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Date : 20040604

Dossier : T-1755-02

Référence : 2004 CF 773

Ottawa (Ontario), le 4 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                               GAIL KASTNER

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'égard de la décision de Ken Duford (le délégué du ministre), responsable du Régime d'aide aux personnes déstructurées à l'Institut Allan Memorial (le régime), datée à tort du 14 mars 1994, par laquelle il rejetait la demande d'indemnité présentée par la demanderesse aux termes du Décret concernant les paiements à titre gracieux aux personnes déstructurées à l'Institut Allan Memorial au cours des années 1950 et 1965, C.P. 1992-2302 (le décret).


LE CONTEXTE

[2]                Entre 1950 et 1965, le docteur Ewen Cameron a fait de la recherche et a fourni des soins psychiatriques à l'Hôpital Royal Victoria de Montréal.

[3]                Il a mis au point un traitement de la dépression et de la schizophrénie. Cette thérapie avait pour but de « déstructurer » la personnalité du patient, et de ramener en pratique l'état mental de ce dernier à celui d'un enfant. Il s'agissait ensuite de restructurer le cerveau du patient une fois la maladie disparue. Le docteur Cameron utilisait des cures de sommeil, suivies de nombreux traitements par électrochocs, ainsi que la privation sensorielle et les drogues pour déstructurer le patient.

[4]                C'est en 1955 que le processus complet de déstructuration a été mis au point et il a fait ensuite l'objet d'une publication. Cependant, la thérapie utilisée avant 1955 comportait la plupart de ces caractéristiques de déstructuration, en particulier le sommeil artificiel et les électrochocs.

[5]                Ce traitement a causé des dommages durables aux patients qui l'ont subi. Il entraînait notamment comme effet négatif le retour à un comportement infantile et une perte de mémoire. La théorie et les méthodes du Dr Cameron sont aujourd'hui complètement discréditées.


[6]                En 1986, le gouvernement fédéral a demandé à George Cooper, un avocat, de préparer un rapport au sujet du Dr Cameron. Il a produit un rapport (le rapport) qui examinait les traitements administrés dans les années 1950 et 1960 et recommandait le versement à titre gracieux d'une somme de 100 000 $ à tous ceux qui avaient subi ce traitement à titre [traduction] « d'expression du sentiment de responsabilité collective qu'éprouve la société canadienne à l'égard de mesures qui ont été prises de bonne foi mais qui ont eu des effets préjudiciables » . Le rapport ne concluait toutefois pas que le Dr Cameron ou le gouvernement fédéral avait commis une faute.

[7]                Le 16 novembre 1992, le décret à l'origine de la présente affaire a été promulgué. Il prévoyait le versement à titre gracieux d'une somme de 100 000 $ aux personnes déstructurées, pourvu que celles-ci présentent une demande avant le 1er janvier 1994.

[8]                La demanderesse, Mme Gail Kastner, a été hospitalisée à l'Institut Allan Memorial (IAM) du 14 janvier au 18 février 1953 et du 5 mars au 23 avril 1953. Pendant qu'elle se trouvait dans cet institut, elle a été déclarée schizophrène et subi un traitement pour cette maladie. Comme l'indique son dossier médical, elle a reçu 43 électrochocs, dont quatre étaient des électrochocs Page-Russell, qui sont six fois plus intenses qu'un électrochoc normal, ce qui représente un total de 63 électrochocs. Elle a également été placée en coma insulinique.

DÉCISIONS ANTÉRIEURES


[9]                Le 29 septembre 1993, Mme Kastner a déposé une demande d'indemnité en vertu du décret. À l'appui de sa demande, elle a présenté des rapports d'expert préparés par les psychiatres, les Drs L. Hoffman et G. Pierre-Louis, qui déclaraient tous deux, en se fondant sur le traitement subi par la demanderesse, qu' « il existe un lien manifeste entre le sommeil provoqué artificiellement et le recours à une sismothérapie intensive qui constituent les caractéristiques de base de la déstructuration » .

[10]            Marc Gervais, le responsable du régime, a examiné la demande présentée par Mme Kastner. Dans sa décision datée du 20 janvier 1994, il rejette sa demande dans les termes suivants :

[traduction] Les preuves médicales que vous avez fournies n'indiquent pas que vous ayez subi une déstructuration, telle que ce terme est défini dans le décret. Les preuves n'indiquent pas que vous ayez subi une thérapie de sommeil ou une déstructuration. Les preuves indiquent toutefois que vous avez subi des traitements par électrochocs. Ceux-ci ne constituent pas toutefois une « sismothérapie intensive » qui est un élément essentiel du processus de déstructuration des patients. En outre, rien n'indique que le traitement que vous avez subi ait rendu votre état mental semblable à celui d'un enfant.

