Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20041020

Dossier : IMM-9150-03

Référence : 2004 CF 1465

ENTRE :

                                                  SATKUNADEVI BALASINGAM

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), en date du 29 octobre 2003, dans laquelle il a été décidé que la demanderesse n'est ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger.

[2]                La demanderesse prie la Cour d'annuler la décision de la Section de la protection des réfugiés en date du 29 octobre 2003, et d'ordonner que l'affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il réexamine le litige conformément aux directives que la Cour jugera appropriées.

Contexte

[3]                La demanderesse, Satkunadevi Balasingam, est une citoyenne du Sri Lanka qui invoque une crainte fondée de persécution du fait de sa race et des opinions politiques qui lui sont imputées. La demanderesse a deux fils et deux frères au Canada ainsi qu'un fils en Allemagne. En 1978, le mari de la demanderesse, qui était sergent dans la police sri lankaise, a été tué par les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (TLET).

[4]                Au milieu de 1990, lorsque les TLET ont pris le contrôle de Jaffna, la demanderesse a été arrêtée et interrogée à plusieurs occasions par cette faction. Elle a été accusée d'être une informatrice au service du gouvernement et une traître compte tenu du rôle passé de son mari dans les services policiers.


[5]                Après la mort de son mari, la demanderesse a travaillé comme préposée aux soins à l'hôpital Base Point de Point-Pedro. Étant donné la nature de son travail, la demanderesse avait accès à des médicaments et autres fournitures médicales. Les TLET exigeait d'elle qu'elle vole des médicaments et des fournitures médicales, ce qu'elle trouvait très difficile.

[6]                Au début de 1993, les TLET ont arrêté la demanderesse, et l'ont séquestrée dans un bunker pendant deux semaines. On lui a dit qu'elle subirait le même sort que son mari si elle refusait de coopérer. À un certain moment, en 1993, la mère de la demanderesse est tombée très malade. La demanderesse a versé 100 000 roupies aux TLET pour qu'on lui permette d'amener sa mère à Colombo, où elle s'en est occupée jusqu'à sa mort en février 2002.

[7]                La demanderesse a déclaré que, après le déclenchement du processus de paix, les TLET ont commencé à se rendre à Colombo et dans d'autres agglomérations du Sri Lanka. Les TLET ont exigé de l'argent de gens d'affaires de Colombo, et la police a ignoré les plaintes liées à des menaces proférées par cette organisation.

[8]                La demanderesse demeurait dans l'annexe d'une maison appartenant à un homme d'affaires au moment où ce dernier a été abordé par les TLET. Ils lui ont demandé de l'argent ainsi que des renseignements au sujet de la demanderesse. Celle-ci a déclaré avoir eu peur étant donné qu'elle avait défié les TLET et avait été maltraitée par eux lorsqu'elle habitait à Jaffna. Estimant qu'il était imprudent de demeurer à Colombo, elle a obtenu un visa de visiteur du Canada avec l'intention de revendiquer au pays le statut de réfugié. Elle a quitté le Sri Lanka le 9 juillet 2002.


Motifs de la Section de la protection des réfugiés (la Commission)

[9]                La Commission a décidé que la demanderesse n'était pas un témoin crédible vu ce qui suit :

1.          Dès le début de l'audience, elle a demandé à ajouter une ligne dans l'exposé circonstancié de son FRP, afin de préciser que les TLET lui ont directement demandé de l'argent à Colombo. La Commission a fait remarquer à la demanderesse, par l'entremise de son conseil, que les documents remis au point d'entrée mentionnaient seulement que celle-ci craignait que, comme elle était seule, « ils » la harcelleraient peut-être (le pronom « ils » désigne les TLET selon les précisions de l'agent d'immigration dans les notes prises au point d'entrée). Le conseil a alors demandé une brève interruption de l'audience et, à la reprise de celle-ci, la demanderesse a retiré l'ajout fait à son FRP.

