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                                                                                                                                           Date : 20020426

                                                                                                                             Dossier : IMM-3711-00

OTTAWA (Ontario), le 26 avril 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                    EVA BENCIC, ROMAN BENCIC,

                                                  ROLAND SPAIS, ROMAN BENCIC

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                                                                      LE MINISTRE

                                    DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

VU la demande fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, en vue du contrôle judiciaire de la décision, en date du 1er juin 2001, par laquelle la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention;

ET VU les documents déposés et les observations faites par les parties;

ET pour les motifs exposés ce jour;


LA COUR ORDONNE QUE :

La présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

      (signé) Michael A. Kelen                                                                                                                   _________________________

          JUGE

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, LL.B., D.D.N.


                                                                                                                                           Date : 20020426

                                                                                                                             Dossier : IMM-3711-00

                                                                                                           Référence neutre : 2002 CFPI 476

ENTRE :

                                                    EVA BENCIC, ROMAN BENCIC,

                                                  ROLAND SPAIS, ROMAN BENCIC

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE KELEN

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, en date du 1er juin 2001, par laquelle celle-ci a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

FAITS

[2]         La demanderesse principale, Eva Bencic, née le 2 janvier 1958, est une citoyenne de la République slovaque. Les autres demandeurs sont son mari et ses deux fils.


[3]         En 1993, le mari de la demanderesse a ouvert un commerce de voitures d'occasion sur un terrain adjacent à deux boîtes de nuit. Parce qu'il savait que les patrons des boîtes de nuit avaient des relations avec la « pègre » , M. Bencic a engagé deux veilleurs de nuit pour surveiller son parc de voitures. Néanmoins, trois des voitures de M. Bencic ont été endommagées, son ami a été battu alors qu'il se trouvait dans le parc, et il s'est fait voler de l'argent, des documents et sa voiture américaine la plus chère.

[4]         M. Bencic a signalé le vol, les voies de fait et le vandalisme à la police. M. Bencic allègue qu'il a par la suite été convoqué au poste de police, où trois policiers en tenue civile l'ont battu et lui ont demandé de retirer l'accusation.

[5]         Après qu'il eût retiré l'accusation, M. Bencic a été battu sur les lieux de son commerce par deux hommes de main qui l'ont « remercié » de l'avoir fait et qui lui ont annoncé qu'il devait payer une amende de 300 000 couronnes (environ 10 000 $US). Lorsqu'il s'est révélé impossible pour lui de recueillir la somme, ces hommes de main sont venus chez lui et sont repartis avec sa voiture personnelle.

[6]         M. Bencic a appris de sources fiables qu'il allait être « liquidé » . Sa famille faisait alors l'objet de harcèlement et de menaces à la maison. La famille s'est cachée, avant de partir pour le Canada et d'y faire la présente demande du statut de réfugié.

[7]         La SSR a tenu des audiences les 16 août 1999 et 13 mars 2000.

DÉFINITION DE RÉFUGIÉAU SENS DE LA CONVENTION

[8]    Le « réfugiéau sens de la Convention » est ainsi défini à l'article 2 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 :



« réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

   a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :                  (i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

    b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

"Convention refugee" means any person who:

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion,     nationality, membership in a particular social group or political opinion,      

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;


DÉCISION DE LA SSR

[9]         Il s'agit principalement de savoir s'il existe un lien entre la crainte des demandeurs d'être persécutés par des criminels et l'un quelconque des motifs énoncés dans la définition de réfugié au sens de la Convention, soit la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques, ou l'appartenance à un groupe social particulier. À la page 2 de sa décision, la SSR a dit :

[traduction] Le tribunal conclut que la question déterminante en l'espèce se rapporte au lien. Existe-t-il un lien entre la crainte de persécution des revendicateurs et l'un quelconque des motifs énumérés dans la définition de réfugié au sens de la Convention, soit la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l'appartenance à un groupe social particulier?

[...] D'abord, les revendicateurs ont fondé leurs revendications sur le motif de l'appartenance à un groupe social particulier, soit celui des personnes prises pour cible par la mafia en République slovaque. Existe-t-il un lien entre le préjudice redouté et un motif énoncé dans la Convention?


[10]       La SSR a conclu que le préjudice causé par la mafia tient de l'acte criminel, et non de la persécution, telle que cette expression est définie dans la Convention. À la page 3, la SSR a dit :

[traduction] En l'espèce, le préjudice redouté par les revendicateurs, tel qu'il a d'abord été présenté par ces derniers, résultant du fait qu'ils sont la cible de la mafia, tient de l'acte criminel, et non de la persécution, telle que cette expression est définie dans la Convention. L'extorsion est un crime courant. Il arrive que des hommes d'affaires prospères et leurs familles soient la cible d'extorqueurs, mais il ressort clairement de la jurisprudence que les personnes dont la crainte de persécution ne tient qu'au fait d'avoir été victime d'un acte criminel ne répondent pas à la définition de réfugié au sens de la Convention.

Et à la page 5 :

[traduction] Le tribunal conclut que la crainte de persécution des revendicateurs était liée à des activités criminelles en République slovaque, au fait que le commerce de voitures prospère des revendicateurs incitait à l'extorsion et au fait que l'extorqueur a été attiré par leur succès évident. La persécution avait pour objet des biens placés bien en vue dans le parc de voitures et faciles à obtenir au moyen de ventes au comptant ou par un accès direct aux voitures elles-mêmes. Le mobile de l'agent de persécution redouté n'avait aucun rapport avec l'appartenance à un groupe social particulier en matière de droits fondamentaux de la personne et de discrimination ni avec la raison d'être de la protection prévue par la Convention.

