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Date : 20030630

Dossier : IMM-2014-02

Référence : 2003 CFPI 813

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                               XINIA MARIA ANGULO ALVARADO

                                                    MARIELA CASARES ANGULO

                                                  MARGARITA CASARES ANGULO

                                                       YIENDRY CASARES ANGULO

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l'agente d'immigration Yee (l'agente) a conclu, le 15 avril 2002, que les demanderesses ne pouvaient pas être admises au Canada sur le fondement de raisons d'ordre humanitaire selon ce que prévoit le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, et modifications (la Loi).


Les faits

[2]                 La demanderesse principale, Xinia Alvarado, est une citoyenne du Costa Rica âgée de 38 ans. Elle affirme qu'elle a été agressée sexuellement au Costa Rica par l'époux de sa mère. Elle était mariée, mais elle a quitté son époux en 1992. Elle a occupé divers emplois, mais elle les a quittés parce qu'elle recevait des avances sexuelles non désirées et qu'elle subissait du harcèlement. Elle a déclaré que sa fille avait été agressée sexuellement par un voisin.

[3]                 La demanderesse principale affirme que les pauvres au Costa Rica obtiennent très peu de services juridiques et que ses plaintes de violence conjugale et de violence envers les enfants n'ont pas fait l'objet d'enquêtes. Sa fille, Mariela, et elle ont quitté le Costa Rica pour le Canada le 10 décembre 1998.

[4]                 Deux autres filles de la demanderesse, Margarita et Yiendry Angulo, sont entrées au Canada le 16 décembre 1999. La demanderesse principale a eu deux autres enfants depuis son arrivée au Canada, Sabrina Alvarado, née le 20 décembre 1999, et Angelina Alvarado, née le 26 mars 2002.

[5]                 La demanderesse principale a présenté une revendication du statut de réfugiée en tant que membre d'un groupe social, soit celui des femmes pauvres du Costa Rica qui sont victimes d'agressions sexuelles et physiques. Sa revendication a été rejetée le 4 avril 2000. L'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire a été refusée.


[6]                 Le rapport de l'agente énonce que la demanderesse principale et ses cinq personnes à charge ont présenté une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire le 8 mai 2001. Dans son exposé du droit et des arguments, la demanderesse principale prétend que la demande a été présentée le 29 mai 2001.

La décision de l'agente

[7]                 Par une lettre datée du 15 avril 2002, l'agente a informé les demanderesses que leur situation personnelle avait été examinée et qu'une dispense d'application des exigences prévues au paragraphe 9(1) de la Loi (prévoyant que tout immigrant doit obtenir un visa avant d'entrer au Canada) ne serait pas accordée.

[8]                 Les renseignements contenus dans le « rapport au dossier » énoncent qu'on a renoncé à tenir une entrevue étant donné qu'on avait estimé qu'il n'était pas nécessaire de le faire. L'agente a mentionné que la demanderesse principale avait travaillé chez Globel Direct d'avril à décembre 2000, mais qu'elle n'avait pas suivi de formation linguistique ou professionnelle. Depuis décembre 2000, la demanderesse principale dépend de l'aide au revenu. L'agente a mentionné que les deux filles les plus âgées ont l'intention, après avoir achevé leurs études secondaires, de travailler afin de soutenir la famille, mais elle a déclaré qu'il s'agissait d'une possibilité et qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve qui avaient été fournis pour démontrer que c'est ce qui se passerait. L'agente a fait remarquer que la demanderesse principale participait aux activités de son Église en faisant du bénévolat et qu'elle était dans une certaine mesure établie au Canada.


[9]                 L'agente a déclaré qu'elle avait pris en compte les conséquences d'un renvoi de la demanderesse principale pour ses deux filles qui étaient nées au Canada et elle a fait remarquer qu'elles partiraient sans aucun doute avec leur mère étant donné qu'elles n'avaient pas de famille au Canada. L'agente a fait remarquer que les deux filles étaient très jeunes, l'une ayant deux ans et l'autre étant un bébé, suffisamment jeunes pour s'intégrer dans la société costaricaine. L'agente a déclaré que rien ne démontrait que les filles avaient tissé des liens solides avec leur père. L'agente a mentionné que le Canada se classait au premier rang dans l'indice du développement humain, alors que le Costa Rica se classait au 48e rang et était considéré comme faisant partie du premier tiers des pays.

