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Date : 20031015

Dossier : T-992-02

Référence : 2003 CF 1193

Entre :

                IRIS, LE GROUPE VISUEL (1990) INC.

                                                       Demanderesse/

                                   défenderesse reconventionnelle)

Et :

                TRUSTUS INTERNATIONAL TRADING INC.

                                                       Défenderesse/

                                   demanderesse reconventionnelle)

                      MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                 Il s'agit en l'espèce d'une requête pour en appeler de la décision rendue par le protonotaire Richard Morneau en date du 15 mai 2003, refusant en partie à la demanderesse d'amender sa déclaration et accordant les dépens à la défenderesse dans le cadre d'une action en violation de marques de commerce.

[2]                 Le 18 mars 2003, la demanderesse a présenté une requête afin d'être autorisée à amender sa déclaration et, plus particulièrement, à:


a)      attraire à la procédure monsieur Jack Wang, monsieur Devun Walsh et monsieur Rob Dow, personnellement et solidairement avec la défenderesse/intimée;

b)      rechercher contre la défenderesse/intimée et contre lesdits Jack Wang, Devun Walsh et Rob Dow, personnellement et solidairement, une condamnation pour dommages punitifs d'un montant équivalent à un million de dollars chacun, plus une condamnation personnelle et solidaire pour les frais et honoraires extrajudiciaires encourus par la demanderesse/requérante;

c)      rendre l'ordonnance recherchée opposable à l'encontre de quiconque au Canada serait en possession de toute marchandise ainsi contrefaite, dans le but de les vendre ou les distribuer de quelque manière que ce soit; et

d)      voir déclarer que la défenderesse/intimée fait un usage illicite de la marque de commerce IRIS.

[3]                 Par sa décision en date du 15 mai 2003, le protonotaire Richard Morneau a autorisé la demanderesse à amender sa déclaration pour inclure la conclusion, contenue au paragraphe d), selon laquelle la défenderesse fait un usage illicite de la marque de commerce IRIS. Cependant, le protonotaire a rejeté les amendements contenus aux paragraphes a) et b). D'autre part, la demanderesse s'est désistée de l'amendement contenu au paragraphe c) lors de l'audition de la requête.


[4]                 Dans les motifs de sa décision, le protonotaire Morneau a justifié son refus d'autoriser les amendements recherchés par le fait qu'à son avis les allégations de la déclaration amendée telle que projetée par la demanderesse n'ont su révéler des faits essentiels suffisants pour engager à juste titre la responsabilité de messieurs Wang, Walsh et Dow en tant que défendeurs à titre personnel.

[5]                 En résumé, la demanderesse soumet que les amendement sollicités doivent être accueillis aux motifs que:

a)          Les amendements ne portent pas préjudice à Trustus;

b)          Les amendement sollicités sont suffisants pour rechercher la condamnation solidaire de messieurs Wang, Walsh et Dow avec Trustus; et

c)          Les amendements sollicités ne sont pas nettement, manifestement et indubitablement dénués de toute chance de succès.

[6]                 La demanderesse cite le jugement The Queen v. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 F.C. 425 (F.C.A.), où le juge MacGuigan a déterminé la norme de contrôle pour les décisions d'un protonotaire comme suit:

Discretionary orders of prothonotaries ought not to be disturbed on appeal to a judge unless:

a)      they are clearly wrong, in the sense that the exercise of discretion by the prothonotary was based upon a wrong principle or upon a misapprehension of the facts, or

b)      they raise questions vital to the final issue of the case.


Where such discretionary orders are clearly wrong in that the prothonotary has fallen into error of law (a concept in which I include a discretion based upon a wrong principle or upon a misapprehension of the facts), or where they raise questions vital to the final issue of the case, a judge ought to exercise his own discretion de novo.

[7]                 La demanderesse argumente que l'on se retrouve précisément en présence d'un de ces cas nécessitant l'intervention d'un juge en appel car, à son avis, la décision du protonotaire est entachée d'erreurs flagrantes.

[8]                 Tout d'abord, la demanderesse soumet que le protonotaire ne peut pas rejeter les amendements sollicités pour motif d'absence de preuve à l'appui des prétentions qu'ils contiennent car la nature même d'un acte de procédure, telle que définie dans les Règles de la Cour fédérale et délimitée par la jurisprudence, exige uniquement un exposé concis des faits et non pas les moyens de preuve à l'appui de ces faits.

[9]                 Ensuite, la demanderesse soumet que le protonotaire a erré en droit en ce qu'il a ignoré les dispositions des articles 75, 81.1, et 201 des Règles de la Cour fédérale et la jurisprudence applicable en matière de responsabilité des dirigeants de compagnie.


