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Date : 20200303


Dossier : IMM-2398-19

Référence : 2020 CF 329

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 mars 2020

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

ABDUL RAHMAN ABDUL SATAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Abdul Rahman Abdul Satar, un citoyen de l’Afghanistan, sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 13 mars 2019 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a rejeté sa demande de réouverture de son appel (la décision de mars). Son appel devant la SAR avait été rejeté le 4 décembre 2018 pour défaut de mise en état (la décision de décembre). La SAR a relevé que le dossier d’appel du demandeur avait été déposé avec six semaines de retard et qu’elle n’avait reçu aucune indication que le demandeur avait l’intention d’aller de l’avant avec la procédure.

[2]  Le demandeur fait valoir que son retard à déposer son appel s’explique par le fait qu’il était en train de changer d’avocat et qu’il souffre de problèmes psychologiques. Il affirme que la décision de mars, par laquelle la SAR a rejeté sa demande de réouverture de l’appel, est déraisonnable.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, car la décision de la SAR de refuser de rouvrir l’appel du demandeur est raisonnable.

Le contexte

[4]  La demande d’asile du demandeur a été rejetée par la SPR en 2013. La SAR a ordonné la tenue d’une audience de novo en 2014 en raison de problèmes d’interprétation. Après l’audience de novo tenue en juin 2018, la SPR a de nouveau rejeté la demande d’asile du demandeur. L’avocat d’alors du demandeur a déposé un avis d’appel auprès de la SAR. Dès réception de l’appel, la SAR a informé l’avocat du demandeur que la date limite pour la mise en état de son appel était le 22 octobre 2018.

[5]  Le 29 novembre 2018, le demandeur a autorisé son ancien avocat à remettre à son nouvel avocat une copie de son dossier. Le dossier a été remis le 10 décembre 2018.

[6]  Le 10 décembre 2018, le nouvel avocat du demandeur a envoyé une lettre à la SAR par télécopieur, dans laquelle il énonçait que son client attendait un financement de l’aide juridique et qu’il avait l’intention de mettre son appel en état et de déposer une demande de prorogation du délai (DPD) [traduction] « dès que possible ».

[7]  Cependant, à ce moment-là, la SAR avait déjà, le 4 décembre 2018, rejeté son appel pour défaut de mise en état, car le demandeur n’avait présenté aucun document lié à l’appel à la date limite du 22 octobre 2018. Cette décision de la SAR (la décision de décembre) a été envoyée au demandeur par courrier le 12 décembre 2018.

[8]  Le 14 décembre 2018, le nouvel avocat du demandeur a envoyé une lettre à la SAR par télécopieur pour lui demander de lui transmettre un enregistrement de l’instance de la SPR sur CD. Cependant, comme la SAR n’avait pas reçu le formulaire Recours aux services d’un représentant, elle l’a avisé qu’elle avait besoin du formulaire avant de pouvoir lui envoyer le CD. 

[9]  Le 28 décembre 2018, l’avocat du demandeur a tenté de déposer la DPD auprès de la SAR, sans toutefois joindre le formulaire de Recours aux services d’un représentant. La SAR a en fin de compte reçu la DPD le 7 janvier 2019.

[10]  Le 9 janvier 2019, la SAR a informé l’avocat du demandeur que son appel avait été rejeté le 4 décembre 2018 (la décision de décembre).

[11]  Le 7 février 2019, une demande de réouverture de l’appel a été déposée auprès de la SAR. Ensuite, le 13 février 2019, l’avocat du demandeur a envoyé un rapport de psychologue à la SAR. Dans ce rapport, le psychologue note que le demandeur avait [traduction] « des difficultés d’attention, de concentration, de mémoire à court et long terme », ainsi que des dissociations et d’autres symptômes qui, dans l’ensemble, correspondaient aux symptômes associés à un trouble de stress post-traumatique. L’évaluation psychologique du demandeur a été achevée le 5 février 2019.

La décision de la SAR à l’examen

[12]  Le 13 mars 2019, la SAR a rejeté la demande de réouverture de l’appel. La SAR a conclu qu’aucun manquement à un principe de justice naturelle n’avait été établi, ce qui constitue une condition préalable à la réouverture d’un appel aux termes du paragraphe 49(6) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS 2012-257 (les Règles de la SAR).

[13]  La SAR a relevé que le dossier d’appel était en retard de six semaines au moment du rejet de l’appel en décembre. La SAR a également relevé que le demandeur n’avait pas fourni d’explication raisonnable pour justifier son retard dans la mise en état de son appel et la période supplémentaire s’étant écoulée entre le dépôt de sa demande de prorogation du délai et le dépôt de sa demande de réouverture.