[11]            Mme Kastner a fait appel de cette décision. Mme Kastner a joint à son appel deux affidavits, l'un émanant de sa soeur jumelle et l'autre de son beau-frère. Ces deux personnes déclaraient qu'après avoir quitté l'IAM, Mme Kastner avait un comportement semblable à celui d'un enfant. Mme Kastner joignait également l'avis d'un psychiatre, le Dr L. Stern.


[12]            Dans sa lettre datée du 14 mars 1994 (une erreur a manifestement été commise pour ce qui est de la date de la lettre puisque celle-ci fait référence à une lettre du 25 mars et à des observations faites le 31 mars), Ken Duford a confirmé le rejet de la demande de Mme Kastner. Il a tenu compte des affidavits présentés par la soeur et le beau-frère de la demanderesse et par le Dr Stern, malgré que ces éléments n'aient pas été présentés au premier décideur, comme l'indique la lettre de rejet :

[traduction] Nous avons examiné la demande présentée par votre cliente, Mme Kastner, aux termes du [...] régime, à la suite de vos lettres des 11 et 25 mars, des observations que vous avez formulées au cours d'une réunion tenue récemment à Ottawa avec des membres du comité d'examen de la justice les 22 et 31 mars ainsi que les différents affidavits que vous avez présentés.

Nous avons examiné attentivement tous les renseignements que vous nous avez fournis mais nous devons vous informer que la décision que nous avons prise au sujet de la demande de Mme Kastner ne sera pas modifiée. Le traitement médical qu'elle a subi en qualité de patiente de l'Institut Allan Memorial ne répond manifestement pas aux critères exigés par le décret pour effectuer un versement.

[13]            La présente demande de contrôle judiciaire porte sur cette décision de Ken Duford.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[14]            Voici les questions en litige :

1.          Quelles sont les preuves admissibles en l'instance?

2.         Le fait que la demanderesse ait poursuivi le gouvernement devant la Cour supérieure du Québec l'empêche-t-elle de bénéficier des versements effectués à titre gracieux, étant donné qu'elle aurait prétendument signé une renonciation protégeant le gouvernement et l'IMA contre toute poursuite judiciaire?

3.         Le principe de l'autorité de la chose jugée doit-il s'appliquer à la présente affaire?

4.         Quelle est la norme de contrôle applicable au refus d'effectuer un versement à titre gracieux à la demanderesse?


5.         Le délégué du ministre pouvait-il raisonnablement décider que le traitement subi par Mme Kastner ne constituait pas un « traitement de déstructuration » et qu'elle n'était pas une « personne déstructurée » ?

6.         La décision constitue-t-elle un acte de discrimination non autorisée et est-elle contraire à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?

[15]            Pour les raisons exposées ci-dessous, j'en arrive à la conclusion que la décision du délégué du ministre n'était pas raisonnable.

ANALYSE

1. Quelles sont les preuves admissibles en l'instance?

[16]            Le défendeur a produit devant la Cour l'avis du psychiatre, le Dr André Maufette, daté du 15 septembre 1998, qui avait été utilisé par la Cour supérieure du Québec dans la poursuite en responsabilité civile qu'avait intentée en vain Mme Kastner. Je reconnais avec la demanderesse que cette preuve n'est pas admissible, étant donné que l'avis du Dr Maufette a été fourni après que M. Duford ait pris la décision de rejeter la demande de versement à titre gracieux. Les preuves dont ne disposait pas le décideur ne sont pas admissibles dans une instance en contrôle judiciaire (Asafov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n ° 713, au paragraphe 2 (C.F. 1re inst.) (QL)). La même règle d'admissibilité s'applique aux autres preuves (y compris les réponses fournies au cours du contre-interrogatoire) qui ont été présentées devant la Cour supérieure mais dont ne disposait pas le décideur Ken Duford.


[17]            Mme Kastner a également formulé une observation qui n'est pas admissible, à savoir que le cabinet d'avocats dont fait partie son avocat a présenté des demandes de versement à titre gracieux aux termes du décret pour d'autres patients et que ces demandes ont été acceptées, même si ces demandeurs ont subi des traitements moins intenses que ceux de Mme Kastner. Cette observation ne repose sur aucune preuve et n'est donc pas admissible.

2. Le fait que la demanderesse ait poursuivi le gouvernement devant la Cour supérieure du Québec l'empêche-t-elle de bénéficier des versements effectués à titre gracieux, étant donné qu'elle aurait prétendument signé une renonciation protégeant le gouvernement et l'IMA contre toute poursuite judiciaire?

[18]            L'article 3 du décret se lit ainsi :

Sur réception d'une demande présentée en conformité avec l'article 4, le Ministre est autorisé à effectuer un paiement à titre gracieux de 100 000 $ à une personne déstructurée qui répond aux conditions suivantes :

[...]

b) elle a signé une renonciation protégeant Sa Majesté du chef du Canada et l'Hôpital Royal Victoria contre toute poursuite judiciaire;

[...]


