Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030529

Dossier : T-1163-01

Référence : 2003 CFPI 667

Ottawa (Ontario), le jeudi 29 mai 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                                              GEORGE ANDERSON

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                               défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]                 En mai 2001, le demandeur, George Anderson, un employé de longue durée de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) et de son prédécesseur, Revenu Canada, posait sa candidature au poste de chef d'équipe, Recouvrements. Par la suite, M. Anderson fut informé qu'il ne répondait pas à l'une des conditions essentielles du poste. En conséquence, il n'a pas été considéré davantage dans la procédure de sélection. M. Anderson, insatisfait de cette décision, a déposé un recours selon la procédure applicable de l'ADRC, mais n'a pas obtenu gain de cause.

[2]                 Dans cette demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision défavorable rendue à la suite de la procédure en question, M. Anderson voudrait notamment que soient rendues une ordonnance annulant la décision, et une ordonnance déclarant que le recours établi par l'ADRC est contraire aux dispositions du paragraphe 54(1) de la Loi sur l'Agence des douanes et du revenu du Canada, L.C. 1999, ch. 17 (la Loi).

LES FAITS

[3]                 Comme employé de longue durée de l'ADRC, M. Anderson a travaillé durant 27 ans, au niveau PM-02 ou à un niveau plus élevé, dans la section des sommes à recouvrer. Durant sa carrière, M. Anderson a travaillé comme agent de recouvrement, agent d'enquête en matière de recouvrements et agent des procédures de recouvrement, et il a été chef d'équipe au service des recouvrements durant plus de dix ans.


[4]                 À la demande de la direction de Revenu Canada, M. Anderson a quitté temporairement le service des recouvrements en 1997 pour exercer des fonctions liées à la transformation de Revenu Canada, qui allait devenir l'ADRC. Pendant qu'il exerçait ses fonctions dans cette transformation, la section des sommes à recouvrer (recouvrements) a continué de lui verser son traitement. M. Anderson est retourné à la section des recouvrements en avril 2000.

[5]                 Le 10 mai 2001, un avis de poste à pourvoir était affiché pour le poste de chef d'équipe, Recouvrements (PM-04). Il était ainsi rédigé :

[Traduction]

Description d'emploi et fonctions :

Gérer une équipe, au sein de la section des recouvrements de recettes fiscales, qui sera chargée de percevoir et de mettre en recouvrement les créances, et de fournir des services d'information et services consultatifs. Le titulaire donne des conseils et des idées nouvelles à l'équipe en exerçant un ascendant par l'application et l'exécution de la Charte du gestionnaire de l'Agence.

Expérience :

Expérience récente et significative dans la section des recouvrements de recettes fiscales, à un niveau de cadre supérieur du programme des sommes à recouvrer.

Expérience récente : au cours des trois dernières années approximativement.

Expérience significative : accomplissement à temps plein de fonctions durant environ deux années consécutives.

L'expérience susmentionnée serait en principe acquise au niveau PM-02 ou niveau plus élevé.

[6]                 M. Anderson a soumis sa candidature pour le poste de chef d'équipe, Recouvrements, via l'intranet, le 10 mai 2001. Il y donnait des renseignements sur ses titres de compétence, ainsi que les coordonnées de son superviseur actuel.


[7]                 Une lettre a été envoyée à M. Anderson le 29 mai 2001, qui l'informait qu'il n'avait pas l'expérience requise pour le poste et qu'il ne serait donc pas considéré davantage dans la procédure de sélection. Il semble que M. Anderson a eu connaissance de cette décision le 29 mai 2001 avant de recevoir la lettre. M. Anderson a été informé qu'il pouvait déposer un recours, sous la forme d'une rétroaction individuelle, en communiquant avec le président du jury de sélection, M. Charles.

[8]                 M. Anderson a rencontré M. Charles plus tard le 29 mai 2001. M. Anderson dit que M. Charles l'a alors informé qu'il était exclu de la procédure de sélection parce qu'il ne répondait pas au critère de l'expérience. M. Charles a expliqué que l'expérience de M. Anderson dans les recouvrements n'avait pas été « récente et significative » , parce que M. Anderson n'avait pas exercé de fonctions à temps plein dans le programme des sommes à recouvrer, durant environ deux années consécutives au cours des trois années antérieures. M. Anderson a informé M. Charles qu'il répondait bel et bien au critère de l'expérience. M. Anderson a signalé ses 26 ans d'expérience, en ajoutant qu'il avait également une expérience récente, selon la définition que donnait à cette expression l'avis de poste vacant.


[9]                 M. Charles n'a pas admis que l'expérience de M. Anderson était une expérience « récente et significative » en ce qui avait trait au programme des sommes à recouvrer. M. Charles a informé M. Anderson que le critère de l'expérience signifiait que le candidat admissible devrait justifier de deux ans d'expérience à temps plein au cours des trois dernières années d'emploi auprès de la section des recouvrements de recettes fiscales. Selon M. Anderson, la position de M. Charles était que la description de l'expérience préalable requise était « claire et sans ambiguïté » . M. Anderson s'est aussi rappelé que M. Charles lui avait dit qu'il pouvait « rédiger l'avis de poste vacant comme il le voulait » et qu'il pouvait modifier l'avis pour qu'il reflète ce qu'il avait dit durant la rencontre. M. Charles nie avoir dit cela.

[10]            La séance de rétroaction individuelle n'a en rien modifié la décision du jury de sélection. M. Anderson n'a pas été ajouté au répertoire de candidats présélectionnés.

[11]            M. Anderson a ensuite demandé la révision de la décision, une autre étape des recours, mais il a été informé que ni cette possibilité ni une révision par un tiers indépendant ne sont offertes aux candidats qui ne sont pas reçus à l'étape des conditions essentielles du Programme de dotation en personnel de l'ADRC.

[12]            M. Anderson a tenté de déposer un grief contre la séance de rétroaction individuelle, mais on lui a dit qu'un tel grief est empêché par l'article 54 de la Loi et l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35.

[13]            M. Anderson a donc déposé cette demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision rendue à l'issue de la séance de rétroaction individuelle, et à l'encontre du processus qui a précédé cette décision.


SURVOL DU PROGRAMME DE DOTATION DE L'ADRC

[14]            Comme on l'a dit ci-dessus, le prédécesseur de l'ADRC était Revenu Canada. Revenu Canada était un ministère de la fonction publique fédérale. Ses employés étaient nommés par la Commission de la fonction publique (la CFP). Les employés avaient donc le droit de se prévaloir des mécanismes de révision et d'appel prévus par la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33 (la LEFP).