[10]            Plus précisément, la demanderesse soumet que le protonotaire a ignoré le principe selon lequel on doit permettre l'amendement à moins qu'il ne soit clair et évident que l'amendement soit voué à l'échec; qu'il n'a pas tenu pour vrais les faits allégués dans l'affidavit de madame Lucie Laurin (la principale dirigeante de l'appelante); qu'il n'a pas tenu compte du fait que les affidavits produits au soutien des requêtes peuvent reposer sur des croyances et sur des informations; qu'il a fait preuve d'une méconnaissance des principes régissant les demandes de dommages punitifs; qu'il n'a pas examiné les allégations figurant dans la déclaration amendée et qu'il a ignoré la jurisprudence applicable en matière de responsabilité des dirigeants de compagnie.

[11]            Ainsi, la demanderesse soutient que le protonotaire a erré en exerçant son pouvoir discrétionnaire en vertu d'une mauvaise appréciation des faits et en ignorant certains faits d'une importance capitale.

[12]            Bref, la demanderesse soumet que la décision du protonotaire doit faire l'objet d'une révision de novo par la Cour. Elle soutient que la Cour doit exercer sa discrétion de novo, réformer la décision du protonotaire et autoriser IRIS à procéder aux amendements sollicités, le tout avec dépens.


[13]            De son côté, la défenderesse rappelle également le principe jurisprudentiel élaboré dans l'affaire The Queen v. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 F.C. 425 (F.C.A.), préconisant une déférence certaine à l'égard de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du protonotaire pour argumenter qu'en l'espèce, il n'y a pas lieu d'intervenir car la décision du protonotaire Richard Morneau n'est aucunement entachée d'une erreur flagrante.

[14]            La défenderesse soumet ensuite, jurisprudence à l'appui, qu'afin de pouvoir poursuivre les dirigeants et administrateurs d'une compagnie personnellement, il est nécessaire de démontrer que les parties ont, de façon délibérée, adopté une ligne de conduite ayant pour but de tirer profit des droits de la demanderesse.

[15]            Par ailleurs, en ce qui concerne les dommages punitifs et exemplaires, la défenderesse souligne que ce genre de dommages n'est accordé qu'exceptionnellement et qu'en présence de conduites totalement inexcusables, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

[16]            Enfin, la défenderesse argumente que bien que les faits plaidés dans un acte de procédure doivent être présumés vrais afin de déterminer si l'amendement devrait être accepté, cela n'équivaut pas à prétendre que les faits contenus dans l'affidavit au soutien de la requête pour obtenir cet amendement doivent également être tenus pour véridiques.


[17]            Bref, la défenderesse soumet que le présent appel devrait être rejeté. De plus, la défenderesse prétend que même si la Cour est d'avis qu'elle doit exercer sa discrétion de novo, les amendements recherchés doivent être refusés, le tout avec dépens.

[18]            Le principe selon lequel un amendement devra être accueilli à moins qu'il ne soit établi qu'il n'avait clairement aucune chance de succès a été énoncé et suivi à nombreuses reprises par les tribunaux notamment par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Apotex Inc. c. Eli Lilly & Co. (2002) 22 C.P.R. (4th) 19 (F.C.A.).

[19]            Malgré l'apparence plutôt rigide de cette règle, le décideur dispose néanmoins d'une certaine marge de manoeuvre dans son évaluation de ce qui constitue un amendement qui, de façon claire et évidente, est voué à l'échec. Ainsi, le décideur bénéficie toujours d'une certaine discrétion dans son appréciation de l'ensemble de la preuve qui l'aiderait à déterminer si on est bien en présence d'une situation qui justifierait le refus de l'amendement.


[20]            En l'espèce, le protonotaire Richard Morneau, à la lumière de l'ensemble de la preuve et après avoir considéré les règles de droit applicables, a décidé de refuser les amendements recherchés par la demanderesse. À mon avis, le protonotaire Morneau n'a pas erré dans l'appréciation de l'ensemble du dossier pour arriver à sa conclusion et, par conséquent, sa décision ne contient aucune erreur flagrante qui justifierait l'intervention de cette Cour.

[21]             Tout d'abord, il importe de souligner que le protonotaire Morneau était familier avec la jurisprudence préconisant l'acceptation des amendements et l'a mentionné dans sa décision et que, s'il s'est écarté de cette règle générale, c'est en partie en considération d'un autre principe jurisprudentiel, élaboré par Cour d'appel fédérale dans l'affaire Painblanc v. Kastner (1994) 58 C.P.R. (3d) 502 (F.C.A.) où la Cour, sous la plume du juge Hugessen, énonçait:

"It was perfectly clear from the material before the motion judge that the plaintiffs/ respondents had no other evidence and knew of no facts which would engage the personal liability of Painblanc beyond his position as controlling shareholder and sometime managing director of the company. This is manifestly not enough [...] An action at law is not a fishing expedition and a plaintiff who starts proceedings simply in hope that something will turn up abuses the court's process."