[19]            Le défendeur soutient que la condition consistant à signer une renonciation protégeant le gouvernement fédéral et l'Hôpital Royal Victoria contre toute poursuite judiciaire n'a pas été respectée, étant donné que la demanderesse a poursuivi ces deux entités devant la Cour supérieure du Québec. Il est vrai que la demanderesse a intenté en mars 1995 une poursuite en responsabilité civile contre le procureur général du Canada et l'Hôpital Royal Victoria (Kastner c. Hôpital Royal Victoria, [2000] Q.J. No. 1060 (QL)). La Cour supérieure a débouté Mme Kastner et la Cour d'appel du Québec a confirmé la décision de première instance (Kastner c. Hôpital Royal Victoria, [2002] Q.J. No. 568 (QL)). Je ne peux toutefois retenir l'argument du défendeur. Celui-ci n'a pas déposé la renonciation qu'il invoque et il est par conséquent impossible d'en vérifier la teneur exacte. La poursuite a été intentée par la demanderesse un an après qu'elle ait reçu la réponse négative de M. Duford et je ne suis pas en mesure de savoir si cette poursuite lui interdit de recevoir un versement à titre gracieux aux termes du décret. Le défendeur n'a pas soulevé la question de la renonciation dans ses observations orales.

3. Le principe de l'autorité de la chose jugée doit-il s'appliquer à la présente affaire?

[20]            D'après le défendeur, la question de savoir si la demanderesse a subi des traitements complets ou considérables de déstructuration a déjà été jugée, ce qui entraîne l'application du principe de l'autorité de la chose jugée et interdit, par conséquent, à la demanderesse de soulever cette question devant la Cour.


[21]            Les questions en litige devant la Cour supérieure du Québec étaient 1) la prescription, 2) une erreur médicale dans le diagnostic ou dans les traitements, 3) la violation de l'obligation d'informer la patiente et d'obtenir un consentement valide et 4) le lien de préposition. La question de l'erreur médicale portant sur le diagnostic ou les traitements concernait principalement la responsabilité du Dr Cameron découlant de l'administration de traitements inappropriés, étant donné que la maladie de Mme Kastner avait été mal diagnostiquée. En d'autres termes, la Cour supérieure s'est interrogée sur la question de savoir si le Dr Cameron et l'hôpital étaient responsables à cause d'une erreur manifeste de diagnostic ayant entraîné une erreur de traitement ayant aggravé l'état du malade ou ayant entraîné la mort, tout ceci par rapport à ce qu'était dans les années 1950 les normes généralement applicables en matière de connaissances médicales. Le juge Nadeau s'est demandé si le Dr Cameron avait agi comme un « professionnel raisonnable » qui a fait preuve d'un niveau de compétence normal, compte tenu des circonstances.


[22]            Il est clair que la question de savoir s'il existe une responsabilité civile aux termes du droit civil, compte tenu de l'état des connaissances au cours des années 1950, n'est pas assimilable à celle de savoir si un patient a droit à une indemnité en vertu du décret en l'absence de toute faute commise. Le fait que la Cour supérieure ait abordé la question de la déstructuration pour décider s'il y avait eu violation de la norme du « professionnel raisonnable » ne veut pas dire que la Cour est saisie de la même question. La Cour supérieure a rejeté la poursuite de la demanderesse parce qu'il y avait prescription. Elle a toutefois examiné les preuves médicales. De toute façon, même si je devais conclure que la Cour supérieure s'est déjà prononcée sur la « même question » de la déstructuration, j'exercerais le pouvoir discrétionnaire qui m'appartient et je refuserais d'appliquer le principe de la chose jugée pour le motif que son application entraînerait une injustice (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, aux paragraphes 62 et 80). Cette injustice vient du fait que la conclusion à laquelle en est arrivée la Cour supérieure au sujet de la déstructuration se fonde uniquement sur le témoignage du Dr Maufette, dont Ken Duford n'avait pas connaissance lorsqu'il a refusé le versement demandé par la demanderesse aux termes du décret, et que, dans une instance en contrôle judiciaire, il n'est pas permis d'apporter de nouvelles preuves. Je conclus qu'il n'y a pas lieu d'appliquer le principe de la chose jugée en l'espèce.

4. Quelle est la norme de contrôle applicable au refus d'effectuer un versement à titre gracieux à la demanderesse?

[23]            Il n'est pas contesté que la décision relative à l'octroi d'un versement à titre gracieux peut faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire (Schavernoch c. Canada (Commission des réclamations étrangères), [1982] 1 R.C.S. 1092, Schrier c. Canada (Sous-procureur général), [1996] A.C.F. n ° 246 (1re inst.) (QL), Mercier-Néron c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1995] A.C.F. n ° 1024 (1re inst.) (QL)).

[24]            Mme Kastner soutient que la norme d'examen de la décision est celle du bien-fondé de la décision ou, au plus, celle de la décision raisonnable simpliciter. Elle note que le décret ne contient pas de clause privative, que le ministre dispose d'une certaine discrétion pour décider s'il y a lieu d'effectuer le paiement demandé, que le décret porte sur un aspect important des droits de la personne et que le décideur en l'espèce ne possède aucune expertise particulière.


