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Date : 20030328

Dossier : IMM-1603-01

Référence neutre : 2003 CFPI 368

Ottawa (Ontario), le 28 mars 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                                  MEILI CHEN

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision par laquelle une agente des visas du Consulat général du Canada à New York a refusé, en date du 15 mars 2001, d'accorder à la demanderesse le statut de résidente permanente du Canada.

[2]                La demanderesse prie la Cour de lui accorder :

1.          Une ordonnance de la nature d'un bref de certiorari annulant la décision de l'agente des visas.

2.          Une ordonnance de la nature d'un bref de mandamus ou, subsidiairement, une directive enjoignant au défendeur de délivrer ses visas d'immigrant.

3.          Une ordonnance de la nature d'un bref de mandamus ou, subsidiairement, une directive enjoignant au défendeur, le cas advenant qu'une nouvelle entrevue soit nécessaire, d'enregistrer celle-ci ou de permettre à son avocat d'y être présent et de défrayer tous les frais, notamment les honoraires professionnels, qu'elle devra alors engager.

4.          Une ordonnance de la nature d'une déclaration statuant que les agents d'évaluation doivent accorder « pleinement foi et crédibilité » à ceux, comme elle, qui : a) ont un emploi assuré dans la « profession envisagée » à l'extérieur de leur patrie; b) ont un revenu au moins égal au revenu précisé dans les directives pour le parrainage d'une famille de la taille de la sienne; et c) ont accumulé le montant d'actif nécessaire pour une famille de la taille de la sienne (autrement dit, le défendeur doit reconnaître qu'ils [traduction] « pourront (également) réussir leur installation au Canada » ).

5.          Une ordonnance de la nature d'un bref de mandamus contraignant un agent à faire la révision de bonne foi, conformément au paragraphe 11(3) du Règlement, ou à approuver son visa d'immigrant.

6.          Une ordonnance de la nature d'un bref de mandamus ou, subsidiairement, une directive enjoignant au défendeur de finaliser la présente affaire dans un délai de quatre mois.


7.          Toute ordonnance favorable que la Cour estime appropriée.

8.          L'adjudication des frais et honoraires juridiques au montant de 8 600 $ plus les frais d'interrogatoire.

Contexte

[3]                La demanderesse est une citoyenne de la Chine qui réside aux États-Unis sans statut juridique. Le 20 mai 1998, elle a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des travailleurs autonomes. Elle y a précisé que sa profession actuelle et la profession envisagée était celle de chef principale. Sa demande indiquait qu'elle avait travaillé en Chine et aux États-Unis comme cuisinière, chef ou chef principale depuis 1984. La demanderesse avait l'intention d'ouvrir un restaurant de cuisine chinoise en Colombie-Britannique.

[4]                Le 6 mars 2001, l'agente des visas a rencontré la demanderesse à l'occasion d'une entrevue au Consulat général du Canada à New York. Un interprète était présent à cette entrevue.

[5]                Dans une lettre datée du 15 mars 2001, l'agente des visas a informé la demanderesse que sa demande de résidence permanente au Canada avait été refusée. Elle y mentionnait ce qui suit :

[traduction]

J'ai maintenant terminé l'évaluation de votre demande. Compte tenu des renseignements que vous avez fournis dans votre demande et à l'entrevue, j'ai le regret de vous informer que vous ne répondez pas aux critères d'admission au Canada. Vous avez été évaluée au regard de la profession de chef indépendant (CNP 62413). Voici la répartition des points d'appréciation :


Âge                                                           10

Demande professionnelle                         00

Études et formation                                 07

Expérience                                                00

Emploi réservé                                         00

Facteur démographique                            08

Éducation                                                 13

Anglais                                                     00

Français                                                    00

Points supplémentaires                           00

Personnalité                                             03

TOTAL                                                   41

[¼] Comme je ne suis pas convaincue que vous serez en mesure de réussir à vous établir au Canada dans votre profession ou votre entreprise, je suis dans l'impossibilité de vous attribuer les 30 points d'appréciation accordés aux travailleurs autonomes.