[15]            L'ADRC a été établie en 1999. Le paragraphe 53(1) de la Loi confère à l'ADRC une compétence exclusive pour nommer son personnel, et le paragraphe 54(1) oblige l'ADRC à « élaborer un programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés » . Les articles 53 et 54 de la Loi sont reproduits à l'appendice A des présents motifs.

[16]            L'ADRC a adopté un programme de dotation en personnel appelé « Programme de dotation en personnel de l'Agence des douanes et du revenu du Canada » (le « Programme de dotation » ). Le Programme de dotation prévoit que la « procédure de sélection » est l'un des principaux mécanismes utilisés par l'ADRC pour l'avancement et la nomination de ses employés. L'expression « procédure de sélection » s'entend de la procédure par laquelle des candidats peuvent exprimer leur intérêt pour un poste vacant et par la suite être considérés, puis nommés à ce poste.


[17]            La procédure de sélection comprend trois étapes principales. La première étape consiste à examiner un candidat par rapport aux conditions essentielles du poste. La deuxième étape consiste à évaluer par rapport aux qualités requises pour le poste ceux qui répondent aux conditions essentielles du poste. La troisième étape a trait au placement d'une ou de plusieurs personnes qualifiées. La procédure de sélection est décrite en détail dans une directive intitulée « Directive sur le processus de sélection/répertoire des candidats préqualifiés » , qui est l'annexe E du Programme de dotation.

[18]            À l'étape des conditions essentielles, un jury de sélection examine chaque candidature pour voir si le candidat répond aux conditions essentielles énumérées dans l'énoncé des exigences de dotation, et reprises dans l'avis de poste vacant. Le jury de sélection doit décider si le candidat répond aux conditions essentielles. Seuls les candidats qui répondent aux conditions essentielles seront retenus pour une évaluation, qui forme la deuxième étape de la procédure de sélection.

[19]            La présente affaire ne concerne que l'étape des conditions essentielles de la procédure de sélection.


[20]            Le recours offert par le Programme de dotation est décrit dans la section 5 du programme et dans l'annexe L, intitulée « Directive sur les recours en matière de dotation » . Les mécanismes de recours sont la rétroaction individuelle, la révision de la décision et la révision par un tiers indépendant, selon la nature de l'activité de dotation.

[21]            Un employé qui s'estime lésé par la décision d'un jury de sélection à l'étape des conditions essentielles peut demander au responsable de la procédure de sélection une « rétroaction individuelle » . La rétroaction individuelle est décrite à la fois comme un mécanisme de recours et comme un élément clé du processus de gestion des carrières, grâce auquel les employés peuvent recevoir des observations sur leurs besoins de perfectionnement.

[22]            Le Programme de dotation précise que, durant la rétroaction individuelle, le responsable de l'étape concernée de la procédure de sélection : peut conduire oralement ou par écrit la séance de rétroaction individuelle; fournira des renseignements sur la décision en cause; doit répondre aux questions que peut avoir l'employé; doit examiner la décision en tenant compte des préoccupations de l'employé; et, le cas échéant, doit prendre des mesures correctives. Les mesures correctives consistent notamment à permettre à l'employé de demeurer candidat dans la procédure de sélection.

POINTS EN LITIGE

[23]            Trois points sont soulevés dans cette demande de contrôle judiciaire. Ce sont :


1.          Le Programme de dotation de l'ADRC, tel qu'il a été appliqué à M. Anderson, est-il conforme aux exigences de la Loi? Plus précisément, la séance de rétroaction individuelle accordée à M. Anderson répondait-elle aux exigences de la Loi et aux principes de l'équité procédurale?

2.          Quelle est la norme de contrôle à appliquer à la décision qui résulte de la séance de rétroaction individuelle?

3.          La décision relative aux titres de compétence de M. Anderson peut-elle résister à un examen selon la norme de contrôle applicable?

ANALYSE

(i) La séance de rétroaction individuelle accordée à M. Anderson répondait-elle aux exigences de la Loi et aux principes de l'équité procédurale?

a) La séance de rétroaction individuelle répondait-elle aux exigences de la Loi?


[24]            L'essentiel de l'argument avancé au nom de M. Anderson est que les recours offerts aux employés par le Programme de dotation doivent être modelés sur les recours prévus par la LEFP. Au soutien de cet argument, M. Anderson signale plusieurs articles de la Loi qui parlent de recours, ainsi que certains débats de la Chambre des communes au cours desquels était examiné le système proposé de dotation de l'ADRC. M. Anderson soutient aussi que cette interprétation est appuyée par le fait que, lorsque le législateur emploie le mot « recours » dans une loi, il parle du droit d'obtenir un redressement véritable. Finalement, M. Anderson soutient que la définition usuelle du mot recours, ainsi que la nature des droits lésés par les décisions de ce genre, sont telles que les dispositions conférant des droits de recours appellent une norme de justice relativement élevée.

[25]            Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis qu'il n'est pas obligatoire que les recours offerts aux employés par la Loi soient conformes aux recours prévus par la LEFP ou soient modelés sur les recours prévus par la LEFP.

[26]            S'agissant d'abord des dispositions applicables de la Loi, bien que le paragraphe 54(1) de la Loi oblige l'ADRC à élaborer un programme de dotation régissant notamment les « recours offerts aux employés » , la nature des recours en question n'est pas expressément définie. Les articles invoqués par M. Anderson sont les articles 55, 56 et 59 et le paragraphe 100(2) de la Loi. Ils sont reproduits ci-après :


55. (1) En ce qui a trait aux concours internes, aux mutations et aux nominations effectués sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, les employés de l'Agence sont traités comme s'ils étaient des fonctionnaires au sens de cette loi et peuvent se prévaloir à cet égard des recours qui y sont prévus.

55. (1) For the purpose of deployments or appointments made, or closed competitions held, under the Public Service Employment Act, employees of the Agency must be treated as if they were employees within the meaning of the Public Service Employment Act and had the rights of recourse provided by that Act.


55(2) La Commission de la fonction publique, après consultation du Conseil du Trésor, peut assortir de modalités la mutation d'employés de l'Agence à des ministères ou organismes sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique si elle estime que les principes du programme de dotation de l'Agence sont incompatibles avec les principes régissant la dotation sous le régime de cette loi.