[25]            Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable à une question de droit est celle du bien-fondé de la décision.

[26]            Je conclus que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable simpliciter pour les motifs suivants.

[27]            Dans Dr Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 26, la juge McLachlin, parlant au nom de la Cour suprême du Canada, a décrit les quatre facteurs qui permettent de déterminer la norme de contrôle applicable :

Selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle, la norme de contrôle est déterminée en fonction de quatre facteurs contextuels -- la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privative ou d'un droit d'appel; l'expertise du tribunal relativement à celle de la cour de révision sur la question en litige; l'objet de la loi et de la disposition particulière; la nature de la question -- de droit, de fait ou mixte de fait et de droit. [...]

La clause privative

[28]            Comme l'affirme Mme Kastner, le décret ne contient pas de clause privative. Ce facteur indique que la Cour n'est pas tenue de faire preuve de retenue à l'égard de la décision du ministre.


L'expertise du décideur

[29]            Le décideur possède une expertise minime dans ce domaine, étant donné que le décret n'exige pas qu'il connaisse la psychiatrie. En outre, dans la mesure où cette question porte sur le droit, le ministre ou son délégué n'ont pas une expertise plus grande que la Cour.

L'objet des dispositions législatives

[30]            Le décret avait pour but d'indemniser les personnes qui avaient subi « un traitement de déstructuration » pendant qu'elles se trouvaient à l'IAM. Le décret prévoit le versement d'une indemnité pour tenir compte des traumatismes et des souffrances qu'ont subis les patients qui ont fait l'objet d'un traitement de déstructuration. D'un côté, le décret n'accorde au ministre qu'un pouvoir discrétionnaire très réduit : la définition de « traitement de déstructuration » est claire, tout comme la personne qui peut bénéficier de l'indemnité. Le montant de l'indemnité est également strictement défini. De l'autre, ce qui constitue « un sommeil prolongé » et « une sismothérapie intensive » est une question qui fait appel à des connaissances en matière de traitement psychiatrique. Je conclus sur ce point que la retenue dont il y a lieu de faire preuve à l'égard du ministre ou de son délégué indique que la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision raisonnable simpliciter.


Nature de la question

[31]            La demanderesse soutient qu'il s'agit là d'une question de droit. Le défendeur affirme qu'il s'agit d'une question de fait. La question en litige en l'espèce est essentiellement de savoir si les électrochocs et le sommeil prolongé qu'a subis Mme Kastner ainsi que les conséquences que cela a eu sur son état d'esprit constituent « un traitement de déstructuration » au sens de l'article 2 du décret. J'estime qu'il s'agit là d'une question mixte de fait et de droit. La question est toutefois principalement axée sur les faits, ce qui indique qu'il y a lieu de faire preuve d'une grande retenue à l'égard de la décision du ministre ou de son délégué.

[32]            Compte tenu de tous les facteurs présents ici, j'en arrive à la conclusion que la norme de contrôle applicable à la décision est celle de la décision raisonnable simpliciter.

5. Le délégué du ministre pouvait-il raisonnablement décider que le traitement subi par Mme Kastner ne constituait pas un « traitement de déstructuration » et qu'elle n'était pas une « personne déstructurée » ?

[33]            Pour plus de clarté, je vais reproduire ici intégralement le décret dont il s'agit.


DÉCRET CONCERNANT LES PAIEMENTS À TITRE GRACIEUX

AUX PERSONNES DÉSTRUCTURÉES

À L'INSTITUT ALLAN MEMORIAL

AU COURS DES ANNÉES 1950 ET 1965

Titre abrégé

1. Décret concernant l'aide aux personnes déstructurées - IAM

2. Les définitions qui suivent s'appliquent au présent Décret.

« personne déstructurée » Personne, patiente du Dr Ewen Cameron, qui a subi des traitements complets ou considérables de déstructuration à l'Institut Allan Memorial à Montréal entre 1950 et 1965;

« traitement de déstructuration » Sommeil prolongé suivi d'une sismothérapie intensive, rendant l'état mental du patient semblable à celui d'un enfant.

« ministre » Ministre de la Justice.

Autorisation

3. Sur réception d'une demande présentée en conformité avec l'article 4, le Ministre est autorisé à effectuer un paiement à titre gracieux de 100 000 $ à une personne déstructurée qui répond aux conditions suivantes :

a)          son pays de résidence permanente est le Canada et elle est vivante au moment du paiement;

b)          elle a signé une renonciation protégeant Sa Majesté du chef du Canada et l'Hôpital Royal Victoria contre toute poursuite judiciaire;

c)          elle a retiré toute poursuite judiciaire contre Sa Majesté du chef du Canada.

4. La demande doit être présentée au Ministre avant le 1er janvier 1994, par la personne déstructurée ou par une personne agissant en son nom.

