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Date : 20030131

Dossier : T-2057-01

Référence neutre : 2003 CFPI 104

Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY                          

ENTRE :

                                                                 ARLEEN THOMAS

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

BANDE INDIENNE CRIE D'ENOCH,

ENOCH (ALBERTA) et DONNA READ

                                                                                                                                              défenderesses

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision d'un arbitre désigné en vertu du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, modifié (le Code). Dans la décision qu'elle a rendue le 26 octobre 2001, l'arbitre s'est déclarée sans compétence pour instruire la plainte de congédiement injuste au motif que la demanderesse avait été « licenciée en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste » au sens de l'alinéa 242(3.1)a) du Code. La demanderesse sollicite un bref de certiorari annulant la décision de l'arbitre et renvoyant l'affaire à un autre arbitre pour qu'il tienne une nouvelle audience. Elle réclame également les dépens.


QUESTION EN LITIGE

[2]                 L'arbitre a-t-elle commis une erreur justifiant l'intervention de la Cour?

[3]                 Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

GENÈSE DE L'INSTANCE

[4]                 La demanderesse, Arleen Thomas, a été engagée en mars 1993 comme directrice des soins de santé de la bande indienne crie d'Enoch (la bande d'Enoch). Elle était chargée de l'administration et de la planification du budget du centre de soins de santé de la bande d'Enoch.

[5]                 En novembre 1998, la situation financière de la bande d'Enoch était critique. Il est en effet acquis qu'à l'époque, tous les programmes accusaient un déficit. La banque de la bande d'Enoch refusait d'honorer les chèques de la bande tant qu'elle n'aurait pas remboursé une dette de près de 700 000 $. Glen Generoux a été engagé comme contrôleur des finances le 17 novembre 1998 pour examiner les mesures à prendre pour résoudre cette crise financière.


[6]                 Le 2 décembre 1998, le chef et les conseillers de la bande ont adopté une résolution approuvant le licenciement de 48 employés, dont la demanderesse. Mme Thomas faisait partie des personnes visées par cette mesure et, le 10 décembre 1998, elle a été licenciée. Son licenciement prenait effet le 31 décembre 1998. Elle a reçu une indemnité de départ d'environ 9 000 $, c'est-à-dire une indemnité de délai-congé correspondant à quatre mois de salaire.

[7]                 Tout en reconnaissant que la bande était aux prises avec une crise financière, la demanderesse croit que le [TRADUCTION] « motif réel, effectif et principal » de son congédiement était le fait qu'elle avait exprimé des préoccupations au sujet de certaines dépenses en matière de soins de la santé. Elle fait par conséquent valoir que la bande s'est servie du licenciement massif comme prétexte pour mettre fin à son emploi.

[8]                 La demanderesse affirme qu'avant les licenciements, elle avait reproché au chef Morin d'avoir accordé en 1997 un contrat de 30 000 $ pour la tenue de huit ateliers. Elle estimait que les services visés étaient déjà offerts par le programme du centre de soins de santé. Le contrat, qui est reproduit à l'annexe B du dossier de la demanderesse, prévoyait une rémunération de 1 000 $ par jour par animateur. L'arbitre a accepté l'argument de la demanderesse que la compagnie qui s'était engagée aux termes de ce contrat, la R & L Life Management, appartenait en partie au directeur des opérations de la bande d'Enoch, M. Robert Sharphead.


[9]                 La demanderesse signale par ailleurs qu'elle avait porté à l'attention du chef Morin et de Robert Sharphead certaines dépenses discutables effectuées par Mme Alexander-Ward, une travailleuse de la santé qui relevait d'elle. Dans une note de service datée du 20 novembre 1998, la demanderesse avait déclaré qu'au cours d'une période de six mois, Mme Alexander-Ward et des membres de sa famille avait retiré des sommes excédant 30 000 $ du budget de la santé sans présenter de reçus. La demanderesse avait soulevé la question de savoir comment cet argent avait été dépensé et s'il avait servi à des programmes de soins de la santé.

