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Date : 20030129

Dossier : IMM-375-02

Référence neutre : 2003 CFPI 98

Toronto (Ontario), le mercredi 29 janvier 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

PONNAMMAH RASAIAH

                                                                                       demanderesse

                                                     

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR), en date du 19 décembre 2001, par laquelle la SSR a statué que la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention.


[2] La demanderesse est une citoyenne du Sri Lanka. Elle prétend craindre avec raison d'être persécutée par l'armée sri-lankaise et les organisations militantes tamoules, y compris les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (TLET).

[3] À cause d'un handicap cognitif, la demanderesse n'a pas pu témoigner lors de l'audition de sa revendication. La SSR a nommé sa fille, pour agir comme représentante désignée de la demanderesse et elle a reçu le témoignage aussi bien de sa fille que de sa belle-fille.

[4] La demanderesse a prétendu avoir été régulièrement harcelée par les TLET qui l'obligeaient à leur faire la cuisine et à faire « don » de petites quantités d'or. Elle prétend qu'en 1999, les TLET avaient amené chez elle des cadres blessés et avaient caché des armes dans les chevrons d'une maison inoccupée qui lui appartenait. Elle a également prétendu que l'armée sri-lankaise l'avait amenée dans un camp et l'avait menacée de mort en apprenant la présence des TLET dans sa propriété. La demanderesse a quitté le Sri Lanka avec son fils et la femme de ce dernier, mue par la crainte que l'armée pourrait trouver les armes et les en tenir responsables, mais s'ils allaient d'eux-mêmes en informer l'armée, les TLET les anéantiraient.


[5]         La SSR a conclu qu'il y a de sérieux doutes sur la crédibilité de la demanderesse et que plusieurs de ces sujets d'inquiétude n'ont pas trouvé de réponse dans le témoignage reçu. Finalement, elle a choisi de trancher l'affaire en se demandant s'il existe un fondement objectif à la crainte de la demanderesse d'être persécutée.

[6]         La SSR a conclu que la crainte de la demanderesse manquait de fondement objectif, vu que cette dernière n'avait pas le profil des personnes visées au Sri Lanka. Bien qu'elle ait fait l'objet d'une discrimination continue, la SSR a conclu que, même prises cumulativement, les pressions subies n'équivalaient pas à de la persécution. La SSR a dit :

La gravité du préjudice permet de faire la distinction entre la discrimination et la persécution. En général, les tribunaux ont reconnu que les actes de discrimination doivent être suffisamment graves et infligés pendant suffisamment longtemps pour que l'intégrité morale ou physique du revendicateur en soit menacée. Même si le tribunal devait accepter que le récit de tous les incidents relatés dans le FRP de la revendicatrice est fiable, il estime que ces incidents, à savoir le fait d'avoir été victime de vol d'argent et de bijoux, d'avoir été forcée à faire la cuisine et du travail manuel et d'avoir été forcée à héberger des militants blessés, d'avoir été témoin des mauvais traitements infligés à son fils, d'avoir été victime de violence verbale et menacée lorsque l'armée l'a soupçonnée d'avoir aidé les TLET, même pris cumulativement, ne constituent pas de la persécution. (Dossier de la demanderesse, page 15.)

[...]

Le tribunal est d'avis que ce que les TLET ont demandé à la revendicatrice de faire pour eux alors qu'ils formaient le gouvernement de facto dans sa région de 1990 à 1995, n'était rien de plus que le prix qu'ont dû payer tous les résidents pour bénéficier de leur protection et ne constitue pas de la persécution. Aujourd'hui, c'est l'armée qui contrôle cette région et par conséquent, la revendicatrice n'a rien à craindre des TLET. De plus, la revendicatrice n'a pas à craindre les forces de sécurité dans sa région à Jaffna. Même si les Tigres avaient caché des armes dans sa propriété inoccupée, cela ne favorise pas la revendication. L'armée n'a pas trouvé les armes à l'époque où elle avait pris en chasse les TLET, ni, manifestement, lorsque la revendicatrice se trouvait encore au Sri Lanka en octobre 1999, date à laquelle on lui a délivré un passeport valide qui lui a permis de quitter le pays sans incident. Ce serait pure spéculation que de tenter de déterminer ce qu'il est advenu de ces armes. (Dossier de la demanderesse, page 17.)

                        [Non souligné dans l'original.]

[7]         La SSR a par ailleurs décidé que, vu son âge et son profil, elle n'était victime de persécution ni de la part des TLET, ni de la part de l'armée sri-lankaise.


Il ne fait aucun doute que la revendicatrice, si elle retournait dans sa région, risque d'être blessée par un éclat d'obus ou une balle égarée si les hostilités reprennent. Cependant, toute personne vivant à proximité d'une zone de combat partage ce risque et cela ne signifie pas pour autant que cette personne soit visée, sur une base individuelle ou collective, pour un motif prévu dans la Convention. Le tribunal n'a été saisi d'aucune preuve convaincante indiquant que l'armée ou les TLET s'adonnent à cibler délibérément des civils dans des zones litigieuses. Aucun élément de preuve fiable ne permet non plus au tribunal de conclure que les Tamouls plus âgés représentent un intérêt quelconque pour les forces de sécurité, à moins qu'on ne les soupçonne d'aider les TLET. Le tribunal estime qu'aucun élément probant convaincant ou digne de foi ne vient démontrer que la revendicatrice fait face à un risque sérieux à cet égard si elle retourne au Sri Lanka.

