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Date : 20200723


Dossier : T‑768‑18

Référence : 2020 CF 784

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 juillet 2020

En présence de Monsieur le juge Shore

ENTRE :

BUILDING PRODUCTS OF CANADA CORP.

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  À la suite d’une vérification, l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] a augmenté le revenu imposable de la demanderesse et a établi une cotisation prévoyant des intérêts sur le montant de l’impôt sur le revenu dû pour l’année d’imposition 2009. Par conséquent, la demanderesse a demandé au ministre du Revenu national [le ministre], au titre du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl.) [la LIR], d’annuler ou de renoncer à une partie des intérêts. La présente affaire porte sur une demande de contrôle judiciaire d’une décision du 27 mars 2018 [la décision] par laquelle le ministre a rejeté la demande de la demanderesse.

Renonciation aux pénalités et aux intérêts

Waiver of penalty or interest

220 (3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour‑là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

220 (3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

II.  Contexte

[2]  Le 12 mai 2014, l’ARC a émis une nouvelle cotisation à la demanderesse pour l’année d’imposition 2009. Le vérificateur a refusé à la demanderesse la déduction de ses dépenses pour la recherche et le développement et a augmenté son revenu imposable pour l’année d’imposition 2009.

[3]  Au moment de la vérification, dans la déclaration de revenus de 2009 de la demanderesse, faite le 4 septembre 2010, figuraient des pertes autres qu’en capital de 22 536 205,00 $. Le vérificateur a donc calculé le nouveau revenu imposable de la demanderesse en fonction des pertes autres qu’en capital réclamées. L’ARC a enfin conclu que la demanderesse devait 1 510 198,00 $ en impôt sur le revenu impayé pour l’année d’imposition 2009, et des intérêts de 331 700,05 $ sur ce montant.

[4]  En l’espèce, le cœur de la question en litige est que la demanderesse disposait de plus de pertes autres qu’en capital que celles qu’elle affirme qu’elle aurait déduit du montant dû. Les deux parties conviennent que le vérificateur de l’ARC n’a pas suivi la bonne politique de l’ARC après la nouvelle cotisation. Il aurait fallu suivre la politique énoncée dans le Manuel de vérification des grandes entreprises de l’ARC [le manuel] qui prévoit que le vérificateur obtienne une réponse écrite du contribuable quant à son désir de déduire les pertes autres qu’en capital dont il dispose.

[5]  Cela dit, au moment de l’émission de la nouvelle cotisation, le montant précis de pertes autres qu’en capital qui étaient disponibles n’avait pas été défini. Entre le 12 mai 2014 et le 20 janvier 2015, les parties ont discuté du solde des pertes autres qu’en capital dont la demanderesse disposait. Il importe également de préciser que les pertes autres en capital déductibles ont toujours suffi à couvrir la totalité de l’impôt sur le revenu de la demanderesse, avec les intérêts.

[6]  Une fois le solde des pertes autres qu’en capital déductible défini, la demanderesse a demandé à l’ARC, le 27 janvier 2015, de modifier sa déclaration de revenus de 2009 en déduisant le solde de ses pertes autres qu’en capital et porte ainsi l’impôt et les intérêts à payer à zéro.

[7]  L’ARC n’a pas répondu à cette demande. Le 14 juillet 2015, la demanderesse a présenté de nouveau la demande du 27 janvier 2015.

[8]  Le 8 février 2016, l’ARC a refusé la demande de modification de la déclaration de revenus de 2009 de la demanderesse au motif que le dépôt de la demande du 27 janvier 2015 est postérieur à la période normale de nouvelle cotisation, celle‑ci s’étant terminée le 3 septembre 2014. La demanderesse n’avait pas demandé de prolongation de la période normale de nouvelle cotisation.

