifiées que si elles ont été tirées de façon abusive ou arbitraire, ne tiennent aucun compte de la preuve ou sont contraires à la prépondérance de la preuve (Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.) (QL); Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 732 (C.A.) (QL)); Miranda c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 437 (1re inst.) (QL)).

[7]                 La Commission a tiré deux conclusions au regard de la citoyenneté :

           1.         selon la prépondérance des probabilités, un passeport au nom de Wen Le Chen a été obtenu en 1998 et a été altéré, à tout le moins en ce qui concerne la photo, afin de permettre au défendeur d'entrer clandestinement à la Grenade et ailleurs;

           2.         le défendeur n'était pas Wen Le Chen, de sorte que tous les droits et les privilèges rattachés à la citoyenneté grenadine ne lui seraient pas conférés. Par conséquent, le défendeur est toujours un citoyen de la RPC.


[8]                 Règle générale, pour être admis à titre de citoyen d'un pays, avec tous les droits et privilèges qui se rattachent à la citoyenneté de ce pays, une personne doit faire deux choses : présenter un passeport authentique et valide et démontrer qu'elle est bien la personne nommée dans ce document. À mon avis, la Commission a examiné correctement les deux aspects de la citoyenneté.

Authenticité du passeport grenadin

[9]                 La Commission a conclu que le passeport grenadin avait été obtenu pour un certain Wen Le Chen en 1998 et qu'il avait été altéré, à tout le moins en ce qui concerne la photo, pour le défendeur. Pour arriver à cette conclusion, la Commission s'est fondée sur le témoignage du défendeur selon lequel le passeur avait remplacé la photo originale par sa propre photo sur le passeport, et sur la preuve documentaire relative à la corruption existant à la Grenade. La Commission n'a pas fait référence au rapport d'expertise qui concluait que le passeport était authentique et n'avait pas été altéré, et elle n'a pas expliqué pourquoi elle préférait le témoignage du défendeur à ce rapport.


[10]            À mon avis, la Commission a commis une erreur en ne faisant pas référence au rapport d'expertise. Il est vrai que la Commission n'est pas tenue de renvoyer à chacun des éléments de preuve qui lui ont été présentés, mais elle doit mentionner les éléments qui ont un rapport direct avec la principale question en litige et qui contredisent ses conclusions de fait (Atwal c. Canada (Secrétaire d'État), [1994] A.C.F. no 1113 (1re inst.) (QL)).

[11]            Le rapport d'expertise a été préparé spécialement pour la présente instance par un expert en contrefaçon de la GRC. Ses conclusions portent directement sur une question fondamentale examinée par la Commission. Selon celle-ci, « [l]e statut dont le revendicateur jouit à la Grenade constitue la principale préoccupation du tribunal » . La conclusion du rapport d'expertise selon laquelle le passeport était authentique et n'avait pas été altéré contredisait directement la conclusion de la Commission selon laquelle le passeport avait été altéré. Les conclusions du rapport d'expertise mettaient aussi en doute la véracité du témoignage du défendeur concernant le passeport. Selon l'avocat du défendeur, la Commission aurait écarté le rapport d'expertise parce qu'il aurait été possible pour le défendeur, vu la corruption existant à la Grenade, d'obtenir, sous une fausse identité, un passeport portant sa photo et capable de résister à une analyse scientifique. Or, rien dans la décision de la Commission ne permet de le croire. En fait, la Commission pouvait rejeter le rapport d'expertise et accepter le témoignage du défendeur selon lequel il n'était pas un citoyen de la Grenade, mais elle avait l'obligation de faire expressément mention du rapport et de l'analyser.

[12]            En outre, la Commission s'est fondée sur des hypothèses, qui n'étaient pas étayées par la preuve dont elle disposait, pour conclure que le passeport n'était pas valide.

[13]            En premier lieu, la Commission a laissé entendre qu'il était possible que la fonctionnaire grenadine ait consulté une photo générée par ordinateur. Dans les prétentions qu'il a présentées à l'audience, l'avocat du défendeur a souligné qu'il serait possible d'altérer la photo dans le dossier de la Grenade si celle-ci était agrafée au certificat d'enregistrement et non générée par ordinateur et imprimée directement sur le certificat. L'hypothèse de la Commission selon laquelle la photo figurant dans le dossier grenadin pouvait avoir été générée par ordinateur n'est pas étayée par la preuve et n'appuie pas la conclusion définitive de la Commission sur cette question.

[14]            En deuxième lieu, la Commission a laissé entendre que la photo figurant dans le dossier du bureau de l'immigration et des passeports de la Grenade pouvait avoir été remplacée par une photo du défendeur en 2000. La Commission disposait d'éléments de preuve démontrant qu'il était possible d'acheter des passeports et une citoyenneté à la Grenade. Toutefois, il n'y avait pas de preuve étayant l'hypothèse selon laquelle les dossiers du bureau de l'immigration et des passeports de la Grenade avaient été falsifiés, outre la prétention faite à ce sujet à l'audience par l'avocat du défendeur. De plus, cette hypothèse est contredite par le rapport d'expertise. Si le passeport n'avait pas été altéré, c'est la photo du défendeur qui y aurait figuré à l'origine. Il n'aurait pas alors été nécessaire de changer la photo contenue dans le dossier du bureau de l'immigration et des passeports de la Grenade puisque la photo originale - celle du défendeur - s'y serait déjà trouvée.

[15]            Ces erreurs ne sont cependant pas suffisantes pour régler la présente affaire. Car, même si le passeport est valide, il reste à déterminer si le défendeur pouvait l'utiliser pour se réclamer des droits et des privilèges rattachés à la citoyenneté à la Grenade.

