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Date : 20030722

Dossier : IMM-2753-02

Référence : 2003 CF 904

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY                          

ENTRE :

                                                   SILVIA MARINOVA SCHOPOVA

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                            MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT


[1]                 Silvia Schopova affirme qu'elle a été victime d'actes discriminatoires, de menaces et de violence en raison de son origine ethnique rom pendant les 37 années qu'elle a vécues en Bulgarie. Elle craint tout particulièrement les skinheads et les accusent d'avoir commis à son égard les pires sévices, notamment une agression sexuelle juste avant qu'elle s'enfuie au Canada en 2000. Elle a revendiqué le statut de réfugiée au Canada, mais un tribunal de la Commission de l'immigration et du statut du réfugié a rejeté sa demande. Elle allègue que la Commission a commis de graves erreurs lorsqu'elle a conclu que son témoignage à l'égard de certains points importants n'était pas crédible et que ses arguments n'équivalaient pas à une crainte d'être persécutée. En conséquence, par l'entremise de la présente demande de contrôle judiciaire, elle demande à ce qu'une nouvelle audience soit tenue devant un autre tribunal.

[2]                 L'affaire en l'espèce comporte deux questions en litige :

(1) La Commission a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit lorsqu'elle a conclu que le témoignage de Mme Schopova manquait de crédibilité?

(2) La Commission était-elle dans l'erreur lorsqu'elle a conclu que la crainte qu'éprouve Mme Schopova n'était pas fondée?

A. La Commission a-t-elle commis une erreur de fait ou de droit lorsqu'elle a conclu que le témoignage de Mme Schopova manquait de crédibilité?

[3]                 La Commission a mentionné plusieurs points qui mettent en doute le témoignage de Mme Schopova. Plus important encore, elle a conclu que le groupe de skinheads en question ne l'avait pas agressée sexuellement en mai 2000. La Commission a fourni plusieurs motifs en vue de justifier cette conclusion. Notamment :


.            Madame Schopova a admis l'allégation de la Commission selon laquelle ses voisins auraient probablement entendu le vacarme lorsque les skinheads sont entrés par effraction dans son domicile et les cris qu'elle a poussés par la suite. Elle n'a pas été en mesure d'expliquer pourquoi elle n'avait pas communiqué avec les services de police, pourquoi ils n'ont pas mené d'enquête ni pourquoi ils ne l'ont pas interrogée par la suite au sujet de l'incident. Elle n'a pas été non plus en mesure de décrire quelle avait été la réaction de ses fils lorsqu'ils sont revenus à l'appartement le jour suivant et qu'ils ont dû constater les dommages.

.            Madame Schopova a omis de mentionner dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) que son mari avait été attaché à une chaise et qu'on l'avait forcé à regarder l'agression. Elle a également omis de mentionner ce fait au psychologue qui a produit un rapport en vue d'appuyer sa demande.

.            Le psychologue a conclu que Mme Schopova craint l'obscurité [traduction] « depuis qu'elle a été victime de ce viol commis en soirée » . La Commission a déduit que, si son mari avait été témoin de l'agression, les lumières dans l'appartement devaient avoir été allumées pendant ce temps. Si tel a été le cas, elle se demande donc pourquoi la demanderesse craindrait l'obscurité.

[4]                 À mon avis, la Commission a commis une erreur de fait ou de droit en s'appuyant sur ces motifs pour conclure que Mme Schopova n'avait pas été violée.

[5]                 Il n'y a aucun moyen de savoir si les voisins étaient à leur domicile au moment de l'incident. Nous ignorons également si quelqu'un a communiqué avec les services de police. La Commission ne disposait d'aucune preuve en ce qui concerne ces faits. Selon le témoignage de Mme Schopova, tout ce que nous savons, c'est que personne, que ce soit les voisins ou la police, n'est venu à son secours.

[6]                 Quant à la réaction de ses fils, Mme Schopova a indiqué qu'elle avait passé les jours et les semaines suivant l'incident dans sa chambre. Elle n'a mentionné l'incident ni à ses fils ni à personne d'autre. Il est possible qu'ils aient posé des questions à son mari, mais elle ignore quelles sont les questions qu'ils ont pu lui poser ou ce que son mari a pu leur dire.

[7]                 L'exposé circonstancié de Mme Schopova, tel qu'il figure dans son FRP, contient une description de plusieurs incidents et de mauvais traitements dont elle a été victime en Bulgarie. En ce qui concerne l'agression sexuelle, elle a expliqué que les skinheads [traduction] « ont sauvagement battu mon mari puis ils m'ont violée » . Il est vrai qu'elle a omis de mentionner que son mari avait été attaché à une chaise. De même, le psychologue dans son rapport indique seulement que Mme Schopova [traduction] « a été violée et son mari a été battu » . Ici encore, le psychologue ne fait nullement mention du fait que son mari a été attaché à une chaise. La Commission a interrogé Mme Schopova au sujet de ces omissions. Elle a expliqué qu'elle avait eu honte parce que son mari avait été forcé à être témoin de l'agression.

