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Date : 20030515

Dossier : IMM-438-02

Référence : 2003 CFPI 592

Ottawa (Ontario), le 15 mai 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                                                HAROONI AHMAD

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, concernant la décision d'une conseillère de la Citoyenneté et de l'Immigration (conseillère en immigration) datée du 14 janvier 2002, par laquelle celle-ci a jugé qu'il n'y avait pas suffisamment de considérations humanitaires (CH) pour exempter le demandeur de l'application du paragraphe 9.(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2]                 Le demandeur cherche à annuler par ordonnance la décision de la conseillère en immigration et de renvoyer l'affaire à un autre conseiller ou une autre conseillère pour nouvel examen.

Contexte

[3]                 Le demandeur est un citoyen afghan né le 3 février 1967. En 1992, il a épousé dame Rangeena Ahmad. Il dit avoir fui l'Afghanistan en décembre 1993 par crainte pour sa vie. Arrivé au Canada le 19 décembre 1994, il a revendiqué le statut de réfugié. Le 16 juillet 1996, la section du statut de réfugié au sens de la Convention a rejeté cette revendication pour avoir conclu que l'exposé des faits n'était pas plausible et que le demandeur devrait être exclu en vertu de l'alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention), Con. T.S. 1969 n ° 6, du fait que son appartenance au groupement KHAD faisait de lui un complice de crimes contre l'humanité.

[4]                 Le demandeur a dit à l'entrevue que sa femme était morte suite à un bombardement, ce que corrobore l'affidavit de l'ami du demandeur, Shah Popal, qui a appris de ses parents, au cours d'une conversation téléphonique en 1997, que Rangeena Ahmad était décédée.


[5]                 Le 4 mars 1999, le demandeur a épousé dame Zarhanya Jaan. Le 5 mai 1999 ou aux alentours de cette date, Mme Jaan a présenté une demande de parrainage et, son mari, une requête à Citoyenneté et Immigration Canada pour être dispensé de l'obligation de détenir un visa d'immigration, étant le conjoint d'une résidente permanente.

[6]                 Le 26 décembre 1999, le fils du demandeur, Farhad Ahmad, naissait.

[7]                 Par lettre du 2 avril 2001, le demandeur a appris que la conseillère en immigration réclamait, entre autres pièces, un document (acte de décès), attestant du décès de sa première femme, en réponse à quoi, le demandeur a présenté l'affidavit de Shah Popal. Le 31 mai 2001, la conseillère a informé le demandeur par télécopieur, qu'elle n'acceptait pas cette déclaration solennelle et exigeait une copie de l'acte de décès. Par lettre du 4 juin 2001, le demandeur lui a répondu en ces termes :

[Traduction]

Vous n'êtes peut-être pas sans savoir que l'Afghanistan est gouverné par des religieux fondamentalistes qui ont poussé le pays encore plus loin sur la voie du chaos, si tant est que ce soit possible. ... Le gouvernement fonctionne à peine et nombreux sont ceux qui meurent chaque jour, par centaines peut-être.

Comme vous le comprendrez facilement, un acte de décès est chose inexistante là-bas sans parler de l'impossibilité d'en obtenir un d'un gouvernement qui ne fonctionne pas et que seuls deux pays au monde reconnaissent.

La preuve fournie par un citoyen canadien sous forme de déclaration solennelle est, dans les circonstances, la meilleure et la seule preuve disponible.

[8]                 Une entrevue a eu lieu le 29 novembre 2001 réunissant le demandeur, sa femme et leur fils ainsi que leur avocat.

[9]                 Le 14 janvier 2002, la conseillère en immigration a rejeté la demande de l'intéressé pour les raisons suivantes :


·            Le demandeur et Mme Jaan ont donné une version différente des circonstances qui ont entouré leur première rencontre et leur mariage. Dans sa demande, le demandeur a déclaré qu'il a reçu et accepté une proposition de mariage de la part de la famille de Mme Jaan. Il dit que sa femme et lui ne se sont pas rencontrés avant leurs noces. Au cours de l'entrevue, Mme Jaan a relaté qu'elle avait aperçu le demandeur dans un parc, qu'elle l'a trouvé agréable et a parlé à son père d'un éventuel mariage avec lui. À la conseillère en immigration qui lui demandait de s'expliquer, le demandeur a déclaré avoir vu Mme Jaan au parc, mais qu'ils ne se sont jamais adressé la parole.

