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Date : 20200522


Dossier : IMM-1605-19

Référence : 2020 CF 638

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2020

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

ADEBOWALE DAMILARE ADELUSI

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 14 février 2019 par la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger [la décision].

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande est accueillie.

II.  Le contexte factuel

[3]  Le demandeur, Adebowale Damilare Adelusi, est un citoyen du Nigéria.

[4]  Le demandeur craint d’être persécuté en raison de son identité de personne bisexuelle. Selon le demandeur, lorsqu’il a révélé son orientation sexuelle à ses parents, son père a menacé de le renier et l’a forcé à subir une cérémonie de [traduction« délivrance » à l’église. Le demandeur a également allégué que la police avait cherché à l’arrêter après que son partenaire, AJ, lui eut révélé leur relation.

A.  La Section de la protection des réfugiés

[5]  Le 5 octobre 2018, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger. La question déterminante était la crédibilité.

[6]  La SPR a jugé qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles pour conclure que le demandeur était bisexuel. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas fait mention de la relation de trois ans qu’il avait entretenue avec un étudiant d’université, dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile [formulaire FDA], et qu’il n’avait pas fourni d’éléments de preuve corroborants témoignant de l’existence de son partenaire, AJ. La SPR a également conclu que le demandeur avait présenté des éléments de preuve incohérents quant à l’endroit où il vivait au Nigéria.

[7]  La SPR a accordé peu de poids à la preuve corroborante du demandeur.

[8]  Aucun poids n’a été accordé à l’affidavit de Jeffrey Agomate [M. Agomate], puisqu’il n’était pas daté et témoignait de faits qui n’étaient pas expliqués adéquatement. De plus, l’affidavit ne contenait pas l’adresse du déposant. La SPR a conclu que le demandeur avait fourni des éléments de preuve incohérents au sujet de M. Agomate.

[9]  Il a été conclu que l’affidavit de Babatunde Oluwatomide Ayoola ne correspondait pas à l’information que le demandeur avait fournie dans ses formulaires d’admission au point d’entrée.

[10]  La SPR a conclu qu’une lettre provenant de The 519, au sujet de l’appartenance du demandeur à cette organisation, ne dissipait pas les problèmes concernant la crédibilité de sa demande d’asile. Aucun poids n’a été accordé à un rapport psychologique, étant donné qu’il ne fournissait aucune preuve des allégations de persécution du demandeur et parce que le demandeur avait présenté un témoignage incohérent sur la question de savoir s’il avait consulté un thérapeute au Nigéria.

B.  La décision faisant l’objet du contrôle

[11]  La SAR a déclaré qu’elle appliquerait la norme de contrôle de la décision correcte après avoir effectué sa propre analyse du dossier pour déterminer si la SPR avait commis une erreur. La SAR ne ferait preuve de retenue qu’à l’égard des conclusions de la SPR qui étaient fondées sur l’appréciation de la crédibilité ou sur le poids accordé aux témoignages de vive voix, dans les situations où la SPR bénéficiait d’un avantage particulier. La SAR a déclaré que, si elle jugeait que la SPR disposait d’un avantage particulier, elle en ferait mention dans ses motifs. Aucun avantage de ce genre n’a été décelé par la SAR.

[12]   La SAR a reconnu que le demandeur avait relevé plusieurs erreurs alléguées dans la décision de la SPR, mais a déclaré qu’elle mettrait l’accent sur les questions qui, selon elle, étaient déterminantes, en se fondant sur sa propre appréciation du dossier.

(1)  Le témoignage du demandeur au sujet d’AJ

[13]  La SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur en qualifiant de vague et de peu détaillé le témoignage du demandeur au sujet d’AJ, puisque la SPR n’avait pas tenu compte de l’ensemble de la preuve présentée par le demandeur. Cependant, la SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en jugeant que le demandeur n’avait pas prouvé l’existence d’AJ au moyen de photos ou de messages textes.