55(2) The Public Service Commission may, in consultation with the Treasury Board, set terms and conditions for the deployment of Agency employees to departments and agencies under the Public Service Employment Act if, in the opinion of the Commission, the principles governing the Agency's staffing program are incompatible with those governing staffing under the Public Service Employment Act.

55(3) Lorsqu'elle les admet à postuler un emploi en son sein, l'Agence traite les fonctionnaires, au sens de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, comme s'ils étaient ses employés et avaient les mêmes recours que ceux-ci.

55(3) When the Agency considers employees within the meaning of the Public Service Employment Act for employment within the Agency, it must treat them as if they were employees of the Agency and had the rights of recourse of Agency employees.

56. (1) La Commission de la fonction publique peut préparer - ou faire préparer - à l'intention de l'Agence un rapport sur la conformité du programme de dotation avec les principes énoncés dans le résumé du plan d'entreprise; elle envoie une copie du rapport au vérificateur général et au Conseil du Trésor.

56. (1) The Public Service Commission may prepare, or have prepared on its behalf, a report to the Agency on the consistency of the Agency's staffing program with the principles set out in the summary of its corporate business plan and must send a copy of the report to the Auditor General and the Treasury Board.

56(2) La Commission de la fonction publique peut vérifier périodiquement la compatibilité des principes du programme de dotation de l'Agence avec les principes régissant la dotation sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et faire état de ses conclusions dans son rapport d'activités.

[...]

56(2) The Public Service Commission may periodically review the compatibility of the principles governing the Agency's staffing program with those governing staffing under the Public Service Employment Act and may report its findings in its annual report.

[...]

59. Après sa troisième année complète de fonctionnement, et périodiquement par la suite, l'Agence fait préparer par une personne ou un organisme, sauf elle-même ou ses administrateurs ou employés, une évaluation des recours qu'elle offre ou administre dans le cadre de la gestion de ses ressources humaines. Elle inclut un résumé de l'évaluation dans son rapport d'activités.

[...]

59. Following its third full year of operations and periodically after that, the Agency must have prepared, by a person or body other than the Agency, a director or an employee of the Agency, an assessment of the recourse that the Agency provides or administers in its management of human resources. The Agency must publish a summary of the assessment in its next annual report.

[...]

100(2) Il en est de même pour les recours intentés sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et en instance à la date d'entrée en vigueur de l'article 53.

100(2) Any recourse commenced under the Public Service Employment Act that has not been finally dealt with on the coming into force of section 53 must be dealt with and disposed of in accordance with that Act as if section 53 had not come into force.



[27]            M. Anderson soutient qu'il est particulièrement révélateur que, dans les paragraphes 55(1) et 100(2) de la Loi, le législateur qualifie de « recours » les mécanismes d'appel ou de révision prévus par la LEFP, et il dit que le législateur doit être présumé avoir voulu que le mot « recours » ait un sens uniforme dans toute la Loi. Cette interprétation serait autorisée par le fait que les articles 55 et 56 de la Loi autorisent la CFP à examiner le Programme de dotation de l'ADRC. En fin de compte, nous serions devant un régime de freins et contrepoids conforme aux principes établis dans la LEFP.

[28]            Pour étudier comme il convient cet argument, je ferai observer d'abord que la méthode moderne d'interprétation des lois requiert de lire les termes d'une loi « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur » . Voir : E. A. Driedger, Construction of Statutes, 2e édition (Toronto : Butterworth's, 1983), à la page 87, cité dans l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21, par le juge Iacobucci.

[29]            Appliquant cette méthode, j'en conclus ce qui suit :

i)           Le paragraphe 55(1) de la Loi requiert que, en ce qui a trait aux concours internes, aux mutations et aux nominations effectués sous le régime de la LEFP, les employés de l'ADRC doivent être traités comme s'ils étaient des fonctionnaires au sens de la LEFP. À mon avis, cette disposition n'est nécessaire que si les employés de l'ADRC n'ont pas de droits de recours qui soient assimilables aux droits de recours prévus par la LEFP.


ii)          Le paragraphe 55(2) de la Loi donne à la CFP le pouvoir discrétionnaire d'assortir de modalités les mutations d'employés de l'ADRC à des ministères ou organismes relevant de la LEFP si elle estime que les principes du Programme de dotation de l'ADRC sont incompatibles avec les principes régissant la dotation sous le régime de la LEFP. Cette disposition traduit à mon avis l'idée du législateur selon laquelle les principes de dotation de l'ADRC peuvent différer, voire s'écarter complètement, des principes de dotation établis dans la LEFP.

iii)          Le paragraphe 56(1) de la Loi autorise la CFP à préparer ou à faire préparer un rapport sur la conformité du programme de dotation de l'ADRC aux principes énoncés dans le résumé du plan d'entreprise, et le paragraphe 56(2) autorise la CFP à vérifier la compatibilité des principes du Programme de dotation de l'ADRC avec les principes régissant la dotation sous le régime de la LEFP. Il importe de noter que ce qui doit être examiné, ce sont les principes de dotation, non les dispositions du programme lui-même. De plus, cette comparaison donne à entendre qu'il peut y avoir des différences entre les principes, et les textes législatifs ne disent nulle part que les principes de la LEFP doivent avoir préséance ou qu'ils doivent être appliqués à l'ADRC.


iv)         L'article 59 de la Loi prévoit que, après sa troisième année complète de fonctionnement, l'ADRC doit faire préparer une évaluation des recours qu'elle offre ou administre. Il n'est précisé nulle part que cette évaluation doit comparer les recours offerts par l'ADRC avec les recours prévus par la LEFP.

v)          Les dispositions transitoires du paragraphe 100(2) de la Loi maintiennent les recours qui ont été introduits en vertu de la LEFP, mais non achevés lorsque la Loi est entrée en vigueur. C'est là, à mon avis, reconnaître encore une fois qu'il pouvait y avoir des différences entre les dispositions prévoyant des recours. Autrement, une telle disposition transitoire ne serait pas nécessaire.

[30]            Eu égard à cette analyse, je suis d'avis que les mots employés dans ces dispositions, lus dans leur contexte, selon leur sens ordinaire, et en harmonie avec l'esprit de la Loi, ne permettent pas d'affirmer que les recours prévus par la Loi doivent être modelés sur les recours prévus par la LEFP, ou être compatibles avec les recours prévus par la LEFP.