[10]            À l'égard des trois enfants nées au Costa Rica, l'agente a déclaré que le fait qu'elles soient séparées de leurs amis pourrait être pénible, mais qu'elles continueraient à bénéficier de leur unité familiale et qu'elles avaient d'autres parents au Costa Rica. Les trois enfants nées au Costa Rica parlent l'espagnol. L'agente a déclaré que les enfants subiraient une certaine perturbation, mais qu'elles parviendraient à vaincre leurs problèmes.


[11]            L'agente a en outre pris en compte le rapport du psychologue qui affirmait que la demanderesse principale subirait des troubles psychologiques graves si elle retournait au Costa Rica et qu'elle serait psychologiquement incapable de demander la protection de l'État. L'agente a mentionné que cette opinion tenait pour acquis que la demanderesse principale serait agressée si elle retournait au Costa Rica et qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve démontrant que c'est ce qui se produirait. Elle a mentionné que la demanderesse principale avait cessé d'avoir recours à des services de consultation psychologique en avril 2000, mais qu'elle prétendait néanmoins que, au Costa Rica, seules les personnes qui pouvaient payer un tel service pouvaient en profiter et que par conséquent elle pourrait subir des troubles psychologiques.

[12]            Dans sa « décision et motifs » , l'agente a déclaré qu'elle n'était pas convaincue que les demanderesses seraient agressées sexuellement si elles retournaient au Costa Rica. Elle a mentionné que la demanderesse principale souffre du syndrome de stress post-traumatique, mais elle a déclaré qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve qui avaient été fournis pour démontrer que ses symptômes cesseraient ou qu'elle n'obtiendrait pas les soins dont elle avait besoin. L'agente a déclaré que le diagnostic ne requérait pas une attention particulière étant donné qu'elle n'était pas convaincue que la demanderesse principale serait plus souffrante au Costa Rica qu'elle ne l'était actuellement au Canada. L'agente a mentionné que la demanderesse principale avait cessé d'avoir recours à des services de consultation psychologique en avril 2000, ce qui donnait à penser qu'elle ne souffrait plus de traumatisme. L'agente n'était pas convaincue que la demanderesse principale tenterait d'obtenir des services de consultation psychologique au Costa Rica alors qu'elle ne le faisait pas au Canada même si elle pouvait facilement y avoir recours.

[13]            L'agente a reconnu que la violence envers les femmes est un problème grave dans le monde, mais elle a déclaré qu'il n'y avait pas eu suffisamment d'éléments de preuve qui avaient été fournis par la demanderesse pour démontrer qu'elle continuerait à subir de la violence à son retour au Costa Rica.


[14]            L'agente a déclaré que les différences économiques et sociales entre les pays sont insuffisantes pour justifier que les demandes soient traitées de l'intérieur du Canada et que toutes les difficultés que pourraient subir les demanderesses si elles retournaient au Costa Rica ne sont pas disproportionnées par rapport à celles que subiraient tous les autres individus qui devraient retourner dans leur pays pendant le traitement de leur demande.

[15]            L'agente a déclaré que le retour au Costa Rica était possible, que les demanderesses avaient des passeports valides, que leur état de santé ne les empêchait pas de retourner au Costa Rica et qu'elles avaient des parents au Costa Rica. L'agente a déclaré que, bien que la réinsertion de la demanderesse dans la société costaricaine en tant que mère célibataire avec de jeunes enfants puisse être difficile, elle était convaincue qu'un retour dans ce pays n'entraînerait pas des difficultés excessives, déraisonnables ou disproportionnées.

Les questions en litige

A.         L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des termes obligatoires des lignes directrices ministérielles qui exigent que les demandes qui sont basées principalement sur des risques soient évaluées par un agent de révision des revendications refusées (ARRR)?

B.      L'évaluation des risques effectuée par l'agente était-elle déraisonnable?


La norme de contrôle

[16]            Dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39 (QL), la Cour suprême a statué que la norme de contrôle d'une décision rendue par un agent suivant le paragraphe 114(2) est celle de la décision raisonnable simpliciter.

