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Date : 20030710

Dossier : IMM-3312-02

Référence : 2003 CF 855

ENTRE :

                                                            ZUBIDA KABIR AHMED

                                                                                                                                              demanderesse

ET :

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                 La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision d'un tribunal de la section du statut de réfugié (le tribunal) datée du 17 juin 2002, dans laquelle celui-ci déclarait que la demanderesse n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]                 La demanderesse est une citoyenne éthiopienne âgée de 47 ans, qui est arrivée au Canada en automobile en provenance des États-Unis. Dans son FRP, et à nouveau devant le tribunal, elle déclare qu'elle s'est rendue d'Addis Ababa aux États-Unis en avion, accompagnée d'un ami de son oncle, un homme appelé Abdullah, qui l'a ensuite conduite en voiture à Winnipeg. Arrivée dans cette ville où elle ne connaissait personne, cet homme l'a laissée et lui a conseillé de chercher à communiquer avec la communauté oromo, sa tribu d'origine en Éthiopie. Son oncle et Abdullah l'ont aidée à se procurer un passeport pour qu'elle puisse voyager, mais elle déclare que Abdullah a conservé ses documents d'identité pendant toute la durée du voyage et qu'il s'est refusé à les lui remettre. Elle a laissé derrière elle en Éthiopie quatre enfants et son mari, qu'elle n'a pas vu depuis plus d'un an et dont elle ne connaît pas l'adresse. Ses parents et ses soeurs élèvent ses enfants pour le moment.

[3]                 Elle revendique le statut de réfugié parce qu'elle a été persécutée en raison des opinions politiques qu'on lui attribue, étant donné que le gouvernement de l'Éthiopie pense qu'elle et son mari sont des partisans du Front de libération oromo (FLO), un groupe qui lutte pour les droits des membres de cette tribu et que le gouvernement de l'Éthiopie essaie de faire disparaître, en utilisant parfois la violence.

[4]                 La demanderesse fonde principalement sa revendication du statut de réfugié sur deux incidents. Le mari de la demanderesse est un conducteur d'autobus dont le travail l'amène à traverser des territoires contrôlés, en partie au moins, par le FLO. À un moment donné, aux alentours du mois de juin 1999, la police s'est rendue dans le petit magasin de la demanderesse parce qu'elle recherchait son mari. Elle déclare qu'ils n'ont pas cru qu'elle ne savait pas où il se trouvait et qu'ils l'ont arrêtée. Elle déclare que les policiers l'ont ensuite interrogée, qu'ils l'ont battue et lui ont demandé des renseignements au sujet de son mari.

[5]                 Elle a présenté une lettre rédigée par un médecin de Winnipeg dans laquelle celui-ci décrit les cicatrices qu'elle porte sur son corps et elle a déclaré que celles-ci avaient été causées par les coups que lui avaient portés les policiers. Dans sa lettre, le médecin déclare que les cicatrices peuvent avoir été causées par des chutes ou par des instruments contondants mais il n'affirme pas que les cicatrices ont été causées par des coups.

[6]                 La demanderesse affirme qu'elle a été relâchée parce que sa mère a amené ses enfants au poste de police et exigé que les policiers placent également les enfants sous garde s'ils ne décidaient pas de relâcher la demanderesse.

[7]                 Le deuxième événement concerne l'affirmation de la demanderesse selon laquelle les policiers se sont rendus chez elle après l'avoir libérée et qu'ils se sont emparés de tous ses biens à l'exception de certains bijoux et vêtements, et qu'ils l'ont obligée à quitter son domicile. Elle s'est installée alors chez ses parents avec ses enfants; son père l'a finalement mise en sécurité à Addis Ababa et a pris des mesures pour qu'elle se rende aux États-Unis avec Abdullah par avion.

[8]                 Le tribunal a jugé que la demanderesse n'était pas un réfugié au sens de la Convention en déclarant :

Elle n'a pas présenté de preuve crédible suffisante permettant d'établir que sa crainte alléguée de persécution est fondée. Le tribunal ne croit pas que le gouvernement de l'Éthiopie manifeste de l'intérêt envers la revendicatrice.