[8]                 Dans son témoignage oral, Mme Schopova a fourni un compte rendu détaillé et réel du viol dont elle a été victime. Ce témoignage contient de nombreux faits qui ne figurent pas dans son FRP ou dans le rapport du psychologue. La Commission aurait pu se saisir de l'un ou l'autre de ces faits et tirer une conclusion défavorable à l'égard de l'omission de Mme Schopova de mentionner ces faits au psychologue ou dans son FRP. Cependant, il est tout à fait naturel pour un demandeur de mentionner certains faits lors d'une audience qu'il aurait omis d'indiquer dans des documents écrits. Dans l'affaire en l'espèce, la Commission a explicitement demandé à Mme Schopova où était son mari au moment de l'agression. Elle a répondu clairement et sans ambiguïté et elle a expliqué les raisons pour lesquelles elle avait omis de mentionner ce fait précédemment. À mon avis, il n'existe aucun motif sur lequel s'appuyer pour mettre en doute sa crédibilité sur ce point.

[9]                 En ce qui concerne la crainte de l'obscurité qu'éprouve Mme Schopova, la Commission ne disposait d'aucune preuve en ce qui a trait à l'éclairage dans l'appartement au moment du viol. Sa conclusion selon laquelle en de telles circonstances une personne ne peut craindre l'obscurité est purement spéculative.

[10]            En conséquence, la conclusion de la Commission selon laquelle l'agression sexuelle n'a pas eu lieu n'était pas fondée sur une évaluation juste de la preuve dont elle disposait, ce qui, en soi, peut justifier la tenue d'une nouvelle audience. Cependant, il est de mon devoir de m'exprimer sur deux autres conclusions qui mettent en doute la crédibilité de la demanderesse.

[11]            Madame Schopova a attesté que les skinheads lui avait proposé de travailler à leur compte comme prostituée. La Commission lui a demandé à quel moment cet incident était survenu. Elle a indiqué qu'ils lui avaient fait cette proposition en 1998 après l'avoir agressée et avant l'incident du viol en 2000. Lorsque la Commission lui a demandé d'être plus précise, elle a indiqué que cet incident était survenu vers la fin de 1999 ou au début de 2000. La Commission lui a également demandé si on lui avait fait cette proposition plus d'une fois. Elle a indiqué que les skinheads lui avaient fait cette proposition à plusieurs reprises. La Commission a conclu que ses réponses étaient vagues et incertaines. Cependant, si j'examine le dossier, il n'existe aucun fondement pour appuyer une telle conclusion.

[12]            Enfin, la Commission a estimé que Mme Schopova aurait dû mentionner dans son FRP qu'elle avait demandé à être transférée de son lieu de travail après avoir été victime de harcèlement à son travail de la part de skinheads. Une fois de plus, la Commission l'a explicitement interrogée à ce sujet au cours de l'audience et a obtenu plus de renseignements que ce que contenait son exposé circonstancié. Cela n'est pas surprenant et ne démontre pas non plus une absence de crédibilité. Si ce point avait constitué une question centrale, alors il aurait été justifié que la Commission soulève certaines préoccupations. Cependant, tel n'était pas le cas.

B. La Commission était-elle dans l'erreur lorsqu'elle a conclu que la crainte qu'éprouvait Mme Schopova n'était pas fondée?

[13]            Après avoir conclu que l'agression sexuelle n'avait pas eu lieu, la Commission a poursuivi la procédure pour en arriver à la conclusion selon laquelle les autres allégations de Mme Schopova équivalaient simplement à de la discrimination et à du harcèlement, mais non à de la persécution. Cependant, ce faisant, la Commission a omis de tenir compte de plusieurs faits contenus dans son témoignage. Notamment, la Commission n'a pas mentionné que les skinheads avaient agressé Mme Schopova et que cette agression avait provoqué une fausse couche. Elle n'a pas non plus mentionné que l'on avait fait tomber son fils dans un escalier et qu'il s'était fracturé une jambe. Elle a omis de mentionner que les agressions et menaces répétées que Mme Schopova et son mari ont endurées pendant toutes ces années ont été commises ou proférées à leur égard en raison de leur origine ethnique. Par conséquent, en omettant de faire mention de ces faits que contenait le témoignage de la demanderesse, les motifs sur lesquels s'est appuyée la Commission pour parvenir à la conclusion selon laquelle la crainte qu'éprouve Mme Schopova d'être persécutée n'est pas fondée ne sont pas justifiés.

CONCLUSION :

[14]            La Commission a injustement évalué le témoignage de Mme Schopova, notamment le compte rendu de l'agression sexuelle dont elle a été victime. Elle a également omis de tenir compte d'éléments de preuve pertinents lorsqu'elle a conclu que la crainte qu'éprouve Mme Schopova d'être persécutée n'était pas fondée. Par conséquent, la demanderesse a droit à une nouvelle audience devant un autre tribunal de la Commission.


                                                                        JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

1.          La demande de contrôle judiciaire est admise;

2.          La demanderesse a droit à une nouvelle audience devant un autre tribunal de la Commission.

3.          Aucune question d'importance générale n'est formulée.

                                                                                                                                   « James W. O'Reilly »          

                                                                                                                                                                 Juge                        

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                           IMM-2753-02

INTITULÉ :                                        SILVIA MARINOVA SCHOPOVA

                                                                                                                                                  demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE MARDI 8 JUILLET 2003

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                      LE MARDI 22 JUILLET 2003

COMPARUTIONS :                          Me Helen Turner

                                                                                                       Pour la demanderesse

Me Brad Gotkin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                

Me Helen Turner

                                                               Avocate et conseillère juridique

80, rue Richmond

bureau 1505

Toronto (Ontario)

M5H 2A4

Pour la demanderesse

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur


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