Le régime législatif

[17]            Le paragraphe 9(1) de la Loi prévoit ce qui suit :


9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.

9. (1) Except in such cases as are prescribed, and subject to subsection (1.1), every immigrant and visitor shall make an application for and obtain a visa before that person appears at a port of entry.


[18]            Le paragraphe 114(2) prévoit ce qui suit :


114. (2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière.

114. (2) The Governor in Council may, by regulation, authorize the Minister to exempt any person from any regulation made under subsection (1) or otherwise facilitate the admission of any person where the Minister is satisfied that the person should be exempted from that regulation or that the person's admission should be facilitated owing to the existence of compassionate or humanitarian considerations.


Analyse

A.         L'agente a-t-elle commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des termes obligatoires des lignes directrices ministérielles qui exigent que les demandes qui sont basées principalement sur des risques soient évaluées par un agent de révision des revendications refusées (ARRR)?


[19]            La demanderesse principale prétend que, selon le Guide du traitement des demandes au Canada, de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), chapitre IP 5, lorsqu'une demande est basée « principalement sur des risques » , le demandeur principal devrait faire l'objet d'un examen par un ARRR (agent de révision des revendications refusées) qui se prononcera sur les risques auxquels le demandeur principal est exposé. La demanderesse principale renvoie à la section 8.8 du chapitre IP 5 qui prévoit ce qui suit :

[TRADUCTION]

Examiner la demande et considérer tous les renseignements présentés par le demandeur. Si la demande est basée principalement sur des risques, envoyer la demande à un agent de révision des revendications refusées (ARRR) pour qu'il se prononce sur les risques auxquels le demandeur est exposé.

[20]            La demanderesse principale prétend que, en l'espèce, aucun examen n'a été effectué par un ARRR. Elle prétend par conséquent que l'agente a commis une erreur de droit et qu'elle a rendu une décision déraisonnable.

[21]            Dans l'arrêt Baker, précité, Mme le juge L'Heureux-Dubé a examiné trois indications pertinentes des intérêts des enfants dans le contexte d'une demande présentée pour des raisons d'ordre humanitaire suivant le paragraphe 114(2) (demande CH), à savoir : les objectifs de la Loi, le droit international et les lignes directrices ministérielles régissant les décisions d'ordre humanitaire. À l'égard des lignes directrices ministérielles, le juge L'Heureux-Dubé a déclaré ce qui suit au paragraphe 72 :


Troisièmement, les directives données par le ministre aux agents d'immigration reconnaissent et révèlent les valeurs et la démarche qui sont décrites ci-dessus et qui sont énoncées dans la Convention. Comme il est dit plus haut, les agents d'immigration sont censés rendre la décision qu'une personne raisonnable rendrait, en portant une attention particulière à des considérations humanitaires comme maintenir des liens entre les membres d'une famille et éviter de renvoyer des gens à des endroits où ils n'ont plus d'attaches. Les directives révèlent ce que le ministre considère comme une décision d'ordre humanitaire, et elles sont très utiles à notre Cour pour décider si les motifs de l'agent Lorenz sont valables. Elles soulignent que le décideur devrait être conscient des considérations humanitaires possibles, devrait tenir compte des difficultés qu'une décision défavorable imposerait au demandeur ou aux membres de sa famille proche, et devrait considérer comme un facteur important les liens entre les membres d'une famille. Les directives sont une indication utile de ce qui constitue une interprétation raisonnable du pouvoir conféré par l'article, et le fait que cette décision était contraire aux directives est d'une grande utilité pour évaluer si la décision constituait un exercice déraisonnable du pouvoir en matière humanitaire. [Non souligné dans l'original.]

[22]            La demanderesse principale cite également un renvoi à l'arrêt Baker, précité, dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CSC 1, [2002] A.C.S. no 3 (QL), pour prétendre que la principale erreur commise par l'agente d'immigration en l'espèce est l'omission d'avoir suivi les lignes directrices ministérielles. Au paragraphe 36, la Cour suprême a déclaré ce qui suit :

Dans la mesure où notre Cour a contrôlé l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre dans cette affaire [Baker], sa décision se fondait sur l'omission du délégataire du ministre de se conformer à des lignes directrices établies par le ministère lui-même, telles qu'elles se dégageaient des objectifs de la Loi ainsi que des obligations découlant de conventions internationales et, surtout, des directives destinées aux agents d'immigration.