[31]            Quant aux débats parlementaires invoqués, le compte rendu officiel des débats parlementaires ne peut jouer qu'un rôle restreint dans l'interprétation des lois. Il ne peut établir l'intention du législateur, mais il peut offrir des indices sur le contexte et l'objet de la loi. Voir l'arrêt Construction Gilles Paquette Ltée c. Entreprises Végo Ltée, [1997] 2 R.C.S. 299, au paragraphe 20; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), précité, au paragraphe 35.

[32]            Quoi qu'il en soit, les débats parlementaires invoqués n'établissent pas que les recours prévus par la Loi devaient équivaloir aux recours prévus par la LEFP. Par exemple, dans le compte rendu officiel des débats de la Chambre des communes, n ° 143 (27 octobre 1998), à 1630 (l'honorable Sophia Leung), on peut lire ce qui suit :

L'agence ne sera plus assujettie à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Par conséquent, la dotation et les questions connexes feront l'objet de politiques approuvées par le conseil de direction de l'agence. C'est un changement important puisque, par exemple, la période de recrutement, qui peut actuellement durer de trois à six mois dans le cadre du système gouvernemental universel, pourrait être ramenée à quatre semaines, dans la plupart des cas.

L'agence élaborera son propre programme de dotation, conformément à certains principes établis. La Commission de la fonction publique présentera à l'agence un rapport lui indiquant si son programme de dotation est conforme aux principes énoncés dans le sommaire du plan d'entreprise.

[33]            Finalement, quant au sens du mot « recours » trouvé dans d'autres textes législatifs ou défini dans les dictionnaires, le mot « recours » ne requiert pas par lui-même une audience devant un tribunal indépendant, comme le voudrait M. Anderson. Les définitions du dictionnaire données par M. Anderson sont les suivantes : « s'en rapporter à quelqu'un ou à quelque chose pour obtenir aide ou protection » (en ligne : http://www.yourdictionary.com/cgi-bin/mw.cgi) et « ce à quoi on recourt, dernier moyen efficace » (Word Net 1.7 Vocabulary Helper, en ligne : http://poets.notredame.ac.jp/cgi-bin/wn). Un recours n'équivaut pas à un redressement. Renvoyer une décision au décideur initial pour révision constitue une forme de recours lorsque, comme c'est le cas ici, le Programme de dotation prévoit la possibilité d'adopter des mesures correctives.

[34]            D'ailleurs, le meilleur indice de l'intention du législateur se trouve non dans d'autres textes législatifs ou dans les dictionnaires, mais dans le texte même de la Loi.


b) La rétroaction individuelle répond-elle aux principes de l'équité procédurale?

[35]            On fait valoir au nom de M. Anderson que, puisque des intérêts professionnels, financiers et personnels peuvent être lésés par l'absence d'une nomination à un poste, une norme de justice relativement élevée est requise. C'est le cas en particulier, affirme-t-on, si l'on considère ce qui était auparavant offert aux employés de l'ADRC à titre de redressement selon la LEFP.

[36]            Le recours offert par le Programme de dotation à ceux qui se trouvent dans la position de M. Anderson est l'octroi d'une rétroaction individuelle par le responsable du jury de sélection. Il n'y a pas d'autres recours à l'encontre de la décision de la personne qui a conduit la rétroaction individuelle. M. Anderson dit que cette procédure n'est pas équitable sur le plan procédural et qu'elle ne respecte pas les principes de justice naturelle.

[37]            La procédure serait également viciée, et injuste sur le plan procédural, parce que :

i)           seul le gestionnaire et l'employé ont le droit de participer à la séance de rétroaction individuelle. Un employé ne peut donc pas être représenté, ni produire de témoins; et


ii)          dans une séance de rétroaction individuelle qui est consentie pour l'étape des conditions essentielles, la question unique se rapporte aux titres de compétence de l'employé concerné. L'employé ne peut évoquer la manière dont d'autres employés ont été traités, et aucun renseignement sur l'évaluation d'autres candidats n'est donné.

[38]            L'examen de ces arguments doit commencer par le postulat bien établi selon lequel la notion d'équité est variable et contextuelle, non abstraite ou absolue. Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux pages 837 et suivantes, la Cour suprême a confirmé que les facteurs qui serviront à déterminer quels droits procéduraux l'obligation d'équité produit dans un ensemble donné de faits sont les suivants :

i)           la nature de la décision qui est prise et la procédure suivie pour la prendre;

ii)          la nature du régime législatif, et les termes de la loi en conformité de laquelle agit le décideur;

iii)          l'importance de la décision pour la personne concernée;

iv)         les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et

v)          le choix procédural fait par le décideur, en particulier lorsque la loi donne au décideur le droit de choisir ses propres procédures.

[39]            S'agissant du premier facteur, la nature de la décision et la procédure suivie pour prendre cette décision, le point à examiner est essentiellement la mesure dans laquelle la décision contestée et la procédure suivie pour arriver à cette décision participent d'un jugement. Plus la décision peut être assimilée à un jugement, plus élevé est le contenu du devoir d'équité.

[40]            Ici, la décision doit reposer sur un critère raisonnablement objectif et non sur un pouvoir discrétionnaire librement exercé, au vu des faits se rapportant à un candidat, et la décision ne s'applique qu'à ce candidat. Ces facteurs donnent à penser que le contenu du devoir d'équité est relativement élevé. Cependant, l'annexe L du Programme de dotation dit expressément que « la rétroaction individuelle n'est pas seulement un mécanisme de recours offert aux employés non satisfaits. La rétroaction individuelle est un élément clé du processus de l'Agence en matière de gestion des carrières, grâce auquel les employés reçoivent une orientation sur leurs besoins de perfectionnement » . Si l'on ajoute à cela qu'il appartient à un candidat de prouver qu'il répond aux conditions essentielles, le processus administratif s'éloigne alors quelque peu d'un processus purement décisionnel, et le contenu du devoir d'équité devient plus restreint.

[41]            Le deuxième facteur est la nature du régime législatif. La Loi confère à l'ADRC un pouvoir discrétionnaire considérable dans la mise en place d'un programme de dotation. Dans la mesure où, en droit, des protections procédurales plus élevées sont requises lorsqu'aucune procédure d'appel n'est prévue dans le texte législatif, il est utile de noter que les décisions se rapportant à la rétroaction individuelle ne sont pas à l'abri d'une contestation, mais peuvent être examinées par la Cour dans un contrôle judiciaire.