[14]  La SAR a noté que, pour justifier les retards, le demandeur avait invoqué ses problèmes de mémoire, lesquels avaient été mentionnés dans l’évaluation psychologique. Cependant, la SAR a mentionné que pendant cette période, le demandeur était représenté par un avocat et qu’il avait pris diverses mesures pour faire progresser sa demande d’asile. La SAR a donc jugé que les problèmes de mémoire ne pouvaient pas constituer une explication raisonnable pour justifier les retards. La SAR a conclu qu’il n’y avait pas eu de violation de la justice naturelle lors du rejet initial de l’appel, et elle a rejeté la demande de réouverture de l’appel.

[15]  La question de la justice naturelle dans la décision de décembre permettait de trancher l’affaire, car le règlement de la SAR ne permet la réouverture d’un appel que lorsqu’un principe de justice naturelle n’a pas été respecté. La SAR a également jugé qu’en raison du délai supplémentaire s’étant écoulé après la présentation de la DPD, le demandeur n’avait pas démontré une intention continue de poursuivre son appel.

Les dispositions réglementaires pertinentes

[16]  Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, sont pertinentes en l’espèce :

Audition devant la Section de la protection des réfugiés

Appeal to Refugee Appeal Division

Délais — audition

Time limit for appeal

159.9 (1) Pour l’application du paragraphe 100(4.1) de la Loi et sous réserve des paragraphes (2) et (3), la date de l’audition devant la Section de la protection des réfugiés ne peut être postérieure à l’expiration :

159.91 (1) Subject to subsection (2), for the purpose of subsection 110(2.1) of the Act,

a) dans le cas d’un demandeur visé au paragraphe 111.1(2) de la Loi :

(i) d’un délai de trente jours suivant la date à laquelle la demande est déférée à la Section, si le demandeur se trouve au Canada et demande l’asile ailleurs qu’à un point d’entrée,

(ii) d’un délai de quarante-cinq jours suivant la date à laquelle la demande est déférée à la Section, si le demandeur se trouve au Canada et demande l’asile à un point d’entrée;

 

(a) the time limit for a person or the Minister to file an appeal to the Refugee Appeal Division against a decision of the Refugee Protection Division is 15 days after the day on which the person or the Minister receives written reasons for the decision; and

b) dans le cas de tout autre demandeur — que la demande ait été faite à un point d’entrée ou ailleurs au Canada —, d’un délai de soixante jours suivant la date à laquelle la demande est déférée à la Section.

(b) the time limit for a person or the Minister to perfect such an appeal is 30 days after the day on which the person or the Minister receives written reasons for the decision.

Exclusion

Extension

(2) Si le délai visé au sous-alinéa (1)a)(i) ou (ii) ou à l’alinéa (1)b) expire un samedi, il est prolongé jusqu’au prochain jour ouvrable.

(2) If the appeal cannot be filed within the time limit set out in paragraph 1)(a) or perfected within the time limit set out in paragraph (1)(b), the Refugee Appeal Division may, for reasons of fairness and natural justice, extend each of those time limits by the number of days that is necessary in the circumstances.

[17]  Les dispositions suivantes des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257, sont pertinentes en l’espèce :

Réouverture d’un Appel

Reopening an Appeal

49 …

49 …

Élément à considérer

Factor

(6) La Section ne peut accueillir la demande que si un manquement à un principe de justice naturelle est établi.

(6) The Division must not allow the application unless it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.

Éléments à considérer

Factors

(7) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent, notamment :

(7) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

a) la question de savoir si la demande a été faite en temps opportun et la justification de tout retard;

(a) whether the application was made in a timely manner and the justification for any delay; and

b) si l’appelant n’a pas présenté une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire ou une demande de contrôle judiciaire, les raisons pour lesquelles il ne l’a pas fait.

(b) if the appellant did not make an application for leave to apply for judicial review or an application for judicial review, the reasons why an application was not made.

Les questions en litige

[18]  Le demandeur soulève un certain nombre de questions; toutefois, la seule question que la Cour doit trancher est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable. Celle-ci sera jugée au regard de l’examen, par la SAR, des motifs donnés pour justifier le retard et des principes de justice naturelle.

La norme de contrôle

[19]  Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux par. 31 et 17).

[20]  Pour trancher la question de savoir si une décision est raisonnable, la Cour doit « se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au par. 99). La décision doit aussi être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle qui appuie la justification donnée. (Vavilov, au par. 85).

Analyse

Le retard à mettre l’appel en état

[21]  Le demandeur fait valoir que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas dûment compte de l’incidence que ses problèmes de mémoire avaient sur sa capacité à donner des instructions à un conseiller juridique au sujet de son appel. Il fait valoir que la SAR s’est livrée à des conjectures déraisonnables dans son appréciation des éléments de preuve concernant ses problèmes de mémoire lorsqu’elle a opposé la capacité du demandeur d’accomplir les tâches individuelles liées à cet appel à son incapacité apparente à respecter les délais prescrits. Le demandeur fait valoir que ses actions témoignent d’une intention claire et continue de poursuivre l’appel.