Droit du défendeur à la citoyenneté grenadine

[16]            Comme le défendeur l'a rappelé, la Commission s'est aussi penchée sur la question de savoir si, avec ce passeport particulier, il aurait pu bénéficier des droits et des privilèges rattachés à la citoyenneté grenadine. Elle a dit, à ce sujet :

Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que cette personne n'est pas celle qui se trouve devant moi, et que les mêmes droits et privilèges ne seraient pas accordés au revendicateur s'il devait retourner légalement à la Grenade et déclarer honnêtement qui il est. Par conséquent, je conclus que la personne que j'ai devant les yeux n'est pas un ressortissant grenadien.

[17]            Cette conclusion repose en partie sur une lettre du troisième secrétaire du Haut-commissariat de la Grenade au Canada, datée du 14 septembre 2001. Il est indiqué dans cette lettre que la Grenade considère Wen Le Chen comme l'un de ses citoyens. La Commission disposait d'éléments de preuve - la carte d'identification de résident de Kai Xian Chen, un certificat de graduation au nom de Kai Xian Chen et la carte de membre du Tian Dao de Kai Xian Chen - qui établissaient que le défendeur était Kai Xian Chen.


[18]            Le demandeur a invoqué la décision Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 1349 (1re inst.) (QL). Je constate cependant que la question de l'identité n'était pas en litige dans cette affaire où tous les revendicateurs avaient des passeports des Tonga établis à leur propre nom. Il était donc logique de conclure qu'ils pouvaient se réclamer des droits et des privilèges rattachés à la citoyenneté tongane.

[19]            En l'espèce, le défendeur n'étant pas Wen Le Chen, la Commission pouvait raisonnablement en arriver à la conclusion qu'elle a tirée relativement à la possibilité, pour le défendeur, d'obtenir la citoyenneté grenadine, sur la foi de cette lettre et de sa conviction au sujet de l'identité du défendeur. Même si le passeport est valide et authentique, il est peu probable que le défendeur soit en mesure, en utilisant son propre nom, de se servir de ce passeport portant un nom différent pour être reconnu comme un citoyen de la Grenade. Seule une personne appelée Wen Le Chen et correspondant à la description contenue dans le passeport serait en mesure de s'en servir. La conclusion de la Commission s'ensuit logiquement et témoigne du bon sens de celle-ci.

[20]            Par conséquent, malgré l'erreur que la Commission a commise relativement à la validité du passeport, sa conclusion générale selon laquelle le défendeur n'était pas un citoyen grenadin n'était pas manifestement déraisonnable compte tenu de la preuve dont elle disposait.


Question no 2 : Possibilité de persécution

[21]            La troisième conclusion de la Commission était qu'il existait plus qu'une simple possibilité que le défendeur soit persécuté s'il devait retourner en RPC.

[22]            Un revendicateur du statut de réfugié doit démontrer qu'il craint avec raison d'être persécuté dans son pays de nationalité ou qu'il existe une possibilité sérieuse qu'il le soit (Salibian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 250 (C.A.); Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.); Ponniah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 359 (C.A.) (QL)). Il semble, à la lumière des prétentions du demandeur, que la Commission s'est contentée de croire la simple déclaration du défendeur concernant son appartenance au Tian Dao, sans en analyser le bien-fondé. Le demandeur soutient qu'il incombait à la Commission d'établir que le défendeur était un adepte actif du Tian Dao, ce qu'elle n'a pas fait.

[23]            La Commission a considéré que le défendeur était généralement crédible et, sans analyser la question, elle a conclu qu'il existait plus qu'une simple possibilité qu'il soit persécuté s'il devait retourner en RPC.


[24]            Le droit est clair : des motifs doivent être donnés sur les questions importantes (Pour c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 1282 (C.A.) (QL); Gyamfuah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 861, au paragraphe 25 (1re inst.) (QL)). Il aurait été préférable que la Commission explique davantage sa conclusion relative au bien-fondé de la crainte de persécution du défendeur en RPC, mais je suis tout de même convaincue qu'elle n'a pas commis une erreur susceptible de contrôle sur ce point. Il ressort de la décision de la Commission que celle-ci a considéré que le défendeur était crédible et qu'elle a accepté son témoignage. La Commission ne disposait pas d'éléments de preuve contradictoires au sujet du traitement réservé aux adeptes du Tian Dao en RPC. Le fondement de la conclusion de la Commission est donc clair, et la Cour ne devrait pas intervenir.

[25]            Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en considérant que le défendeur était crédible car celui-ci a donné deux versions différentes des événements qui l'ont amené à quitter la RPC. À mon avis, la conclusion que la Commission a tirée sur cette question n'est pas manifestement déraisonnable. Bien que la description figurant dans l'exposé circonstancié du Formulaire de renseignements personnels du défendeur diffère légèrement de son témoignage, je ne suis pas convaincue que la conclusion de la Commission selon laquelle le défendeur était généralement crédible constitue une erreur susceptible de contrôle.

Question à certifier

[26]            Les parties n'ont proposé aucune question grave de portée générale à des fins de certification.


                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

    « Judith A. Snider »

                                                                                                             Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-1574-02

INTITULÉ :                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

- et -

KAI XIAN CHEN

(alias WEN LE CHEN)

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le mardi 18 mars 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                     Madame le juge Snider

DATE DES MOTIFS :                                     Le jeudi 20 mars 2003

COMPARUTIONS :

Michael Butterfield                                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Shelly Levine                                                                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Levine & Associates                                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Avocats

10, rue King Est, bureau 1400

Toronto (Ontario)

M5C LC3


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                              Date : 20030320

                                                               Dossier : IMM-1574-02

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

- et -

KAI XIAN CHEN

(alias WEN LE CHEN)

défendeur

                                                                            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                            

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.