Paiement

5. Chaque paiement est une indemnité unique versé en une seule fois.


                          Aucune responsabilité de la Couronne

6. Les paiements effectués en vertu du présent Décret ne sont pas considérés comme une admission de responsabilité de la part de Sa Majesté du chef du Canada.

[34]            Je vais maintenant analyser divers éléments, notamment l'objet du décret, l'interprétation du décret, les preuves présentées par Mme Kastner, de façon à voir si, compte tenu de l'ensemble, la décision qu'a rendue Ken Duford est raisonnable.

L'objet du décret

[35]            En général, l'objet de la loi est un facteur important lorsqu'il s'agit de décider si les critères appropriés ont été appliqués. En l'espèce, l'objet du décret découle de son contexte et principalement du rapport. Les parties reconnaissent, tout comme je le fais, qu'il y a lieu de donner une interprétation large à ce décret. L'objectif que le rapport entendait donner à ce décret, comme l'indique le texte de la page 2 du Memorandum on Compensation in the Absence of Legal or Moral Responsibility (Mémoire sur l'indemnisation en l'absence de responsabilité morale ou juridique), annexe 53 du rapport (P-5) le confirme. L'objectif était d'effectuer le versement d'indemnités à titre gracieux « pour exprimer le sentiment de responsabilité collective qu'éprouve la société canadienne à l'égard de mesures qui ont été prises de bonne foi mais qui ont eu des effets préjudiciables » , sans vouloir établir des distinctions techniques ou trop subtiles :


[traduction] Malgré cette conclusion, il faut tenir compte du fait que les circonstances de l'affaire pourraient inciter certaines personnes à exiger que le gouvernement prenne des mesures, même en l'absence de toute responsabilité morale ou juridique. Ces mesures pourraient consister à confier ces questions controversées à un autre organisme qui pourrait assumer une certaine responsabilité dans ce domaine, un organisme comme l'Association des psychiatres du Canada, ou même l'Institut Allan Memorial (ou, plus précisément, l'Hôpital Royal Victoria et l'université McGill). Ces mesures pourraient comprendre la tenue d'une enquête publique portant, de façon générale, sur les travaux de Cameron. Enfin, elles pourraient prendre la forme du versement d'une indemnité à titre gracieux, non pas pour remédier à un préjudice dont le gouvernement serait responsable, mais tout simplement pour exprimer le sens de responsabilité collective qu'éprouve la société canadienne à l'égard de mesures prises de bonne foi mais qui ont eu des effets préjudiciables. (Non souligné dans l'original)

L'interprétation du décret

[36]            Le défendeur soutient qu'il s'agit de savoir si Mme Kastner était une « personne déstructurée » au sens du décret et qu'il n'existe aucune preuve indiquant que Marc Gervais, d'abord, et Ken Duford, ensuite, se sont demandé « si Mme Kastner avait subi le traitement complet utilisé après 1955 » . D'après le défendeur, la décision qu'a prise Marc Gervais, et qui a été confirmée par la suite par Ken Duford, constate simplement qu'aucune des trois conditions exigées par la définition de « traitement de déstructuration » (sommeil prolongé, sismothérapie intensive, réduction de l'état mental du patient à celui d'un enfant) n'était présente. Il faut démontrer la présence des deux premières conditions, et pas uniquement la dernière qui traite des effets des traitements.


[37]            Je reconnais, avec la demanderesse, que les décideurs semblent bien s'être demandé « si Mme Kastner avait reçu le traitement complet utilisé après 1955 » et ne se sont pas posé la bonne question, c'est-à-dire celle de savoir « si elle avait subi un traitement considérable de déstructuration entre 1950 et 1965 » . Le fait de s'être posé la mauvaise question et de ne pas avoir, par conséquent, tenu compte d'un aspect très pertinent, le mot « considérables » , indique que la décision est déraisonnable.

[38]            Une « personne déstructurée » est, selon l'article 2 du décret, une « personne, patiente du Dr Ewen Cameron, qui a subi des traitements complets ou considérables de déstructuration à l'Institut Allan Memorial à Montréal entre 1950 et 1965 » (non souligné dans l'original). Dans la même disposition, le traitement de déstructuration est défini comme étant un « sommeil prolongé suivi d'une sismothérapie intensive, rendant l'état mental du patient semblable à celui d'un enfant » .