[42]            S'agissant du troisième facteur, l'importance d'une décision de ce genre est significative sur le plan personnel. Cependant, la décision selon laquelle un candidat répond ou ne répond pas aux conditions essentielles d'un poste n'a pas sur lui les mêmes répercussions que la décision qui compromet le droit d'une personne de conserver son emploi. Un candidat n'a en général aucun droit d'occuper un nouveau poste, et il peut dans l'avenir poser sa candidature pour le même poste ou un autre poste. Lorsqu'on juge qu'un candidat ne remplit pas les conditions essentielles d'un poste, ce qu'il perd, c'est le droit d'être évalué d'après les qualités requises pour le poste, en même temps que tous les autres qui remplissent les conditions essentielles du poste.

[43]            Le quatrième facteur concerne les attentes légitimes. On n'a établi aucune action ou omission qui puisse autoriser, chez M. Anderson ou chez tout autre employé concerné, l'espoir légitime qu'une autre procédure serait suivie lorsqu'il voudrait contester une décision selon laquelle il ne remplit pas les conditions essentielles d'un poste.

[44]            Finalement, s'agissant du choix procédural, comme on l'a vu précédemment, la Loi confère au décideur une grande liberté dans le choix de ses propres procédures.

[45]            Eu égard au contexte législatif, institutionnel et social dans lequel une décision sera prise à la suite de la plainte d'un candidat mécontent d'apprendre qu'il ne répond pas aux conditions essentielles d'un poste, et après mise en équilibre des facteurs susmentionnés, il ne m'apparaît pas que l'équité procédurale requiert une révision de la part d'un tiers indépendant. Plus précisément, je suis d'avis que le recours offert sous la forme d'une rétroaction individuelle s'accorde tout à fait avec les exigences de l'équité procédurale.

[46]            L'équité procédurale s'entend d'une occasion réelle de présenter les faits pertinents et de faire étudier pleinement et objectivement sa position par le décideur. Ainsi que l'écrivait le juge L'Heureux-Dubé dans l'arrêt Baker, précité, à la page 837, l'objet des droits de participation contenus dans le devoir d'équité est de « garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d'une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal, institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu'ils soient considérés par le décideur » .

[47]            Le recours constitué par la rétroaction individuelle requiert qu'un employé dispose d'une information utile à propos de son évaluation. Un employé sait, après avoir pris connaissance de l'avis de poste vacant et de l'énoncé des exigences de dotation, ce que sont les conditions essentielles d'un poste. Un employé est conscient également de son aptitude à remplir les conditions essentielles du poste. Il n'a pas été démontré qu'un employé a besoin d'un représentant pour expliquer en quoi l'évaluation de ses titres et qualités est erronée ou comment il a établi qu'il répond aux conditions essentielles. Avant la séance de rétroaction individuelle, un employé est libre d'obtenir par tout moyen l'information qui lui permettra d'expliquer ou de présenter ses arguments durant la séance. Il a donc une occasion raisonnable de présenter ses arguments.

[48]            L'équité procédurale requiert aussi que les décisions soient rendues par un décideur objectif et ne donnent prise à aucune crainte raisonnable de partialité. Il ne va pas de soi à mon avis que le responsable d'un jury de sélection ne sera pas, de par cette position, enclin à modifier la décision du jury de sélection si on lui montre qu'une erreur a été commise. En droit, hormis une restriction législative, les décisions de nature non juridictionnelle peuvent être réexaminées et modifiées. (Voir Brown & Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, édition à feuilles mobiles (Canvasback Publishing : Toronto, 1998), page 12:6100.) Étant donné l'absence évidente d'un intérêt pécuniaire ou matériel chez le gestionnaire qui a mené la séance de rétroaction individuelle dans l'affaire qui nous occupe, et vu la nature de la décision contestée, il me semble que la norme d'impartialité qui s'impose est moins rigoureuse que celle qui est appliquée aux décisions de nature judiciaire. La preuve ne montre pas que les responsables des séances de rétroaction individuelle afficheront de ce seul fait une fermeture d'esprit inacceptable.

[49]            Il convient de noter qu'il existe un intérêt public dans la prise rapide des décisions. Le gestionnaire qui conduit la séance de rétroaction individuelle est bien placé pour expliquer pleinement, exactement et rapidement la raison pour laquelle un candidat a été exclu du concours. Ce gestionnaire a également les compétences requises pour donner son avis sur les besoins de perfectionnement du candidat.


[50]            Quant à la règle qui, à l'étape de la séance de rétroaction individuelle, empêche un employé d'évoquer la manière dont d'autres employés ont été traités et de se renseigner sur l'évaluation d'autres candidats, la seule question à cette première étape de la procédure de sélection concerne l'examen de la qualification du candidat par rapport aux conditions essentielles du poste. La décision prise est objective par nature, en ce sens qu'un candidat remplit ou ne remplit pas les conditions essentielles du poste. La manière dont les autres candidats sont jugés n'intéresse pas la question objective de savoir si un candidat en particulier répond ou non aux conditions essentielles. Le devoir d'équité ne requiert donc pas d'offrir l'accès à une information qui ne présente aucun intérêt à ce stade de la procédure de sélection.

[51]            En résumé, je suis d'avis que le recours offert au moyen de la rétroaction individuelle à un candidat dont on juge qu'il ne remplit pas les conditions essentielles d'un poste s'accorde avec les exigences de l'équité procédurale.

(ii) Quelle est la norme de contrôle à appliquer à la décision qui résulte de la séance de rétroaction individuelle?

[52]            On fait valoir au nom de M. Anderson que la norme de contrôle à appliquer à la décision en cause est la norme de la décision correcte, parce que :

a)              la question posée dans le cas présent ressemble énormément aux questions de droit qui peuvent être soulevées en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, à propos de l'interprétation et de l'application du principe du mérite. La Cour d'appel fédérale a jugé que ces questions doivent être contrôlées d'après la norme de la décision correcte. Il n'y a aucune raison pour laquelle une norme semblable ne devrait pas être appliquée ici;


b)             la question essentielle soulevée par la demande est de savoir si le programme de dotation établi par l'ADRC, ainsi que la décision du gestionnaire à la suite de la séance de rétroaction individuelle, étaient conformes aux exigences de la Loi sur l'ADRC. Il faut donc faire appel aux connaissances spécialisées que requiert le travail d'interprétation et d'application des lois - connaissances spécialisées que le décideur concerné n'a pas, mais que possède la Cour. On se trouve en effet précisément devant un point de droit que la Cour est mieux à même d'étudier;