Rien n'indique dans les documents que vous avez fournis à l'entrevue et dans ce que vous avez affirmé que vous avez une expérience quelconque comme chef principale ou comme travailleuse autonome. Vous n'avez pas réussi à démontrer que vous aviez déjà exploité une entreprise ou travaillé à votre compte. À l'entrevue, vous n'avez présenté aucun document crédible prouvant que vous avez réellement travaillé comme chef principale. À mon avis, vous ne disposez pas de toute l'expérience, des compétences, des connaissances et des habiletés nécessaires pour être en mesure de vous établir avec succès dans la profession de chef principal. Considérant toutes ces raisons, je ne suis pas convaincue que vous serez en mesure de réussir à vous établir au Canada dans l'entreprise proposée.

[¼]

[6]                Cette décision de l'agente des visas fait l'objet du présent contrôle judiciaire.

Arguments de la demanderesse


[7]                La demanderesse allègue que l'agente des visas a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Elle fait valoir que sa demande était vouée à l'échec dès le début parce qu'elle n'avait aucune confirmation officielle de son revenu aux États-Unis, telle que des documents fiscaux, et que l'agente des visas a refusé d'accepter qu'elle avait travaillé comme chef ou qu'elle disposait de l'actif déclaré. Elle soutient que le rejet arbitraire de son actif et de son expérience est au coeur de sa demande et qu'il est suffisant pour justifier l'annulation de la décision. La demanderesse prétend que l'agente des visas a de plus entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en fondant en partie sa décision sur le fait qu'elle n'avait jamais exploité sa propre entreprise. L'agente aurait de ce fait implicitement allégué que l'expérience déclarée était fausse.

[8]                La demanderesse soutient que l'agente des visas a tenu compte dans son analyse de considérations injustifiées, telles que l'inaptitude de son mari à parler l'anglais et le fait qu'elle n'ait pas ouvert de commerce aux États-Unis alors qu'elle s'y trouvait illégalement.

[9]                Il est allégué que l'agente des visas a tiré des conclusions de fait erronées notamment en affirmant que la demanderesse n'avait exercé aucune fonction de supervision, qu'elle ne connaissait pas le nom de la personne à laquelle elle commandait des fournitures et qu'elle ne savait pas à quel endroit son fournisseur était situé.


[10]            Selon la demanderesse, l'agente des visas avait un parti pris car elle était plutôt portée à tirer des conclusions négatives sans fondement, elle a refusé de faire des efforts pour établir si la demanderesse travaillait bien au restaurant pour lequel elle avait déclaré travailler, elle a beaucoup trop mis l'accent sur les documents fiscaux et elle voulait se venger des gens qui, comme la demanderesse, ne jouissaient pas d'un statut d'immigrant approprié aux États-Unis. Il est allégué que l'agente des visas n'a pas du tout tenu compte du sacrifice que la demanderesse a fait et du risque que celle-ci a pris en allant aux États-Unis et qu'elle ne s'est même jamais demandé si la demanderesse était susceptible de subvenir à ses besoins dans la province de destination visée. La demanderesse fait valoir que l'agente des visas avait un parti pris contre elle et les demandeurs se trouvant dans une situation semblable et que cela avait été démontré lorsque l'avocat a refusé de laisser l'agente des visas répondre aux questions portant sur la manière dont elle avait traité les demandeurs se trouvant dans une situation semblable.

[11]            La demanderesse fait remarquer qu'il s'agit de la troisième demande découlant de la même demande de visa et soutient que, si elle a droit à un traitement égal en vertu de la loi, le paiement des frais juridiques serait alors approprié. Elle affirme qu'en raison du fait que le ministre a limité les demandeurs de la catégorie des gens d'affaires aux « centres d'excellence » , les agents devraient être tenus d'observer une norme plus rigoureuse et, lorsqu'ils ne satisfont pas à cette norme, ils devraient rembourser les demandeurs pour avoir omis de manifester le minimum d'expertise qu'ils se sont publiquement engagés à fournir. Il est allégué que, si aucun risque de responsabilité n'est rattaché à une décision injustifiée, il n'y a pas lieu de fournir du personnel convenablement formé ni de corriger les erreurs et que, si la Couronne est tenue responsable, la partie gagnante devrait avoir droit à ses dépens et ne pas avoir à engager de frais supplémentaires pour l'entrevue.