[39]            Il est important de comprendre que les traitements qu'a reçus Mme Kastner en 1953 (sismothérapie intensive accompagnée d'une cure de sommeil) constituaient les bases des traitements de déstructuration. Les véritables « traitements de déstructuration » (sommeil prolongé et sismothérapie massive) n'ont débuté qu'en 1955, comme cela est confirmé à la page 25 du rapport où les auteurs écrivent [traduction] « c'est en 1955 que Cameron lui-même a décidé, pour reprendre ses propres termes, "d'exploiter les possibilités qu'offrait cette méthode [la déstructuration]" » . Il n'empêche que l'ordonnance prévoit expressément l'indemnisation des traitements complets ou considérables de déstructuration administrés entre 1950 et 1965. Étant donné que la méthode complète de déstructuration n'a pas été mise au point avant 1955, le législateur n'aurait pas utilisé l'année 1950 comme point de départ s'il avait souhaité en faire un critère. Le législateur a également clairement indiqué qu'il entendait accorder une certaine souplesse dans l'analyse des traitements reçus par les patients du Dr Cameron en utilisant l'expression « traitements... considérables de déstructuration » . On ne retrouve pas cette souplesse dans la décision qu'a prise Marc Gervais, confirmée par Ken Duford, en particulier dans le passage [traduction] « les preuves n'indiquent pas que vous ayez fait l'objet d'une cure de sommeil ou de déstructuration » .

[40]            Il convenait de se demander si la demanderesse avait subi des traitements considérables de déstructuration, ce qui n'a pas été fait. Comme l'a déclaré la Cour suprême du Canada dans plusieurs affaires, notamment dans Oakwood Development Ltd. c. St. François Xavier (Rural Municipality), [1985] 2 R.C.S. 164, l'omission de prendre en considération un élément pertinent a pour effet de vicier une décision discrétionnaire. À la page 174 de la décision, la Cour déclare :

[traduction] [...] l'omission d'un organe de décision administrative de tenir compte d'un élément très important constitue une erreur au même titre que la prise en considération inappropriée d'un facteur étranger à l'affaire. [...]

Les preuves présentées au décideur par Mme Kastner

Conditions 1 et 2 : La technique consistant à combiner le sommeil prolongé et une sismothérapie intensive


[41]            Les preuves qu'a présentées Mme Kastner au décideur au sujet des conditions 1 et 2 du « traitement de déstructuration » comprenaient son dossier médical, l'avis des experts psychiatres Hoffman et Pierre-Louis ainsi qu'une lettre du Dr Stern qui suivait Mme Kastner depuis 1952 et qui l'avait référée au Dr Cameron. Il est important de noter que le défendeur n'a pas soutenu qu'il existait des éléments contredisant ou même laissant planer un doute sur les preuves apportées par Mme Kastner.

[42]            Durant les deux mois et demi qu'elle a passé à l'IAM, Mme Kastner a subi, d'après son dossier médical, 43 traitements d'électrochocs, dont quatre étaient des traitements Page-Russell. Un électrochoc Page-Russell est six fois plus intense qu'un électrochoc normal, ce qui veut dire qu'elle a reçu en fait un total de 63 électrochocs. On a également provoqué chez elle plusieurs comas insuliniques et utilisé différents médicaments pour provoquer son sommeil.

[43]            Le Dr Hoffman estime, tout comme le Dr Pierre-Louis, que Mme Kastner a subi des traitements d'électrochocs et une sismothérapie intensive et massive, combinés à l'administration de barbituriques, de façon à provoquer le sommeil (lettres datées respectivement du 29 septembre et du 5 octobre 1993). Le Dr Hoffman a également considéré qu'il existait un lien direct entre l'administration d'électrochocs et les barbituriques, ce qui démontre que Mme Kastner a subi les éléments de base des traitements de déstructuration. Il est bon de reproduire certains passages de cet avis médical :

[traduction] Je tiens à porter à la connaissance du comité d'examen les opinions suivantes qui concernent son état de santé :

[...]

2)              Elle a souffert d'une maladie iatrogène découlant d'un recours intensif (et inapproprié) aux électrochocs, aux médicaments et à des cures de sommeil. Ces traitements ont entraîné un délire iatrogène et un comportement régressif infantile.

3)              Les traitements aux électrochocs ont été très nombreux et beaucoup trop intenses.


4)              L'administration d'électrochocs a été combinée à une cure de sommeil la nuit précédente. Des barbituriques ont été utilisés à cette fin.

5)              Les éléments précédents indiquent qu'il existe un lien manifeste entre les cures de sommeil et le recours à une sismothérapie intensive, ce qui constitue les éléments de base d'une déstructuration. [...]

[44]            Pour ce qui est du Dr Stern, le seul autre expert dont le témoignage a été soumis au décideur, il conclut que Mme Kastner a effectivement subi un traitement de déstructuration dans une lettre datée du 17 mars 1994 :

[traduction] À sa sortie de l'hôpital, elle montrait les symptômes habituels de la déstructuration, à savoir une grave perte de mémoire qui persiste à ce jour. Elle était incapable de reconnaître les membres de sa famille, pas même sa soeur jumelle qui s'occupait d'elle et avec laquelle elle vivait étant donné qu'elle avait régressé au niveau d'un enfant. [...]

Elle était également dépendante des drogues. Pendant des années, la patiente a souffert de convulsions et de comas ...