c)              étant donné que le demandeur est d'avis que la séance de rétroaction individuelle qui lui a été ménagée est incompatible avec les exigences de la Loi sur l'ADRC, il affirme finalement que le décideur soit était incompétent pour rendre cette décision, soit a outrepassé sa compétence puisqu'elle était incompatible avec la Loi sur l'ADRC. La question est donc par nature une question de compétence, question qui requiert elle aussi l'application de la norme de la décision correcte;

d)             la décision contestée a été rendue par un gestionnaire de l'ADRC sans aucun des attributs d'une audience ou d'un processus quasi judiciaire. De fait, parce que la décision a été rendue par un gestionnaire de l'ADRC et qu'elle concernait sa propre application de la Loi, et parce que la décision concerne la question de savoir si l'ADRC elle-même s'est conformée à la Loi sur l'ADRC, le décideur ne saurait, selon aucune norme, être jugé neutre. Il est donc nécessaire pour la Cour de revoir attentivement cette décision; et

e)              le décideur n'est protégé par aucune forme de clause privative; aucune disposition de la Loi ne donne d'ailleurs à entendre que le législateur voulait qu'une telle décision soit soustraite à tout examen.

[53]            Dans l'arrêt Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, au paragraphe 20, la Cour suprême réaffirmait de nouveau la primauté de l'approche pragmatique et fonctionnelle lorsqu'il s'agit de définir la norme de contrôle à appliquer à un acte administratif. L'approche pragmatique et fonctionnelle requiert l'application des quatre facteurs contextuels suivants :

i)           la présence ou l'absence d'une clause privative ou d'un droit d'appel conféré par la loi;

ii)          les connaissances spécialisées du décideur administratif par rapport à celles de la juridiction de contrôle en ce qui concerne le point soulevé;


iii)          l'objet du texte législatif et de la disposition particulière considérée; et

iv)         la nature de la question.

[54]            La décision ici contestée est celle du gestionnaire qui avait été prié de revoir la décision du jury de sélection d'exclure M. Anderson de la procédure de sélection parce qu'il ne remplissait pas les conditions essentielles du poste. Plus précisément, l'aspect contesté était la conclusion selon laquelle M. Anderson n'avait pas l'expérience requise.

[55]            Si l'on examine chacun des facteurs contextuels, on constate que la Loi ne dit rien sur le contrôle des décisions issues d'un recours. On dit que le silence est un facteur neutre. Voir l'arrêt Dr. Q, précité, au paragraphe 27.

[56]            S'agissant des connaissances spécialisées, il s'agit ici de savoir si le jury de sélection a commis une erreur en affirmant que M. Anderson n'avait pas l'expérience requise pour le poste de chef d'équipe, Recouvrements. La procédure de sélection prescrit que les besoins de dotation de l'ADRC doivent être rattachés aux besoins opérationnels actuels et futurs et doivent être établis compte tenu de la nature des fonctions des postes à pourvoir.


[57]            Une spécialisation relative peut se manifester de plusieurs façons. Ici, la question de savoir si un candidat a l'expérience requise est une question de fait. Cette condition a été établie par les gestionnaires de l'ADRC, et les gestionnaires doivent régulièrement être appelés à se prononcer sur l'expérience des candidats. Ils acquièrent par conséquent un certain degré de spécialisation institutionnelle relative. Cela veut dire que les gestionnaires qui conduisent des séances de rétroaction individuelle à l'étape initiale de la procédure de sélection peuvent avoir une capacité relativement supérieure de dire si un candidat possède ou non l'expérience requise. Il s'ensuit que les cours de justice devront en général déférer jusqu'à un certain point aux conclusions de ces décideurs.

[58]            Le troisième facteur requiert la prise en compte de l'objet du texte législatif, et de l'objet de la disposition considérée. L'objet général de la Loi est de transformer Revenu Canada, jusque-là un ministère fédéral, en une personne morale mandataire de la Couronne. La Loi confère à l'ADRC un pouvoir discrétionnaire dans l'élaboration d'un programme régissant la dotation en personnel, et notamment dans l'aménagement de recours. Ce pouvoir discrétionnaire invite à une retenue de la part des cours de justice. Cependant, la décision administrative ici en question ne fait pas intervenir de grandes options ni ne requiert la mise en équilibre d'ensembles multiples d'intérêts et de facteurs. En offrant une séance de rétroaction individuelle, le décideur espère résoudre un différend sur la question de savoir si certaines conditions essentielles sont remplies. Cet objet décisionnel n'invite pas à la retenue. Je suis donc d'avis que la prise en compte de l'objet de la loi et de la disposition concernée conduit à un résultat ambivalent lorsqu'il s'agit de déterminer la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer.

[59]            Le dernier facteur à considérer est la nature du problème. La conclusion ici contestée est une conclusion de fait, et donc la juridiction de contrôle doit se montrer d'autant plus circonspecte avant de la modifier.

[60]            Après mise en équilibre de ces facteurs autant qu'il m'est possible de le faire, je suis d'avis que la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable.

(iii) La décision du gestionnaire, à l'étape de la séance de rétroaction individuelle, selon laquelle M. Anderson ne remplissait pas les conditions essentielles, était-elle manifestement déraisonnable ou contrevenait-elle au devoir d'équité?

[61]            On fait valoir au nom de M. Anderson que la décision est déraisonnable parce que :

i)           L'expérience considérable de M. Anderson n'a pas été prise en compte. Il n'a pas été tenu compte de l'expérience de M. Anderson acquise par lui à des niveaux plus élevés que le niveau PM-02 (expérience mentionnée dans l'avis de poste vacant), ni de son expérience acquise lors de la mise en place de l'ADRC, ni de son ancienneté tout simplement.


ii)          En l'éliminant à la présélection parce qu'il n'avait exercé les fonctions d'un cadre supérieur que pendant environ un an au cours des trois années antérieures, l'employeur a considéré d'une manière très étroite l'énoncé de qualités. Cela était déraisonnable.

iii)          L'employeur obligeait les candidats à connaître parfaitement les politiques et procédures de l'ADRC. Ce n'était pas là une exigence indiquée dans l'avis de poste vacant.

[62]            Par ailleurs, M. Anderson dit que la décision a été rendue au mépris des règles de l'équité procédurale parce que :

i)           M. Anderson n'a pas eu une occasion pleine et entière de présenter ses arguments;

ii)          M. Charles a négligé :

-            de prendre le temps d'examiner les documents, les questions ou les points de discussion pertinents avant de conduire la séance de rétroaction individuelle;

-            de communiquer à M. Anderson une information utile concernant sa propre évaluation;

-            de revoir la nature de la décision au regard des préoccupations de M. Anderson et de répondre aux questions qu'il pouvait avoir à propos de cette étape de la procédure de sélection;


-            de donner à M. Anderson l'accès à ses propres documents d'évaluation et de lui communiquer l'information relative aux autres candidats; et

-            de profiter de la séance de rétroaction individuelle pour donner à M. Anderson l'information qui l'aurait aidé dans la gestion de sa carrière.