[14]  La SAR a conclu que l’appréciation par la SPR des éléments de preuve concernant AJ comportait des lacunes, mais que d’autres conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité étaient entièrement étayées par la preuve.

(2)  L’identité homosexuelle du demandeur à l’université et sa relation avec Seun

[15]  La SAR a conclu que le défaut du demandeur de mentionner dans son formulaire FDA sa relation de trois ans avec Seun, laquelle aurait eu pour cadre l’université, représentait une importante omission. Cela a miné la crédibilité du demandeur, puisqu’il n’a pas fait d’efforts pour fournir une preuve corroborant cette relation et ainsi établir son identité de personne bisexuelle.

(3)  Les lieux de résidence du demandeur

[16]  La SAR a écouté l’enregistrement de l’audience et a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur avait modifié son témoignage concernant l’année où il était parti de chez ses parents. Cependant, la SAR a jugé que la conclusion de la SPR, selon laquelle le demandeur [traduction« ne pouvait pas préciser laquelle des adresses était celle de ses parents », était sans fondement.

[17]  La SAR a conclu que la SPR avait mal interprété la première phrase de l’exposé circonstancié du formulaire FDA du demandeur et croyait que le demandeur avait affirmé qu’il habitait avec ses parents lorsqu’il leur avait révélé son orientation sexuelle. Toutefois, la SAR était d’accord avec la SPR que le témoignage présenté de vive voix par le demandeur au sujet de l’endroit où il vivait tout juste avant de partir pour l’Amérique du Nord avait changé durant l’audience.

[18]  La SAR était également d’accord avec la SPR pour dire que les adresses énumérées dans les documents d’admission de l’immigration du demandeur ne correspondaient pas à celles indiquées dans son exposé circonstancié et que l’explication du demandeur au sujet de cette divergence n’avait aucun sens.

[19]  La SAR a conclu que la SPR n’a pas commis d’erreur en tirant des inférences défavorables quant à la crédibilité des omissions et des incohérences relevées dans la preuve présentée par le demandeur à propos de ses lieux de résidence au Nigéria.

[20]  La SAR a tiré une autre conclusion défavorable quant à la crédibilité en se fondant sur une incohérence entre les formulaires d’admission du demandeur au point d’entrée et son témoignage à l’audience. Selon les formulaires d’admission, le demandeur vivait à Benin City tout juste avant son départ pour l’Amérique de Nord, mais le formulaire de FDA indique qu’il était allé se cacher à Lagos tout juste avant de quitter le Nigéria.

(4)  La composition de la famille du demandeur

[21]  Après avoir écouté l’enregistrement de l’audience, la SAR a fait remarquer que la SPR semblait avoir mal compris le témoignage du demandeur au sujet d’un demi‑frère vivant au Canada. La SAR a souligné que la SPR semblait laisser entendre que le demandeur était évasif et que la commissaire de la SPR avait réprimandé le demandeur, parce qu’il ne répondait pas à ses questions. La SAR a conclu que le demandeur avait répondu à la SPR de façon directe et cohérente à ce sujet.

[22]  La SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en tirant une importante conclusion défavorable quant à la crédibilité sur la base du témoignage du demandeur touchant la révélation de son orientation sexuelle à ses parents et le fait que le demandeur n’avait pas expliqué de façon acceptable l’incohérence dans ses éléments de preuve à cet égard.

[23]  La SAR a conclu que les conclusions défavorables susmentionnées concernant la crédibilité étaient suffisantes pour miner les éléments centraux de la demande d’asile du demandeur, y compris son identité de personne bisexuelle et la révélation de cette identité à sa famille au Nigéria. La SAR a conclu que les erreurs que comporterait la décision de la SPR ne suffisaient pas pour l’emporter sur les lacunes importantes en matière de crédibilité dans la preuve du demandeur.