[11]       La SSR s'est également demandé s'il existait une preuve que les revendicateurs étaient persécutés du fait de leurs opinions politiques réelles ou perçues, ou que l'État ou la police entretenaient des relations avec le crime organisé les empêchant de prendre des mesures contre les extorqueurs, les voleurs et les auteurs d'actes de violence. La SSR a conclu que la preuve n'établissait pas clairement que le revendicateur était la cible des fonctionnaires ou de la police en raison de ses tentatives de dénoncer le crime et la corruption à la police. La SSR a statué, à la page 8 :

[traduction] En d'autres termes, la preuve n'établissait pas clairement que le revendicateur était la cible de quiconque en raison de ses tentatives de dénoncer le crime et la corruption à la police, comme c'était le cas dans l'affaire Kinko.


NORME DE CONTRÔLE

[12]       Pour ce qui est de la conclusion relative à l'existence d'un lien entre la crainte de persécution et un motif reconnu par la Convention, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable simpliciter, tel qu'il a été établi dans Jayesekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1393, 2001 FCT 1014 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 24 :

Procédant à « l'analyse pragmatique et fonctionnelle » qui sert à déterminer la norme de contrôle telle qu'élaborée dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 (C.S.C.) et dans l'arrêt plus récent Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (C.S.C.), je suis convaincu que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à la conclusion de la SSR relativement au « lien » n'est pas celle de la décision manifestement déraisonnable, ni celle de savoir si la conclusion était tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des documents su dossier de la SSR, mais plutôt celle de la décision raisonnable simpliciter.

[13]      La norme de contrôle des décisions de la SSR sur des questions de droit est celle de la décision correcte, comme il a été établi dans Bela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 902, 2001 CFPI 581 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 13 :

Dans le cadre de telles demandes, toutes les questions de droit sont régies par la norme de la décision correcte qu'a énoncée le juge Bastarache dans l'arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [[1998] 1 R.C.S. 982 (C.S.C.)].

ANALYSE

[14]      Selon la norme de la décision raisonnable simpliciter, la SSR a eu raison de conclure qu'il n'existe aucun lien entre la crainte de persécution des revendicateurs et un motif reconnu par la Convention. En l'espèce, la SSR a raisonnablement conclu que la persécution est directement liée à des activités criminelles.


[15]       Comme deuxième motif à l'appui de l'existence d'un lien, les revendicateurs allèguent avoir été persécutés du fait de leurs opinions politiques. Suivant la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans Klinko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 327, une dénonciation de la corruption policière peut être considérée comme l'expression d'une « opinion politique » . En se fondant sur l'arrêt Klinko, précité, les revendicateurs ont affirmé avoir été persécutés parce que l'État était complice des activités criminelles et qu'il n'a pris aucune mesure pour arrêter les extorqueurs ou protéger les revendicateurs. Dans Klinko, la Cour a statué que la dénonciation de la corruption de représentants de l'État avait mené à l'exercice de représailles contre M. Klinko. Au paragraphe 34, la Cour a statué :

L'opinion exprimée par M. Klinko a pris la forme d'une dénonciation de la corruption de représentants de l'État. Cette dénonciation d'infractions commises par des représentants de l'État a mené à l'exercice de représailles contre lui. Il ne fait pas de doute, selon moi, que les agissements corrompus largement répandus au sein du gouvernement, dont le revendicateur a fait état dans son opinion, constitue une « question dans laquelle l'appareil étatique, gouvernemental et politique peut être engagé » .

[16]       M. Klinko a donc été persécuté en guise de représailles pour avoir dénoncé la corruption du gouvernement. Dans la présente affaire, la SSR a conclu que la preuve n'établissait pas que le revendicateur était visé ou persécuté par les fonctionnaires en raison de ses tentatives de dénonciation du crime et de la corruption. Pour cette raison, une distinction doit être faite d'avec l'arrêt Klinko, qui ne s'applique pas en l'espèce.

[17]       Le refus de M. Bencic de s'incliner devant l'extorsion, les menaces et la violence attribuables à son statut de personne financièrement prospère en Slovaquie ne fait pas de lui un réfugié au sens de la Convention. La Convention ne protège que les réfugiés qui craignent avec raison d'être persécutés du fait de leur religion, de leur race, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un groupe social particulier. Les victimes d'actes criminels ne sont pas protégées par la Convention.


[18]       En conséquence, je suis d'avis que la SSR a raisonnablement conclu que la persécution subie par les revendicateurs était directement liée aux activités de criminels cherchant à extorquer de l'argent et des automobiles, et non à leurs opinions politiques. Le fait que la police n'ait pas protégé les revendicateurs contre ces activités criminelles, et que, disent-ils, elle en ait été complice, n'établit pas de lien entre la crainte de persécution des revendicateurs et l'un quelconque des motifs reconnus par la Convention permettant de revendiquer le statut de réfugié. En l'absence d'erreur, l'intervention de la Cour à l'égard de la décision de la SSR n'est pas justifiée.

[19]       Aucune demande de certification n'a été faite, et je suis d'avis que la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale devant être certifiée en application du paragraphe 82(3) de la Loi sur l'immigration.

[20]       Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                      (signé) Michael A. Kelen        ________________________                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 26 avril 2002

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, LL.B., D.D.N.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                             IMM-3711-00

INTITULÉ :                                            EVA BENCIC ET AUTRES c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                  18 avril 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                        26 avril 2002

COMPARUTIONS:

M. John Weisdorf                                    POUR LES DEMANDEURS

M. Jeremiah Eastman                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Weisdorf Waud & McCallum    POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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