Arguments du défendeur

[12]            Le défendeur soutient que l'agente des visas a exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi lorsqu'elle a établi que la demanderesse ne répondait pas à la définition de « travailleur autonome » et qu'elle n'a pas commis d'erreur de droit ni manqué au devoir d'agir équitablement approprié à cette décision administrative discrétionnaire.

[13]            Le défendeur allègue que, pour obtenir gain de cause dans la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse doit faire la démonstration d'une erreur de droit manifeste à la lecture du dossier ou d'un manquement au devoir d'agir équitablement approprié à cette décision discrétionnaire.

[14]            Selon le défendeur, l'affidavit de Priscilla Lee, l'assistante du procureur de la demanderesse, est inconvenant et inadmissible et aucune importance ne devrait lui être accordée. Le défendeur prétend que cet affidavit ne confirme aucun fait intéressant la demande de résidence permanente mais, au contraire, qu'il consiste en une série de déclarations constituant l'opinion et les idées de son auteure. Il soutient que cet affidavit viole les Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106.


[15]            Le défendeur est d'avis que la demande a été refusée parce que la demanderesse n'est pas parvenue à convaincre l'agente des visas qu'elle avait la compétence nécessaire pour établir une entreprise au Canada. L'agente des visas a conclu que la demanderesse n'était pas crédible et cette conclusion générale s'étendait à toute la preuve pertinente.

[16]            Le défendeur note que la demanderesse n'a pas contesté les inférences défavorables de l'agente des visas quant à sa crédibilité ni la conclusion générale à cet égard. À ce titre, le défendeur soutient que la question de la prétendue entrave à l'exercice du pouvoir discrétionnaire, soulevée par la demanderesse, est par conséquent non pertinente. En tout état de cause, le défendeur maintient que l'allégation d'entrave à l'exercice du pouvoir discrétionnaire est mal fondée. Il est allégué que, dans les circonstances, il n'était pas déraisonnable pour l'agente des visas de douter que les éléments d'actifs déclarés par la demanderesse étaient les siens et qu'elle pouvait en disposer.

[17]            Le défendeur soutient que l'expérience antérieure des affaires n'est pas le seul critère à considérer, mais un facteur important, dans l'évaluation de la demanderesse au regard de la catégorie « économique » des travailleurs autonomes. Il est allégué que, dans sa décision, l'agente des visas a correctement mis en examen, outre le manque de preuve crédible corroborant l'expérience de travail de la demanderesse, l'absence totale d'expérience antérieure dans les affaires.


[18]            Le défendeur fait valoir que l'agente des visas n'a pas fondé sa décision sur le manque d'aptitude du mari à parler l'anglais ni sur le fait que la demanderesse n'a pas ouvert d'entreprise aux États-Unis. Ces deux éléments étaient simplement des réponses notées par l'agente des visas durant l'entrevue.

[19]            Le défendeur maintient que les inférences négatives faites par l'agente des visas étaient tout à fait raisonnables, à la lumière du dossier dont elle disposait.

[20]            Selon le défendeur, les allégations de parti pris et de mauvaise foi sont sans fondement. Il est allégué que si la demanderesse était d'avis que les refus de répondre au contre-interrogatoire de l'agente des visas n'étaient pas justifiés, il lui était loisible de présenter une requête pour la forcer à répondre.

[21]            Questions en litige

1.          L'agente des visas a-t-elle entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en important ses propres critères?

2.          La décision de l'agente des visas est-elle fondée en partie sur des considérations non pertinentes?

3.          L'agente des visas a-t-elle tiré une conclusion de fait erronée?

4.          L'agente des visas a-t-elle omis d'agir de bonne foi à l'entrevue?

5.          L'agente des visas a-t-elle un parti pris contre les demandeurs comme Meili Chen?

6.          Le défendeur devrait-il payer des frais juridiques importants à la demanderesse?


Dispositions législatives et règlements pertinents

[22]            Les dispositions pertinentes de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, sont rédigées comme suit :

6. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, tout immigrant, notamment tout réfugié au sens de la Convention, ainsi que toutes les personnes à sa charge peuvent obtenir le droit d'établissement si l'agent d'immigration est convaincu que l'immigrant satisfait aux normes réglementaires de sélection visant à déterminer s'il pourra ou non réussir son installation au Canada, au sens des règlements, et si oui, dans quelle mesure.