[45]            Pour résumer, les preuves indiquent clairement que Mme Kastner a reçu des doses massives d'insuline et de barbituriques destinées à provoquer son sommeil, suivies d'une sismothérapie intensive, comprenant des électrochocs Page-Russell (un électrochoc Page-Russell étant l'équivalent de six électrochocs). Comme cela a été mentionné ci-dessus, il n'était pas nécessaire d'établir qu'on avait provoqué un sommeil prolongé, qui est un des éléments du traitement de déstructuration qui a commencé en 1955, mais simplement que le sommeil avait été provoqué, à titre d'élément de base de la méthode de déstructuration. Il est également important de rappeler que, selon le décret, il suffit d'avoir subi un traitement considérable de déstructuration pour qu'il y ait eu traitement de déstructuration.

[46]            Je ferais une dernière remarque au sujet du « sommeil prolongé suivi d'une sismothérapie intensive » . Les termes utilisés dans le décret ont un sens très large. Que veulent dire les mots « prolongé » et « intensive » ? Étant donné que j'ai déjà conclu que le décideur s'était posé la mauvaise question en n'examinant pas si Mme Kastner avait subi une déstructuration considérable en utilisant les éléments de base de cette technique, il me semble que le fait d'appliquer des mots au sens aussi large à la mauvaise question ne peut pratiquement que déboucher sur un résultat pour le moins déraisonnable.

Condition 3 : Rendre l'état mental du patient semblable à celui d'un enfant

[47]            Le décret exige non seulement que le patient démontre qu'il a subi des traitements considérables de déstructuration mais il exige aussi que l'état mental du patient soit devenu semblable à celui d'un enfant en raison du traitement. Le dossier médical de Mme Kastner et les affidavits déposés par Zelda et Herbert Hoffman montrent qu'elle a régressé à un stade infantile.

[48]            Le dossier médical de Mme Kastner contient des notes médicales indiquant qu'elle se trouvait dans un état mental semblable à celui d'un enfant :

Admission du 14 janvier 1953 : « Elle fait preuve d'un comportement infantile »

Admission du 26 janvier 1953 : « Comportement maniéré et puéril. Utilise un langage enfantin et se comporte comme un enfant »

Admission du 20 mars 1953 : « Agit parfois de façon sarcastique et infantile »

Admission du 18 avril 1953 : « Comportement infantile, rit beaucoup » .


[49]            Pendant les visites qu'elle a faites à l'hôpital et par la suite, la soeur jumelle de la demanderesse, Zelda Hoffman, et son mari, Herbert Hoffman, ont remarqué qu'elle régressait dans un état infantile, dans la mesure où elle parlait comme un enfant, souffrait d'incontinence urinaire, qu'elle suçait son pouce et exigeait d'être nourrie au biberon, comme l'indiquent les passages suivants de l'affidavit de Mme Hoffman :

[traduction]

8. Lorsque j'allais voir ma soeur à l'Institut Allan Memorial, je constatais qu'elle avait un comportement infantile, elle parlait comme un enfant et suçait son pouce;

9. Après le 23 avril 1953, lorsqu'elle a terminé son séjour à l'Institut Allan Memorial, je l'ai souvent trouvé en train d'uriner sur le plancher du salon;

10. Le comportement infantile décrit ci-dessus s'est poursuivi de façon intermittente pendant des années, en particulier le parler enfantin et la succion digitale;

11. En outre, ma soeur ne se souvient pas de son enfance ou de son passé et elle n'a encore aujourd'hui que des souvenirs très vagues et imprécis de ces périodes.

[50]            Le défendeur soutient que Mme Kastner se portait suffisamment bien pour décider de quitter l'IAM, le 24 avril 1953, et pour ne pas y revenir. Le dossier médical indique à cette date : [traduction] « Est partie chez sa soeur pour y passer l'après-midi » . Quelques jours plus tard, une inscription mentionne qu'elle n'est pas revenue et qu'elle a donc reçu son congé. Il m'est impossible de retenir l'argument du défendeur selon lequel l'inscription « Est partie chez sa soeur pour y passer l'après-midi » démontre qu'elle a délibérément décidé de quitter l'IAM pour ne plus y retourner. Le fait qu'elle n'est pas revenue à l'IAM ne montre pas nécessairement qu'elle avait décidé de le faire. Il est possible que d'autres personnes aient pris cette décision pour elle et que c'est pour cette raison qu'elle n'est jamais retournée à l'IAM.