[9]  Le 20 décembre 2016, la demanderesse a demandé au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR et annuler les intérêts. La demanderesse a demandé un allégement des intérêts au motif que le vérificateur aurait dû lui offrir la possibilité d’appliquer le solde des pertes autres qu’en capital pour compenser le nouveau revenu imposable pour 2009. La demanderesse soutient que si l’ARC lui avait offert cette possibilité, elle aurait déduit son solde de pertes autres qu’en capital et qu’elle n’aurait pas payé d’intérêt sur le nouveau revenu imposable.

[10]  Le 28 juillet 2017, M. Francis Chabot, chef d’équipe du Programme d’allégement pour les contribuables, a rendu une première décision faisant droit en partie à la demande de la demanderesse, et ce, pour les trois périodes précédant la nouvelle cotisation, en raison des retards causés par l’ARC. Le 29 août 2017, la demanderesse a déposé une seconde demande en vue d’obtenir un examen indépendant de sa demande d’allégement pour les contribuables.

[11]  Le 27 mars 2018, le ministre a rendu la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire. Le ministre a prolongé l’allégement d’un mois pour la période comprise entre la nouvelle cotisation et le paiement de la dette par la demanderesse. Il n’a pas accordé un autre allégement pour les raisons suivantes :

  • Le ministre a reconnu que l’ARC a peut‑être commis une erreur, car elle n’a pas proposé de déduire les pertes autres qu’en capital déductibles à la nouvelle cotisation. Cela dit, le ministre a conclu qu’il incombait au contribuable de décider s’il voulait se prévaloir des pertes autres qu’en capital avant la fin de la période normale de nouvelle cotisation.

  • La demande du 26 janvier 2015 a été déposée après la date limite et, par conséquent, l’ARC n’aurait pas pu appliquer les pertes autres qu’en capital même si elle avait traité la demande en temps opportun.

III.  Analyse

[12]  La Cour estime que la demanderesse lui demande essentiellement d’examiner le bien‑fondé de la décision. Premièrement, la demanderesse soutient que la conclusion de fait du ministre n’est pas raisonnable, puisque c’est à cause du fait que l’ARC n’a pas suivi le manuel, et ne lui a pas proposé de déduire son solde de pertes autres qu’en capital, qu’il existe les intérêts à payer qui sont au cœur de la présente affaire. De plus, elle soutient que la conclusion de fait du ministre est déraisonnable parce que celui‑ci n’a pas tenu compte des retards et des incertitudes causés par l’ARC qui ont trait au solde des pertes autres qu’en capital déductibles.

[13]  La demanderesse soutient également que le ministre a commis une erreur de droit en concluant que l’ARC ne pouvait pas reporter des pertes après la période normale de nouvelle cotisation de quatre ans, en raison du paragraphe 152(8) de la LIR qui prévoit qu’une cotisation est présumée valide, malgré toute erreur commise, si le contribuable ne s’y oppose pas ou n’interjette pas appel.

[14]  De même, elle soutient que le ministre a commis une erreur de droit, puisqu’il n’a pas respecté son obligation, énoncé au paragraphe 152(4.3) de la LIR, de traiter la demande du 27 janvier 2015 faite pour se prévaloir des pertes autres qu’en capital. Comme l’ARC a modifié le solde de pertes autres qu’en capital, la demanderesse soutient que l’agence aurait dû traiter la demande du 27 janvier 2015 même si elle était faite après la période normale de nouvelle cotisation.

[15]  Enfin, la demanderesse soutient que le ministre l’a privée de sons droit d’être entendue, car il n’a pas eu recours au manuel pour comprendre si ses actions allaient occasionner les intérêts qu’elle doit payer.

A.  Norme de contrôle

[16]  La norme de contrôle applicable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR est celle du caractère raisonnable (Agence du revenu du Canada c Telfer, 2009 CAF 23, aux par. 24 et 25 [Telfer]). Comme il est énoncé dans l’arrêt Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration c Vavilov, 2019 CSC 65, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec une attention respectueuse et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion. Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti.