[22]  La SAR a examiné l’évaluation psychologique, mais a conclu que, en considérant cette évaluation au regard des autres actions posées par le demandeur, les symptômes signalés n’étaient pas suffisamment liés à l’incapacité du demandeur de mettre son appel en état.

[23]  Le traitement de cette preuve est conforme à la décision Moffat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 896, dans laquelle la Cour a enseigné que les rapports d’experts reposant sur une seule consultation doivent être abordés avec prudence, surtout dans le contexte d’une décision rendue par un tribunal administratif, où la preuve est souvent mise à l’épreuve de façon moins rigoureuse.

[24]  Les délais entre le dépôt de la DPD et le dépôt de la demande de réouverture consistaient en : (i) un retard de deux semaines à soumettre le formulaire Recours aux services d’un représentant, et (ii) l’attente de l’évaluation psychologique.

[25]  Le demandeur a présenté le formulaire Recours aux services d’un représentant 77 jours après la première rencontre avec son avocat actuel, et 21 jours après que le SAR le lui eut demandé pour la première fois.

[26]  Le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il n’a pas déposé sa demande et pourquoi il a produit le rapport d’évaluation psychologique plus tard. Ces retards lui étaient imputables et n’ont pas été expliqués.

[27]  À mon avis, la conclusion de la SAR selon laquelle les symptômes psychologiques du demandeur qui figurent au rapport ne constituaient pas une explication justifiant le retard est raisonnable.

[28]  Le retard est, selon le paragraphe 49(7) des Règles de la SAR, un élément à prendre en considération pour trancher la question de savoir si un appel doit être rouvert. Il était raisonnable de la part de la SAR de conclure que le demandeur n’avait pas fourni d’explication raisonnable pour justifier le retard.

La justice naturelle

[29]  Le demandeur affirme que la SAR a mal interprété la preuve, violant ainsi les principes de justice naturelle. Toutefois, dans ses arguments, le demandeur met essentiellement l’accent sur le caractère raisonnable de la décision, plutôt que sur une violation de la justice naturelle. Les questions de justice naturelle sont généralement associées à la procédure utilisée pour parvenir à une décision plutôt qu’au fond de la décision.

[30]  En jugeant que le demandeur n’avait pas relevé de manquement à la justice naturelle dans la décision de décembre, la SAR avait déjà statué sur l’affaire. L’article 49 des Règles de la SAR est clair : le non-respect d’un principe de justice naturelle est une condition préalable à la réouverture d’un appel rejeté par la SAR. La question déterminante est donc celle de savoir si la conclusion de la SAR selon laquelle il n’y avait pas eu de manquement à un principe de justice naturelle dans la décision de décembre était raisonnable.

[31]  La SAR a, à juste titre, examiné la chronologie dans son ensemble. La SAR a pris acte des longs délais dans le dossier. Il y a eu un délai de six semaines entre la date à laquelle le dossier du demandeur était dû et la décision de décembre. Il y a eu un autre délai entre la DPD présentée par le demandeur et sa demande de réouverture de son appel le 7 février. Ce délai était bien supérieur à un mois.

[32]  La SAR a dressé un contraste entre le second délai et la célérité du demandeur à répondre aux questions de son avocat ou à assister à des réunions, en relevant qu’il était en mesure de suivre les instructions de son avocat, d’obtenir des documents et d’assister à des réunions au bureau de ses avocats.

[33]  À mon avis, la SAR a examiné les arguments du demandeur et y a donné suite. Au fond, les arguments du demandeur ont trait à la manière dont la SAR a apprécié les éléments de preuve. Étant donné qu’il était loisible à la SAR de parvenir à la décision qu’elle a rendue, compte tenu des faits pertinents et du droit applicable, et qu’une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle est apparente à la lecture de la décision, rien ne permet à la Cour de conclure que la décision est déraisonnable.

Conclusion

[34]  Le demandeur n’a pas démontré que la décision de la SAR est déraisonnable. La SAR a examiné les questions soulevées par le demandeur, mais a conclu que la demande ne soulevait aucun manquement à un principe de justice naturelle dans le processus menant à la décision de décembre de la SAR, ce qui était un élément essentiel pour rouvrir l’appel selon le paragraphe 49(6) des Règles.

[35]  Par conséquent, la SAR a rejeté à juste titre la demande de réouverture. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM_2398-19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2398-19

 

INTITULÉ :

ABDUL RAHMAN ABDUL SATAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 DÉCEMBRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 3 MARS 2020

 

COMPARUTIONS :

Deanna Karbasion

POUR LE DEMANDEUR

Nicholas Dodokin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Loebach

Avocat

London (Ontario)

 

pour le demandeur

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

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