·            Il n'a pas présenté un acte prouvant le décès allégué de sa première femme. La conseillère n'a pas accepté la preuve fournie par son ami, Shah Popal, et a conclu que le demandeur aurait pu réclamer un acte de décès du Consulat général de la République islamique d'Afghanistan à New York à qui il a demandé et obtenu un passeport en règle. Elle a donc jugé qu'il n'avait pas prouvé le décès de sa première femme.

·            Il a indiqué dans sa déclaration relative au mariage qu'il ne s'était jamais marié auparavant au lieu de dire qu'il était veuf. La conseillère en immigration en a conclu que le demandeur a représenté faussement son statut matrimonial pour obtenir un permis de mariage. Elle dit avoir demandé si quelqu'un d'autre avait rempli le formulaire pour sa femme et lui, mais qu'ils [traduction] « n'ont pas répondu par l'affirmative » .

·            En raison de ce qui précède, la conseillère a conclu que le demandeur n'était pas légalement libre d'épouser Mme Jaan et, par conséquent, qu'elle n'était pas disposée à accueillir la demande de parrainage.

·            Le demandeur a déclaré que son fils Farhad pouvait parler le pashtu. Considérant ce fait et le jeune âge de l'enfant, la conseillère a conclu que le garçon pouvait s'adapter à la vie en Afghanistan.

·            Elle a noté que Farhad n'est pas allé une seule fois vers son père durant l'entrevue. Il s'est assis plutôt avec sa mère ou l'avocat. La conseillère a conclu de cette constatation [traduction] « qu'à cette étape de sa vie, Farhad dépend largement de sa mère et quand bien même il serait séparé de M. Ahmad, son père, si celui-ci regagne l'Afghanistan, il aura à ses côtés une mère aimante et attentive ainsi qu'un chez lui au Canada » .

·            En réponse à la question de savoir si la famille de Mme Jaan serait en mesure de l'aider au cas où son mari retourne en Afghanistan, elle a répondu sans hésiter « non » . La conseillère en immigration a conclu que cette réponse était irréfléchie et elle n'a pas été convaincue que la famille de Mme Jaan ne les aiderait pas elle et son fils s'ils restaient au Canada.


·            Le demandeur a reçu, par l'entremise de sa femme, des prestations de bien-être social pendant quelques mois après qu'il eut trouvé un emploi. La conseillère a signalé qu'il ne semblait pas s'être intégré à la collectivité en participant à des organisations communautaires ou à des activités bénévoles ou autres. Elle n'était pas persuadée que le demandeur s'était vraiment établi au Canada.

·            Notant que l'Afghanistan est en voie de reconstruction, elle n'était pas convaincue que le demandeur ferait l'objet de sanctions quelconques s'il était renvoyé là-bas.

·            S'appuyant sur la conclusion de la SSR et les notes recueillies au port d'entrée, la conseillère a conclu que le demandeur était complice de crimes contre l'humanité justifiant son exclusion en vertu de l'alinéa 1Fa) de la Convention, précitée.

[20]            Le demandeur réclame un contrôle judiciaire de cette décision.

Observations du demandeur

[21]            Le demandeur soutient que la simple vraisemblance constitue la norme de contrôle appropriée et que la décision de la conseillère en immigration était déraisonnable.

[22]            Il prétend que le défendeur a commis une erreur de droit en n'évaluant pas, à leur juste mesure, les conséquences du renvoi sur son fils né au Canada et qu'il aurait fallu aviser de l'expulsion éventuelle de son père en lui offrant de pouvoir recourir à un avocat indépendant.

[23]            Il soutient également que la conseillère en immigration a contrevenu aux règles de justice naturelle et d'équité en ne lui donnant pas la possibilité de répondre à quelques-unes des préoccupations qu'elle avait.

[24]            Il allègue également que la conseillère n'a pas pleinement et équitablement examiné les considérations d'ordre humanitaire.