Le tribunal conclut que la véritable crainte de la revendicatrice est de courir les périls auxquels sont exposées les personnes âgées dans une situation de guerre civile. Le tribunal conclut que la preuve n'a pas établi que la revendicatrice fait face à une possibilité sérieuse d'être persécutée au Sri Lanka pour l'un ou l'autre des motifs énoncés dans la Convention. (Dossier de la demanderesse, page 18.)

[8]         Ainsi, la SSR n'a accordé aucune importance aux armes placées dans les chevrons de la maison de la demanderesse.

[9]         La demanderesse a introduit la présente demande de contrôle judiciaire pour contester le bien-fondé de la conclusion de la SSR sur le fondement objectif de sa peur. La demanderesse prétend que la preuve documentaire montre clairement que les conséquences d'une découverte des armes par l'armée seraient très graves, et que rien ne donne à penser qu'elle serait traitée avec indulgence si l'on découvrait ces armes chez elle, quels que soient son âge et son profil.


[10]       À mon avis, la SSR a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en refusant à la demanderesse le statut de réfugié aux seuls motifs de son âge et de son profil. La preuve documentaire fournie par la demanderesse montre que de nombreuses personnes de tous âges sont la cible des TLET. La U.S. Department of State Country Reports on Human Rights Practices for Sri Lanka, préférée par la SSR à d'autres sources documentaires, contient les affirmations suivantes :

[TRADUCTION] Le gouvernement a dans l'ensemble respecté les droits de la personne des citoyens du pays dans les régions non touchées par l'insurrection; cependant la guerre menée contre les TLET continue d'être accompagnée par de sérieuses violations des droits de la personne par les forces de sécurité. Les forces de sécurité ont perpétré de nombreuses exécutions extrajudiciaires et ont probablement exécuté des prisonniers de guerre. En outre, jusqu'à 15 personnes détenues par les Forces de sécurité sont disparues à Vavuniya et dans l'Est. Dans le passé, des personnes ont également disparu ou ont été exécutées après avoir été vues pour la dernière fois près des lignes de front dans le nord, des régions que les militaires ont demandé aux populations civiles d'éviter. Les circonstances de ces disparitions et exécutions n'étaient pas claires, et avec les nombreuses offensives militaires et les changements de lignes de front tout au long de l'année, les risques pour les populations civiles restent très élevés. La torture demeure un sérieux problème, et les conditions de détention dans les prisons sont toujours mauvaises. Les arrestations arbitraires - y compris les rafles et les détentions de courte durée - continuent, souvent accompagnées du non-respect par les Forces de sécurité des mesures de sécurité prévue par le Règlement sur les mesures d'urgence (RMU). L'impunité des personnes responsables de violation des droits de la personne demeure également un sérieux problème. Très peu de progrès ont été réalisés dans la solution des affaires liées aux exécutions extrajudiciaires et aux disparitions. Dans la plupart des cas, il n'y a pas du tout eu d'enquête ni de poursuite, ce qui donne l'impression de permettre l'impunité des personnes responsables de violation des droits de la personne. Aucune arrestation n'a été opérée relativement à la disparition et aux exécutions présumées d'au moins 350 civils que les Forces de sécurité soupçonnaient d'être des membres ou des sympathisants des TLET à Jaffna, en 1996 et 1997. (Dossier du Tribunal, page 115.)

[11]       En outre, j'estime qu'en n'accordant pas d'importance à la présence d'armes dans la maison de la demanderesse, la SSR n'a pas correctement appliqué le critère d'une crainte éventuelle de persécution. Il est irréfutable que les armes existent et que leur découverte mettrait la demanderesse en grand danger de persécution. Qu'elles aient été trouvées ou non, ou qu'on les trouve ou non, ne change rien à ce fait. À mon avis, ne pas accorder d'importance à ce fait rend la décision de la SSR manifestement déraisonnable.


[12]       Je conclus par ailleurs que le fait que la demanderesse a refusé en 1997 l'offre de parrainage faite par sa fille, ne mine pas sa revendication. Il n'était pas déraisonnable de la part de la demanderesse de préférer vivre au Sri Lanka si on lui en donnait le choix. Ce n'est qu'en 1999, lorsque les armes ont été placées dans sa propriété, et qu'elle a été subséquemment arrêtée, que sa crainte de persécution s'est accrue. À mon avis, l'inférence défavorable tirée par la SSR à propos de cet incident est erronée, vu que l'incident de 1999 est à l'origine de cette revendication et que le parrainage a été offert en 1997.

ORDONNANCE

En conséquence, la décision de la SSR est annulée et l'affaire est renvoyée à la SSR pour qu'un tribunal différemment constituée procède à un nouvel examen.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                     IMM-375-02

INTITULÉ :                                                    PONNAMMAH RASIAH

demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE MARDI 28 JANVIER 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :                           LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                                   LE MERCREDI 29 JANVIER 2003

COMPARUTIONS :                          John Guoba

pour la demanderesse

Greg George

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :       John M. Guoba & Associates

Avocats

211 - 2425, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario)

M1K 5G8

pour la demanderesse

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

pour le défendeur


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

      Date : 20030129

         Dossier :IMM-375-02

ENTRE :

PONNAMMAH RASIAH

                                  demanderesse

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

                                                     

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                     

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