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Date : 20031017

Dossier : IMM-4994-02

Référence : 2003 CF 1210

Montréal (Québec), le 17 octobre 2003

Présent :          L'honorable juge Martineau

ENTRE :

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                            ALEXEY KORIAGIN

                                                                             

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire du demandeur, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, à l'égard de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section du statut de réfugié), rendue le 10 mai 2002 par le commissaire Me Auguste Choquette dans le dossier MA1-08737, reconnaissant au défendeur le statut de réfugié au sens de la Convention.


[2]         L'alinéa 69.1 (11)b) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, c. I-2 (la "Loi") impose à la Section du statut de réfugié l'obligation de motiver par écrit sa décision dans le cas où le Ministre ou l'intéressé le demande dans les dix (10) jours suivant la notification de la décision, auquel cas la transmission des motifs se fait sans délai.

[3]         La décision du commissaire fut rendue le 10 mai 2002. À la suite d'une demande de la part du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, les motifs suivants ont été communiqués le 2 octobre de cette même année :

Dans le dossier MA1-08737, le revendicateur fait valoir une crainte bien fondée de persécution advenant son retour en Israël, pays dont il a la nationalité. Vu la réponse donnée à la Question 37 du Formulaire de renseignements personnels, réponse qui doit faire partie intégrante de la présente décision, pour valoir ici au long récité, vu les déclarations essentielles qui ont été faites hors enregistrement, vu le témoignage crédible rendu par le revendicateur plus spécifiquement lorsqu'il a de façon élaborée fait valoir ses objections de conscience à l'encontre du Service militaire, vu l'ensemble de la preuve, vu la spécificité du dossier, vu les facteurs objectifs et subjectifs qui ont été démontrés en conformité des instructions contenues dans le Guide des Nations Unies émis sous l'autorité du Haut Commissariat pour les Réfugiés, la réponse est positive et la demande est accueillie.

[4]         En l'espèce, le commissaire a attendu plus de quatre mois après la demande du Ministre avant de transmettre les motifs écrits de sa décision. En l'absence d'explications, l'inaction du commissaire équivaut en soi à un refus d'accomplir un devoir légal ou à en retarder l'exécution de manière déraisonnable. Ceci étant dit, ni les commentaires généraux du commissaire à l'audience, ni les motifs laconiques qu'il a donné ultérieurement n'appuient la décision d'accorder le statut de réfugié au défendeur.


[5]         Pour satisfaire à l'obligation prévue à l'alinéa 69.1 (11)b) de la Loi, les motifs doivent être suffisamment clairs, précis et intelligibles afin de permettre au Ministre ou à l'intéressé de comprendre les motifs sous-jacents la décision, et le cas échéant, advenant un appel de la décision, afin de permettre à la Cour de s'assurer que la Section du statut de réfugié a exercé sa compétence de façon conforme à la Loi. Voir notamment : Mehterian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 545 (C.A.F.) (QL); Ministre de la citoyenneté et de l'immigration c. Roitman, [2001] A.C.F. no 718 (C.F. 1re inst.) (QL); Zannat c. Ministre de la citoyenneté et de l'immigration (2000), 188 F.T.R.148; Zoga c. Ministre de la citoyenneté et de l'immigration, [1999] A.C.F. no 1253 (C.F. 1re inst.) (QL); Khan v.Minister of Citizenship and Immigration, [1998] F.C.J. no 1187 (C.F. 1re inst.) (QL).

[6]         La détermination de l'existence d'une crainte raisonnable de persécution pour l'un des motifs énumérés à la Convention soulève une question mixte de droit et de fait. Dans l'arrêt Chan c. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1995] 187 N.R. 321, la Cour suprême du Canada a réitéré qu'un revendicateur du statut de réfugié a le fardeau de démontrer l'existence d'une crainte fondée de persécution. Sans contredit, cette détermination exige une analyse minutieuse du témoignage du revendicateur et de la preuve documentaire sur les conditions du pays. Lorsque des motifs écrits sont requis, il ne suffit pas d'affirmer que la détermination positive est fondée sur la preuve sans autre précision.