[17]  La demanderesse a également soulevé une préoccupation au sujet de l’équité procédurale de la décision. Cette question fait l’objet d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision correcte. Voir aussi la décision Connolly c Canada (Revenu national), 2019 CAF 161, au paragraphe 57 :

[57]  Finalement, aucune déférence n’est due à la fonctionnaire déléguée sur la question de l’équité procédurale, puisqu’il appartient à la cour de révision de déterminer si les droits à l’équité procédurale de M. Connolly ont été violés : Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 (CanLII), au paragraphe 33‑56; Elson c Canada (Procureur général), 2019 CAF 27 (CanLII), au paragraphe 31.

B.  La décision est raisonnable

[18]  Il est convenu que le vérificateur de l’ARC aurait dû obtenir une réponse écrite de la demanderesse, au moment de la vérification, pour savoir si elle souhaitait appliquer le solde de ses pertes autres qu’en capital au solde impayé de l’impôt sur son revenu. Selon le manuel, il s’agissait d’une erreur de la part de l’ARC. La demanderesse tente maintenant de créer une distinction entre ses responsabilités en tant que contribuable pendant la période d’autocotisation et pendant la période de nouvelle cotisation. Pour cette dernière période, seul le ministre a le pouvoir de déduire les autres pertes disponibles pour maintenir le revenu imposable de la demanderesse à zéro. Par conséquent, la demanderesse soutient que, sans cette dernière étape — sa confirmation qu’elle souhaitait déduire le reste de ses pertes autres qu’en capital — elle n’aurait pas pu déduire ces pertes. Donc, l’ARC serait responsable du fait que la demanderesse n’a pas pu déduire le solde de ses pertes autres qu’en capital au solde de son impôt sur le revenu.

[19]  Pour sa part, le défendeur ne conteste pas qu’il existe une différence entre la cotisation et la nouvelle cotisation. Cela dit, il avance que cette différence n’a aucune incidence sur les responsabilités respectives de la demanderesse et du défendeur qui ont trait à la décision de déduire les pertes autres qu’en capital dans le cadre de la nouvelle cotisation. En présence de pertes autres qu’en capital disponibles, mais en absence d’avis du contribuable adressé au ministre quant à son souhait de les utiliser, le ministre n’a aucune obligation légale de les déduire de son propre chef dans le cadre de son mandat d’émission de cotisations et de nouvelles cotisations.

[20]  Il est vrai que, comme la demanderesse l’affirme, les responsabilités d’un contribuable sont différentes pour ce qui est de l’autoévaluation et de la nouvelle cotisation. Cela dit, la Cour ne peut que donner raison au défendeur. En effet, quelles que soient les responsabilités d’un contribuable pour la période en question, l’ARC ne peut pas simplement ajouter des pertes autres qu’en capital à une année d’imposition donnée sans que le contribuable en fasse la demande. Les pertes autres qu’en capital appartiennent au contribuable et non pas à l’ARC. Bien que l’ARC fasse maintenant partie intégrante du processus, elle ne pouvait pas agir unilatéralement.

[21]  Finalement, le débat ci‑dessus est caduc. En effet, la vraie question à trancher est de savoir si l’erreur du vérificateur de l’ARC aurait justifié un allégement des intérêts à payer ou, plus précisément, s’il était déraisonnable de ne pas accorder un tel allégement en l’espèce. Il est vrai que le ministre n’a pas suivi sa politique. Or, la demanderesse savait très bien qu’elle pouvait se prévaloir du solde de pertes autres qu’en capital, et que celles‑ci auraient suffi à compenser son solde d’impôt sur le revenu. Le dossier montre que la demanderesse a simplement attendu que l’incertitude concernant son solde soit dissipée. Par conséquent, la situation dans laquelle la demanderesse se trouve ne peut pas être imputée au ministre.

