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Date : 20030818

Dossier : T-1176-03

Référence : 2003 CF 991

ENTRE :

                                                           DANIEL ARMALY

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                                                    SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                  défenderesse

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                 Ces motifs découlent d'une demande de radiation de la déclaration du demandeur qui a été accueillie.

LES FAITS

[2]                 En ce qui concerne les faits, la déclaration n'est pas facile à comprendre car elle renferme de nombreux éléments étrangers, y compris la mention de diverses décisions judiciaires qui serviraient apparemment de cadre ou de précédent au sujet de l'omission de fournir des documents à M. Armaly en temps opportun pour une audience de la Commission régionale des libérations conditionnelles qui devait avoir lieu le 11 août 1999. À la suite de cette audience, la libération conditionnelle de M. Armaly a été révoquée. M. Armaly a interjeté appel devant la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui aurait apparemment pris une décision en sa faveur, du moins sur certains points, le 17 juillet 2000, mais qui a négligé ou refusé d'examiner d'autres points. Dans sa déclaration, M. Armaly allègue que, pour un motif de compétence, il a décidé de ne pas se présenter à l'examen prévu par la Commission régionale des libérations conditionnelles le 18 octobre 2000. Une chronologie des démêlés que M. Armaly a eus auprès des tribunaux judiciaires de l'Alberta est ensuite donnée.


[3]                 La déclaration renferme une longue demande en vue de l'obtention de dommages-intérêts. Ici, et la chose est particulièrement pertinente, M. Armaly allège avoir été illégalement et arbitrairement détenu. La demande de redressement comprend des dommages-intérêts punitifs et exemplaires de plus de 4,5 millions de dollars ainsi que divers montants moins élevés et des dommages-intérêts continus quelconques pour détention illicite, s'élevant à 500 $ par jour. Toutes ces demandes sont clairement fondées sur la détention illicite, point qui influe directement sur la requête de la Couronne.

[4]                 M. Armaly s'oppose à la requête en radiation de la Couronne non au moyen de documents soumis par affidavit et de prétentions écrites, mais au moyen d'une requête en radiation de la requête de la Couronne. Ce n'est pas ainsi qu'il convient de s'opposer à la requête. J'ai donc utilisé l'affidavit de M. Armaly et ses prétentions écrites comme s'ils étaient présentés à l'encontre de la requête. Toutefois, la requête de M. Armaly comporte un autre aspect : en effet, le demandeur veut que la Cour examine 44 questions de droit et y réponde; certaines questions portent sur le litige qui nous occupe et pourraient être des points dont un juge tiendrait compte si le litige se poursuivait. Les points de droit peuvent faire l'objet d'une décision préliminaire conformément à l'article 220 des Règles, mais ils ne peuvent pas faire l'objet de requêtes interlocutoires telles que celle qui est ici en cause. En outre, puisque j'ai accueilli la requête en radiation de la Couronne et que j'ai rejeté la présente action, la requête de M. Armaly n'a plus qu'un intérêt théorique.

ANALYSE


[5]                 En tant que motif initial de radiation de la déclaration, la défenderesse souligne qu'à part les ajouts aux dommages-intérêts réclamés, la déclaration est identique à une déclaration antérieure déposée par M. Armaly dans l'action T-859-01, qui a été rejetée ex parte pour cause de retard par Madame le juge McGillis le 10 décembre 2002. M. Armaly n'a jamais interjeté appel contre cette décision, et son annulation n'a jamais été demandée. Il se peut que le retard et le manque apparent d'intérêt de M. Armaly soient attribuables au fait que le courrier de celui-ci n'avait pas été réacheminé d'une adresse, à Calgary, à l'Institut correctionnel d'Innisfail (Alberta).