2.          On a demandé à plusieurs reprises à la demanderesse si elle avait eu ou non des contacts directs avec les TLET. Elle a, à un certain moment, hésité à cet égard, affirmant qu'ils n'avaient parlé qu'à son propriétaire, et à un autre moment qu'ils lui avaient effectivement parlé. En conséquence, la Commission est restée avec l'impression que la demanderesse ne disait pas la vérité à propos de ses antécédents au Sri Lanka.

3.          La Commission a estimé en fait qu'après le décès de sa mère, la demanderesse s'est retrouvée seule au Sri Lanka et, naturellement, a voulu rejoindre ses enfants. Appelée à dire si elle s'était informée relativement à la possibilité d'obtenir le statut de résidente permanente en Allemagne, elle a indiqué qu'elle l'avait fait, mais qu'elle avait été informée qu'elle ne pouvait y rester que temporairement. Ses enfants au Canada lui ont également dit qu'ils ne pouvaient la parrainer, et qu'elle devrait obtenir un visa de visiteur et présenter ensuite une demande d'asile.

4.          La Commission n'a pas cru que la demanderesse a eu des contacts personnels avec les TLET. Elle pense que la demanderesse avait une certaine crainte des TLET du fait de ses expériences antérieures, mais elle ne croit pas que cette crainte des TLET l'a amenée à quitter le Sri Lanka en juillet 2002. La Commission a reconnu que cette situation persiste, mais elle n'a pas cru que les TLET ont extorqué ou menacé personnellement la demanderesse à Colombo.

[10]            La Commission a également estimé que la demanderesse n'avait pas renversé la présomption de protection de l'État :

1.          Priée de dire si elle pouvait se réclamer d'une protection au Sri Lanka, elle a répondu par la négative. La Commission n'a pas accepté toutefois cette affirmation. Bien que la présence des TLET à Colombo se soit accrue, cette ville n'est pas le théâtre de conflits armés. Comme le note le dernier rapport du Département d'État américain, le Sri Lanka est une [Traduction] « démocratie multipartite active » . Ce rapport indique que [Traduction] « le gouvernement respectait, en règle générale, les droits de la personne de ses citoyens; toutefois, certaines régions vivent de graves problèmes. Contrairement à ce qui s'est passé au cours des années précédentes, certains rapports, toutefois contestés, font état d'exécutions sommaires par les forces de sécurité, mais on ne signale aucune disparition » .

2.          La Commission a déclaré qu'il incombait à la demanderesse de la persuader qu'il existe une preuve claire et convaincante que l'État n'a pas la volonté ni la capacité de la protéger. Cette présomption de protection de l'État s'applique à Colombo qui se trouve à l'extérieur de la zone de conflits armés.

3.          Devant la Commission, la demanderesse n'a pas affirmé craindre de voir ses droits de la personne violés par la police de Colombo. Bien que la preuve documentaire indique que la police de Colombo s'est rendue coupable de violation des droits de la personne relativement à de jeunes Tamouls du Nord au fil des ans, on ne peut en dire autant des Tamouls âgés comme la demanderesse, même ceux qui ont quitté le Nord du pays.

4.          La Commission a décidé qu'il n'était donc pas déraisonnable de s'attendre que la demanderesse se réclame de la protection de la police de Colombo ou d'autres agents de l'État, au besoin. Il ressortait clairement du dossier que la demanderesse ne s'est jamais réclamée de la protection de la police de Colombo, et qu'elle n'avait eu aucune raison de le faire. De l'avis de la Commission, la police de Colombo s'intéresserait aux activités des TLET dans cette ville, et rien dans la preuve n'indique qu'elle ne ferait pas les efforts nécessaires pour protéger une personne comme la demanderesse qui craindrait d'être persécutée par les TLET.


5.          La Commission a tranché que la présomption de protection de l'État n'a pas été réfutée en l'espèce. Bien qu'elle compatisse énormément avec la situation de la demanderesse, une mère qui s'est retrouvée seule au Sri Lanka et a voulu être réunie avec sa famille, elle n'a pas estimé que son témoignage était crédible, et elle a considéré que la demanderesse n'a pas réussi à faire la preuve du bien-fondé de sa crainte.

[11]            Après avoir examiné l'ensemble de la preuve, la Commission a conclu que la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention ou une personne à protéger.