6. (1) Subject to this Act and the regulations, any immigrant, including a Convention refugee, and all dependants, if any, may be granted landing if it is established to the satisfaction of an immigration officer that the immigrant meets the selection standards established by the regulations for the purpose of determining whether or not and the degree to which the immigrant will be able to become successfully established in Canada, as determined in accordance with the regulations.

8. (1) Il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'il en a le droit ou que le fait d'y être admis ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

8. (1) Where a person seeks to come into Canada, the burden of proving that that person has a right to come into Canada or that his admission would not be contrary to this Act or the regulations rests on that person.

[23]            Les dispositions pertinentes du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, sont rédigées comme suit :

2.(1) « travailleur autonome » s'entend d'un immigrant qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter une entreprise au Canada, de façon à créer un emploi pour lui-même et à contribuer de manière significative à la vie économique, culturelle ou artistique du Canada.

2.(1) "self-employed person" means an immigrant who intends and has the ability to establish or purchase a business in Canada that will create an employment opportunity for himself and will make a significant contribution to the economy or the cultural or artistic life of Canada;

8. (1) Sous réserve de l'article 11.1, afin de déterminer si un immigrant et les personnes à sa charge, à l'exception d'un parent, d'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller et d'un immigrant qui entend résider au Québec, pourront réussir leur installation au Canada, l'agent des visas apprécie l'immigrant ou, au choix de ce dernier, son conjoint :

. . .

8. (1) Subject to section 11.1, for the purpose of determining whether an immigrant and the immigrant's dependants, other than a member of the family class, a Convention refugee seeking resettlement or an immigrant who intends to reside in the Province of Quebec, will be able to become successfully established in Canada, a visa officer shall assess that immigrant or, at the option of the immigrant, the spouse of that immigrant

. . .

b) dans le cas d'un immigrant qui compte devenir un travailleur autonome au Canada, suivant chacun des facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I, autre que le facteur visé à l'article 5 de cette annexe;

. . .

(b) in the case of an immigrant who intends to be a self-employed person in Canada, on the basis of each of the factors listed in Column I of Schedule I, other than the factor set out in item 5 thereof;

. . .

(2) Un agent des visas doit donner à l'immigrant qui est apprécié suivant les facteurs énumérés dans la colonne I de l'annexe I le nombre voulu de points d'appréciation pour chaque facteur, en s'en tenant au maximum fixé à la colonne III, conformément aux critères visés dans la colonne II de cette annexe vis-à-vis de ce facteur.

. . .

(2) A visa officer shall award to an immigrant who is assessed on the basis of factors listed in Column I of Schedule I the appropriate number of units of assessment for each factor in accordance with the criteria set out in Column II thereof opposite that factor, but he shall not award for any factor more units of assessment than the maximum number set out in Column III thereof opposite that factor.

. . .

(4) Lorsqu'un agent des visas apprécie un immigrant qui compte devenir un travailleur autonome au Canada, il doit, outre tout autre point d'appréciation accordé à l'immigrant, lui attribuer 30 points supplémentaires s'il est d'avis que l'immigrant sera en mesure d'exercer sa profession ou d'exploiter son entreprise avec succès au Canada.

(4) Where a visa officer assesses an immigrant who intends to be a self-employed person in Canada, he shall, in addition to any other units of assessment awarded to that immigrant, award 30 units of assessment to the immigrant if, in the opinion of the visa officer, the immigrant will be able to become successfully established in his occupation or business in Canada.