Observations du défendeur

[25]            En ce qui concerne le bien-fondé du mariage du demandeur, le défendeur répond que celui-ci n'a pas prouvé que la déclaration solennelle de son ami était la seule et meilleure preuve dont il disposait pour établir le décès de Rangeena Ahmad. Il signale que la conseillère en immigration a rejeté la demande de parrainage en raison de l'absence d'un acte de décès, des versions différentes que le demandeur et Mme Jaan ont données de leur première rencontre et de la fausse représentation sur la déclaration de mariage.

[26]            Le défendeur soutient qu'il ne lui incombe pas d'aviser séparément un enfant de l'éventuel renvoi de ses parents et que, conformément à l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans la cause Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 358, il n'y a aucune présomption que « l'intérêt supérieur des enfants devrait prévaloir sous la seule réserve des raisons contraires les plus graves » . À son avis, la conseillère en immigration a pris en compte tous les éléments pertinents et donné à l'intérêt de l'enfant tout le poids qu'il fallait.

[27]            Le défendeur déclare que la conseillère en immigration a raisonnablement déterminé que les raisons d'intérêt public avaient, en l'espèce, le pas sur les considérations humanitaires.

[28]            D'après lui, de nombreux points névralgiques, parmi d'autres, ont été discutés durant l'entrevue avec le demandeur et son avocat donnant ainsi à l'intéressé l'occasion d'y répondre.

[29]            Le défendeur soutient que la conseillère en immigration était en droit d'invoquer la décision de la SSR concernant la participation du demandeur au groupement KHAD et qu'elle a tiré ses propres conclusions au sujet de l'exclusion en vertu de l'alinéa 1Fa).           

Réponse du demandeur

[30]            En réponse, le demandeur soutient que la conseillère en immigration doit prendre en considération l'authenticité de la relation et non pas simplement l'aspect légal du mariage. Il déclare que même si le mariage n'est pas techniquement légal, Mme Jaan et lui ont ensemble une véritable relation de fait.

[31]            Il dit n'avoir pas eu la possibilité de discuter certaines préoccupations comme celles-ci :

1.          La légalité du certificat de mariage qui a été soulevée seulement à l'entrevue.

2.          Le fait d'avoir appris seulement par la décision de la conseillère en immigration que celle-ci aurait été disposée à accepter un acte de décès délivré par un bureau du gouvernement de l'Afghanistan aux États-Unis.

3.          Le fait que la conseillère n'a pas indiqué, sauf dans sa décision, que l'aptitude de Farhad à s'exprimer en pashtu serait suffisante, à ses yeux, pour vivre en Afghanistan.

[32]            Le demandeur soutient que la conseillère en immigration a commis une erreur de droit en concluant que la famille de Mme Jaan lui viendrait en aide, alors que la preuve qu'on lui a présentée allait à l'encontre de cette conclusion.

Questions en litige

[33]            Les questions que le demandeur a soulevées sont les suivantes :

1.          La décision de refuser au demandeur l'établissement au Canada et de le renvoyer du pays peut-elle être prise sans une évaluation pleine et entière par le Ministre du risque que cela comporte, sur le plan humanitaire, pour le fils actuel du demandeur et son enfant attendu pour bientôt, tous deux Canadiens de naissance, afin d'évaluer les répercussions que la séparation d'avec leur père, forcé de quitter la Canada, et la privation de son amour et de son soutien auront sur eux?

2.          Le défendeur a-t-il commis une erreur en ne remplissant pas l'obligation de justice fondamentale qui lui incombe d'avertir l'enfant du demandeur des procédures en cours et de s'assurer qu'on a bien tenu compte de ses droits et intérêts qui sont au coeur des valeurs inhérentes aux considérations humanitaires de la société canadienne?

3.          Le défendeur a-t-il fait erreur en ne respectant pas les obligations faites au Ministre dans la Loi sur l'immigration précitée, dont l'objet est de permettre l'immigration et non de l'entraver, de procéder à une évaluation exhaustive, équitable et raisonnable conforme aux textes et à l'esprit de la loi et de faciliter la réunion au Canada des citoyens canadiens et résidents permanents avec leurs proches parents de l'étranger?


Dispositions législatives pertinentes

[34]            Les dispositions pertinentes de la Loi sur l'immigration, précitée sont les suivantes:



2.(1) « réfugié au sens de la Convention » Toute personne:

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.