[22]  Puisque la demanderesse a attendu la confirmation de son solde de pertes autres qu’en capital, elle a déposé une demande pour modifier sa déclaration de revenus de 2009 en dehors de la période normale de nouvelle cotisation. Elle affirme donc que, comme le solde de pertes autres qu’en capital n’avait pas été défini, l’ARC est responsable de son incapacité de présenter sa demande de modification de sa déclaration de revenus de 2009 dans la période normale de nouvelle cotisation. Par conséquent, elle soutient qu’elle a dû payer des intérêts à cause de retards causés par l’ARC.

[23]  Il est vrai que c’est en partie à cause des mesures prises par l’ARC au sujet des retards dans l’évaluation du solde de pertes autres qu’en capital que la demanderesse a dû payer des intérêts. Cela dit, les mesures prises par l’ARC ne constituaient pas des conditions nécessaires et suffisantes pour obtenir ce résultat. Le ministre aurait pu exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 220(3.1) de la LIR et conclure raisonnablement que la demanderesse devrait recevoir un allégement. Toutefois, comme l’ARC n’est pas entièrement responsable des intérêts occasionnés, le ministre a conclu autrement. Cette décision est tout à fait valable et raisonnable.

[24]  La Cour prend acte du fait que, comme la preuve le démontre, le ministre a accordé un allégement pour une partie des intérêts occasionnés à cause de l’omission de l’ARC. De plus, le ministre a reconnu que la demanderesse a fait preuve de diligence dans le paiement de son impôt sur le revenu.

[25]  Par ailleurs, l’ARC a mis à jour le solde des pertes autres qu’en capital de la demanderesse en dehors de la période normale de nouvelle cotisation. Toutefois, comme le fait valoir le défendeur, il incombait à la demanderesse de protéger ses droits en déposant un avis d’opposition dans le délai approprié ou en demandant une prorogation. D’après le dossier, la demanderesse n’a entrepris aucune procédure pour protéger ses droits. Comme il est expliqué sur le site Web de l’ARC, (1) la demanderesse aurait pu déposer un avis d’opposition dans les 90 jours suivant la réception de l’avis de nouvelle cotisation, ou (2) elle aurait pu demander une prorogation du délai pour déposer un avis d’opposition avec sa demande du 27 janvier 2015. La demanderesse n’a fait ni l’un ni l’autre.

[26]  Enfin, contrairement à ce que soutient la demanderesse, dans sa décision, le ministre a clairement tenu compte des retards causés par l’ARC lorsqu’elle s’est penchée sur les pertes autres qu’en capital de la demanderesse. Cependant, le représentant du ministre a considéré s’il y avait lieu d’accorder un allégement au vu des retards et a conclu qu’il incombait à la demanderesse de déposer un avis d’opposition au cours de la période normale de nouvelle cotisation ou de demander une prorogation. Cette décision était raisonnable et elle ne doit pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire de la Cour.

[27]  Contrairement à ce qui a été mentionné, l’allégement prévu au paragraphe 220(3.1) de la LIR est purement discrétionnaire. Le libellé de la loi et de la circulaire d’information IC07‑1 est sans équivoque : le ministre peut accorder un allégement s’il conclut que ses actes ont causé un préjudice injustifié. Aucun fait de la présente affaire ne permet de conclure que le ministre a agi de façon déraisonnable.

[28]  Enfin, pour ce qui est des erreurs de droit qui ont été avancées, c’est‑à‑dire que le ministre a omis d’établir une nouvelle cotisation pour la déclaration de revenus de 2009 au‑delà de la période normale de nouvelle cotisation, alors qu’il pouvait le faire en vertu des paragraphes 152(8) et 152(4.3) de la LIR, le ministre n’est pas tenu de tenir compte de ces arguments dans l’évaluation de la demande d’allégement présentée par la demanderesse au titre du paragraphe 220(3.1) de la LIR. Par conséquent, la Cour n’a pas à tenir compte des arguments que la demanderesse n’a pas présentés de manière précise au décideur (Telfer, précité, aux paragraphes 30 et 31).