9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.01) et de l'article 11, lorsqu'un immigrant, autre qu'une personne et appartenant à la catégorie de la famille, qu'un parent aidé ou qu'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réétablir, présente une demande de visa d'immigrant, l'agent des visas peut lui en délivrer un ainsi qu'à toute personne à charge qui l'accompagne si :

9. (1) Subject to subsection (1.01) and section 11, where an immigrant, other than a member of the family class, an assisted relative, or a Convention refugee seeking resettlement makes an application for a visa, a visa officer may issue an immigrant visa to him and his accompanying dependants if

a) l'immigrant et les personnes à sa charge, qu'elles l'accompagnent ou non, ne font pas partie d'une catégorie de personnes non admissibles et satisfont aux exigences de la Loi et du présent règlement; et

(a) he and his dependants, whether accompanying dependants or not, are not members of any inadmissible class and otherwise meet the requirements of the Act and these Regulations;

b) lorsqu'ils entendent résider au Canada ailleurs qu'au Québec, suivant son appréciation de l'immigrant ou du conjoint de celui-ci selon l'article 8 :

(b) where the immigrant and the immigrant's accompanying dependants intend to reside in a place in Canada other than the Province of Quebec, on the basis of the assessment of the immigrant or the spouse of that immigrant in accordance with section 8,

(i) dans le cas d'un immigrant, autre qu'un entrepreneur, un investisseur, ou un candidat d'une province, il obtient au moins 70 points d'appréciation,

. . .

(i) in the case of an immigrant other than an entrepreneur, an investor or a provincial nominee, he is awarded at least 70 units of assessment,

. . .

11.(3) L'agent des visas peut

a) délivrer un visa d'immigrant à un immigrant qui n'obtient pas le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10 ou qui ne satisfait pas aux exigences des paragraphes (1) ou (2), ou

11.(3) A visa officer may

(a) issue an immigrant visa to an immigrant who is not awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10 or who does not meet the requirements of subsection (1) or (2), or

b) refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10,

(b) refuse to issue an immigrant visa to an immigrant who is awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10,



s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont reçu l'approbation de ce dernier.

if, in his opinion, there are good reasons why the number of units of assessment awarded do not reflect the chances of the particular immigrant and his dependants of becoming successfully established in Canada and those reasons have been submitted in writing to, and approved by, a senior immigration officer.

Analyse et décision

[24]            Question 1

L'agente des visas a-t-elle entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en important ses propres critères?

La demanderesse allègue que l'agente des visas a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en faisant en sorte que sa demande soit vouée à l'échec dès le départ parce qu'elle n'avait aucune confirmation officielle de son revenu aux États-Unis, telle que des documents fiscaux, et que l'agente des visas n'a pas accepté qu'elle avait travaillé comme chef ni qu'elle disposait de l'actif déclaré. La demanderesse affirme que l'agente des visas a aussi entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en fondant en partie sa décision sur le fait qu'elle n'avait jamais exploité sa propre entreprise.

[25]            Le défendeur est d'avis que la demande a été refusée parce que la demanderesse n'est pas parvenue à convaincre l'agente des visas qu'elle avait la compétence nécessaire pour établir une entreprise au Canada.

[26]            Dans la lettre de refus datée du 15 mars 2001, l'agente des visas a en outre mentionné ce qui suit :

[traduction]

Rien n'indique dans les documents que vous avez fournis à l'entrevue et dans ce que vous avez affirmé que vous avez une expérience quelconque comme chef principale ou comme travailleuse autonome. Vous n'avez pas réussi à démontrer que vous aviez déjà exploité une entreprise ou travaillé à votre compte. À l'entrevue, vous n'avez présenté aucun document crédible prouvant que vous avez réellement travaillé comme chef principale. À mon avis, vous ne disposez pas de toute l'expérience, des compétences, des connaissances et des habiletés nécessaires pour être en mesure de vous établir avec succès dans la profession de chef principal. Considérant toutes ces raisons, je ne suis pas convaincue que vous serez en mesure de réussir à vous établir au Canada dans l'entreprise proposée.