[24]  La SAR a rejeté l’appel et a confirmé la décision, selon laquelle le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger.

III.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[25]  Le demandeur soulève plusieurs questions visant toutes à savoir si la décision est raisonnable.

[26]  Le demandeur fait valoir que la décision était déraisonnable pour trois motifs.

[27]  Premièrement, il est allégué que la SAR a fait fi de certains éléments de preuve, y compris deux affidavits et un rapport psychologique, lorsqu’elle a conclu que le demandeur n’était pas crédible.

[28]  Deuxièmement, le demandeur soutient que la décision de la SAR manque de transparence et d’intelligibilité, puisque la SAR a infirmé bon nombre des conclusions de la SPR quant à la crédibilité, mais a malgré tout confirmé la décision de la SPR.

[29]  Troisièmement, le demandeur affirme que la SAR ne s’est pas penchée sur [traduction« l’incident le plus important dans le cadre de la demande d’asile », c’est‑à‑dire le rituel de purification religieuse pratiquée sur le demandeur après que ses parents ont découvert son orientation sexuelle.

[30]  La Cour d’appel fédérale a établi que la norme de la décision raisonnable était la norme de contrôle que devait appliquer la Cour à une décision de la SAR : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, aux paragraphes 30 et 35.

[31]  Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir].

[32]  La Cour doit faire preuve d’un degré de retenue élevé lorsque les conclusions contestées ont trait à la crédibilité et à la vraisemblance du récit d’un demandeur d’asile, compte tenu des connaissances spécialisées de la SPR et de la SAR à cet égard et de leur rôle de juge des faits : Vall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 cf. 1057, au paragraphe 15.

[33]  Récemment, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a examiné en profondeur le droit relatif au contrôle judiciaire des décisions administratives. La Cour suprême a confirmé que la norme de la décision raisonnable était la norme présumée s’appliquer au contrôle judiciaire d’une décision administrative, sous réserve de certaines exceptions qui ne s’appliquent aux faits en l’espèce : Vavilov, au paragraphe 23.

[34]  Citant Dunsmuir, la Cour suprême a confirmé dans Vavilov qu’une décision raisonnable était justifiée, transparente et intelligible, et que l’attention devait être centrée sur la décision même qui avait été rendue, notamment sa justification : Vavilov, au paragraphe 15.

[35]  Puisque la demande a été plaidée en partant du principe que de la norme de contrôle était la décision raisonnable, je ne juge pas nécessaire de recevoir d’autres observations des parties. L’issue de l’affaire serait la même dans le cadre établi avant l’arrêt Vavilov, dans Dunsmuir et dans les décisions rendues dans sa foulée.

IV.  Analyse

[36]  À titre d’aperçu général, le demandeur fait valoir que, sans égard aux observations qu’elle a reçues de l’ancien conseil, la SAR était tenue d’effectuer de manière indépendante et exhaustive un examen et une appréciation de l’ensemble du dossier soumis à la SPR. En omettant de le faire à certains moments, la SAR a commis une erreur, et la décision manquait de transparence.

[37]  Selon le défendeur, la SAR était uniquement tenue d’aborder les questions soulevées par le demandeur dans les observations qu’il avait présentées à la SAR. De plus, le défendeur affirme que le demandeur n’a pas contesté, dans la présente demande, les conclusions déterminantes, défavorables quant à la crédibilité, tirées de façon indépendante par la SAR. Le défendeur s’appuie sur les paragraphes 25 et 26 de la décision Quintero Cienfuegos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 cf. 1262, pour affirmer qu’en ne contestant pas ces conclusions, il est présumé que le demandeur les a acceptées, et les conclusions sont donc présumées être vraies.

[38]  Le demandeur répond que ces conclusions n’étaient pas déterminantes et que le défendeur n’a pas démontré qu’elles l’étaient. De plus, le demandeur affirme que l’essentiel de la présente affaire réside dans le fait que la SAR a fait fi d’éléments de preuve importants.