Les prétentions de la demanderesse

[12]            La demanderesse a soutenu que la Commission, qui avait pourtant reconnu les pratiques d'extorsion des TLET et sa crainte justifiée en raison de ses expériences passées, a commis une erreur de droit en décidant que la demanderesse aurait dû se réclamer de la protection policière.

[13]            La demanderesse a exposé que la Commission a reconnu que les TLET pratiquent l'extorsion à Colombo. Preuve n'a pas été faite que les autorités ont fait obstacle aux TLET, ou qu'elles ont protégé les victimes d'extorsion. La demanderesse fait valoir que la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, a conclu qu'apporter des exemples de personnes que le gouvernement n'a « pas aidées » est un moyen de prouver que l'État ne peut assurer ou n'assurera pas la protection d'un citoyen particulier.


[14]            La demanderesse prétend qu'elle a été victime des TLET dans le passé. Qu'elle ait ou non été approchée par cette faction à Colombo, il demeure que certaines personnes n'ont pas été protégées par l'État. Puisque la Commission a reconnu que des personnes à Colombo sont victimes des TLET, la présomption de protection de l'État a été renversée.

[15]            La demanderesse a affirmé que la Commission a également manqué à son obligation d'équité en concluant que la protection de l'État s'offrait à la demanderesse. La question de la possibilité de se prévaloir de la protection de l'État n'a pas été soulevée à l'audience ni même indiquée sur le formulaire d'examen initial. La seule question sur le sujet a été soulevée par le conseil pendant l'audience.

[16]            De fait, la Commission a, par son défaut d'examiner la question ou d'autrement indiquer qu'elle s'y intéressait, nié à la demanderesse la possibilité de présenter une preuve ou de soumettre des prétentions. Elle a donc nié à la demanderesse une possibilité valable de soutenir sa revendication. Il s'agit là d'une erreur susceptible de révision.

[17]            La demanderesse a soutenu que la Commission a de plus commis une erreur lorsqu'elle a conclu que seuls les jeunes Tamouls étaient victimes d'abus de la part des autorités. Aucune de preuve n'étaye cette conclusion.


Prétentions du défendeur

[18]            Le défendeur a fait observer que les décisions relatives à la crédibilité et à la protection de l'État sont des conclusions de fait qui entrent tout à fait dans le champ d'expertise de la Section de la protection des réfugiés. En conséquence, la norme de contrôle applicable à ses conclusions de fait est celle de la décision manifestement déraisonnable.

[19]            Le défendeur a avancé que la Commission a adéquatement conclu que la protection de l'État était accessible à la demanderesse à Colombo. Il a relevé que cette agglomération n'est pas une région de conflit armé. La demanderesse n'a pas de crainte au sujet de la violation des droits de la personne par la police de Colombo, ce qu'étaye la preuve documentaire. Ces forces policières s'intéressent aux activités des TLET à Colombo. La demanderesse pourrait donc s'adresser à la police locale si elle venait à rencontrer des problèmes d'extorsion de la part des TLET.


[20]            Le défendeur a fait valoir que la charge de la preuve incombait à la demanderesse, laquelle devait confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer sa protection. La prétention de la demanderesse, selon laquelle il n'y a pas de preuve que les autorités ont fait obstacle aux TLET, ou qu'elles ont protégé les victimes d'extorsion, ne satisfait pas à l'obligation qui lui incombait. La demanderesse avait la charge d'établir devant la Commission que les autorités de Colombo ne prenaient pas de mesures contre l'extorsion, ou qu'elles ne protégeaient pas les victimes de cette forme de violence.

[21]            Selon le défendeur, même si la Commission a constaté la pratique de l'extorsion à Colombo par les TLET, elle n'était pas convaincue que la demanderesse avait une crainte fondée de persécution. La Commission, compte tenu de la preuve présentée, pouvait raisonnablement tirer cette conclusion.