C.  Le ministre n’a commis aucun manquement à l’équité procédurale

[29]  La demanderesse soutient que le ministre a manqué aux principes d’équité procédurale en lui refusant le droit d’être entendue. Dans le cadre de son processus décisionnel, le représentant du ministre n’a pas suivi le manuel pour comprendre si les actions du vérificateur ont occasionné les intérêts que la demanderesse doit payer. La demanderesse soutient que cette omission constitue un manquement à l’équité procédurale.

[30]  À ce propos, le défendeur soutient que la demanderesse a joui amplement de son droit d’être entendue et qu’il n’y a donc pas eu de manquement à l’équité procédurale. Selon le défendeur, il incombait à la demanderesse d’invoquer le manuel si elle voulait que le ministre en tienne compte au moment de décider d’accorder un allégement.

[31]  La Cour souscrit à ce que le défendeur affirme à propos de la demanderesse : elle a joui amplement de son droit d’être entendue, malgré le fait que le représentant du ministre ait rendu sa décision en faisant abstraction du manuel. En effet, la lettre comportant la décision explique que le représentant du ministre a correctement examiné la question et a reconnu que le vérificateur de l’ARC avait commis une erreur.

[32]  À aucun moment la demanderesse n’a invoqué le manuel auprès du ministre. Dans ses observations, la demanderesse a seulement souligné qu’il était [traduction] « courant » que les vérificateurs demandent au contribuable s’il souhaite utiliser son solde de pertes autres qu’en capital. Le droit d’être entendu n’obligeait pas le ministre à chercher plus loin par rapport aux documents que la demanderesse a soumis. Finalement, le ministre a permis à la demanderesse de bien faire valoir ses arguments.

[33]  Il est bien établi qu’il incombait à la demanderesse de faire de son mieux pour demander l’allégement discrétionnaire de dispense ou d’annulation des pénalités et des intérêts (voir Klopak c Canada (Procureur général), 2019 CF 235, au par. 59). Pour citer le juge Binnie dans un contexte différent, mais néanmoins pertinent, « le droit tend à juste titre à assurer le caractère définitif des instances. Pour favoriser la réalisation de cet objectif, le droit exige des parties qu’elles mettent tout en œuvre pour établir la véracité de leurs allégations dès la première occasion qui leur est donnée de le faire » (Danyluk c Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, au par. 18). La Cour ne voit pas pour quelle raison cette considération ne devrait pas s’appliquer en l’espèce : si la demanderesse voulait que le représentant du ministre consulte le manuel avant de rendre sa décision, elle aurait dû mentionner expressément ce document.

[34]  Il est vrai que, comme la demanderesse l’a souligné, il est plutôt étrange que le ministre n’avait pas connaissance de sa propre politique au moment de rendre sa décision. Vus sous cet angle, les actes du ministre peuvent sembler confus ou pas coordonnés. Cela dit, la division du travail au sein du ministère explique très bien cette omission. En effet, il appert que les représentants du ministre responsables de l’allégement fiscal n’ont pas nécessairement de l’expérience en vérification. C’est pourquoi il incombe aux parties demanderesses de présenter leurs griefs dans leur totalité. La Cour ne peut pas blâmer un décideur pour le défaut d’une partie de faire de son mieux.

IV.  Conclusion

[35]  La Cour ne constate aucune erreur susceptible de révision dans la décision du ministre. Par conséquent, elle rejette la présente demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans le dossier T‑768‑18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens en faveur du défendeur.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour d’août 2020.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑768‑18

 

INTITULÉ :

BUILDING PRODUCTS OF CANADA CORP. c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 SEPTEMBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 23 JUILLET 2020

 

COMPARUTIONS :

Olivier Fournier

Aicha Nafii

 

Pour la demanderesse

 

Louis Sébastien

Annie Laflamme

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Droit fiscal Deloitte S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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