L'affidavit de l'agente des visas révèle que celle-ci doutait que la défenderesse ait travaillé comme chef et qu'elle ait accès aux fonds dont elle disait disposer pour établir un restaurant à Vancouver. Les paragraphes 9, 15, 16 et 17 de l'affidavit sont rédigés comme suit :

[traduction]

Mme Chen m'a également dit qu'elle travaillait comme chef principale aux États-Unis depuis 1993. Elle travaille à New York au restaurant chinois « No. 1 Wo Hop » . Elle a présenté à l'entrevue une photocopie d'une lettre d'emploi datée du 3 août 1999. Elle a affirmé qu'elle travaillait toujours au même restaurant et que son avocat ne l'avait pas avisée d'apporter une nouvelle lettre de référence. Cette lettre précise qu'elle gagne 2 400 $US par mois, mais elle ne décrit pas les fonctions qu'elle exerce comme chef principale. Mme Chen m'a dit qu'elle n'avait pas d'autre preuve de son emploi, telle que des formulaires W-2 (sommaire des revenus de l'employeur), des bulletins de paie, des talons de chèque, des documents fiscaux ou un permis de travail valide.

Mme Chen a présenté des attestations bancaires de la HSBC et de la Cathay Bank de New York totalisant une somme de 40 928,66 $US. En Chine, elle dispose de 88 000 $US à la Banque de Chine et de 181 400 RMB à l'institution financière People Post Savings of China, un montant équivalant à 21 940,54 $US.


Mme Chen m'a dit que les fonds figurant dans ses comptes provenaient de son salaire. Toutefois, elle n'avait aucun document objectif vérifiable pour le démontrer. Elle a ensuite précisé qu'elle avait vendu en 1995 une résidence dont elle était propriétaire en Chine et qu'elle avait déposé la somme dans son compte. Toutefois, elle ne pouvait fournir aucune preuve démontrant qu'elle avait déjà possédé ou vendu en 1995 une résidence en Chine.    

J'ai informé Mme Chen que je n'étais pas convaincue que les montants figurant dans ses comptes représentaient l'argent qu'elle avait gagné grâce à son présumé emploi. Je n'étais pas non plus convaincue qu'elle pouvait disposer de ces fonds ou les utiliser pour établir une entreprise au Canada.

[27]            L'agente des visas semble être d'avis que la demanderesse n'a pas travaillé comme chef aux États-Unis parce qu'elle n'a pas fait la preuve de son revenu en présentant des documents officiels. Cette position n'est pas en accord avec le contenu de la lettre de l'employeur de la demanderesse aux États-Unis, le restaurant chinois No. 1 WO HOP, datée du 3 août 1999. La demanderesse a témoigné à l'audience qu'elle y travaillait encore. La lettre est rédigée comme suit :

[traduction]

Le 3 août 1999

À qui de droit,

Nous attestons, par la présente, que Mme Mei Li Chen travaille à notre restaurant comme chef principale depuis novembre 1993. Elle a été promue à ce poste en avril 1994. Elle dirige une équipe de six employés. Son revenu brut est de 2 400 $ par mois. Son emploi est, de par sa nature, permanent. Fait à souligner, notre restaurant occupe 1 800 pi2 et compte 80 tables. Elle est également la gérante de notre restaurant.

N'hésitez pas à communiquer avec moi pour obtenir de plus amples renseignements au sujet de son emploi.

L'agente des visas ne dit pas expressément pourquoi cette lettre, laquelle semble indiquer que la demanderesse a travaillé comme chef principale pendant une certaine période de temps, a été rejetée dans son intégralité.


[28]            En outre, à la lecture du paragraphe 17 de l'affidavit, il est évident que l'agente des visas n'a pas cru que la demanderesse avait épargné les fonds grâce à son présumé emploi. La Loi sur l'immigration, précitée, et le Règlement sur l'immigration de 1978, précité, ne prévoient pas que les fonds des demandeurs de la catégorie des travailleurs autonomes doivent obligatoirement provenir de leur emploi. Qui plus est, il n'existe aucun élément de preuve démontrant que les fonds n'étaient pas à la disposition de la demanderesse pour établir une entreprise au Canada.

[29]            Je suis d'avis que les conclusions tirées par l'agente des visas sont déraisonnables et, par conséquent, qu'elles donnent matière à révision.

[30]            En raison de la conclusion à laquelle j'en suis venu relativement à cette question, il n'est pas nécessaire que je tranche les autres questions, sauf les dépens, la validité du paragraphe 350(3) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) et la certification d'une question proposée par la demanderesse.