[23]            Dans la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1160 (QL), (2000) 186 F.T.R. 155, le demandeur qui avait présenté une demande CH prétendait lors du contrôle judiciaire que l'agente avait commis une erreur en omettant d'évaluer convenablement le risque auquel il serait exposé s'il retournait en Inde. L'agente affirmait que l'affaire n'avait pas fait l'objet d'une évaluation du risque parce que le demandeur avait déclaré qu'il avait fourni les mêmes renseignements à la SSR dans le contexte de sa revendication du statut de réfugié, laquelle avait été rejetée.


[24]            Mme le juge Reed a déclaré ce qui suit aux paragraphes 7 et 8 :

Je n'interprète pas ces lignes directrices comme imposant aux agents d'immigration de référer à l'ARRR toute demande faite par une personne qui se dit en danger. Il faut les interpréter comme les investissant du pouvoir discrétionnaire de décider si le risque invoqué est suffisamment grave pour que cet examen soit nécessaire. Les lignes directrices elles-mêmes imposent de ne référer à l'ARRR que la demande « basée principalement sur des risques » .

Je ne peux conclure qu'en l'espèce, l'agente d'immigration n'a pas pleinement exercé son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur la décision de la section du statut ou faute d'avoir envoyé la demande à l'ARRR pour une évaluation du risque. Sa décision était raisonnable.

[25]            Dans la décision Adourian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 672, [2002] A.C.F. no 915 (QL), (2002) 21 Imm. L.R. (3d) 178, un demandeur qui avait présenté une demande CH prétendait lors du contrôle judiciaire que l'agente avait commis une erreur en omettant de lui accorder une évaluation des risques auxquels il serait exposé et il prétendait que les documents soumis appuyaient les affirmations selon lesquelles il existait des risques. Mme le juge Hansen a accueilli la demande en déclarant que des risques s'appliquant particulièrement au demandeur avaient été établis et que, dans les circonstances, il était déraisonnable de conclure qu'il n'existait pas de risques pouvant objectivement être établis. Dans la décision Adourian, précitée, la demande CH avait été déposée après qu'une demande de résidence permanente eut été rejetée et il n'existait pas de preuve qu'une évaluation des risques avait été effectuée.

                                                                                                                   


[26]            En l'espèce, comme dans la décision Singh, précitée, la demande CH est survenue après qu'eut été rendue la décision défavorable de la SSR dans le contexte de laquelle on peut dire que les risques auxquels la demanderesse principale était exposée ont été examinés. Dans son rapport au dossier, l'agente a déclaré ce qui suit : [TRADUCTION] « J'ai examiné tous les renseignements contenus au dossier y compris la décision rendue par la SSR le 4 avril 2000 » . L'agente a en outre renvoyé à la conclusion tirée par la SSR selon laquelle la demanderesse principale avait une obligation de tenter d'obtenir la protection des autorités gouvernementales et qu'une telle protection pouvait facilement être obtenue.

[27]            Dans la décision Rodriguez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 414, [2001] A.C.F. no 664 (QL), le demandeur principal prétendait que la procédure de demande dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC) était insuffisante pour équivaloir à une évaluation des risques étant donné que l'examen de la demande présentée en tant que DNRSRC avait été effectué trois ans avant l'examen de la demande CH. Dans ses motifs énoncés pour le rejet de la demande, M. le juge McKeown a écrit ce qui suit au paragraphe 16 :

[...] L'agente d'immigration n'est pas tenue d'effectuer sa propre évaluation des risques lorsqu'elle examine une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, car il ne s'agit pas là d'une demande de statut de réfugié. Il suffit qu'elle ait examiné la revendication du demandeur sur cet aspect pour arriver à sa décision. Ses notes montrent qu'elle a bel et bien pris en compte le risque potentiel auquel était exposé le demandeur s'il était renvoyé à Cuba. J'observe que l'agente d'immigration est fondée à apprécier la preuve qui lui est soumise, et la Cour n'est pas habilitée à reconsidérer cette appréciation de la preuve.