[6]                 L'avocat de la défenderesse affirme que l'action identique a été rejetée et qu'il y a donc chose jugée. Je me demande si une décision ex parte visant le rejet d'une action pour cause de retard, à la suite d'un avis d'examen de l'état de l'instance, devrait se voir accorder le même poids qu'une action qui est clairement rejetée au fond. Je reconnais que M. Armaly aurait dû demander l'annulation de la décision ex parte. Toutefois, je tiens également compte de la nature de la décision ex parte telle qu'elle a été expliquée dans l'arrêt WEA Records Ltd. c. Visions Channel 4 Ltd., [1983] 2 All E.R. 589 (C.A.). Dans cet arrêt, sir John Donaldson, M.R., a souligné qu'une ordonnance ex parte est essentiellement une ordonnance provisoire rendue compte tenu de la preuve et des prétentions d'une partie seulement et que rien ne permet de rendre une ordonnance définitive. Il s'agit d'une observation pertinente, même si cet arrêt étaye ensuite la thèse selon laquelle le juge qui examine l'ordonnance provisoire qu'il a rendue à la lumière de l'ensemble de la preuve et des plaidoiries n'entend pas un appel, de sorte qu'il ne lui est absolument pas interdit d'annuler ou de modifier l'ordonnance initiale :


[TRADUCTION] Comme il en a été fait mention, les ordonnances ex parte sont essentiellement de nature provisoire. Le juge les rend en se fondant sur la preuve et sur les prétentions soumises par une partie seulement. Même si le demandeur est tenu de communiquer au complet tous les renseignements pertinents qui sont en sa possession, et ce, peu importe qu'ils soient utiles à la demande, rien ne permet de rendre une ordonnance définitive; or, tous les juges sont au courant de la chose. Le juge s'attend à avoir la possibilité, à un stade ultérieur, d'examiner l'ordonnance provisoire qu'il a rendue à la lumière de la preuve et des plaidoiries soumises par l'autre partie, et, ce faisant, il n'entend pas un appel de sa propre décision et ne s'estime aucunement inhabile à annuler ou à modifier l'ordonnance initiale.

(Page 593)

[7]                 En l'espèce, je n'ai pas à me fonder sur l'argument relatif à la chose jugée se rapportant à l'action intentée par M. Armaly qui a antérieurement été rejetée par la présente Cour. Dans l'arrêt Armaly c. Canada (Parole Service), 2001 CAAB 280, une décision non publiée du 11 octobre 2001 fondée, semble-t-il, sur à peu près les mêmes faits, la Cour d'appel de l'Alberta a statué que la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta avait commis une erreur en délivrant un bref d'habeas corpus puisque M. Armaly était légalement détenu et que la Commission nationale des libérations conditionnelles avait compétence, et de fait une compétence permettant d'exercer un recours subsidiaire adéquat. La Cour suprême du Canada a refusé l'autorisation de pourvoi le 15 août 2002 et a refusé d'examiner la requête en réexamen le 13 novembre 2002. Il reste la question de la chose jugée en ce sens que la Cour d'appel de l'Alberta avait décidé d'une façon définitive que M. Armaly était légalement détenu pendant la période pertinente. Par conséquent, les allégations d'incarcération illégale qui sont maintenant faites ne sauraient être maintenues. De fait, ces allégations ne révèlent aucune cause d'action valable.


[8]                 Je reconnais ici que je dois considérer comme prouvées les allégations figurant dans la déclaration, sur lesquelles porte la requête en radiation. Toutefois, lorsque pareilles allégations constituent clairement de fausses déclarations, je n'ai pas à en tenir compte, et je songe ici à l'assertion que M. Armaly a faite dans sa déclaration, à savoir que Madame le juge Kent, de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, avait rendu jugement en sa faveur, en accordant un bref d'habeas corpus avec le bref de certiorari. Dans sa déclaration, M. Armaly ne mentionne pas que la décision du juge Kent a été infirmée par la Cour d'appel le 11 octobre 2001 et que l'autorisation de pourvoi a été refusée. En passant, je tiens à noter l'avis exprimé par Monsieur le juge Walsh dans la décision Cameron c. Ciné St-Henri Inc., [1984] 1 C.F. (C.F. 1re inst.), page 426, à savoir que lorsqu'une requête en radiation a été présentée et que la preuve par affidavit montre clairement que l'allégation essentielle n'est pas vraie, « [...] il serait déraisonnable de s'attendre à ce que la Cour ferme ses yeux et rende jugement en tenant l'allégation pour avérée » . Voir également la décision Temple c. Ministre du Revenu national, [2002] 2 C.F. 458 (C.F. 1re inst.), page 469, où il est dit que même si la preuve par affidavit ne doit pas être admise dans le cadre d'une requête en radiation fondée sur l'absence de cause d'action valable, il était loisible à la cour de tenir compte d'une décision antérieure pertinente rendue par la Cour de l'impôt du Canada concernant les mêmes parties.