[10]            À cause des questions qu'elle a soulevées au sujet des dépenses en question, la demanderesse était évidemment perçue comme une dénonciatrice ou, comme l'a souligné l'arbitre, comme une « plaignarde » , une « épine au pied du chef et du conseil » .

[11]            Après le départ de la demanderesse, certaines de ses fonctions ont été confiées à une infirmière, Sylvia McGillis, jusqu'en février 1999, époque à laquelle Gary Morin a pris la relève en tant que directeur intérimaire des soins de santé. La femme de M. Morin, Darlene Peacock a été engagée comme consultante en administration de soins de santé du 3 mai au 3 juillet 1999. Mme Peacock a été engagée le 1er septembre 1999 pour occuper le poste de directrice des soins de santé qu'occupait auparavant la demanderesse. Ce poste n'a été ni affiché ni annoncé et la demanderesse n'en a pas été avisée. Il lui était donc impossible de soumettre sa candidature à son ancien poste.

[12]            La demanderesse a ensuite déposé une plainte de congédiement injuste en vertu du Code et sa plainte a été instruite par l'arbitre le 13 mars 2001.


DÉCISION DE L'ARBITRE

[13]            L'arbitre a d'abord conclu que la demanderesse n'était pas une « directrice » au sens du paragraphe 167(3) du Code. Il s'agissait là d'une question préalable à laquelle il fallait répondre, étant donné que la section XIV du Code (congédiement injuste) ne s'applique pas aux directeurs.

[14]            L'arbitre s'est ensuite penchée sur la question de savoir si le paragraphe 242(3.1) du Code empêchait la demanderesse de faire instruire sa plainte. Ce paragraphe est ainsi libellé :


L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants :

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste;

No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function;


[15]            L'arbitre a examiné la jurisprudence relative au paragraphe 242(3.1) selon laquelle cette disposition vise à protéger l'employeur contre une plainte lorsque le congédiement constitue une mesure de bonne foi prise en réponse à des impératifs économiques. L'arbitre a signalé que c'est à l'employeur qu'il appartient d'établir que le paragraphe 242(3.1) s'applique.


[16]            L'arbitre a conclu que la bande d'Enoch éprouvait de toute évidence de sérieuses difficultés financières lorsqu'elle a procédé aux licenciements en novembre 1998. La demanderesse soutenait que la mauvaise foi de la bande d'Enoch était évidente, compte tenu du fait que la bande n'avait épargné que 5 000 $ en la licenciant (en raison des sommes payées à ses remplaçants) et elle a fait remarquer que le salaire que recevait présentement Mme Thomas était plus élevé que celui que l'ancien salaire de la demanderesse. La demanderesse soutenait aussi que la bande avait transféré 105 000 $ du budget de la santé vers d'autres secteurs, en violation de l'engagement qu'elle avait pris avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) et que, sans ce transfert, le budget de la santé n'aurait pas accusé de déficit. Finalement, la demanderesse soutenait que son poste était en fait un poste « financé » aux termes d'une entente de contribution et que, suivant les motifs exposés par M. Generoux, les postes « financés » ne devaient pas être supprimés dans le cadre des licenciements massifs.

[17]            L'arbitre a déclaré, à la page 11 (dossier de la demanderesse, à la page 168) :

[...] J'accepte le témoignage de M. Generoux voulant que tous les programmes de la bande aient été déficitaires au mois de novembre 1998. Il se peut que le programme de la santé ait été en déficit uniquement en raison des transferts de fonds effectués vers d'autres programmes. Si c'est le cas, il appartient à AINC d'examiner la question et de prendre les mesures qu'il estime indiquées. Pour les fins de la présente décision, cela ne change pas le fait que la situation financière de la Bande était précaire au mois de novembre 1998 et qu'il fallait prendre une décision relativement aux effectifs.