[28]            Je suis d'avis que la décision de l'agente est raisonnable étant donné que les risques auxquels la demanderesse principale est exposée ont déjà été examinés avant que la décision défavorable de la SSR soit rendue le 4 avril 2000. Dans les circonstances de la présente affaire, l'agente a pris en compte les risques auxquels seraient potentiellement exposées les demanderesses si elles retournaient au Costa Rica et elle a apprécié convenablement toute la preuve dont elle disposait, y compris la décision défavorable rendue par la SSR. Dans des circonstances, comme celles en l'espèce, où il existe une preuve qu'une évaluation des risques a auparavant été effectuée, il ne m'apparaît pas que les lignes directrices obligent un agent d'immigration à renvoyer à l'ARRR pour être examinée toute demande dans laquelle un demandeur prétend qu'il sera exposé à des risques. À mon avis, l'agente a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable lorsqu'elle a évalué la preuve sans renvoyer l'affaire à un ARRR.

B.         L'évaluation des risques effectuée par l'agente était-elle déraisonnable?

[29]            La demanderesse principale prétend qu'il était déraisonnable pour l'agente de rejeter l'avis de la Dre Undurraga selon lequel elle n'obtiendrait pas au Costa Rica les services de consultation psychologique dont elle avait grandement besoin. La demanderesse principale affirme qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve à cet égard. La demanderesse principale fait en outre remarquer que l'agente n'a pas obtenu de renseignements sur le système médical du Costa Rica, ne l'a pas informée que de tels renseignements étaient pertinents et ne l'a pas reçue en entrevue. Elle prétend que l'ensemble de ces facteurs a conduit à une décision déraisonnable.

[30]            Dans la décision, l'agente a déclaré :

[TRADUCTION]


Afin d'aider la demanderesse et ses enfants à surmonter les agressions sexuelles et la violence subies au Costa Rica, on a dirigé la demanderesse vers Teresa Ephraim, M.A., RCC au Vancouver-Richmond Incest and Sexual Abuse Centre. De février 1999 à avril 2000, la demanderesse et Mariela ont hebdomadairement eu recours à des services de consultation psychologique. Les renseignements dont je dispose révèlent qu'elle ont cessé en avril 2000 d'y avoir recours. L'avocat prétend que la demanderesse l'a informé qu'elles avaient cessé d'avoir recours à des services de consultation psychologique parce que Teresa Ephraim était d'avis que Mariela n'en avait plus besoin et parce que c'était plus difficile pour la demanderesse de continuer à se rendre aux séances de consultation après la naissance de Sabrina. Je remarque avec intérêt que les séances de consultation psychologique ont cessé à peu près au même moment où a eu lieu l'audience des demanderesses devant la CISR. Je remarque que la Dre Unduragga a recommandé dans son rapport daté de janvier 2002 que la demanderesse reprenne des séances de consultation psychologique. En date de la préparation du présent rapport, aucun autre renseignement n'a été fourni quant à la question de savoir si la demanderesse a recommencé à avoir recours à des services de consultation psychologique.

[31]            Le dossier du tribunal révèle que le 8 janvier 2002 l'agente a écrit une lettre à l'avocat des demanderesses lui demandant, entre autres choses, de l'informer si la demanderesse principale et Mariela avaient recours à des services de consultation psychologique. La lettre était rédigée comme suit : [TRADUCTION] « Si elles n'ont plus recours à des services de consultation psychologique, veuillez nous fournir une explication quant aux raisons pour lesquelles elles ne le font plus » . Cette demande n'a reçu aucune réponse.

