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Date : 20040429

Dossier : T- 831-02

Référence : 2004 CF 622

Ottawa (Ontario), le 29 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

                                                             JOHN SCHOFIELD

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                En 1998, le demandeur a été affecté au consulat de Dusseldorf en qualité de consul et de délégué commercial principal. En janvier 2001, suite à une plainte déposée par le personnel local du consulat, le ministère a mis fin à son affectation et l'a rappelé au Canada. Le 17 mars 2001, il a contesté cette décision par voie de grief au motif qu'il avait injustement fait l'objet d'une sanction disciplinaire qui a conduit à son rappel prématuré. Le 11 juin 2001, le ministère a conclu que le grief du demandeur, au dernier palier de la procédure, n'était pas fondé.

[2]                Par grief antérieur daté du 26 janvier 2001, l'intéressé avait demandé, à titre de redressement, d'être muté, durant l'été 2001, à un poste approprié. Suite à ce grief et avant le retour du demandeur au Canada, le ministère des Affaires étrangères (MAE) lui a offert le poste de délégué commercial au consulat de Détroit (le poste de Détroit) qu'il a accepté. Le niveau et l'échelle de salaire de ce poste ainsi que l'indemnité de service à l'étranger (ISÉ) qui s'y rattachait étaient les mêmes qu'à Dusseldorf. Toutefois, le titre du nouveau poste est moins prestigieux et le titulaire n'y exerce aucune fonction de surveillance sur le personnel. Le demandeur a accepté le poste de Détroit, sans préjudice de son droit à poursuivre le grief du 17 mars 2001.

[3]                Alors que la procédure de grief suivait son cours, et avant d'occuper la nouvelle position, le demandeur s'est absenté plusieurs semaines en congé de maladie. Il allègue qu'il a été forcé de le faire par suite de son rappel.

[4]                Comme il n'était pas satisfait du résultat du grief interne, il a renvoyé le dossier au Conseil d'arbitrage en application de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, chapitre P-35 (LRTFP). À l'audience du Conseil, des éléments de preuve clés ont été présentés avec l'assentiment des parties. De plus, l'arbitre a entendu les observations et les exposés préliminaires des deux parties. Se fondant sur la preuve fournie et les exposés oraux, elle a conclu qu'elle n'avait pas compétence pour instruire le grief.

[5]                Dans ses motifs datés du 7 mai 2002, elle s'est prononcée en ces termes:

[traduction] Même s'il était possible d'alléguer que la cessation anticipée de l'affectation peut s'apparenter à une mesure disciplinaire (ce qui, pour le plaignant, est bien difficile à prouver) en raison du droit de l'employeur à gérer son bureau, assigner les tâches et prendre les mesures administratives appropriées, il reste que la sanction pécuniaire dont excipe le plaignant (à savoir: le congé de maladie) ne constitue pas, à première vue du moins, une sanction de cet ordre, mais plutôt une sorte de congé qui, de surcroît, est survenu après le dépôt du grief. En supposant qu'on puisse prétendre, en l'espèce, que ce congé de maladie devrait être assimilé à une sanction pécuniaire (et là, le fardeau de la preuve est encore bien lourd), il n'en demeure pas moins que ce fait est survenu plusieurs mois après le grief. Je suis d'avis, de ce qui précède, que le plaignant ne peut plus alléguer qu'au moment de signer le présent grief, il avait fait l'objet d'une mesure disciplinaire qui s'est traduite par une sanction pécuniaire. Par conséquent, même si les faits allégués dont m'a fait part le représentant du plaignant étaient prouvés, la conclusion qu'aucune sanction pécuniaire n'existait au moment du grief resterait la même. De plus, le grief ne faisait état d'aucune sanction de cet ordre ni n'en faisait mention dans la demande de redressement, sans compter qu'aucune demande n'a été présentée en vue de modifier le grief. Quant à l'argument voulant que le poste de Détroit constitue une rétrogradation, j'accueille l'argumentation de l'avocat de l'employeur.

Pour tous ces motifs, le grief est rejeté pour défaut de compétence.

QUESTIONS EN LITIGE

[6]                Pour déterminer si l'arbitre a conclu à juste titre qu'elle n'avait pas compétence pour poursuivre l'instruction du litige, il y a lieu de trancher les deux questions suivantes :

1.          L'arbitre a-t-elle fait erreur en concluant que le congé de maladie ou la perte éventuelle de l'ISÉ du plaignant ne constituait pas une sanction pécuniaire aux termes de l'alinéa 92(1)b) de la LRTFP?

2.          L'arbitre a-t-elle fait erreur en concluant que le plaignant n'a pas fait l'objet de rétrogradation aux termes de l'alinéa 92(1)b) de la LRTFP?