Il est possible qu'à long terme la mise à pied de Mme Thomas n'ait généré aucune économie. Il est possible également que le poste de l'appelante ait effectivement été financé sous le régime des ententes de financement et que M. Generoux se soit trompé en affirmant dans son témoignage qu'il ne l'était pas. Quoi qu'il en soit, le Code, même s'il leur impose des restrictions, n'interdit pas aux employeurs de procéder à des restructurations ou à des réaménagements et de prendre des décisions qu'ils estiment indiquées. Il ne leur interdit pas non plus de prendre des décisions qui, en rétrospective, peuvent s'avérer mauvaises. Ils ont le droit d'exercer un tel pouvoir décisionnel, du moment qu'ils ne le font pas de façon arbitraire ou discriminatoire ou que les décisions ne sont pas entachées de mauvaise foi.

                                                                     [Non souligné dans l'original.]


[18]            Après avoir conclu que le poste de la demanderesse avait été supprimé au sens du Code et qu'elle avait été mise à pied pour « manque de travail » , l'arbitre a ensuite examiné la question de savoir si la décision de mettre fin à l'emploi de l'appelante était « arbitraire » , « discriminatoire » ou entachée de « mauvaise foi » , étant donné que, suivant la jurisprudence, l'employeur ne peut profiter d'une mise à pied par ailleurs fondée pour se départir d'un employé pour d'autres motifs.

[19]            L'arbitre a précisé que, sur cette question, la preuve lui avait donné beaucoup de fil à retordre. Elle a conclu que « le choix du poste de Mme Thomas comme poste à supprimer au lieu d'autres postes du Centre de santé soulève des doutes » . La Bande ne lui avait soumis aucun élément de preuve permettant de savoir si les employés du Centre qui avaient conservé leur poste occupaient des postes « financés » ou permettant de savoir si la suppression de leurs postes plutôt que de celui de la demanderesse aurait permis de réaliser des économies supérieures. L'arbitre a souligné que le chef et les conseillers avaient discuté de personnes, au cours de leurs délibérations, plutôt que de postes et de budgets et elle s'est demandée si leur choix avait été guidé par une question de liens de parenté.

[20]            L'arbitre a également fait remarquer ce qui suit, à la page 12 (dossier de la demanderesse, à la page 169) :

[...] Le témoignage de Mme Thomas selon lequel elle avait tenté, juste avant les mises à pied, de soumettre au chef et au conseil les activités de Mme Darlene Alexander-Ward [sic], coordonnatrice du projet Brighter Futures, et de Robert Sharpshead [sic], directeur des opérations de la Bande, est également troublant. La pièce 35 établit très clairement que l'appelante avait décidé d'exposer ces situations et qu'elle avait demandé la tenue d'une réunion du chef, du conseil et de membres de divers organismes pour traiter de ces questions. Il y a également le fait que Mme Peacock est devenue directrice des soins de santé au mois de septembre 1999, seulement six mois après la mise à pied de l'appelante.

[Non souligné dans l'original.]


[21]            L'arbitre a expliqué que « certains éléments de preuve en l'espèce indiquent que des considérations non pertinentes ont pu jouer dans la décision de mettre à pied Mme Thomas, en particulier, plutôt que d'autres employés, et que cette décision a pu être prise arbitrairement ou de mauvaise foi » . Elle a toutefois fait remarquer que M. Generoux ne s'intéressait qu'au nombre total de mises à pied, que la décision était quelque peu arbitraire et que « les décideurs doivent se fonder sur quelque chose, et le fondement retenu ici était raisonnable » . L'arbitre a fait observer, à la page 13 (dossier de la demanderesse, à la page 170) :

[...] La preuve établit clairement, également, que la liste des personnes à mettre à pied a été modifiée après avoir été remise au chef et au conseil. Des noms en ont été retirés et d'autres ont été rajoutés. Je considère l'allégation de mauvaise foi faite par Mme Thomas troublante.                          

[Non souligné dans l'original.]            