[9]                 Quant au cas qui nous occupe, la décision sur laquelle se fonde le demandeur afin d'établir qu'il a été incarcéré d'une façon irrégulière a été infirmée en appel et la Cour suprême du Canada a refusé l'autorisation de pourvoi à deux reprises. Cela met un point final à l'affaire pour ce qui est du fond de l'action intentée par M. Armaly. De plus, cela touche la question de l'absence de cause d'action valable. En outre, puisque, dans la déclaration, M. Armaly se fonde sur une décision qui, comme il le sait, a été infirmée, l'action devrait être radiée pour cause d'abus de procédure.

[10]            Au besoin, j'adopterais également l'argument invoqué par l'avocat selon lequel l'article 154 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoit que les membres de la Commission des libérations conditionnelles bénéficient de l'immunité en matière civile ou pénale pour les actes accomplis et des énonciations faites de bonne foi dans l'exercice censé des pouvoirs et fonctions qui leur sont conférés. En outre, les membres de la Commission nationale des libérations conditionnelles sont nommés par le gouverneur en conseil et ne sont donc pas des préposés pour l'application de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif. C'est ce qu'a dit Monsieur le juge Teitelbaum dans la décision Latham c. Canada (1996), 117 F.T.R. 121 (C.F. 1re inst.), pages 125 et 126. Dans cette décision, le juge a souligné qu'en vertu du paragraphe 4(2) de la Loi sur la responsabilité de la Couronne, la Couronne n'est pas responsable des actes ou omissions d'un préposé sauf si l'acte ou l'omission donne ouverture à une poursuite contre ce préposé ou son représentant personnel. Le juge a ensuite dit ceci : « [...] s'il n'existe pas de préposé de la Couronne qui peut être tenu responsable du délit reproché, Sa Majesté ne peut être tenue responsable » . (page 126).


[11]            Enfin, le juge Teitelbaum a mentionné la décision MacAllister c. La Reine (1985), 16 Admin. L.R. 294 (C.F. 1re inst.), dans laquelle il a été statué qu'un membre de la Commission nationale des libérations conditionnelles n'est pas un préposé pour l'application de la Loi sur la responsabilité de la Couronne. Le juge a conclu que la Couronne ne pouvait pas être tenue responsable et qu'il se voyait donc obligé de radier la déclaration. Voir également en ce sens la décision Sager c. Canada (1997), 140 F.T.R. 204 (C.F. 1re inst.), page 209.

CONCLUSION

[12]            Compte tenu de ces analyses, il y a ici chose jugée et l'État n'est ni directement responsable ni responsable du fait d'autrui en vertu de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif. L'action doit être rejetée.

[13]            L'action est radiée pour le motif qu'il est clair, évident et hors de tout doute qu'elle ne peut pas être accueillie. Je ne puis constater la moindre cause d'action. La radiation est donc accordée sans autorisation de modifier la déclaration. Par conséquent, l'action est en fait rejetée.

                                                                                                                     _ John A. Hargrave _             

                                                                                                                                       Protonotaire                      

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 18 août 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

DOSSIER :                                                         T-1176-03

INTITULÉ :                                                        Daniel Armaly

c.

Sa Majesté la Reine

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              Monsieur le protonotaire Hargrave

DATE DES MOTIFS :                                     le 18 août 2003

ARGUMENTATION ÉCRITE :

M. Daniel Armaly                                                 POUR SON PROPRE COMPTE

M. Rick Garvin                                                     POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Daniel Armaly                                                 POUR SON PROPRE COMPTE

Innisfail (Alberta)

M. Morris Rosenberg                                           POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada                    

Ministère de la Justice

Edmonton (Alberta)

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