[32]            La demanderesse principale prétend que sa crédibilité n'a jamais été contestée par l'agente et que cette dernière n'avait pas de motifs raisonnables pour rejeter les conclusions de la Dre Undurraga quant à sa crédibilité. La demanderesse principale prétend que l'agente aurait dû accepter les conclusions de la Dre Undurraga compte tenu de la déclaration suivante qui a été faite par l'agente dans ses motifs : [TRADUCTION] « Je ne suis pas convaincue que ces rapports ont été préparés à titre de recommandation à ce que les demanderesses demeurent au Canada » . Cette prétention est sans fondement. L'extrait complet des notes de l'agente est rédigé comme suit :


[TRADUCTION]

En outre, je reconnais et je respecte l'expertise clinique de la Dre Undurraga en tant que psychologue agréée. Cependant, je ne suis pas convaincue que ces rapports ont été préparés à titre de recommandation à ce que les demanderesses demeurent au Canada. Je fais remarquer que la demanderesse a été dirigée vers la Dre Undurraga par son avocat. Je fais remarquer que la Dre Undurraga devait se fier aux déclarations de la demanderesse pour établir son rapport et qu'elle n'avait pas l'obligation de vérifier la véracité des faits que la demanderesse lui décrivait [...].

Essentiellement, l'agente déclare à bon droit que le rapport est fondé sur les mêmes faits que ceux dont elle disposait dans la demande, des faits dont elle devait tenir compte et qu'elle devait apprécier en exerçant son pouvoir discrétionnaire.

[33]            L'agente a en outre mentionné dans son rapport au dossier que l'avis de la Dre Undurraga était que la demanderesse principale :

[TRADUCTION]

[...] ne pourrait pas obtenir dans son pays d'origine les traitements et le soutien dont elle a besoin étant donné que de tels traitements ne peuvent être obtenus que par ceux qui peuvent en payer les coûts. Xinia est une femme qui serait exposée à des problèmes psychologiques graves dans le pays qui par le passé ne leur a offert aucun soutien, à elle ou à ses filles, et qui ne leur en offrira vraisemblablement pas à l'avenir.


Le rapport de la Dre Undurraga fournissait plus qu'un avis médical et s'étendait à un avis sur la nature des services médicaux offerts au Costa Rica et à un avis sur la probabilité que les services soient offerts à la demanderesse principale à l'avenir. De telles questions n'entraient pas dans le champ d'expertise de la Dre Undurraga. Dans les circonstances, je conclus que les observations de l'agente à l'égard de l'avis de la Dre Undurraga sur les services de consultation psychologique offerts au Costa Rica sont raisonnables. Par conséquent, l'agente pouvait prendre en compte l'avis de la psychologue sans y accorder une importance marquée. En agissant ainsi, l'agente n'a pas commis une erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire.

[34]            La demanderesse principale prétend que l'agente a commis une erreur lorsqu'elle a déclaré que l'affirmation selon laquelle les demanderesses subiraient des agressions sexuelles au Costa Rica n'était qu'une hypothèse parce qu'elle n'a énoncé [TRADUCTION] « aucun motif valable quant aux raisons pour lesquelles les agressions ne se répéteraient pas à l'avenir » . La demanderesse principale affirme en outre que la déclaration de l'agente sur cette question est incompatible avec l'article 45 du document des Nations Unies intitulé Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés qui énonce : « On peut supposer qu'une personne est fondée à craindre des persécutions lorsqu'elle en a déjà été la victime pour l'une des causes énumérées dans la Convention de 1951 » .


[35]            Comme le défendeur l'a mentionné, suivant le paragraphe 114(2) de la Loi, il appartient à un demandeur de démontrer que son dossier justifie qu'on lui accorde une dispense d'application de l'exigence statutaire qui consiste à obtenir un visa avant d'entrer au Canada. L'agente n'a pas à démontrer que les agressions sexuelles ne se répéteront pas à l'avenir. Je suis en outre d'avis que la prétention de la demanderesse principale à l'égard de l'article 45 du Guide des Nations Unies est sans fondement. Je ne suis pas convaincu qu'il existe une obligation légale pour un agent qui examine une demande CH suivant le paragraphe 114(2) de la Loi de respecter les lignes directrices internationales relatives à la détermination des revendications du statut de réfugié. De toute façon, la revendication du statut de réfugiée de la demanderesse principale avait déjà été tranchée par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié le 4 avril 2000. La Commission a conclu que la demanderesse principale n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.