[22]            Le défendeur a plaidé qu'on n'avait pas mis en preuve d'exemples de personnes placées dans des situations similaires que l'État n'a pas aidées. Selon le dossier présenté devant la Commission, la preuve relative à l'extorsion à Colombo se limitait à des cas impliquant des hommes d'affaires. La demanderesse n'est pas placée dans une situation similaire à ce genre de personnes. En fait, Mme Balasingam est une Tamoule âgée qui n'a pas subi directement l'extorsion, n'a jamais sollicité de protection, et ne s'est jamais vu refuser l'aide des autorités. La demanderesse ne s'est pas acquittée de la charge qui lui incombait, à savoir de confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer sa protection.


[23]            Le défendeur a soutenu que la conclusion de la Commission quant à la protection de l'État ne violait pas l'obligation d'équité. La question de protection de l'État est une composante inhérente de la définition de réfugié au sens de la Convention. Selon le défendeur, la demanderesse doit établir une crainte subjective de persécution, et cette crainte doit être objectivement fondée. La question de savoir si la crainte est objectivement fondée est directement reliée à la question de la protection de l'État. Il incombe à la demanderesse d'établir qu'elle est visée par la définition de réfugié au sens de la Convention de façon générale. Ainsi, la demanderesse porte manifestement la charge de fournir une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État d'assurer sa protection.

[24]            Le défendeur a également fait valoir que le fait que le formulaire d'examen initial ne traitait pas spécifiquement de la question de la protection de l'État ne saurait en soi permettre à la demanderesse d'établir qu'elle correspond à la définition juridique du réfugié. Dans ses prétentions, la demanderesse a effectivement abordé la question de la disponibilité de la protection, mais cette preuve n'était pas suffisante. En outre, la Commission n'a pas spécifiquement limité les questions à l'audience de façon à ce que la demanderesse soit injustement amenée à croire que la question de la protection de l'État ne serait pas traitée.

Questions en litige

[25]            Voici les questions en litige telles qu'elles ont été énoncées par la demanderesse :

1.          La Section de la protection des réfugiés a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que la demanderesse n'était pas menacée par les TLET?


2.          La Section de la protection des réfugiés a-t-elle commis une erreur de droit sur la question de la protection de l'État telle qu'elle a été définie par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689.

Dispositions législatives pertinentes

[26]          L'article 96 et le paragraphe 97(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, précitée, définissent ainsi le « réfugié au sens de la Convention » et « la personne à protéger » :



96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

. . .

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée:

a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant:

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

. . .

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally    

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Analyse et décision


[27]            La Cour est partagée quant au critère de contrôle judiciaire applicable à l'appréciation de la disponibilité de la protection de l'État. Étant donné que je suis d'avis que la décision de la Commission était raisonnable, le critère applicable est sans importance. De plus, la conclusion de non-crédibilité étant une question de fait, c'est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s'applique à cet aspect de la demande.

[28]            Question 1

La Section de la protection des réfugiés a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que la demanderesse n'était pas menacée par les TLET?

Au moment pertinent, la demanderesse était une dame âgée de 61 ans résidant dans le nord du Sri Lanka, plus précisément à Colombo. La Commission a décidé que la demanderesse avait une certaine crainte des TLET compte tenu des contacts qu'elle a eus avec eux par le passé.

[29]            La demanderesse a soutenu que des Tamouls étaient actuellement victimes d'extorsion par les TLET à Colombo. La Commission n'a pas reconnu que la demanderesse avait été personnellement victime d'extorsion ou menacée par les TLET à Colombo. Il s'agit là d'une conclusion raisonnable compte tenu de la preuve.

[30]            La Commission a ensuite conclu que la demanderesse aurait dû réclamer la protection de l'État alors qu'elle était à Colombo. La demanderesse a fait valoir que d'autres personnes placées dans une situation similaire n'ont pas été protégées par l'État et qu'en conséquence elle n'avait pas à solliciter la protection de l'État avant de venir au Canada. Elle fonde cet argument sur les remarques du juge La Forest dans l'arrêt Ward, précité, aux pages 724 et 725 :


Comme Hathaway, je préfère formuler cet aspect du critère de crainte de persécution comme suit: l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l'État [TRADUCTION] « aurait pu raisonnablement être assurée » . En d'autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l'expression « réfugié au sens de la Convention » s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État.

Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.