[9]                 Le tribunal a en outre déclaré qu'il ne pensait pas qu'Abdullah lui avait confisqué ses documents d'identité; le tribunal a plutôt estimé qu'elle s'était débarrassée de ses documents d'identité et de voyage, soit en Éthiopie, soit aux États-Unis, même s'il a reconnu qu'elle était citoyenne éthiopienne et membre du groupe ethnique oromo.

[10]            Le tribunal met en doute la crédibilité de la demanderesse en s'appuyant sur quatre raisons principales. La première est qu'il est peu probable que les policiers l'auraient libérée s'ils avaient pensé qu'elle ou son mari était lié au FLO, ce qui permet de se demander si ces événements se sont véritablement produits. Deuxièmement, il est peu probable que le gouvernement éthiopien lui aurait délivré des documents d'identité de voyage authentiques, documents obligatoires pour quitter l'Éthiopie, s'il avait soupçonné qu'elle était liée au FLO. Troisièmement, la demanderesse n'a pas tenté de savoir où se trouvait son mari malgré le fait qu'elle n'avait pas de nouvelles de lui depuis plus d'un an, au moment de ces événements. Compte tenu du rôle que joue le mari comme soutien financier de la famille, le tribunal a estimé que cela n'était pas compatible avec le comportement d'un couple marié, en particulier d'un couple qui a des enfants. La demanderesse a déclaré, dans son témoignage, qu'une musulmane ne devait pas poser de questions sur les activités de son mari. Le tribunal déclare :

[il] ne croit pas que le mari de la revendicatrice avait disparu depuis un an, ou que la police est venue à sa recherche. Le tribunal est d'avis que la revendicatrice a inventé l'histoire de la disparition de son mari dans le but d'enjoliver sa revendication.


[11]            Enfin, la demanderesse a déposé une lettre de sa soeur qui habite Addis Ababa, dans laquelle celle-ci mentionne que personne ne sait où se trouve son mari, et lui demande de l'argent pour élever ses enfants. Cette lettre ne mentionne aucunement que le gouvernement éthiopien recherche la demanderesse, ou que les membres de la famille aient connu d'autres problèmes en raison du fait que la demanderesse serait liée au FLO. Étant donné que la lettre n'indique aucunement que le gouvernement s'intéresse à la demanderesse, le tribunal a estimé qu'elle appuyait sa conclusion selon laquelle le gouvernement éthiopien ne s'intéresse aucunement à la demanderesse.

[12]            La demanderesse soutient que les conclusions auxquelles en est arrivé le tribunal sur la question de la crédibilité manquent de cohérence parce qu'il a manifestement écarté certaines parties du témoignage de la demanderesse et traité de façon ambiguë d'autres aspects, ce qui constitue une erreur de droit. Le défendeur soutient que les conclusions du tribunal en matière de crédibilité sont fondées sur les preuves présentées et qu'il aurait donc dû admettre les allégations relatives à sa crainte d'être persécutée.

[13]            Le tribunal a le pouvoir de se prononcer sur la crédibilité et notre cour n'a pas pour rôle de réévaluer les preuves lorsqu'elle examine une affaire. La cour a uniquement pour rôle de décider si les motifs sur lesquels le tribunal a fondé ses conclusions sont raisonnables et de veiller à ce que le tribunal justifie « en termes clairs et explicites, pourquoi [il] doutait de la crédibilité de l'appelant » , comme l'a déclaré le juge Heald dans Hilo c. Canada (MCI) (1993), 130 N.R. 236 (C.A.F.), à la page 176.

[14]            Le tribunal mentionne les preuves qui l'amènent à douter de la crédibilité de la demanderesse, en précisant à chaque fois la raison de ses doutes. Pour ce qui est du fait que la demanderesse ignorait les activités de son mari et l'endroit où il se trouvait, le tribunal trouve invraisemblable qu'elle n'ait pas fait enquête à ce sujet, compte tenu du fait qu'elle a déclaré qu'elle et ses enfants avaient besoin du soutien financier de son mari. Dans ses motifs, le tribunal note la déclaration de la demanderesse selon laquelle les Musulmanes ne posent pas de question concernant leur mari; le tribunal a toutefois estimé que le fait de n'avoir aucunement tenté de savoir où se trouvait son mari après un an n'était pas compatible avec sa situation. Compte tenu des faits allégués, cette conclusion n'est pas déraisonnable.

