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Date : 20000713


Dossier : IMM-3394-99


Toronto (Ontario), le jeudi 13 juillet 2000

EN PRÉSENCE DE : Monsieur le juge Gibson


ENTRE :

     OSARETIN OSAGIE


demandeur


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



     ORDONNANCE

     La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est certifiée.



                                     « Frederick E. Gibson »

                                                                          J.C.F.C.


Traduction certifiée conforme




Kathleen Larochelle, LL.B.







Date : 20000713


Dossier : IMM-3394-99




ENTRE :

     OSARETIN OSAGIE


demandeur

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION


défendeur


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]      Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié dans laquelle la SSR a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention selon la signification donnée à cette expression au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1. La décision de la SSR est datée du 2 juin 1999.

[2]      Le demandeur est un citoyen du Nigeria. Il base sa demande sur une crainte fondée d'être persécuté s'il devait retourner au Nigeria en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe particulier, soit un groupe formé de contestataires qui faisaient partie de l'armée nigériane, qui ont déserté l'armée, et qui sont perçus comme étant des ennemis de la junte militaire qui était au pouvoir à l'époque pertinente.

[3]      Le demandeur s'est enrôlé volontairement dans l'armée en janvier 1985. À la suite de son entraînement à titre de nouveau soldat, il a été affecté au corps financier de la base de Lagos et il est resté sur la base, au grade de soldat, durant tout son service militaire jusqu'à sa désertion au mois de mars 1998.

[4]      Le même complexe militaire qui abritait le corps financier de la base abritait également des unités du corps du renseignement et la police militaire. Bien que les aires du complexe occupées par le corps financier, le corps du renseignement et la police militaire étaient séparées et discrètes, les membres des trois unités partageaient les casernes.

[5]      Pendant le temps qu'il a passé dans l'armée nigériane, le demandeur a eu l'occasion de s'instruire, il a été de garde, et lorsqu'il a terminé ses études, il a travaillé à la bibliothèque en tant qu'assistant.

[6]      Le demandeur a témoigné devant la SSR qu'en privé, il se disait préoccupé par les violations des droits de la personne commises par l'armée nigériane. Il n'était pas contesté devant la SSR que l'unité du corps du renseignement et celle de la police militaire qui partageaient des aires du même complexe militaire où le demandeur était affecté se livraient à des atrocités sur des simples citoyens et des membres de l'armée nigériane à l'intérieur du complexe et que le demandeur était au courant de cela.

[7]      Le demandeur a également exprimé, en privé, de l'insatisfaction relativement au fait qu'il n'avait pas monté de grade. Il a expliqué que son insuccès était dû aux mesures discriminatoires que l'armée exerçait à son égard.

[8]      Néanmoins, le demandeur a continué à être au service de l'armée nigériane pendant plus de 13 ans.

[9]      Par suite d'un présumé complot de coup d'État au mois de décembre 1997, deux des collègues du demandeur ont été arrêtés. Le demandeur a été relevé « temporairement » de ses fonctions et a reçu l'ordre de rendre compte à son supérieur quotidiennement. Le demandeur craignait de subir le même sort que ses deux collègues qui avaient été arrêtés. Finalement, le 2 mars 1998, le demandeur a déserté, puis il s'est caché, jusqu'à temps de finalement quitter le Nigeria le 12 avril 1998.

[10]      La SSR a conclu que le demandeur était une personne à qui la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, et le protocole y afférent, signé à New York le 31 janvier 1967, ne s'appliquent pas aux termes de l'alinéa a) de la section F de l'article premier de la Convention et que par conséquent, il n'était pas visé par la définition de « réfugié au sens de la Convention » du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration. La section F de l'article premier de la Convention est reproduit dans l'annexe de la Loi sur l'immigration et prévoit notamment ce qui suit :

     F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser_:
     a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;
     [...]     
     F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:
     (a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;
     [...]

[11]      L'avocat du demandeur a plaidé qu'il ressort de cette conclusion de la SSR que son appréciation globale de l'ensemble de la preuve dont elle disposait était manifestement déraisonnable, abusive et arbitraire, et qu'elle était fondée sur une appréciation erronée de la jurisprudence pertinente et que par conséquent, elle constituait une erreur de droit susceptible de contrôle.

[12]      En accordant l'autorisation de déposer la présente demande de contrôle judiciaire, mon collègue le juge Muldoon paraît avoir souscrit aux préoccupations de l'avocat du demandeur. Dans les motifs qui étayent l'octroi de l'autorisation, le juge Muldoon a écrit :

         [TRADUCTION]

         Considérer que l'alinéa a) du paragraphe F de l'article premier de la Convention s'applique de façon collective constitue une erreur de droit. Si la sanction contre les crimes de guerre était destinée à être appliquée à toutes les personnes faisant partie de la même armée, du même régiment ou du même peloton en droit canadien, la disposition devrait le prévoir expressément. De fait, son libellé ne le prévoit pas. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes.
         Si cette disposition s'appliquait à toute personne qui se trouvait à être membre d'une armée, d'un régiment ou d'un peloton dont d'autres membres ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre, ou un crime contre l'humanité, et que le seul lien avec ces criminels consiste en un lien administratif ou organisationnel, mais que cette personne n'a pas de sang sur ses mains ou sur la conscience, le droit canadien devrait le prévoir expressément. Mais un tel châtiment collectif est contraire au droit canadien. La complicité doit être établie.

         En l'espèce, la SSR a commis une erreur de droit en appliquant ainsi la disposition de la Convention, de sorte que l'autorisation doit être accordée.