[31]            J'ai examiné les observations des parties relativement aux dépens et je ne suis pas disposé à les adjuger puisque la demanderesse n'a pas eu gain de cause pour toutes les questions soulevées (elle a échoué à la question de validité).

[32]            Le paragraphe 350(3) du Règlement précité est rédigé comme suit :

350.(3) Il est disposé conformément aux paragraphes 361(3) et (5) du présent règlement de toute décision ou mesure prise par le ministre ou un agent d'immigration sous le régime de l'ancienne loi à l'égard de la personne visée au sous-alinéa 9(1)b)(i) ou à l'alinéa 10(1)b) de l'ancien règlement qui est renvoyée par la Cour fédérale ou la Cour suprême du Canada pour nouvel examen et dont il n'a pas été disposé avant l'entrée en vigueur du présent article.

350.(3) If a decision or an act of the Minister or an immigration officer under the former Act in respect of a person described in subparagraph 9(1)(b)(i) or paragraph 10(1)(b) of the former Regulations is referred back by the Federal Court or Supreme Court of Canada for determination and the determination is not made before the date of the coming into force of this section, the determination shall be made in accordance with subsections 361(3) and (5) of these Regulations.

[33]            L'article 190 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) est rédigé comme suit :

190. La présente loi s'applique, dès l'entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu'aux autres questions soulevées, dans le cadre de l'ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n'a été prise.

190. Every application, proceeding or matter under the former Act that is pending or in progress immediately      before the coming into force of this section shall be governed by this Act on that coming into force.

L'article 201 de la LIPR est rédigé comme suit :

201. Les règlements régissent les mesures visant la transition entre l'ancienne loi et la présente loi et portent notamment sur les catégories de personnes qui seront assujetties à tout ou partie de la présente loi ou de

l'ancienne loi, ainsi que sur les mesures financières ou d'exécution.

201. The regulations may provide for measures regarding the transition between the former Act and this Act, including measures regarding classes of persons who will be subject in whole or in part to this Act or the former Act and measures regarding financial and enforcement matters.


Je suis d'avis que l'article 201 de LIPR habilite le paragraphe 350(3) du Règlement, précité, et que, par conséquent, ce paragraphe n'est pas invalide.

[34]            La demanderesse a également allégué que l'article 190 de la LIPR s'appliquait seulement aux demandes et aux procédures présentées ou instruites dans le cadre de la Loi sur l'immigration, précitée, avant l'entrée en vigueur de cet article et pour lesquelles aucune décision n'a été prise et que la présente demande n'était pas pendante sous le régime de la Loi sur l'immigration, précitée, (par exemple, un appel devant la Section d'appel de l'immigration ou la Section des réfugiés) mais plutôt qu'elle l'était devant la Cour fédérale. Je ne souscris pas à cette proposition. Je crois que l'article 190 s'applique à la présente demande.

[35]       Je ne suis pas disposé à prévoir une date pour une nouvelle audition de la présente affaire.

[36]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour un nouvel examen.

[37]            La demanderesse a proposé pour la certification la question grave de portée générale suivante :

Le paragraphe 350(3) du Règlement, précité, est-il ultra vires de la LIPR?

Je suis disposé à certifier cette question.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

1.          la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée à un autre agent des visas pour un nouvel examen;                                           .

2.          la question grave de portée générale suivante soit certifiée :

       Le paragraphe 350(3) du Règlement, précité, est-il ultra vires de la LIPR?

                                                                            « John A. O'Keefe »             

                                                                                                     Juge                        

Ottawa (Ontario)

Le 28 mars 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                         COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-1603-01

INTITULÉ :               MEILI CHEN

et                                   

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le jeudi 28 novembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   Monsieur le juge O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                   Le vendredi 28 mars 2003

COMPARUTIONS :

M. Timothy Leahy                                 POUR LA DEMANDERESSE

M. Stephen H. Gold                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Timothy Leahy                                 POUR LA DEMANDERESSE

Bureau 509

5734, rue Yonge

Toronto (Ontario)

M2M 4E7

Morris Rosenberg, c.r.                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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