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Date : 20200522


Dossier : IMM-5229-19

Référence : 2020 CF 640

[traduction française certifiée, révisée PAR L’AUTEUR]

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2020

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

ADEDAMOLA OLADAPO ADELEYE

OLUWATUMININU YETUNDE ADELEYE

MOJOLAOLUWA ADEWUNMI ADELEYE

MOROLALUWA ADESOLA ADELEYE

MOMOREOLUWA ADEBOLA ADELEYE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire du refus de leur demande d’asile. Ils soutiennent que le décideur a, de façon déraisonnable, rejeté la preuve qu’ils ont présentée en raison de ce qu’elle omettait et que, ce faisant, il a en réalité tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité sans raison valable. Je rejette leur demande, étant donné que le décideur n’a pas mis en doute leur crédibilité, mais qu’il a plutôt conclu à l’insuffisance de la preuve. Les demandeurs n’ont pas établi que cette appréciation était déraisonnable.

I.  Contexte

[2]  Les demandeurs, un couple et ses trois filles mineures, sont des citoyens du Nigéria. Ils sont venus au Canada et ont demandé l’asile. Ils allèguent qu’un membre important de leur famille au Nigéria, que je désignerai tout simplement comme étant l’agent de persécution, a insisté pour que leurs filles subissent la mutilation génitale féminine [la MGF]. Ils ont produit des éléments de preuve selon lesquels l’agent de persécution avait insisté pour procéder à des « cérémonies d’attribution du nom », dans certains cas en faisant appel à la violence; plus récemment, il s’est rendu chez eux pour effectuer la MGF de leur fille aînée, mais ils l’ont convaincu de ne pas le faire en lui rappelant qu’elle n’avait pas atteint l’âge de huit ans; il a proféré des menaces à l’égard des demandeurs en raison de leur refus de consentir à la MGF. Bien que certains de ces incidents aient été signalés aux forces de police, celles‑ci ont refusé d’intervenir. Après que les demandeurs ont quitté le Nigéria, l’agent de persécution a rendu visite à la mère du demandeur principal et a proféré des menaces. Les demandeurs ont aussi produit deux lettres dans lesquelles l’agent de persécution fait des menaces.

[3]  La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] a rejeté la demande d’asile des demandeurs. En premier lieu, elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas de crainte fondée de persécution. Elle a examiné la preuve relative à la situation dans le pays selon laquelle les parents peuvent refuser que leurs filles subissent la MGF, particulièrement s’ils sont très scolarisés, comme le sont les demandeurs adultes.

[4]  En second lieu, la SPR a conclu que la ville d’Abuja offrait aux demandeurs une possibilité de refuge intérieur [PRI]. Même si les demandeurs ont affirmé que l’agent de persécution était à leur recherche, la SPR a estimé que ces affirmations étaient vagues. De plus, elle a conclu que les deux lettres prétendument écrites par l’agent de persécution étaient fausses, notamment en raison du fait que le demandeur avait omis de faire mention de l’une d’elles dans son formulaire de Fondement de la demande d’asile [le formulaire FDA]. La SPR a aussi rejeté l’affirmation des demandeurs selon laquelle l’agent de persécution était un personnage influent au sein du parti politique au pouvoir et avait les ressources voulues pour les chercher où qu’ils soient au Nigéria. La SPR a souligné que le formulaire FDA ne mentionnait pas l’influence politique en question et que les demandeurs n’avaient pas pu fournir de preuves objectives à cet égard.

[5]  La Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la CISR a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs. Elle n’a pas jugé nécessaire d’examiner les préoccupations quant à la crédibilité, étant donné qu’elle estimait que l’existence d’une PRI était déterminante. À cet égard, la SAR a conclu que la preuve des moyens permettant à l’agent de persécution de rechercher les demandeurs où qu’ils soient au Nigéria était vague et insuffisante.

[6]  Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR.