[63]            Par commodité, je répéterai les conditions essentielles touchant l'expérience qui sont énoncées dans l'avis de poste vacant :

[Traduction]

Description d'emploi et fonctions :

Gérer une équipe, au sein de la section des recouvrements de recettes fiscales, qui sera chargée de percevoir et de mettre en recouvrement les créances, et de fournir des services d'information et services consultatifs. Le titulaire donne des conseils et des idées nouvelles à l'équipe en exerçant un ascendant par l'application et l'exécution de la Charte du gestionnaire de l'Agence.

Expérience :

Expérience récente et significative dans la section des recouvrements de recettes fiscales, à un niveau de cadre supérieur du programme des sommes à recouvrer.

Expérience récente : au cours des trois dernières années approximativement.

Expérience significative : accomplissement à temps plein de fonctions durant environ deux années consécutives.

L'expérience susmentionnée serait en principe acquise au niveau PM-02 ou niveau plus élevé.


[64]            L'avis de poste vacant précisait que « seuls les candidats qui montrent qu'ils remplissent les conditions essentielles seront considérés » . M. Anderson a donc simplement décrit dans sa mise en candidature son expérience d' « agent des procédures de recouvrement » , acquise du 15 août 1996 au 10 mai 2001 (la date de sa candidature). Il n'ajoutait rien d'autre pour prouver qu'il répondait aux conditions essentielles.

[65]            Le témoignage de M. Anderson à propos des points qu'il avait soulevés lors de la séance de rétroaction individuelle se présente ainsi :

[Traduction]

9.              M. Charles m'a dit qu'il avait entendu dire que je souhaitais une rétroaction à propos du concours. Il m'a informé que j'avais été éliminé à la présélection parce que je ne répondais pas au critère de l'expérience. J'ai fait observer à M. Charles que je répondais à la définition de « expérience récente » et que j'avais 26 ans d'expérience au niveau PM-02 ou à un niveau plus élevé.

10.            M. Charles a répondu que l'avis de concours signifiait en réalité que le candidat devait avoir passé les deux années antérieures à exercer les fonctions d'un PM-02 ou d'un PM-03 dans la section des recouvrements. Je lui ai redit que je remplissais manifestement les conditions indiquées sur l'avis. M. Charles a alors déclaré « ne jouez pas sur les mots avec moi, je vous explique ce que l'avis voulait dire » . Il a dit que l'accomplissement des tâches signifiait l'accomplissement des tâches de la description d'emploi, non des tâches assignées par la direction. M. Charles a déclaré qu'il pouvait modifier l'avis pour qu'il reflète ce qu'il venait de dire, mais que ce ne serait qu'une perte de temps. Il a dit : « Je pourrais rédiger l'avis comme je le veux » .


[66]            Ainsi, dans la mesure où il soutient aujourd'hui que, lors de la séance de rétroaction individuelle, il n'a nullement été tenu compte de son expérience appréciable, quand bien même il ne répondait pas strictement aux conditions essentielles précisées, il n'est pas établi que M. Anderson a demandé d'être considéré compte tenu qu'il remplissait par ailleurs les conditions essentielles en raison de ses états de service, ou parce qu'il avait travaillé à un niveau plus élevé que celui de PM-02, ou parce qu'il avait fait partie de l'équipe de transition de l'ADRC. Comme on le voit ci-dessus, M. Anderson a fait valoir qu'il remplissait effectivement les conditions d'une « expérience récente et significative » , en raison de ses états de service et parce qu'il pouvait justifier d'une expérience récente. À mon avis, on ne commet pas une erreur sujette à révision lorsqu'on néglige de considérer des arguments et des points, non soulevés à la séance de rétroaction individuelle, selon lesquels M. Anderson pouvait justifier d'une expérience équivalente qui le qualifiait pour le poste

[67]            S'agissant maintenant des mots employés pour décrire la condition essentielle représentée par l'expérience, M. Charles n'a pas commis d'erreur, à mon avis, lorsqu'il a dit que l'exigence, telle qu'elle était rédigée, signifiait qu'un candidat devait avoir exercé des fonctions à temps plein dans la section des recouvrements pendant environ deux années consécutives au cours des trois années antérieures. M. Charles a juré que, lors de la séance de rétroaction individuelle :

[Traduction]

14.            J'ai dit au candidat qu'il ne remplissait pas la condition essentielle de l'expérience parce que son expérience au Service des recouvrements de recettes fiscales n'était pas récente ni significative, étant donné qu'il n'avait pas exercé des fonctions à temps plein dans le programme de sommes à recouvrer, durant environ deux années consécutives au cours des trois années antérieures. Comme je l'ai indiqué ci-dessus, le demandeur était en détachement volontaire à l'extérieur du Service des recouvrements de recettes fiscales pour la période allant de janvier 1997 à avril 2000.

[68]            S'agissant de l'aptitude de M. Anderson à remplir cette exigence, il n'est pas contesté que, de janvier 1997 à avril 2000, il était en détachement à l'extérieur de la Section des recouvrements, puisqu'il travaillait sur des dossiers se rapportant à la mise en place de l'ADRC.


[69]            Le mot « approximativement » utilisé dans l'avis de poste vacant donne au décideur une certaine liberté de déclarer admissibles des candidats dont l'expérience a pu être acquise en dehors des limites temporelles précisées, mais il n'autorise pas le décideur à ignorer la nécessité d'une expérience récente et significative. Le décideur n'est pas autorisé à considérer plutôt les années totales de service d'un candidat, ni à voir comment un candidat pourrait d'une autre manière compenser l'absence de l'accomplissement de tâches à temps plein dans les recouvrements, pendant environ deux années consécutives au cours des trois années antérieures.

[70]            Par ailleurs, même s'il peut être difficile dans certains cas de savoir où se trouve les limites du pouvoir discrétionnaire d'un jury de sélection, je suis d'avis qu'il n'était pas déraisonnable pour M. Charles de dire, lors de la séance de rétroaction individuelle, que le jury de sélection n'avait pas le pouvoir de réduire de moitié l'exigence d'une expérience récente. C'est ce qu'aurait fait le jury de sélection s'il avait accepté comme expérience récente des recouvrements l'expérience acquise par M. Anderson au cours des 13 mois allant d'avril 2000 à mai 2001.