[13]      Bien entendu, je ne suis pas lié par les opinions du juge Muldoon. Si je l'étais, il n'aurait servi à rien en l'espèce de procéder au-delà du stade de l'autorisation à la production du dossier de la SSR et à l'audition sur le fond. Comme j'ai eu l'avantage d'examiner le dossier de la SSR et d'entendre les observations orales des avocats, je tire une conclusion différente de celle de mon collègue. Je conclus que la SSR n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle en déterminant que le demandeur a été exclu de la définition de « réfugié au sens de la Convention » et que par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Cela ne revient pas à dire que je conclus que toute personne qui se trouvait à être membre de l'armée nigériane, d'un de ses régiments ou d'un de ses pelotons à l'époque pertinente est visée par l'alinéa 1F(a) de la Convention. Cela veut seulement dire que, selon les faits de la présente affaire, je conclus que la SSR n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle en concluant que le demandeur était visé par cet alinéa de l'article.

[14]      Dans la décision Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et l'Immigration)2, Monsieur le juge McGuigan a écrit, au nom de la Cour, aux pages 326 et 327 :

     Compte tenu du critère des « raisons sérieuses de penser [...] [q]u'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité » , le cas de l'appelant ne peut même pas être qualifié de cas limite. Pendant ses vingt mois de service actif, il était conscient du très grand nombre d'interrogatoires menés par l'armée, peut-être aussi souvent que deux fois par semaine (après 130 à 160 engagements militaires). Il ne pourrait jamais entrer dans la catégorie des simples spectateurs. Il était chaque fois un membre actif et conscient d'une force armée dont l'un des objectifs communs était la torture de prisonniers pour en obtenir des renseignements. De son propre aveu, c'était l'une des activités auxquelles son armée se livrait régulièrement et de façon répétée. Il faisait partie de l'opération même si, personnellement, il n'applaudissait pas les actions accomplies. Autrement dit, sa présence pendant les incidents de persécution, jointe au fait qu'il partageait l'objectif commun des forces militaires, constitue clairement une forme de complicité. Il n'est pas nécessaire, pour les fins de la présente espèce, de déterminer à quel moment cette complicité a pu être établie, car cette affaire n'est pas du tout un cas limite. L'appelant n'était pas un spectateur innocent. Il faisait partie intégrante, même si c'était à son corps défendant, de l'entreprise militaire responsable de ces terribles moments d'inhumanité collective délibérée.

[15]      Je suis convaincu que la plupart de ces commentaires pourraient être faits au sujet du demandeur en l'espèce. Pour reprendre les mots du juge McGuigan, le demandeur n'était pas un spectateur innocent : il faisait partie intégrante, même si c'était à son corps défendant, de l'entreprise militaire responsable de ces terribles moments d'inhumanité collective délibérée.

[16]      La preuve documentaire dont disposait la SSR démontrait clairement qu'en tout temps au cours de la période pertinente quant à la présente affaire, l'armée nigériane était une entreprise militaire qui détenait, torturait et tuait les gens. L'un de ses « objectifs communs » était de se maintenir au pouvoir et elle était prête à recourir à n'importe quelle mesure qu'elle jugeait nécessaire pour atteindre cet objectif.

[17]      La preuve dont disposait la SSR démontrait clairement que le demandeur avait joint volontairement les rangs de l'armée, qu'il savait qu'elle était prête à recourir et qu'elle avait effectivement recours à des méthodes inhumaines pour atteindre un des ses objectifs communs, et qu'il est néanmoins demeuré membre de l'armée nigériane pour plusieurs années durant lesquelles il a eu l'occasion de se dissocier d'elle. Il s'est finalement dissocié d'elle lorsqu'il a senti qu'il courait personnellement un risque. Une fois de plus, pour reprendre les mots du juge McGuigan, le demandeur « [...] faisait partie de l'opération même si, personnellement, il n'applaudissait pas les actions accomplies. » Il partageait l'affreux objectif commun des forces militaires nigérianes. Ce partage, peu importe le degré d'éloignement de l'élément des forces militaires, et en l'espèce l'éloignement n'était pas physique mais purement opérationnel, constituait clairement une forme de complicité.

[18]      Compte tenu de l'orientation susmentionnée que fournit la Cour d'appel fédérale dans Ramirez, je conclus que la SSR n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle en concluant comme elle l'a fait, au regard de l'ensemble de la preuve dont elle disposait, que le demandeur était exclu de la définition de « réfugié au sens de la Convention » aux termes de l'alinéa 1 F a) de la Convention. Cette conclusion, à elle seule, suffisait à étayer la décision rendue contre le demandeur. Par conséquent, il n'est pas nécessaire que j'examine les autres conclusions de la SSR.


[19]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Ni l'un ni l'autre des avocats qui ont comparu devant moi n'ont recommandé la certification d'une question. Aucune question ne sera certifiée.

                             « Frederick E. Gibson »

                        

                                 J.C.F.C.

Toronto (Ontario)

Le 13 juillet 2000.




Traduction certifiée conforme





Kathleen Larochelle, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats inscrits au dossier

NO DU GREFFE :                  IMM-3394-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          OSARETIN OSAGIE

                         - et -

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                         ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :              LE MARDI 11 JUILLET 2000

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR :      LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :                  JEUDI 13 JUILLET 2000


ONT COMPARU :                  Kingsley Jesuorobo

                                     Pour le demandeur

                         Godwin Friday

                                     Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Kingsley Jesuorobo

                         Avocat

                         968, avenue Wilson

                         3 e étage

                         North York (Ontario)

                         M3K 1E7

                                     Pour le demandeur

                         Morris Rosenberg

                         Sous-procureur général du Canada


                                     Pour le défendeur

                             COUR FÉDÉRALE DU CANANDA

Date : 20000713

Dossier : IMM-3394-99

                             ENTRE :

                             OSARETIN OSAGIE

demandeur

                             - et -

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                             ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



                            

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                            

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      [1992] 2 C.F. 306 (C.A.).

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