[22]            Les faits de la présente cause sont similaires à ceux de l'affaire Painblanc car rien dans les actes de procédure de la demanderesse, pas plus que dans l'affidavit au soutien desdits actes, ne semble suggérer une participation personnelle de messieurs Wang, Walsh et Dow aux infractions reprochées à la défenderesse.


[23]            Par ailleurs, comme l'a souligné la défenderesse, l'existence d'une personnalité distincte chez une corporation a amené les tribunaux à être très exigeants lorsqu'il fallait conclure à la responsabilité personnelle des dirigeants d'une compagnie.

[24]            Plus précisément, pour que les dirigeants et administrateurs d'une compagnie soient personnellement responsables de contrefaçon, la compagnie doit avoir été fondée dans le but même de contrefaire les droits de la partie demanderesse. En effet, pour reprendre les mots du juge Le Dain dans l'affaire Mentmore Manufacturing Co. V. National Merchandise Manufacturing Co. (1978) 40 C.P.R. (2d) 164 (F.C.A.), alors qu'il siégeait à la Cour fédérale d'appel:

"there must be circumstances from which it is reasonable to conclude that the purpose of the director or officer was not the direction of manufacturing, and selling activity of the company in the ordinary course of his relationship to it, but the deliberate, willful and knowing poursuit of a course of conduct that was likely to constitute infringement or reflected an indifference to the risk of it."                                 

                                                                      (C'est moi qui souligne)

[25]            Or, rien dans le dossier de la Cour (ni l'affidavit de Mme Laurin, ni l'article de presse produit au soutien dudit affidavit) ne semble constituer l'ombre d'un indice à cet effet.


[26]            En ce qui a trait à l'appréciation de la preuve par le protonotaire et en réponse à l'argument de la demanderesse selon lequel le protonotaire a erré en ne tenant pas pour véridique le contenu de l'affidavit de Mme Laurin, je fais mien l'argument de la défenderesse à l'effet que l'exigence que les faits contenus dans un acte de procédure soient tenus pour véridiques ne veut pas dire pour autant que les faits contenus dans l'affidavit au soutien dudit acte de procédure doivent également être tenus pour véridiques.

[27]            En ce qui concerne le refus du deuxième amendement recherchant une condamnation pour dommages punitifs et exemplaires contre l'intimée ainsi que contre messieurs Wang, Walsh et Dow, je suis d'avis qu' il est, à l'instar du refus du premier amendement, justifié et ne nécessite pas une intervention de cette Cour.

[28]            En effet, puisque je suis arrivé à la conclusion qu'il n'y a pas lieu de permettre la poursuite à titre personnel de messieurs Wang, Walsh et Dow, alors il va de soi qu'a fortiori il n'y a pas lieu de permettre une poursuite pour dommages punitifs et exemplaires contre ces derniers à titre personnel.


[29]            Enfin, je tiens à m'attarder quelques instants sur l'argument de la demanderesse à l'effet que le protonotaire aurait du faire preuve de déférence dans l'appréciation de la preuve et laisser cette responsabilité au juge du fond. Je dois dire que je ne partage pas du tout cette opinion. Le protonotaire n'est pas un simple fonctionnaire à qui l'on demande d'effectuer un travail purement administratif et dépourvu de toute réflexion. Il a une formation en droit et son rôle est de faciliter l'administration de la justice à cette Cour. Sa réflexion sur les éléments d'un dossier est non seulement souhaitable mais nécessaire au bon fonctionnement de cette Cour. La décision du protonotaire Morneau, loin d'être une décision ultra vires, est le fruit de prise en considération de facteurs tant juridiques (étanchéité juridique entre une corporation et ses dirigeants) que pratiques (ne pas alourdir inutilement le système judiciaire, limiter le débat devant le juge du fond aux véritables parties impliquées).

[30]            J'accorde les frais ainsi que les déboursés que je fixe à 1 500,00$ à la défenderesse peu importe l'issue de la cause.

ligne

      JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 15 octobre 2003


                        COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                     

DOSSIER :                  T-992-02

INTITULÉ:                 Iris, Le Groupe Visuel (1992) Inc. c. Trustus International Trading Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :     Montréal, Québec

DATE DE L'AUDIENCE :      Mardi, le 16 septembre 2003

MOTIFS :                    L'honorable juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :        Le 15 octobre 2003

COMPARUTIONS:           

Me Paul-André Mathieu       POUR LA DEMANDERESSE

(Défenderesse reconventionnelle)

Me Hélène D'Iorio           POUR LA DÉFENDERESSE

(Demanderesse reconventionnelle)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

MATHIEU ET ASSOCIÉS        POUR LA DEMANDERESSE

Montréal, Québec            (Défenderesse reconventionnelle)

GOWLING, LAFLEUR,           POUR LA DÉFENDERESSE

HENDERSON, s.r.l.            (Demanderesse reconventionnelle)

Montréal, Québec


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