[22]            L'arbitre a rappelé que, suivant la décision Clements and Bearskin Lake Air Services Ltd., [1995] C.L.A.D. no 942 (services d'arbitrage), c'est au plaignant qu'il incombe de prouver des allégations de malveillance, de motifs cachés ou de mauvaise foi de la part de l'employeur. L'arbitre a cependant conclu que « la preuve de la mauvaise foi est loin d'être écrasante » .

[23]            Au sujet de la décision de licencier la demanderesse, l'arbitre a expliqué, à la page 13 (dossier de la demanderesse, à la page 170) :


[...] Glen Generoux a affirmé que son nom a été ajouté à la liste de mise à pied parce que son poste n'était pas financé. En dernière analyse, la décision de laisser le nom de l'appelante sur la liste et de la mettre à pied a été prise par le chef et le conseil. Le procès-verbal de la réunion a été déposé en preuve, mais non la transcription des délibérations. Nous ne savons pas comment ils en sont finalement venus à décider de mettre Mme Thomas à pied. Sans autre élément de preuve, je répugne à présumer qu'ils ont agi de mauvaise foi ou qu'ils avaient des motifs cachés [...]             

[Non souligné dans l'original.]

[24]            L'arbitre a par ailleurs fait remarquer que les explications fournies par la bande d'Enoch pour justifier le recrutement de Mme Peacock en septembre 1999 tenaient en fait à un changement de situation, puisque qu'à ce moment-là, une nouvelle entente de financement avait été conclue. L'arbitre a toutefois signalé que la bande d'Enoch n'avait pas expliqué pourquoi elle n'avait pas offert à Mme Thomas l'occasion de soumettre sa candidature pour ce poste.

[25]            L'arbitre a conclu que la preuve de la mauvaise foi de l'employeur soumise par la demanderesse n'était pas suffisante, même si elle était « troublante » et soulevait des « doutes réels » . L'arbitre a jugé que la demanderesse avait été mise à pied en raison d'un « manque de travail ou de la suppression d'un poste » et qu'elle n'avait donc pas compétence pour statuer sur l'allégation de congédiement injuste.

NORME DE CONTRÔLE


[26]            La demanderesse affirme que la norme de contrôle relative à l'application du paragraphe 242(3.1) du Code soulève une question de compétence, de sorte que la norme de contrôle applicable est celle de la décision bien fondée. À l'appui de cette proposition, elle cite le jugement Sedpex, Inc. c. Canada (arbitre nommé en vertu du Code canadien du travail), [1989] 2 C.F. 289 (C.F. 1re inst.).

[27]            La défenderesse soutient qu'il est simpliste d'adopter la norme du bien-fondé, parce que les allégations d'erreur formulées par la demanderesse se rapportent en grande partie à l'appréciation de la preuve et des conclusions tirées par l'arbitre. La défenderesse affirme que, bien que ce soit la norme de la décision bien fondée qui s'applique aux questions de droit, les conclusions de faits sont assujetties à la norme de la décision manifestement déraisonnable.

[28]            Dans le jugement Sedpex, précité, qui est cité tant par la demanderesse que par la défenderesse, le juge Strayer (maintenant juge à la Cour d'appel) a déclaré, à la page 298 :

[...] je puis examiner les conclusions de l'arbitre afin de déterminer s'il possède la compétence voulue pour instruire la plainte. Ce faisant, j'ai la possibilité de former mes propres opinions sur les questions de droit pertinentes mais, en ce qui a trait à ses conclusions de fait, je ne devrais substituer mon propre point de vue au sien que s'il est démontré que son opinion est manifestement erronée.

[29]            La norme de contrôle applicable au paragraphe 242(3.1) du Code a été examinée dans des affaires plus récentes, qui sont postérieures à l'élaboration de l'analyse pragmatique et fonctionnelle.


[30]            Dans le jugement Roe c. Rogers Cablesystems Ltd., (2000), 193 F.T.R. 240 (C.F. 1re inst.), le juge Dawson a examiné la question de la norme de contrôle applicable au paragraphe 242(3.1) du Code. Elle a statué que la norme de contrôle qui régit les conclusions de fait est celle de la décision manifestement déraisonnable, tandis que c'est la norme de la décision bien fondée qui s'applique aux questions de compétence.

