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Date : 20031201

Dossier : T-1606-03

Référence : 2003 CF 1403

Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MICHEL BEAUDRY

ENTRE :

                                              CARREFOUR LANGELIER INC.

                                                                                                                                 demanderesse

                                                                            et

                                            L'AGENCE DES DOUANES ET DU

REVENU DU CANADA

                                                                                                                                  défenderesse

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

(Article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale

et dispositions 231.2, 230(1) et 238 de la Loi de l'impôt sur le revenu)

[1]                 Il s'agit d'une requête présentée pour le compte de la demanderesse en vue de l'obtention d'une ordonnance provisoire suspendant l'effet de l'avis dans lequel certains renseignements étaient exigés en vertu de l'article 231.2 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) en attendant le règlement définitif de la demande que la demanderesse avait présentée en vue d'être dispensée de répondre à l'avis.

[2]              La demanderesse conteste la légalité de l'avis en question au moyen d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

[3]                 Dans une lettre en date du 20 août 2003 envoyée à la demanderesse en vertu de l'alinéa 231.2(1)b) de la Loi, on exigeait que celle-ci fournisse, entre autres :

-           le registre des procès-verbaux de Langelier Inc;

-           une copie du contrat de société relatif aux fonds investis dans une société de personnes dont il est fait mention dans les états financiers de l'année 2002;

-           les états financiers de la société de personnes, de 1997 à 2002; et

-           des renseignements (copie du contrat, nom du particulier, nom de la société qui est contrôlée par ce particulier, description des titres en cause) concernant le solde des créances sur vente à recevoir dont il est fait mention dans les états financiers de 2002.

[4]                 Pour obtenir une telle réparation, la demanderesse doit satisfaire au critère tripartite établi dans l'arrêt RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311 :

-           Existe-t-il une question sérieuse à trancher?


-           La demanderesse subirait-elle un préjudice irréparable si la demande était rejetée?

-           Quelle est la partie qui subirait le préjudice le plus grave si la réparation était accordée ou si elle était refusée en attendant qu'une décision soit rendue au fond?

LE CONTEXTE

[5]                 Harry Glassman doit un montant de 1 284 052,19 $ à la défenderesse. Il a fait faillite le 9 août 2002. Dans son bilan d'ouverture de liquidation, il a déclaré détenir une action de catégorie B et 166 250 actions de catégorie F dans la société Grands Horizons. La valeur de Grands Horizons est en partie fonction des actions que celle-ci détient dans la société Moncan Inc. Or, pour établir la valeur de Moncan Inc., la défenderesse doit évaluer les fonds sous-jacents investis dans Carrefour Langelier Inc. C'est pourquoi elle a signifié l'avis au mois d'août 2003.

[6]                 La demanderesse affirme qu'il y a quatre questions sérieuses à trancher. Puisque les actions de M. Glassman sont grevées, il ne sert à rien pour la défenderesse de déterminer leur valeur. De son côté, la défenderesse affirme avoir signifié un avis conformément au paragraphe 231.2(1) de la Loi, qui est ainsi libellé :



231.2. (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l'application et l'exécution de la présente loi, y compris la perception d'un montant payable par une personne en vertu de la présente loi, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d'une personne, dans le délai raisonnable que précise l'avis :

231.2 (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act, including the collection of any amount payable under this Act by any person, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

a) qu'elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

a) any information or additional information, including a return of income or supplementary return; or

b) qu'elle produise des documents. [je souligne]

b) any document. [emphasis added]


L'avis en question est valide puisqu'il est signifié dans le cadre d'une enquête réelle et sérieuse (James Richardson & Sons, Limited c. Canada (Ministre du Revenu national), [1984] 1 R.C.S. 614).

[7]                 J'ai minutieusement examiné les affidavits de MM. Guay et Feher et je suis convaincu que l'on ne procède pas ici à l'aveuglette et que les renseignements exigés sont essentiels lorsqu'il s'agit d'établir la juste valeur marchande des actions que M. Glassman détient dans Grands Horizons. Même si les actions sont grevées, la défenderesse peut à bon droit exiger les renseignements en question.

[8]                 L'article 69.3 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité prévoit ce qui suit :



Suspension des procédures en cas de faillite

69.3 (1) Sous réserve du paragraphe (2) et des articles 69.4 et 69.5, à compter de la faillite d'un débiteur, les créanciers n'ont aucun recours contre le débiteur ou contre ses biens et ne peuvent intenter ou continuer aucune action, exécution ou autre procédure en vue du recouvrement de réclamations prouvables en matière de faillite, et ce jusqu'à la libération du syndic.

[je souligne]

Stays of proceedings - bankruptcies

69.3 (1) Subject to subsection (2) and sections 69.4 and 69.5, on the bankruptcy of any debtor, no creditor has any remedy against the debtor or the debtor's property, or shall commence or continue any action, execution or other proceedings, for the recovery of a claim provable in bankruptcy, until the trustee has been discharged.