TEXTES DE LOIS PERTINENTS

[7]                Aux termes de l'article 91 de la LRTFP, un employé peut présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue par la Loi contre une décision de l'employeur. S'il n'obtient pas satisfaction, il peut recourir aux procédures prévues à l'article 92. Cet article dispose :


Renvoi d'un grief à l'arbitrage

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur:

a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

Reference of grievance to adjudication

92. (1) Where an employee has presented a grievance, up to and including the final level in the grievance process, with respect to

(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award,

(b) in the case of an employee in a department or other portion of the public service of Canada specified in Part I of Schedule I or designated pursuant to subsection (4),

(i) disciplinary action resulting in suspension or a financial penalty, or

(ii) termination of employment or demotion pursuant to paragraph 11(2)(f) or (g) of the Financial Administration Act, or

c) in the case of an employee not described in paragraph (b), disciplinary action resulting in termination of employment, suspension or a financial penalty,

and the grievance has not been dealt with to the satisfaction of the employee, the employee may, subject to subsection (2), refer the grievance to adjudication.


[8]                Les alinéas 11(2)f) et g) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, chapitre F-11 (LGFP) s'énoncent comme il suit :



Gestion du personnel

(2) Sous réserve des seules dispositions de tout texte législatif concernant les pouvoirs et fonctions d'un employeur distinct, le Conseil du Trésor peut, dans l'exercice de ses attributions en matière de gestion du personnel, notamment de relations entre employeur et employés dans la fonction publique:

f) établir des normes de discipline dans la fonction publique et prescrire les sanctions pécuniaires et autres y compris le licenciement et la suspension, susceptibles d'être appliquées pour manquement à la discipline ou pour inconduite et indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces sanctions peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;

g) prévoir, pour des raisons autres qu'un manquement à la discipline ou une inconduite, le licenciement ou la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur des personnes employées dans la fonction publique et indiquer dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs ces mesures peuvent être appliquées, modifiées ou annulées, en tout ou en partie;

g.1) prévoir le licenciement d'un employé à qui une offre d'emploi est faite en raison du transfert d'une activité ou entreprise d'un secteur de la fonction publique mentionné à la partie I de l'annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique à une entité qui constitue un employeur distinct ou qui ne fait pas partie de la fonction publique, et indiquer dans quelles conditions et selon quelles modalités, dans quelles circonstances, de quelle manière, par qui et en vertu de quels pouvoirs cette mesure peut être appliquée, modifiée ou annulée, en tout ou en partie;

Powers and functions of Treasury Board in relation to personnel management

(2) Subject to the provisions of any enactment respecting the powers and functions of a separate employer but notwithstanding any other provision contained in any enactment, the Treasury Board may, in the exercise of its responsibilities in relation to personnel management including its responsibilities in relation to employer and employee relations in the public service, and without limiting the generality of sections 7 to 10,      

(f) establish standards of discipline in the public service and prescribe the financial and other penalties, including termination of employment and suspension, that may be applied for breaches of discipline or misconduct, and the circumstances and manner in which and the authority by which or whom those penalties may be applied or may be varied or rescinded in whole or in part;

(g) provide for the termination of employment, or the demotion to a position at a lower maximum rate of pay, for reasons other than breaches of discipline or misconduct, of persons employed in the public service, and establishing the circumstances and manner in which and the authority by which or by whom those measures may be taken or may be varied or rescinded in whole or in part;

(g.1) provide for the termination of employment of an employee to whom an offer of employment is made as the result of the transfer of any work, undertaking or business from a portion of the public service specified in Part I of Schedule I to the Public Service Staff Relations Act to any body or corporation that is a separate employer or that is outside the public service, and establish the terms and conditions under which, the circumstances and manner in which and the authority by which or by whom that termination may be made or may be varied or rescinded in whole or in part;


NORME DE CONTRÔLE

[9]                Pour établir la norme de contrôle appropriée, la Cour est appelée à étudier les quatre éléments ci-après, suivant le critère pragmatique et fonctionnel :

1.          la présence ou l'absence d'une disposition privative ou d'un droit d'appel prévu par la loi,

2.          l'expertise relative du tribunal et de la Cour,

3.          l'objet de la loi et

4.          la nature de la question.

En l'espèce, il n'existe ni clause privative ni droit d'appel garanti par la loi favorisant une grande ou une moindre retenue. Bien qu'en général le Conseil ait acquis une expertise relativement grande (Alliance de la fonction publique du Canada c. Commission de la capitale nationale, [1997] A.C.F. n ° 1418) qui incline vers un haut degré de retenue, les dispositions en question visent à régler les conflits entre le gouvernement et un individu et toutes les questions en litige comportent des éléments de droit auxquels le Conseil n'est pas particulièrement rompu. Par conséquent, il y aurait lieu d'accorder à la décision du Conseil un degré de retenue relativement faible, le critère du bien-fondé étant la norme de contrôle appropriée.


Question 1 : L'arbitre a-t-elle fait erreur en concluant que le congé de maladie ou la perte éventuelle de l'ISÉ du demandeur ne constituait pas une sanction pécuniaire aux termes de l'alinéa 92(1)b) de la LRTFP?