[31]            Je suis d'accord avec la défenderesse pour dire que la décision de l'arbitre en ce qui concerne sa compétence est assujettie à la norme de contrôle de la décision bien fondée, tandis que ses conclusions de fait sont soumises à la norme de la décision manifestement déraisonnable.

ANALYSE

[32]            Dans l'arrêt Canada c. Gonthier, (1986), 77 N.R. 386, la Cour d'appel fédérale a formulé les observations suivantes au sujet du sens de l'expression « manque de travail » que l'on trouve à l'alinéa 242(3.1)a) :

[...] Au moment où la Commission de la Fonction publique a été forcée de réduire du tiers le nombre des employés travaillant à la Direction générale de la Formation linguistique, personne ne suggère que ces employés n'étaient pas pleinement occupés et que l'on n'avait pas de travail à leur donner. Cependant, dès lors que le budget de la Direction générale de la Formation linguistique était coupé, celle-ci fut forcée de réduire ses activités. Et c'est parce que les activités de la Direction générale étaient réduites qu'elle pouvait, dorénavant, se priver du tiers de ses employés. C'est donc « faute de travail » que les services des intimés n'étaient plus requis.                                                                 

[Non souligné dans l'original.]

[33]            Ainsi, le « manque de travail » peut être le résultat de compressions budgétaires et peut donc à juste titre être qualifié de « manque de salaire » .


[34]            Dans un arrêt qui fait autorité sur la question, la Cour suprême a précisé le sens de l'expression « suppression d'un poste » que l'on trouve à l'alinéa 242(3.1)a) du Code. Dans l'arrêt Flieger c. Nouveau-Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651, le juge Cory déclare, à la page 664 :

[...] il y a « suppression d'une fonction » lorsque cet ensemble d'activités qui constitue un poste n'est plus exécuté par suite de la décision arrêtée de bonne foi par l'employeur. Par exemple, si un ensemble donné d'activités est tout simplement confié intégralement à une autre personne, ou si l'activité ou la tâche reçoit simplement un titre nouveau et différent de façon à pouvoir figurer dans une autre description de poste, alors on ne pourrait parler de la « suppression d'une fonction » . En revanche, si les activités qui font partie de l'ensemble ou du groupe d'activités sont réparties entre d'autres personnes, comme ce fut le cas dans Mudarth, précité, il y aurait « suppression d'une fonction » . Il y aurait également « suppression d'une fonction » si les responsabilités sont décentralisées, comme ce fut le cas dans Coulombe, précité.         

[Non souligné dans l'original.]

[35]            Pour l'application de l'alinéa 242(3.1)a), les tribunaux exigent par ailleurs que le licenciement du demandeur ait été arrêté de bonne foi. La jurisprudence relative à cet aspect est pertinente en l'espèce.

[36]            Dans le jugement Sedpex, le juge Strayer (maintenant juge à la Cour d'appel) déclare ce qui suit, à la page 299 :

[...] Aussi difficile qu'elle puisse être dans certains cas, la question que la Loi veut trancher est, à mon avis, celle de savoir si le motif réel, effectif et principal de la cessation de l'emploi était le « manque de travail » . Je suis convaincu que telle est la question que l'arbitre s'est posée en l'espèce avant de conclure que le motif du « manque de travail » allégué était une [TRADUCTION] « mise en scène » .      

[Non souligné dans l'original.]


[37]       Dans l'affaire Sedpex, le demandeur, un aide-foreur, affirmait que la compagnie pour laquelle il travaillait l'avait licencié parce qu'elle était insatisfaite de son rendement. La Cour a statué que c'était à l'employeur qu'il incombait de démontrer que le motif du licenciement était le manque de travail.