[emphasis added]


[9]                 La demanderesse affirme que l'avis ici en cause est une procédure et qu'il y a donc une question sérieuse à trancher. Je suis d'accord avec la défenderesse pour dire que l'article 231.2 de la Loi confère au ministre un pouvoir d'enquête et qu'il ne s'agit pas d'une « procédure » au sens de l'article 69.3 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Une fois les renseignements obtenus, la défenderesse sera en mesure d'établir la juste valeur marchande des actions de M. Glassman et pourra transmettre ces renseignements au syndic au profit des autres créanciers.

[10]            La demanderesse affirme également qu'il fallait obtenir l'autorisation judiciaire prévue au paragraphe 231.2(3) de la Loi avant de signifier l'avis. Les paragraphes 231.2(2) et (3) sont ainsi libellés :



231.2.(2) Personnes non désignées nommément

(2) Le ministre ne peut exiger de quiconque -- appelé "tiers" au présent article -- la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

231.2 (2) Unnamed persons

(2) The Minister shall not impose on any person (in this section referred to as a "third party") a requirement under subsection 231.2(1) to provide information or any document relating to one or more unnamed persons unless the Minister first obtains the authorization of a judge under subsection 231.2(3).231.2.(3) Autorisation judiciaire

(3) Sur requête ex parte du ministre, un juge peut, aux conditions qu'il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d'un tiers la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d'une personne non désignée nommément -- appelée "groupe" au présent article --, s'il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

231.2 (3) Judicial authorization

(3) On ex parte application by the Minister, a judge may, subject to such conditions as the judge considers appropriate, authorize the minister to impose on a third party a requirement under subsection 231.2(1) relating to an unnamed person or more than one unnamed person (in this section referred to as the "group") where the judge is satisfied by information on oath that

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

a) the person or group is ascertainable; and

b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi;

b) the requirement is made to verify compliance by the person or persons in the group with any duty or obligation under this Act.


[11]            Je ne suis pas d'accord pour dire qu'en l'espèce nous avons affaire à une personne non désignée nommément. Le débiteur est M. Harry Glassman. L'affidavit de M. Danny Guay montre que M. Glassman est administrateur, secrétaire et principal dirigeant de Carrefour Langelier Inc. Il possède une part dans cette société par l'entremise de Grands Horizons et de Moncan Inc.. Le débiteur fiscal est donc clairement identifié. Dans ce cas-ci, le tiers est Carrefour Langelier Inc.


[12]            Il est également soutenu qu'en ayant recours à l'avis pour obtenir des renseignements, la défenderesse cherche à lever le voile de la personnalité juridique de la demanderesse et que, partant, il existe une question sérieuse à trancher. Cette allégation est fondée sur la décision Bâtiment Fafard International Inc. c. Canada (Ministre du Revenu national), [1995] A.C.F. no 1090 (1re inst.) (QL). Or, les faits de la présente espèce ne sont pas identiques. En effet, dans cette affaire-là, une demande formelle de paiement avait été signifiée en vertu de l'article 224. En l'espèce, la seule preuve qui a été fournie est celle qui figure au paragraphe 9 de l'affidavit de Marla Glassman, qui est administratrice de Carrefour Langelier Inc. et qui déclare ce qui suit :

[TRADUCTION] [...] à cause de la rupture probable des relations qu'elle entretient avec les personnes auxquelles elle est associée dans le cadre de l'exploitation d'un centre commercial, la demanderesse subira un préjudice irréparable si, après le 10 septembre 2003, les renseignements ne sont toujours pas fournis ou si, avant cette date, elle est obligée de fournir les renseignements en question par suite d'un avis signifié illégalement [...]

[13]            Avec égards, je ne crois pas que l'avis en question ait pour effet de lever le voile de Carrefour Langelier Inc. Je suis ici encore d'accord avec la défenderesse pour dire que l'avis est lié à l'application et à l'exécution de la Loi, y compris à la perception d'un montant payable en vertu de la Loi.

[14]            En conclusion, il n'y a pas de question sérieuse à trancher. Je n'ai donc pas à examiner les deux autres éléments, à savoir la question du préjudice irréparable et la question de la prépondérance des inconvénients.

[15]            La requête sera rejetée, les dépens étant adjugés à la défenderesse.


                                                              ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La requête est rejetée, les dépens étant adjugés à la défenderesse.

« Michel Beaudry »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         T-1606-03

INTITULÉ :                                                        CARREFOUR LANGELIER INC.

c.

L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 17 novembre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      le juge Michel Beaudry

DATE DES MOTIFS :                                     le 1er décembre 2003

COMPARUTIONS :

Aaron Rodgers                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Chantal Comtois                                                   POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aaron Rodgers                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Spiegel Sohmer

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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