[36]            Les demanderesses prétendent que l'agente a omis de prendre en compte les prétentions de la demanderesse à l'égard des risques auxquels seraient exposées les deux filles nées au Canada, Sabrina (2 ans) et Angelina (un bébé). Les demanderesses affirment que l'agente [TRADUCTION] « croyait que la demanderesse principale pouvait choisir de laisser ses deux filles au Canada » . Par conséquent, les demanderesses prétendent que l'agente a omis de prendre en compte les préoccupations soulevées à l'égard des filles nées au Canada ou leur intérêt.

[37]            À la page 6 de ses motifs, l'agente affirme ce qui suit :

[TRADUCTION]

Actuellement, l'avocat prétend que si les demanderesses sont forcées de retourner au Costa Rica, les filles nées au Canada retourneraient sans aucun doute avec elles étant donné qu'elles n'ont pas d'autres parents au Canada. Il s'agit d'une décision très difficile à prendre par la demanderesse étant donné qu'elle peut décider ce qui serait dans l'intérêt supérieur de ses filles. En outre, la citoyenneté canadienne des deux filles nées au Canada est un statut qu'elles conserveront peu importe l'endroit où elles vivent.

[38]            Il n'y a pas d'autre mention de la possibilité que les deux filles demeurent au Canada. Le dernier paragraphe des motifs de l'agente énonce ce qui suit :


[TRADUCTION]

Le retour au Costa Rica est possible. Les demanderesses ont des passeports valides. Il n'y a pas de particularité dans leur état de santé qui empêcherait qu'elles retournent au Costa Rica. Elles ont des liens familiaux au Costa Rica. Bien que la réinsertion de la demanderesse dans la société costaricaine en tant que mère célibataire avec de jeunes enfants puisse être difficile, je suis convaincue qu'un retour dans ce pays n'entraînerait pas des difficultés excessives, déraisonnables ou disproportionnées.

[39]            À mon avis, les demanderesses n'ont pas réussi à prouver leur prétention selon laquelle l'agente croyait que les deux filles pouvaient demeurer au Canada sans leur mère. Il n'est par conséquent pas nécessaire d'examiner la prétention selon laquelle cette opinion était déraisonnable.

[40]            L'examen du facteur de l'intérêt supérieur des enfants suivant le paragraphe 114(2) n'entraîne pas une présomption prima facie selon laquelle l'intérêt supérieur des enfants devrait prévaloir, sous réserve de raisons contraires les plus graves : voir à cet égard l'arrêt Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 125, [2002] A.C.F. no 358 (QL), au paragraphe 13. L'agente a mentionné, à la page 4 de ses motifs, que les deux filles nées au Canada conserveraient leur citoyenneté canadienne. L'agente a en outre mentionné que les filles sont très jeunes, suffisamment jeunes pour s'intégrer dans la société costaricaine, et qu'un départ pour le Costa Rica n'entraînerait pas de difficultés émotives ou physiques prépondérantes. L'agente a de plus mentionné que rien ne démontrait que les filles nées au Canada avaient tissé des liens solides avec leur père. Je conclus que, dans les présentes circonstances, l'agente n'a pas omis de prendre en compte l'intérêt des filles nées au Canada et n'a par conséquent commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu'elle a examiné leur intérêt.


Conclusion

[41]            Étant donné que l'agente n'a pas commis une erreur susceptible de contrôle, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[42]            Les parties ont eu la possibilité de soulever une question grave de portée générale selon ce que prévoit l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et elles ne l'ont pas fait. Je n'ai pas l'intention de certifier une question grave de portée générale.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Il n'existe pas de question grave de portée générale devant être certifiée.

« Edmond P. Blanchard »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 IMM-2014-02

INTITULÉ :              Xinia Maria Angulo Alvarado et al. c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 6 février 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                                     Le 30 juin 2003

COMPARUTIONS :

Adrian D. Huzel                                                    POUR LES DEMANDERESSES

Banefsheh Sokhansanj                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larson, Boulton, Shohn Stockholder                   POUR LES DEMANDERESSES

609, rue West Hastings

Vancouver (Colombie-Britannique)    V6B 4W4

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

840, rue Howe, bureau 900

Vancouver (Colombie-Britannique)    V6Z 2S9


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