114.(2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière.

2.(1) "Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;

9. (1) Except in such cases as are prescribed, and subject to subsection (1.1), every immigrant and visitor shall make an application for and obtain a visa before that person appears at a port of entry.

114.(2) The Governor in Council may, by regulation, authorize the Minister to exempt any person from any regulation made under subsection (1) or otherwise facilitate the admission of any person where the Minister is satisfied that the person should be exempted from that regulation or that the person's admission should be facilitated owing to the existence of compassionate or humanitarian considerations.

[35]            L'article pertinent du Règlement sur l'immigration (1978), DORS/78-172, s'énonce ainsi :

5. (1) Pour l'application de l'alinéa (2)i) et des paragraphes (3) à (5), « _conjoint_ » s'entend notamment d'une personne du sexe opposé qui, au moment de l'engagement du répondant, vit avec celui-ci dans une situation assimilable à une union conjugale et a ainsi vécu avec lui pendant une période continue d'au moins un an.

5. (1) For the purposes of paragraph (2)(i) and subsections (3) to (5), "spouse" includes a person of the opposite sex who is cohabiting with the sponsor in a conjugal relationship at the time the sponsor gives an undertaking, having cohabited with the sponsor for a continuous period of at least one year.

5(2)

[36]            L'alinéa 1Fa) de la Convention, précitée, porte ce qui suit :

Article 1

. . .

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:

                    

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

. . .

Article 1

. . .

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

(a) He has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provisions in respect of such crimes;

. . .


Analyse et décision

[37]            Question 1

La conseillère en immigration a-t-elle mal évalué l'intérêt de l'enfant? (Question 1 reformulée).

Un conseiller ou une conseillère en immigration doit considérer l'intérêt supérieur d'un enfant né au Canada au moment de statuer sur la demande d'immigration d'un parent présentée pour des considérations humanitaires. Dans l'arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 C.A.F. 475, A.C.F. n ° 1687 (QL), le juge Evans s'est exprimé en ces termes aux paragraphes 31, 32 et 40 :

L'avocat a convenu que, conformément au critère juridique établi dans les arrêts Baker et Legault pour examiner la manière dont les agents ont exercé leur pouvoir discrétionnaire, le refus de l'agente d'accueillir la demande de considérations humanitaires de Mme Hawthorne pourrait être annulé au motif qu'il s'agit d'une décision déraisonnable si l'agente n'a « prêté aucune attention » à l'intérêt supérieur de Suzette. D'autre part, si le décideur a été « réceptif, attentif et sensible » à cet intérêt (Baker, par. 75), on ne pourrait soutenir qu'il s'agit d'une décision déraisonnable.

Il y a eu également consensus sur le fait qu'une agente ne peut démontrer qu'elle a été « récepti[ve], attenti[ve] et sensible » à l'intérêt supérieur d'un enfant touché par la simple mention dans ses motifs qu'elle a pris en compte l'intérêt de l'enfant d'un demandeur CH (Legault, par. 13). L'intérêt de l'enfant doit plutôt être « bien identifié et défini » (Legault, par. 12) et « examiné avec beaucoup d'attention » (Legault, par. 31) car, ainsi que l'a affirmé clairement la Cour suprême, l'intérêt supérieur de l'enfant constitue « un facteur important » auquel on doit accorder un « poids considérable » (Baker, par. 75) dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire sous le régime du paragraphe 114(2).

. . .

... Conformément à l'arrêt Baker et aux directives, le décideur doit nécessairement considérer la gravité du préjudice à l'égard de l'enfant qu'entraînera vraisemblablement le renvoi d'un parent. Cependant, à moins que le décideur ne tienne compte du degré de préjudice dans le contexte de l'intérêt supérieur de l'enfant, il s'écartera vraisemblablement de son obligation d'être « réceptif, attentif et sensible » à cet important facteur dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire...