II.  Analyse

[7]  La contestation de la décision de la SAR par les demandeurs porte sur une seule question : celle de savoir si l’agent de persécution a les moyens de rechercher les demandeurs à Abuja, la PRI proposée, étant donné ses prétendues relations politiques.

[8]  Les demandeurs soutiennent que la réponse négative que la SAR a donnée à cette question est fondée sur des formes de raisonnement interdites. La SAR aurait rejeté la preuve produite par les demandeurs en raison de ce qu’elle omettait, au lieu de s’intéresser à ce qu’elle contenait, contrairement à des décisions telles que Mahmud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8019 (CF) au paragraphe 11.

[9]  L’interdiction de faire abstraction d’éléments de preuve en raison de ce qu’ils omettent se pose dans le contexte de l’appréciation de la crédibilité. Il est interdit de ne pas croire la preuve présentée par un témoin tout simplement parce qu’un autre témoin n’a corroboré qu’une partie de cette preuve et a gardé le silence au sujet de l’autre partie : Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14 aux paragraphes 48 à 52 [Magonza]. Dans un tel cas, il n’y a pas de contradiction ayant un effet sur la crédibilité. Il s’agit tout au plus d’une absence de corroboration.

[10]  Cette interdiction, toutefois, ne permet pas de faire fi de l’obligation générale selon laquelle il doit y avoir une preuve suffisante  pour étayer une conclusion de crainte fondée de persécution. Il ne faut pas confondre l’insuffisance de la preuve avec l’absence de crédibilité : Magonza, aux paragraphes 32 à 35; Olusola c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 46 aux paragraphes 17 et 18. J’ai analysé la notion de suffisance de la preuve dans la décision Azzam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 549 [Azzam]. J’ai alors souligné que « [l]a simple affirmation non étayée présentée en preuve sera souvent insuffisante » (au paragraphe 31) et que la preuve peut également être insuffisante « si elle contient trop peu de détails pour convaincre le décideur de l’existence des faits nécessaires pour justifier l’application d’une règle de droit » (au paragraphe 33).

[11]  L’on peut comprendre que certains croient qu’il n’y a pas de distinction utile entre l’insuffisance de la preuve et l’absence de crédibilité. À cet égard, l’avocat des demandeurs a soutenu qu’une conclusion voulant que les demandeurs n’aient pas présenté une preuve suffisante signifie concrètement que la Cour ne les croit pas. Même si les deux situations peuvent entraîner le rejet de la demande d’asile, il y a tout de même une distinction importante entre les deux. Comme l’a souligné l’avocat du ministre, les demandeurs peuvent fort bien croire sincèrement que l’agent de persécution possède pouvoir et influence. Faute d’éléments de preuve suffisants, toutefois, le décideur ne peut pas s’assurer que cette croyance repose sur des fondements objectifs. Par conséquent, une conclusion de preuve insuffisante est logiquement différente d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[12]  Étant donné que la SPR et la SAR ont soulevé la question d’une PRI, les demandeurs devaient établir qu’ils « ne risqu[aient] pas sérieusement d’être persécuté[s] dans la partie du pays où […] il existe une possibilité de refuge » : Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 à la p. 710. Cela signifie que les demandeurs devaient prouver que l’agent de persécution avait les moyens de les retrouver dans la PRI proposée.

[13]  À cet égard, les demandeurs estiment que l’implication politique de l’agent de persécution et ses relations dans tout le Nigéria lui permettent de chercher et de retrouver les demandeurs, même dans les grandes villes. Il semble, toutefois, que le seul élément de preuve en ce sens soit le témoignage du demandeur principal, que la SAR a jugé vague et insuffisant. En dépit de l’argument à l’effet contraire présenté par les demandeurs, il s’agit d’une conclusion d’insuffisance de la preuve, et non pas d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