[38]            Voici le passage pertinent de la décision Clements, précitée, au paragraphe 46 :

[TRADUCTION]

C'est à l'employeur qu'il incombe de démontrer qu'il tombe sous le coup du paragraphe 242(3.1), mais le plaignant n'est pas pour autant dispensé de s'acquitter de son fardeau de la preuve (voir la décision Munak c. SRC, (Descôteaux, 30 décembre 1987). Lorsque, comme en l'espèce, la preuve présentée par l'employeur démontre clairement la justification économique du licenciement et explique clairement et de façon raisonnable le choix de licencier le plaignant, la preuve soumise par le plaignant doit alors, à mon avis, être suffisante pour convaincre l'arbitre que la mesure par ailleurs justifiable prise par l'employeur est une « mise en scène » , un « subterfuge » , une mesure « malveillante » ou « détournée » [...]    

[Non souligné dans l'original.]

[39]            Ce passage semble laisser croire que, pour que l'employeur puisse se fonder sur le paragraphe 242(3.1), il doit démontrer : (i) une justification économique; et (ii) une explication raisonnable justifiant le « choix » de l'employé licencié. Après que les deux volets de ce critère ont été satisfaits, le fardeau de la preuve est déplacé sur l'employé, qui doit alors réfuter la preuve.


[40]            Suivant la décision Clements (examen de la raison du choix de l'employé qui a été licencié) ou le jugement Sedpex (examen de la raison principale du licenciement), il semble évident qu'il faille examiner le processus de prise de décision qui a été suivi pour procéder au licenciement.

[41]            Il ressort de son analyse que l'arbitre n'a pas examiné en entier le processus de prise de décision qui a été suivi pour décider qui devait être licencié.

[42]            L'arbitre a cité le témoignage de M. Generoux suivant lequel, sur les quinze postes que comptait le service des soins de santé, 11,5 étaient financés, et suivant lequel le poste de la demanderesse n'était pas financé, de sorte qu'il faisait partie des postes ciblés. La demanderesse conteste cette conclusion et affirme que, suivant la preuve (le témoignage de Leo Sasakamos) son salaire provenait du budget du programme de transport des patients.

[43]            L'arbitre a déclaré, à la page 3 (dossier de la demanderesse, à la page 160) :   

[...] Il est ressorti clairement [du ] témoignage [de M. Generoux] au sujet de Clara Sigudur que cette décision émanait du chef et du Conseil [...] Je conclus que le chef et le conseil ont eu le dernier mot en ce qui a trait au nombre de mises à pied et à la liste des employés visés par la mesure.

[44]            L'arbitre a accepté le témoignage du contrôleur Generoux suivant lequel celui-ci s'intéressait au nombre total de mises à pied et aux économies que cette mesure permettait de réaliser. Elle a toutefois reconnu que ce n'est pas lui qui avait pris la décision finale en ce qui concerne le choix des employés. Elle a déclaré, à la page 12 (dossier de la demanderesse, à la page 169) :


Certains éléments de preuve en l'espèce indiquent que des considérations non pertinentes ont pu jouer dans la décision de mettre à pied Mme Thomas, en particulier, plutôt que d'autres employés, et que cette décision a pu être prise arbitrairement ou de mauvaise foi. Il appert clairement du témoignage de M. Generoux que celui-ci ne s'intéressait qu'au nombre total de mises à pied et aux économies que cette mesure permettait de réaliser. C'est cette décision qui, selon lui, était quelque peu arbitraire. Toutefois, les décideurs doivent se fonder sur quelque chose, et le fondement retenu ici était raisonnable. La preuve établit clairement, également, que la liste des personnes à mettre à pied a été modifiée après avoir été remise au chef et au conseil. Des noms en ont été retirés et d'autres ont été rajoutés. Je considère l'allégation de mauvaise foi faite par Mme Thomas troublante.

[Non souligné dans l'original.]