[15]            La demanderesse soutient que les conclusions du tribunal au sujet de ses cicatrices, qui provenaient, d'après elle, du fait qu'elle avait été battue par des policiers, étaient incohérentes. Le tribunal déclare à la fin de ses motifs : « bien que... le tribunal n'approuve pas que la police éthiopienne inflige des mauvais traitements à ses citoyens, le tribunal a conclu que la police a mis la revendicatrice en liberté, parce qu'elle n'avait trouvé aucune preuve montrant qu'elle avait des liens avec le FLO » . La demanderesse soutient que cette affirmation n'est pas compatible avec les preuves, puisqu'elle montre que le tribunal croyait que la demanderesse avait été battue mais n'a pas estimé que les preuves de persécution étaient suffisantes pour justifier la revendication du statut de réfugié.


[16]            Ce n'est pas le seul passage où le tribunal examine la question des coups qu'aurait reçus la demanderesse et le caractère raisonnable des motifs doit s'apprécier en fonction de l'ensemble de la décision. À la page 5 des motifs, le tribunal énonce clairement que la demanderesse n'a pas démontré que ses cicatrices avaient été causées par les coups que lui avaient donnés les policiers; suit la déclaration au sujet de la violence policière dans laquelle le tribunal indique clairement que, quelles que soient les arrestations ou les interrogatoires qui ont pu être effectués dans le passé, la police ne s'intéresse plus aux liens possibles entre la FLO et la demanderesse. Par conséquent, il n'existe pas à l'heure actuelle de crainte raisonnable et objective de persécution. Le tribunal a carrément déclaré :

il existe moins qu'une simple possibilité que la revendicatrice serait persécutée pour un motif de la Convention si elle retournait en Éthiopie aujourd'hui.

[17]            Cette déclaration montre que, même si le tribunal avait accepté le fait que la demanderesse avait été battue par les policiers, ce qui expliquait ses cicatrices, la police ne s'intéressait plus à son cas lorsqu'elle l'a remise en liberté. Il n'est pas manifestement déraisonnable de conclure que la police ne l'aurait pas relâchée si elle pensait encore que la demanderesse était membre du FLO, ou qu'elle possédait des renseignements au sujet de son mari. La déclaration finale du tribunal signifie donc que, même s'il avait jugé que la demanderesse était crédible lorsqu'elle a témoigné au sujet de ce qu'elle avait vécu, il n'existait aucun élément montrant qu'elle serait encore persécutée si elle retournait en Éthiopie. Par conséquent, il n'y a pas de motif déterminant démontrant que la demanderesse est une réfugiée, même si elle a peut-être été persécutée antérieurement.

[18]            Si l'on tient compte du témoignage qu'a fourni la demanderesse, des preuves présentées par l'agent chargé de la revendication et des autres preuves documentaires présentées, il n'est pas possible d'affirmer que le tribunal en est arrivé à une conclusion manifestement déraisonnable. Le tribunal a jugé que la demanderesse manquait de crédibilité et a clairement justifié sa conclusion selon laquelle les autorités éthiopiennes ne s'intéressaient plus à elle ou à ses activités.

[19]            Les parties n'ont pas proposé que soit certifiée une question grave de portée générale, conformément à l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Aucune question n'est certifiée.

[20]            Pour les motifs ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                                              « P. Rouleau »            

                                                                                                                                                                 Juge                   

OTTAWA (Ontario)

le 10 juillet 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.

                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                             IMM-3312-02

INTITULÉ :                                             ZUBIDA KABIR AHMED c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                     Winnipeg

DATE DE L'AUDIENCE :                   le 11 juin 2003


MOTIFS DE L'ORDONNANCE :     Monsieur le juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :                          le 10 juillet 2003

COMPARUTIONS :

David Matas                                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Sharlene Teller-Langdon                                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David Matas                                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                               POUR LE DÉFENDEUR


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