[7]         La crainte subjective du revendicateur doit toujours être appréciée. Lorsque la preuve révèle que le revendicateur n'a pas profité de la première occasion pour revendiquer le statut de réfugié, cela peut compromettre dans certaines circonstances sa demande d'asile. Bien que cette considération ne soit pas déterminante en soi, il s'agit d'un facteur pertinent dans l'appréciation de la crédibilité du revendicateur : Gavryushenko c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), [2000] A.C.F. no 1209 (QL); Ilie c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (1994), 88 F.T.R. 220;Huerta c. Ministre de l'emploi et de l'immigration [1993] 157 N.R. 225, par. 4 (C.A.F.).

[8]         De plus, il est nécessaire de prendre en considération le principe énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Ward c. Canada (P.G.), [1993] 2 R.C.S. 689 selon lequel un revendicateur du statut de réfugié doit démontrer de façon claire et convaincante, l'incapacité de son pays d'assurer sa protection. Dans le cadre de cette détermination, il y a lieu de prendre en considération qu'Israël est un État démocratique. Par conséquent, il est présumé que l'État d'Israël possède des institutions politiques et judiciaires capables de protéger ses propres citoyens. La Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Kadenko c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration) (1996), 206 N.R. 272 (C.A.F.), a énoncé le fardeau de preuve qui s'impose. Le fardeau qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie de l'État en cause. En d'autres termes, plus les institutions de l'État sont démocratiques, plus le revendicateur doit chercher à épuiser les recours internes qui s'offrent à lui.


[9]         Si la totalité de la preuve dont disposait le commissaire avait été analysée de façon appropriée, il aurait peut-être été raisonnablement loisible de tirer la conclusion qu'il a tirée,     mais compte tenu des motifs génériques que celui-ci a donné, il est manifeste ici que cette conclusion est arbitraire et déraisonnable. Notamment, les motifs fournis ne permettent pas de constater en quoi la discrimination qui a été alléguée dans cette affaire par le défendeur constitue de la persécution en fonction de l'un des motifs prévus à la Convention. De la même manière,    les motifs énoncés ne permettent pas de déterminer si le défendeur s'est effectivement acquitté du fardeau de démontrer qu'il a épuisé tous ses recours en Israël.

[10]       Il est également manifeste que la conclusion du commissaire à l'effet que le défendeur    soit un objecteur de conscience, est arbitraire et capricieuse. L'absence complète d'analyse à ce sujet entache la validité de la conclusion. En l'espèce, afin de déterminer quel est l'effet de la loi israélienne à l'égard du défendeur, le commissaire devait évaluer son témoignage et l'ensemble de la preuve en fonction du cadre d'analyse établi par la Cour d'appel fédérale dans Zolfagharkhani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 3 C.F. 540 (C.A.), ce qui, à la lecture de la décision, n'a pas été fait ici.

[11]       Enfin, le commissaire a enfreint les principes de justice naturelle ou a autrement agi de façon contraire à la Loi en fondant notamment sa décision sur « les déclarations essentielles qui ont été faites hors enregistrement » . [notre souligné]

[12]       Le défendeur a proposé que la question suivante soit certifiée :


Le fait par le Ministre d'exiger de la Section du Statut de réfugié de motiver une décision favorable, qui selon la politique de ce tribunal en pareille matière n'a pas besoin de l'être, constitue-t-il une ingérence indue dans le processus décisionnel de ce tribunal indépendant?

[13]       Considérant l'alinéa 69.1 (11)b) de la Loi, cette question n'a aucune raison d'être. D'une part, toutes les politiques de la Commission doivent être conformes à la Loi. Par conséquent, celles-ci ne peuvent d'aucune manière aller à l'encontre d'un texte législatif. D'autre part, la question proposée n'est pas déterminante en l'espèce.

LA COUR ORDONNE :

[14]       La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section du statut, en date du 10 mai 2002, est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission pour nouvelle audience et détermination devant une formation différente. Aucune question ne sera certifiée.

            « Luc Martineau »                                                                                                                                        Juge


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                IMM-4994-02

INTITULÉ :               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE          L'IMMIGRATION

                                                                                           demandeur

                                                     et

ALEXEY KORIAGIN.

                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 14 octobre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS:                                    Le 17 octobre 2003

COMPARUTIONS:

Me Sylviane Roy                                               POUR LE DEMANDEUR

Me Lucrèce Joseph                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Morris Rosenberg                                              POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Me Lucrèce Joseph                                           POUR LE DÉFENDEUR

Montréal (Québec)


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