[45]            L'arbitre fait une autre allusion au processus de prise de décision à la page 13 (dossier de la demanderesse, à la page 170) :

En dernière analyse, la décision de laisser le nom de l'appelante sur la liste et de la mettre à pied a été prise par le chef et le conseil. Le procès-verbal de la réunion a été déposé en preuve, mais non la transcription des délibérations. Nous ne savons pas comment ils en sont finalement venus à décider de mettre Mme Thomas à pied. Sans autre élément de preuve, je répugne à présumer qu'ils ont agi de mauvaise foi ou qu'ils avaient des motifs cachés.

[Non souligné dans l'original.]

[46]            Après avoir résumé les allégations de la demanderesse, ainsi que la preuve qui, selon elle, était « troublante » et « soulevait des doutes » , l'arbitre a conclu que la preuve de la mauvaise foi de l'employeur soumise par la demanderesse n'était pas suffisante. C'était à la demanderesse qu'il incombait de faire la preuve de la mauvaise foi de l'employeur et l'arbitre a conclu que la demanderesse avait été mise à pied uniquement en raison de « la suppression d'un poste » au sens de l'alinéa 242(3.1)a) du Code, de sorte qu'elle n'avait pas compétence pour instruire la plainte.


[47]            Si l'arbitre avait appliqué correctement les principes posés dans la décision Clements, elle aurait exigé que l'employeur démontre clairement la justification économique du licenciement et « explique clairement et de façon raisonnable le choix de licencier » la demanderesse avant que le fardeau de la preuve ne soit déplacé sur la demanderesse. En affirmant à plusieurs reprises qu'elle ne disposait d'aucun élément de preuve au sujet du processus de prise de décision suivi par le chef et les conseillers, l'arbitre a bien fait comprendre qu'elle n'avait pas examiné les raisons pour lesquelles on avait choisi la demanderesse. À tout le moins, les explications fournies par M. Generoux n'auraient pas permis d' « expliquer de façon raisonnable le choix » compte tenu des doutes et des hésitations que l'arbitre affirmait avoir. L'arbitre a par conséquent commis une erreur en statuant que c'était à la demanderesse qu'il appartenait de fournir une preuve concluante de la mauvaise foi de son employeur.

[48]            À titre subsidiaire, si elle avait appliqué le critère établi par la Section de première instance dans le jugement Sedpex, l'arbitre aurait dû se demander si le « motif réel, effectif et principal » du congédiement de la demanderesse était le « manque de travail » . Faute de preuves sur les motifs du licenciement de la demanderesse (par opposition, sur un plan plus général, aux motifs des licenciements massifs), il est difficile de voir comment l'arbitre pourrait appliquer le critère posé dans le jugement Sedpex.


[49]            Il ressort par ailleurs de la lecture de la décision que la raison pour laquelle l'arbitre n'a pas examiné en entier le processus de prise de décision était qu'elle ne disposait d'aucun élément de preuve au sujet de la décision finale du chef et du conseil.

[50]            La demanderesse affirme que l'arbitre a commis une erreur en ne tirant pas de conclusion négative au sujet du défaut des défendeurs de présenter des éléments de preuve sur le processus de prise de décision suivi par le chef et les conseillers. Elle cite le passage suivant de l'ouvrage de Sopinka & Lederman, The Law of Evidence in Civil Cases (Toronto, Butterworths, 1974) reproduit par le juge Muldoon dans le jugement Bande indienne de Norway House c. Canada [1994] 3 C.F. 376 (C.F. 1re inst.), à la page 414 :

Il est bien connu que le défaut d'une partie ou d'un témoin de présenter une preuve, qu'il est en son pouvoir de produire et qui aurait pu élucider les faits, justifie le tribunal d'en déduire que cette preuve aurait été défavorable à la partie ou au témoin à qui l'on peut reprocher cette omission.

[51]            Cet argument est convaincant, en particulier à la lumière des réserves que l'arbitre a clairement exprimées au sujet des circonstances entourant le licenciement et l'absence d'éléments de preuve dont elle disposait au sujet de la décision du chef et du conseil. L'arbitre devait examiner en totalité le processus de prise de décision ayant conduit aux licenciements pour prendre une décision au sujet de l'alinéa 242(3.1)a) et la bande défenderesse aurait dû soumettre plus d'éléments de preuve pour expliquer sa décision.