[71]            Je n'ai pas été persuadée que de nouveaux critères ont été introduits dans le concours du seul fait qu'était exigée la connaissance des politiques et des lois qui intéressent les recouvrements de recettes fiscales. La connaissance des lois et politiques a été expliquée par la défenderesse comme la raison d'être de l'exigence d'une expérience récente. Cette connaissance n'était pas à proprement parler une exigence.

[72]            Pour ces motifs, je suis d'avis que la décision de M. Charles n'était pas manifestement déraisonnable. Par ailleurs, même si la norme de contrôle était celle de la décision déraisonnable simpliciter, je refuserais de dire que la décision est entachée d'une erreur flagrante.


[73]            Sur la question de savoir s'il y a eu manquement aux règles de l'équité procédurale dans les circonstances de cette affaire, comme je l'ai indiqué plus haut, le devoir d'équité requiert que ceux dont les intérêts sont lésés aient une occasion réelle de se faire entendre, pleinement et équitablement. Il n'est pas établi que M. Anderson ait protesté auprès de M. Charles ou de quelqu'un d'autre contre l'absence d'une représentation, ou qu'il ait fait état de la nécessité pour lui d'être représenté durant la séance de rétroaction individuelle, ou qu'il n'ait pas d'une autre manière eu l'occasion d'exposer ses arguments.

[74]            Avant d'examiner les plaintes se rapportant au contenu de la séance de rétroaction individuelle, il est nécessaire d'examiner plus pleinement les événements qui ont conduit à la séance. Après avoir appris qu'il avait été éliminé du concours, M. Anderson avait été encouragé à obtenir auprès de M. Charles une rétroaction individuelle aux termes de la politique de dotation en personnel de l'ADRC. M. Anderson s'est donc rendu au bureau de M. Charles, mais M. Charles n'y était pas. M. Anderson y est donc retourné environ une heure plus tard. M. Charles se trouvait alors dans son bureau. M. Charles a dit à M. Anderson qu'il avait entendu dire que M. Anderson souhaitait une rétroaction. La séance de rétroaction s'est alors déroulée.


[75]            Il ne semble pas que M. Charles ait pris le temps avant la séance d'examiner les documents pertinents. Il n'a pas non plus profité de la séance pour communiquer à M. Anderson l'information qui l'aurait aidé dans la gestion de sa carrière, ainsi que le prévoyait la directive sur les recours en matière de dotation. Toutefois, à mon avis, les responsabilités de celui qui conduit une séance de rétroaction individuelle doivent tenir compte du contexte factuel particulier dans lequel il se trouve. Par exemple, le besoin d'aide que peut avoir un employé pour la gestion de sa carrière variera probablement d'un candidat à un autre, et une séance de rétroaction individuelle ne devrait pas être viciée du seul fait qu'une information inutile ou non sollicitée n'y a pas été communiquée.

[76]            En l'espèce, la preuve me convainc que la séance de rétroaction individuelle a donné à M. Anderson une occasion pleine et entière de dissiper ses doutes. Il n'a pas été établi que l'information utile touchant l'évaluation de M. Anderson ne lui a pas été communiquée ou que les questions qu'il pouvait avoir sont demeurées sans réponse. La nature de la décision à l'origine de ses préoccupations a été examinée. Il s'agissait de savoir si son expérience était suffisamment récente et significative pour répondre aux conditions essentielles. Le moment où s'est déroulée la séance rendait compte du désir de M. Anderson de voir le superviseur immédiatement. Le contenu de la séance attestait que ce que voulait M. Anderson, c'était la possibilité d'expliquer que, à son avis, il répondait à la définition d'une expérience récente.


[77]            J'ai passé en revue le témoignage de M. Anderson selon lequel, durant la séance de rétroaction individuelle, M. Charles lui avait dit que le critère appliqué par le jury de sélection contredisait l'avis de poste vacant et qu'il (M. Charles) pouvait reformuler l'avis pour qu'il rende compte des exigences véritables du jury de sélection. Je ne vois aucune contradiction du genre, et M. Charles a nié avoir dit cela. Aucun des déposants n'a été contre-interrogé sur son témoignage. Je ne suis pas disposée à dire que, en raison de cette contrariété non résolue des témoignages, il y a eu manquement au devoir d'équité.

[78]            En somme, au vu des faits, je suis d'avis que M. Anderson a été traité d'une manière qui respectait le devoir d'équité. M. Anderson a tiré parti de la possibilité qu'il avait d'obtenir un redressement, de la manière qu'il jugeait adéquate, et il a obtenu une réponse équitable.

CONCLUSION

[79]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[80]            Les deux parties ont demandé que les dépens leur soient adjugés pour le cas où elles obtiendraient gain de cause. Je ne vois pas pourquoi les dépens ne devraient pas suivre l'issue de la cause. Par conséquent, la défenderesse a droit à ses dépens, qui seront taxés selon la colonne III du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).


ORDONNANCE

[81]            LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Le demandeur est condamné aux dépens, qui seront taxés selon la colonne III du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

                                                                                                                                « Eleanor R. Dawson »             

                                                                                                                                                                 Juge                              

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


APPENDICE A

Articles 53 et 54 de la Loi sur l'Agence des douanes et du revenu du Canada :


53. (1) L'Agence a compétence exclusive pour nommer le personnel qu'elle estime nécessaire à l'exercice de ses activités.

53. (1) The Agency has the exclusive right and authority to appoint any employees that it considers necessary for the proper conduct of its business.

(2) Les attributions prévues au paragraphe (1) sont exercées par le commissaire pour le compte de l'Agence.

(2) The Commissioner must exercise the appointment authority under subsection (1) on behalf of the Agency.

54. (1) L'Agence élabore un programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés.

54. (1) The Agency must develop a program governing staffing, including the appointment of, and recourse for, employees.

(2) Sont exclues du champ des conventions collectives toutes les matières régies par le programme de dotation en personnel.

(2) No collective agreement may deal with matters governed by the staffing program.



COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                    T-1163-01

INTITULÉ :                                   George Anderson c. L'Agence des douanes et

du revenu du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :         le 7 janvier 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                 MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :              le 29 mai 2003

COMPARUTIONS :

David Yazbeck                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Sanderson Graham                                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Allen, Cameron et Ballantyne                                      POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Morris Rosenberg                                                                     POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.