Et en page 726 :

Une crainte subjective de persécution conjuguée à l'incapacité de l'État de protéger le demandeur engendre la présomption que la crainte est justifiée. Le danger que cette présomption ait une application trop générale est atténué par l'exigence d'une preuve claire et convaincante de l'incapacité d'un État d'assurer la protection.

[31]            La preuve présentée devant la Commission indiquait que c'était généralement les hommes d'affaires qui étaient victimes d'extorsion par les TLET. Aussi la demanderesse a avancé que, puisque ces personnes n'étaient pas protégées par la police, elle n'avait pas à solliciter sa protection vu la position de la Cour suprême dans l'arrêt Ward, précité.


[32]            Je ne suis pas d'accord avec cette prétention de la demanderesse. Dans l'arrêt Ward, précité, le juge La Forest se reporte à des « personnes qui sont dans une situation semblable » . La demanderesse n'est pas dans une situation semblable à celle d'un homme d'affaires que la police n'a pu protéger. Elle aurait dû solliciter la protection de la police de Colombo. La preuve documentaire fait état de violations des droits de la personne par la police de Colombo à l'égard d'hommes tamouls du Nord. On ne peut dire la même chose d'une personne comme la demanderesse. Il n'y a pas de preuve que la police de Colombo se désintéresserait des activités des TLET dans cette ville. Je conviens avec la Commission que la demanderesse n'était pas entrée en contact avec la police auparavant du fait qu'elle n'avait pas eu besoin de recourir à ses services.

[33]            Rappelons qu'il existe une présomption qu'un État comme le Sri Lanka peut protéger ses citoyens à moins que le demandeur fournisse une preuve claire et convaincante de l'incapacité ou de l'absence de volonté de cet État d'assurer la protection de sa personne en particulier. En outre, il faut se rappeler que le droit international des réfugiés ne s'applique qu'en cas d'incapacité ou d'absence de volonté étatiques de fournir la protection à laquelle un citoyen est en droit de s'attendre. En l'espèce, la demanderesse n'a pas allégué qu'elle craignait que la police commette des violations des droits de la personne à son endroit.

[34]            J'estime que la décision de la Commission relative à la disponibilité de la protection de l'État était raisonnable. J'ai pris en considération les renvois de la demanderesse à la preuve documentaire, mais ils ne m'ont pas convaincu que la décision de la Commission était déraisonnable.


[35]            La demanderesse a également soutenu que la Commission a violé l'obligation d'équité procédurale en ne mentionnant pas la disponibilité de la protection de l'État à titre de question soulevée. Je signale que dans le formulaire d'examen initial de la Section de la protection des réfugiés, à la page 47 du dossier, la protection de l'État n'était pas cochée. Toutefois, la transcription de l'audience, à la page 401 du dossier de cour, indique que le conseil qui représentait alors la demanderesse a effectivement brièvement soulevé la question de la protection de l'État. Compte tenu des faits de l'espèce, je ne suis pas convaincu qu'il y a eu violation de l'équité procédurale, vu que la question de protection de l'État a été mentionnée par le conseil de la demanderesse.

[36]            La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.


[37]            La demanderesse n'a pas souhaité proposer de question grave de portée générale pour que je la certifie. Le défendeur disposera d'une semaine à partir de la date des présents motifs pour proposer une question grave de portée générale, et la demanderesse disposera à son tour de cinq jours pour présenter une réponse à la question soumise.

                                                                            « John A. O'Keefe »               

                                                                                                     Juge                           

Toronto (Ontario), le 20 octobre 2004

Traduction certifiée conforme

Évelyne Côté, LL.B., D.E.S.S. trad.


                                     COUR FÉDÉRALE

                                                     

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-9150-03

INTITULÉ :               SATKUNADEVI BALASINGAM

                                                                                       demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 4 OCTOBRRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 20 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

                                  

Micheal Crane

POUR LA DEMANDERESSE

Alexis Singer

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Micheal Crane

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

                             


             COUR FÉDÉRALE

                             

Date : 20041020

Dossier : IMM-9150-03

ENTRE :

SATKUNADEVI BALASINGAM

                                    demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

                                                                                                                

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                                                


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.