[52]            À mon avis, nous sommes en présence d'une interprétation erronée de la loi, et l'application que l'arbitre a faite de la loi aux faits de l'espèce constitue une erreur justifiant l'intervention de la Cour.

[53]            L'arbitre a conclu que, peu importe que la bande d'Enoch se soit rendue coupable ou non d'un détournement de fonds (du fait qu'elle n'avait pas obtenu le consentement du MAINC), la crise financière touchait toutes ces activités et, même si l'argent transféré avait été laissé dans le budget de la santé, on ne peut affirmer que les mêmes licenciements n'auraient pas été effectués. Le détournement de fonds ne constitue donc pas une question déterminante en ce qui concerne la question de la mauvaise foi qui aurait entaché le processus de prise de décision en l'espèce.

[54]            La décision Clements, sur laquelle l'arbitre s'est fondée, prévoit qu'il appartient à l'employeur d'invoquer l'alinéa 242(3.1)a). En particulier, l'employeur doit démontrer clairement la « justification économique » et « expliquer clairement et de façon raisonnable le choix de l'employé licencié » . Après que l'employeur s'est acquitté de ce fardeau de la preuve, l'employé doit ensuite démontrer que la mesure par ailleurs justifiable prise par l'employeur est une « mise en scène » , un « subterfuge » , une mesure « malveillante » ou « détournée » (Clements, au paragraphe 46).


[55]            L'arbitre a commis une erreur en concluant que l'employeur avait satisfait au second volet du critère, en l'occurrence celui qui l'obligeait à fournir une explication raisonnable justifiant le choix de l'employé à licencier. En fait, aucune explication claire n'a été fournie, en grande partie à cause du défaut du chef et des conseillers de présenter des preuves au sujet de la façon dont ils avaient pris ou ratifié la décision. Je conclus également que la décision que l'employeur a prise au sujet du licenciement n'était pas « réelle » . Je souscris à cet égard aux propos formulés par le juge Muldoon dans le jugement Bande indienne de Moricetown c. Morris, [1996] A.C.F. no 1268, paragraphe 30 (C.F. 1re inst.) (QL) :

Bien que le Code impose certaines restrictions aux employeurs, il ne les prive pas de toute liberté de restructurer et réorganiser leur entreprise. M. le juge Pratte, dans l'arrêt Transport Guilbault Inc. c. Scott, A-618-85 (21 mai 1986) (C.A.F.), a déclaré, au sujet de la décision de réduire le personnel : « Dès lors que cette décision est réelle et n'a rien de simulé, on ne saurait interpréter autrement l'article 61.5(3)a) [maintenant l'alinéa 242(3.1)a) du Code canadien du travail] sans limiter indûment la liberté de l'employeur de structurer et organiser son entreprise comme il l'entend. » [Non souligné dans l'original.]

[56]            Je conclus donc que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et que la décision de l'arbitre doit être annulée. L'affaire sera renvoyée à un autre arbitre pour qu'il rende une nouvelle décision.

                                           ORDONNANCE

LA COUR :

1.         ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire ET ANNULE la décision de l'arbitre;

2.         RENVOIE l'affaire à un autre arbitre pour qu'il rende une nouvelle décision.

« Michel Beaudry »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                     T-2057-01

INTITULÉ :                    ARLEEN THOMAS c. BANDE INDIENNE CRIE D'ENOCH, ENOCH (ALBERTA) et DONNA READ

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 14 janvier 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE : LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS : le 31 janvier 2003

COMPARUTIONS :

Me Brent Gawne                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Me Elizabeth Johnson                                            POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gawne & Associates                                            POUR LA DEMANDERESSE

Edmonton (Alberta)

Ackroyd Piasta Roth & Day                                             POUR LES DÉFENDEURS

Edmonton (Alberta)


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