[10]            Aux termes de l'article 92 de la LRTFP, le pouvoir de l'arbitre se limite à étudier un grief qui s'inscrit dans le cadre des procédures de grief internes. Comme l'a dit le juge Thurlow, alors juge en chef, au sujet paragraphe 91(1) de la LRTFP dans la cause Burchill c. Canada (Procureur général), 37 N.R. 530 (C.A.F.), au paragraphe 5 :

... À notre avis, après le rejet de son seul grief présenté au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, le requérant ne pouvait présenter à l'arbitrage un nouveau grief ou un grief différent, ni transformer son grief en un grief contre une mesure disciplinaire entraînant le congédiement au sens du paragraphe 91(1). En vertu de cette disposition, seul un grief présenté et réglé conformément à l'article 90 ou visé à l'alinéa 91(1)a) ou b) peut être envoyé à l'arbitrage. À notre avis, puisque le requérant n'a pas énoncé dans son grief la plainte dont il aurait voulu saisir l'arbitre, à savoir que sa mise en disponibilité n'était, en vérité, qu'une mesure disciplinaire camouflée, rien ne vient donner à l'arbitre compétence pour connaître du grief en vertu du paragraphe 91(1). Par conséquent, l'arbitre n'a pas compétence.

[11]            En l'espèce, le demandeur décrit ainsi son grief :

[traduction] Je formule le présent grief pour avoir injustement fait l'objet d'une mesure disciplinaire pour une prétendue inconduite, ce qui a entraîné mon rappel anticipé du poste que j'occupais à Dusseldorf.

[12]            L'action en redressement réclamait :

-                [TRADUCTION] Que la décision de rappel soit annulée.

-                Que tous les documents relatifs à cette question soient retirés de mon dossier.

[13]            Le plaignant n'a, à aucun moment, fait mention d'une sanction pécuniaire qui l'aurait frappé telle que la perte éventuelle de l'ISÉ. En outre, il a omis de modifier son grief en vue d'évoquer la question du congé de maladie après qu'il l'eut pris en mai et juillet 2001. Étant donné que la compétence de l'arbitre est déterminée par l'exposé initial du grief, l'arbitre n'a pas incorrectement conclu au défaut de compétence à connaître du grief en application de l'alinéa 92(1)b) de la LRTFP. Après tout, le grief du 17 mars 2001 ne fait aucune allusion à une sanction pécuniaire.

Question 2 . L'arbitre a-t-elle fait erreur en concluant que le demandeur n'a pas été rétrogradé aux termes de l'alinéa 92(1)b) de la LRTFP?

[14]            Le demandeur allègue que l'arbitre n'a pas suffisamment expliqué pourquoi les agissements du ministère ne constituaient pas une rétrogradation; de plus, elle n'a pas examiné s'il avait ou non fait l'objet d'une telle sanction aux termes des alinéas 11(2)f) ou g) de la LGFP.

[15]            À la page 4 de ses motifs, l'arbitre a déclaré avoir accueilli les arguments du défendeur disant que l'affectation à Détroit ne constituait pas une rétrogradation. Elle a résumé ces arguments à la page 3 de ses motifs, en ces termes :

[traduction] L'avocat de l'employeur a résumé son argumentation en disant que du fait que la sanction pécuniaire n'a pu être établie, il y aurait lieu de mettre résolument fin à ce litige. Il a également affirmé qu'une rétrogradation s'accompagne nécessairement d'une perte de salaire, que le plaignant n'en souffle pas mot dans son grief et qu'il ne faudrait pas lui permettre d'engager une nouvelle procédure à cet effet.

[16]            Plus pertinemment et à l'instar de la sanction pécuniaire exposée ci-dessus, le demandeur n'a pas allégué durant la procédure de grief interne qu'il avait été rétrogradé à la suite de son rappel de Dusseldorf. Il s'est préoccupé plutôt du rappel anticipé de son poste et des traces qu'il aurait peut-être laissées dans son dossier professionnel. Les arguments du demandeur sont donc sans valeur au regard des deux alinéas 11(2)f) et g) de la LGFP. L'arbitre a jugé avec raison que la question de la rétrogradation n'ayant pas été soulevée dans le grief original, elle n'avait donc pas compétence pour l'instruire.

CONCLUSION

[17]            La présente demande est partant rejetée. L'arbitre a conclu correctement qu'elle n'avait pas compétence en la matière.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée.

                                                                        « K. von Finckenstein »          

                                                                                                     Juge                     

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                          T-831-02

INTITULÉ :                                         JOHN SCHOFIELD

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                   OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE 26 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                        LE 29 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

JAMES CAMERON

POUR LE DEMANDEUR

RICHARD E. FADER

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RAVEN, ALLEN, CAMERON, BALLANTYNE & YAZBECK

OTTAWA (ONTARIO)

POUR LE DEMANDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

OTTAWA (ONTARIO)

POUR LE DÉFENDEUR


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