[51]            Le défendeur fait également remarquer, dans une lettre datée du 15 juin 1955, qui figure au dossier médical, que Mme Kastner mentionne qu'elle s'est fiancée le 21 décembre 1954 avec Bernard Trossman, qu'elle fréquentait depuis cinq ans. Il existe également une lettre au dossier que Mme Kastner a envoyé au Dr Cameron le 15 juin 1955 dans laquelle elle déclare qu'elle est complètement guérie. Je signalerais sur ce point, comme cela est expliqué dans le Guide d'information du régime d'aide aux personnes déstructurées à l'Institut Allan Memorial, que les personnes qui répondent aux conditions établies dans le décret avaient le droit de recevoir un versement à titre gracieux, quel que soit leur état de santé au moment de la présentation de la demande d'indemnité. Autrement dit, pourvu que la personne traitée par le Dr Cameron ait été réduite, à un moment donné (et non pas pendant une période prolongée), à un état mental infantile en raison du traitement de déstructuration subi, cette personne avait droit à l'indemnité. Le fait que Mme Kastner se soit fiancée en 1954 et ait déclaré en 1955 avoir effectué une guérison complète est compatible, et pas nécessairement contradictoire, avec les éléments du dossier médical et les affidavits Hoffman montrant qu'elle se trouvait dans un état infantile pendant le traitement et peu après l'avoir subi, même si cet état n'a pas persisté indéfiniment. Je suis convaincu que les éléments contenus dans le dossier médical et les affidavits Hoffman permettent d'affirmer que l'état mental de Mme Kastner était semblable à celui d'un enfant.

6. La décision constitue-t-elle un acte de discrimination non autorisée et est-elle contraire à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés?


[52]            Tout d'abord, Mme Kastner invoque l'arrêt Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc., [1985] 1 R.C.S. 368 pour affirmer qu'il suffit qu'il y ait discrimination, sans autorisation légale, pour annuler une décision en droit administratif. À la page 406 de la décision, le juge Beetz cite Louis-Philippe Pigeon, Rédaction et interprétation des lois (1978), page 34 :

... le pouvoir de faire des règlements ne permet pas d'établir des dispositions discriminatoires. Autrement dit, un règlement doit, à moins que le texte qui l'autorise dise le contraire, s'appliquer à tout le monde de la même façon. Si l'on veut pouvoir faire des distinctions, il faut le dire.

[53]            D'après la demanderesse, la décision fait une distinction irrationnelle entre les patients du Dr Cameron qui ont été traités avant 1955 et ceux qui ont été traités après 1955, alors que le texte législatif n'autorise pas de faire cette distinction.

[54]            Le défendeur affirme que l'arrêt Arcade Amusements Inc. traite uniquement de la discrimination dans le contexte des règlements. Ce n'était pas le cas dans la décision qu'a prise Ken Duford. Le défendeur affirme également que la décision ne fait pas de différence entre les patients traités avant 1955 et ceux qui ont été traités par la suite. En réalité, la raison du refus de la demande d'indemnités à titre gracieux était qu'aucune des trois conditions exigées par la définition de « traitement de déstructuration » était remplie.


[55]            Deuxièmement, Mme Kastner soutient que la distinction établie était discriminatoire car fondée sur une déficience, au sens de l'article 15 de la Charte, dans la mesure où elle avait pour effet de la priver d'un avantage même si elle a subi les mêmes conséquences désastreuses qu'ont subies les personnes que le Dr Cameron a traitées par la suite. Elle soutient que les tribunaux ont reconnu que les déficiences constituent un motif de discrimination illégale et qu'il n'est pas nécessaire que toutes les personnes handicapées soient touchées par une décision; l'exclusion d'une partie d'un groupe peut fonder une demande de contrôle judiciaire.

[56]            Le défendeur soutient, notamment, que le fait d'avoir subi un traitement rudimentaire de déstructuration avant 1955 ne constitue pas un des motifs énumérés à l'article 15 ou un motif analogue. Le fait d'avoir subi un tel traitement ne constitue pas une caractéristique personnelle comme une déficience ou une maladie.

[57]            Je conclus qu'il n'est pas nécessaire d'examiner ces deux questions, étant donné que j'ai déjà conclu que le caractère déraisonnable de la décision du point de vue du droit administratif devait entraîner l'annulation de la décision et l'acceptation de la demande de la demanderesse. De toute façon, j'ai déjà jugé qu'il convenait d'interpréter le décret de façon à ce que les patients traités avant 1955 avec les éléments de base des techniques de déstructuration soient visés par le décret.


CONCLUSION

[58]            Pour les motifs ci-dessus, compte tenu, en particulier, du fait que la décision de Ken Duford était déraisonnable compte tenu de l'objet du décret, de l'interprétation fautive donnée à ce décret et de la solidité des preuves présentées (dossier médical, avis d'experts et affidavits des membres de la famille), je fais droit à la demande.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la décision de Ken Duford soit annulée. La demanderesse a le droit de recevoir le paiement à titre gracieux d'un montant de 100 000 $ (Popov c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n ° 489 (1re inst.) (QL)). L'affaire sera renvoyée au ministre pour qu'elle soit examinée en conformité avec mes motifs.

                                                                               « Michel Beaudry »               

                                                                                                     Juge                            

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-1755-02

INTITULÉ :                                          GAIL KASTNER c.

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                    MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 18 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                          LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                         LE 4 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Alan M. Stein

Julius Grey                                                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Frédéric Paquin

André Lespérance                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stein & Stein

Montréal (Québec)                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Morris A. Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

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