[39]  Les arguments du demandeur m’ont convaincue, pour les motifs qui suivent.

A.  La SAR a tiré une conclusion de fait erronée, sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait

[40]  La SAR n’a pas tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité en ce qui concerne le témoignage du demandeur au sujet d’AJ. Au contraire, elle a conclu que la SPR avait commis une erreur dans son analyse.

[41]  C’est dans ce contexte que l’affidavit de M. Agomate devient important.

[42]  Comme il a été mentionné, le défendeur a soutenu que la SAR était seulement tenue d’aborder les questions soulevées par le demandeur dans les observations qu’il lui a présentées. Je suis d’accord avec cette déclaration. La SAR devait traiter ces observations. Cependant, elle a omis de le faire pour l’affidavit de M. Agomate, lequel contenait des éléments de preuve essentiels relatifs à AJ, que le demandeur appelle Deji.

[43]  Les observations détaillées présentées par le demandeur au sujet de l’affidavit de M. Agomate se trouvent aux paragraphes 8 et 9 des observations à la SAR :

[traduction]

8. À la section 15, le tribunal mentionne que l’appelant ne s’est pas informé au sujet du bien‑être de Deji, et il en tire une conclusion défavorable. L’appelant a déclaré pendant l’audience qu’il avait appelé M. Agomate pour savoir ce qui était arrivé à Deji, mais que M. Agomate ne le savait pas.

(Enregistrement, à 1:54:10)

Le tribunal n’a pas tenu compte du fait que Deji avait été arrêté et qu’il avait été conclu qu’il entretenait une relation bisexuelle, ce qui est interdit au Nigéria. M. Agomate avait également été arrêté, mais avait été libéré. Étant donné la position dans laquelle se trouvait M. Agomate, il n’était pas réaliste que le tribunal se soit attendu à ce que M. Agomate ait fait un suivi auprès des autorités au sujet de l’arrestation de Deji, puisque l’homosexualité et la bisexualité sont de graves infractions au Nigéria. De plus, le fait d’être associé à de telles personnes et d’être au courant de leur orientation sexuelle a aussi des conséquences. Donc, il n’est pas logique de la part du tribunal de penser que M. Agomate se mettrait en danger.

Motifs, à la page 7

9. À la section 24, le tribunal fait mention d’un affidavit de M. Agomate et déclare qu’elle ne lui accorde aucun poids, parce que le document n’est pas daté. Durant l’audience, le tribunal questionne l’appelant sur le moment où il a reçu cet affidavit. L’appelant a fourni le bordereau d’expédition qui accompagnait l’affidavit, mais le tribunal a tout de même conclu qu’il n’y avait pas moyen de connaître le moment où l’affidavit avait été fait. (Enregistrement, 33:15) Il s’agit d’une conclusion erronée, pour le simple fait que l’affidavit affiche la date du mois d’août 2018, à côté du timbre du notaire public. En outre, le bordereau d’expédition portant le nom de M. Agomate affiche la date d’expédition suivante : 2018-08-15 (15 août 2018). Par conséquent, il est plus que probable que l’affidavit a été signé vers le 15 août 2018. Le tribunal n’a pas apprécié adéquatement la preuve dont il disposait et a rejeté à tort un élément de preuve qui était important pour la demande de l’appelant, en confirmant des faits sur lesquels l’appelant avait témoigné.

Motifs, à la page 9

Affidavit de l’appelant, aux pages 38 à 40, et 71

[44]  La SAR avait conclu que l’omission, dans le formulaire FDA du demandeur, concernant une ancienne relation homosexuelle avec Seun était une [traduction« omission importante » qui avait eu « une incidence défavorable grave au regard de la crédibilité de l’appelant ». Par conséquent, les éléments de preuve contenus dans l’affidavit de M. Agomate, qui pourraient étayer la relation du demandeur avec AJ et prouver le risque auquel s’expose le demandeur au Nigéria, étaient importants.