[38]            Dans sa décision, la conseillère en immigration s'est exprimée, en l'espèce, en ces termes :

[Traduction]

M. Ahmad est le père d'un enfant canadien de naissance du nom de Farhad Ahmad qui a eu deux ans le 26 décembre 2001. Sur le formulaire IMM 5001, M. Ahmad a déclaré que le pashtu était la langue d'origine de son fils. Farhad Ahmad a accompagné ses parents à l'entrevue durant laquelle M. Ahmad et Mme Jaan ont confirmé que leur enfant parle le pashtu et l'anglais... Si Mme Jaan décidait de partir avec son mari au cas où il serait obligé de retourner en Afghanistan, l'aptitude de Farhad à parler le pashtu devrait l'aider à s'intégrer plus facilement. Si Farhad les accompagne en Afghanistan, et vu son jeune âge, je suis d'avis qu'il serait en mesure de s'adapter. Je me rends bien compte que la vie de Farhad ne sera plus la même qu'au Canada, mais il vivra avec ses parents qui l'entoureront de leurs soins et de leur soutien.

L'entrevue a duré une heure et demie et l'on a noté durant ce temps que Farhad ne s'est pas dirigé vers son père. Il a passé son temps avec sa mère ou avec l'avocat M. Woolf, mais non pas avec son père. Vers la fin de l'entrevue, Farhad paraissait somnolant et essayait de s'asseoir à côté de sa mère qui était cependant debout à ce moment-là examinant la demande d'autorisation de mariage et s'entretenant avec M. Ahmad qui, lui, était assis. Comme il ne pouvait s'étendre près de sa mère, Farhad s'est assis sur sa chaise. Jamais n'est-il allé s'asseoir avec son père. Je suis persuadée qu'à cette étape de sa vie, Farhad dépend largement de sa mère et quand bien même il serait séparé de M. Ahmad, son père, si celui-ci regagne l'Afghanistan, il aura à ses côtés une mère aimante et attentive ainsi qu'un chez lui au Canada.

[39]            À l'entrevue, la femme du demandeur a déclaré que sa famille ne lui prêterait pas main-forte ni à son fils si le demandeur est déporté en Afghanistan. La conseillère en immigration n'était pas convaincue qu'il en serait ainsi.


[40]            Dans la cause Hawthorne précitée, le juge Décary a déclaré que le conseiller ou la conseillère en immigration doit, lorsqu'il (elle) détermine l'intérêt supérieur de l'enfant considérer le bénéfice que celui-ci retirerait si son parent n'était pas renvoyé ainsi que les difficultés que vivrait l'enfant advenant le renvoi d'un de ses parents du Canada. La Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Legault précité, a énoncé, au paragraphe 12, que l'intérêt supérieur de l'enfant doit être « bien identifié et défini » .

[41]            Après lecture de la décision de la conseillère en immigration, je suis d'avis qu'elle n'était pas « réceptive, attentive et sensible » à l'intérêt supérieur de l'enfant. La seule analyse qui portait sur ce point affirmait qu'en raison du jeune âge de l'enfant et de son aptitude à s'exprimer en pashtu, il serait en mesure de s'adapter à la vie en Afghanistan et que, même si sa vie devait différer de celle qu'il mène au Canada, l'enfant bénéficierait du soutien de ses parents. Ce n'est pas là une analyse appropriée de l'intérêt supérieur de l'enfant. La Commission a commis une erreur susceptible de contrôle. Sa décision est partant infirmée et le dossier renvoyé à un tribunal différemment constitué qui statuera à nouveau sur l'affaire.

[42]            En raison de ma décision sur la première question, je n'aborderai pas celles qui restent.

[43]            Aucune partie n'a manifesté le désir de proposer une question grave de portée générale en vue de ma certification.


ORDONNANCE

[44]            LA COUR ORDONNE: La décision de la Commission est infirmée et le dossier renvoyé devant un tribunal de la Commission différemment constitué pour qu'il statue à nouveau sur l'affaire.

                                                                                                                                     « John A. O'Keefe »             

                                                                                                                                                                  Juge                          

Ottawa (Ontario)

le 15 mai 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                  AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-438-02

INTITULÉ :                                        HAROONI AHMAD

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                                    

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              le mercredi 8 janvier 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                       le jeudi 15 mai 2003

COMPARUTIONS :

M. Harvey Savage

POUR LE DEMANDEUR

M. Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rodney L.H. Woolf

1474, rue Bathurst

Bureau 100

Toronto (Ontario)

M5P 3G9

POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR


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