[14]  Puisque la transcription de l’audience devant la SPR n’a pas été versée au dossier de notre Cour, il m’est impossible de conclure que l’appréciation de la suffisance du témoignage du demandeur principal effectuée par la SAR est déraisonnable. La SAR a aussi souligné que le reste de la preuve n’abordait pas la question des relations politiques de l’agent de persécution. Les demandeurs ne m’ont pas convaincu que cette affirmation est fausse. J’estime que les menaces proférées par l’agent de persécution dans la lettre de février 2018 ne mentionnent pas expressément ses relations politiques et n’offrent aucune preuve des ressources qu’il peut mobiliser afin de retrouver les demandeurs. À cet égard, la SPR a conclu, au paragraphe 34 de sa décision, que les demandeurs [traduction] « n’avaient produit aucun élément de preuve objectif convaincant permettant de lier [l’agent de persécution] à un parti politique ou à une personne d’influence au Nigéria ». Par conséquent, je conclus que la conclusion de la SAR quant à l’insuffisance de la preuve est raisonnable.

[15]  Les demandeurs soutiennent également que la SAR a, de façon inadmissible, exigé la corroboration des allégations des demandeurs au sujet de l’influence politique de l’agent de persécution, contrairement à des décisions telles qu’Ahortor c Canada (Emploi et Immigration) (1993), 21 Imm LR (2d) 39 (CFPI) au paragraphe 46. Ils affirment que la SAR aurait dû préciser le type de preuve auquel elle se serait attendue, mais qu’elle ne l’a pas fait. Je ne suis pas d’accord. Dans la décision Magonza, au paragraphe 58, j’ai suggéré que, dans l’examen d’une conclusion de preuve insuffisante, il est utile de se demander quels autres éléments de preuve auraient pu être produits. En l’espèce, la réponse est simple. Les demandeurs auraient pu décrire la nature des relations politiques de l’agent de persécution, donner le nom de politiciens auxquels celui-ci était associé et fournir des exemples de situations dans lesquelles il avait pu faire jouer ces relations pour nuire à quelqu’un. Par conséquent, la conclusion de la SAR est réellement fondée sur l’insuffisance de la preuve et non sur le défaut de corroborer une preuve qui aurait été suffisante à elle seule. L’omission de la SAR d’énoncer clairement quels éléments de preuve manquaient ne suffit pas à rendre la décision déraisonnable.

[16]  Les demandeurs ont aussi soutenu, en invoquant l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au paragraphe 128 [Vavilov], que la SAR avait omis de [traduction] « s’attaquer à leurs observations ». Plus particulièrement, ils soulignent l’affirmation erronée faite par la SAR selon laquelle ils n’ont pas abordé, dans leur mémoire, la question des moyens dont dispose l’agent de persécution. L’erreur commise par la SAR, toutefois, n’a aucune importance puisque les paragraphes qui suivent contiennent une analyse exhaustive de la question des moyens. En fait, l’arrêt Vavilov ne change rien à la décision antérieure de la Cour suprême dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, dans la mesure où celui-ci statuait que le décideur n’était pas tenu d’analyser explicitement chaque argument soulevé par les parties, pourvu que la justification de la décision soit claire. En enjoignant les décideurs de « s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties », l’arrêt Vavilov n’établit pas une norme de contrôle différente.

[17]   Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5229-19

LA COUR STATUE que :

1.  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.  Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-5229-19

 

INTITULÉ  :

ADEDAMOLA OLADAPO ADELEYE, OLUWATUMININU YETUNDE ADELEYE, MOJOLAOLUWA ADEWUNMI ADELEYE, MOROLALUWA ADESOLA ADELEYE, MOMOREOLUWA ADEBOLA ADELEYE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

L’AUDIENCE A EU LIEU PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE TORONTO (ONTARIO) ET OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 mai 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

Le 22 mai 2020

COMPARUTIONS :

Joseph Granton

POUR LES DEMANDEURS

 

James Todd

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk and Kingwell LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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