[45]  La SAR a reconnu l’existence des observations portant sur l’affidavit de M. Agomate, mais ne les a pas examinées. Étant donné l’importance de cet élément de preuve, il s’agit d’une erreur susceptible de contrôle, ce qui m’amène à inférer que la SAR a tiré une conclusion de fait erronée, sans tenir compte de la preuve dont elle disposait : Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, aux paragraphes 17 et 27.

[46]  La décision est déraisonnable pour ce seul motif. Il pourrait toutefois être utile, pour les besoins de la nouvelle décision, d’aborder brièvement une autre question concernant les motifs de la décision.

B.  L’analyse de la SAR n’est pas intrinsèquement cohérente et rationnelle

[47]  Je conclus qu’il n’est pas clair comment et pourquoi la SAR en est venue à la conclusion générale qu’elle a tirée.

[48]  À l’examen des motifs fournis dans la décision, il n’est pas évident que la SAR a soupesé la preuve concernant le demandeur et AJ. Après avoir écouté l’enregistrement, la SAR a accepté, de façon générale, le témoignage du demandeur et a jugé erronées la grande majorité des conclusions défavorables tirées par la SPR. Pourtant, la SAR a confirmé la décision de la SPR.

[49]  La SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur dans son appréciation de la preuve au sujet de l’arrestation alléguée d’AJ et des efforts qu’aurait déployés le demandeur pour retrouver AJ après l’arrestation. La SAR a déclaré que la conclusion de la SPR sur la question de savoir si le demandeur était inquiet ou s’était informé au sujet d’AJ était « abusive et fai[sait] fi du témoignage du demandeur d’asile ». Cette déclaration implique que la SAR a cru le témoignage assermenté du demandeur, au sujet du fait qu’il avait recherché AJ après l’arrestation de celui‑ci.

[50]  La SAR a ensuite conclu, sans formuler de commentaire, que la SPR n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle avait jugé que le demandeur n’avait fourni aucun élément de preuve témoignant de l’existence d’AJ, comme des photos ou des messages textes de lui. Cette conclusion ne découle pas rationnellement de l’analyse à cet égard. La SAR n’a présenté aucun fondement permettant d’adopter soudainement la conclusion de la SPR, selon laquelle la confirmation de l’existence d’AJ au moyen de photos ou de messages textes était requise, en plus du témoignage du demandeur.

V.  Conclusion

[51]  Comprendre le raisonnement qui a mené à la décision administrative permet à la cour de révision de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Comme une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et être justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles, la norme de la décision raisonnable exige de la cour de révision qu’elle fasse preuve de retenue à l’égard de la décision faisant l’objet du contrôle : Vavilov, au paragraphe 85.

[52]   Je conclus que les exigences relatives à une décision raisonnable, telles qu’elles sont énoncées dans l’arrêt Dunsmuir, c’est‑à‑dire qu’elle doit être justifiée, transparente et intelligible, n’ont pas été respectées en l’espèce et que la décision a été rendue sans égard à la preuve dont disposait le tribunal.

[53]  Pour tous les motifs qui précèdent, la demande est accueillie.

[54]  La décision est annulée.

[55]  L’affaire sera renvoyée pour nouvelle décision par un autre tribunal.

[56]  Aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1605-19

LA COUR STATUE :

  1. que la demande est accueillie et que la décision est annulée;

  2. que l’affaire est renvoyée pour nouvelle décision par un tribunal de la SAR différemment constitué;

  3. qu’aucuns dépens ne sont adjugés.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de juin 2020

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1605-19

 

INTITULÉ :

ADEBOWALE DAMILARE ADELUSI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 OCTOBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 22 MAI 2020

 

COMPARUTIONS :

RICHARD WAZANA

 

pour le demandeur

 

MEVA MOTWANI

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

WazanaLaw

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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