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Date : 20051216

Dossier : T-1089-04

Référence : 2005 CF 1702

ENTRE :

LA NATION DELAWARE

(LES MORAVIENS DE LA THAMES)

demanderesse

et

GEORGINA DOREEN LOGAN, L'ARBITRE PETER BARTON et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET DES SOINS DE LONGUE DURÉE DE L'ONTARIO

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PHELAN

CONTEXTE

[1]                La nation Delaware (la Bande), une bande autochtone, demande le contrôle judiciaire d'une décision rendue par l'arbitre Peter Barton (l'arbitre), nommé en vertu du Code canadien du travail (le Code), portant que Georgina Doreen Logan (Mme Logan) était une employée de la Bande et avait droit à une somme de 192 000 $ représentant la rémunération de ses heures supplémentaires et les intérêts.

FAITS

[2]                La Bande administrait un programme d'aides familiales financé par le gouvernement de l'Ontario et le gouvernement fédéral. Ce programme était régi par la Loi sur les services d'aides familiales et d'infirmières visiteuses, L.R.O. 1990, ch. H.10, et son règlement d'application.

[3]                Pendant 13 ans, Mme Logan a fourni des services d'aide familiale à son fils; ce dernier avait été blessé dans un accident. Elle était rémunérée sur la base de 12 heures par jour, sept jours par semaine. Aucun temps supplémentaire n'a été payé. Cet arrangement a existé de novembre 1987 à novembre 2000.

[4]                En novembre 2000, la province de l'Ontario a envoyé une personne évaluer les soins donnés à domicile par Mme Logan. L'évaluateur a conclu que le fils de Mme Logan avait seulement droit à 13 heures de soins à domicile par semaine, en dépit de l'avis d'un médecin selon lequel il avait besoin de soins en tout temps.

[5]                Le 2 décembre 2000, Mme Logan a déposé une plainte en application de la partie III du Code, dans laquelle elle alléguait être une employée de la Bande depuis 1987 et avoir donc droit, de manière rétroactive, à des avantages sociaux et à un salaire.

[6]                Une inspectrice nommée en vertu du Code, une agente de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, a rejeté la plainte de Mme Logan et a statué qu'elle n'était pas une employée. Peter Barton a été désigné en vertu du Code en qualité d'arbitre chargé de trancher le différend découlant de la plainte de Mme Logan.

[7]                Pour ajouter un peu plus de confusion, Mme Logan avait le droit de demander le remboursement des cotisations d'assurance-emploi puisqu'elle avait été jugée ne pas être une employée et ne pas être tenue de verser des cotisations d'assurance-emploi.

[8]                Dans une décision datée du 20 juin 2003, l'arbitre a accueilli l'appel de Mme Logan visant la décision de l'inspectrice selon laquelle elle n'était pas une employée de la Bande. En concluant que Mme Logan était une employée de la Bande, l'arbitre a tenu compte des 28 facteurs suivants :

1.             La ND approuve la personne qui fournit les services et conserve une liste              des personnes intéressées. Le pouvoir d'approuver comporte celui de            désapprouver, même si rien ne prouve que c'est ce qui a été fait.

2.             Le client présente sa demande à ND.

3.             Aucune mesure disciplinaire n'est prévue à l'intention des aides familiales.

4.             La politique de gestion du personnel de ND décrit les aides familiales comme des employés d'une catégorie différente de celles auxquelles elle s'applique. Elle n'établit pas qui est leur employeur.

5.             La formation et l'éducation sont assurées par des tiers, même si ND en paie les frais.

6.             Aucun système d'évaluation ne semble être en place.

7.             Le gouvernement provincial subventionne le programme jusqu'à concurrence de 80 % seulement.

8.             Au cours de la période pertinente, les feuilles de temps ont été remises à ND.

9.             Les chèques de paie émis par ND faisaient état des retenues à la source habituelles, telles que l'A-E, la paie de vacances et les avantages assurés.

10.           Les aides familiales se sont vu offrir un régime de retraite destiné à des « employés » où elles étaient décrites par London Life comme des employés de ND.

11.           ND a accordé aux aides familiales des congés pour raison familiale et pour décès.

12.           ND a fourni un lit, des rampes et un fauteuil roulant à Mme Logan.

13.           ND a décidé, avec l'aide d'un médecin, du nombre d'heures qui devaient être subventionnées. Selon Dr Singh, Ben avait besoin de services « vingt-quatre heures sur vingt-quatre » . ND a alloué douze heures par jour.

14.           DL pouvait travailler selon un horaire flexible.

15.           Si elle avait besoin d'aide, elle pouvait elle-même en chercher.

16.           ND fournissait des remplaçants au besoin.

17.           ND assumait les frais de voyage à London.

18.           Ni vacances ni congé n'étaient pris.

19.           Les critères de compétence ont été établis par le gouvernement provincial.

20.           Les normes de qualité des services ont été établies par le gouvernement provincial.

21.           Avant la fin de l'année 2000, il n'existe aucune preuve que le gouvernement provincial avait déjà procédé à l'inspection des services fournis.

22.           Le taux de rémunération horaire a été établi par le gouvernement provincial et comprenait un montant pour les avantages sociaux et l'équité salariale.

23.           Les gens de l'A-E ont déterminé que DL n'était pas une employée.

24.           La raison pour laquelle l'A-E a abandonné sa demande de remboursement à l'égard de DL ne m'a pas été dévoilée.

25.           Dans ses demandes de remboursement, ND décrivait les aides familiales comme ses employés.

26.            Il n'existait aucun contrat écrit entre les aides familiales et ND.

27.           Après réflexion, le chef et, en particulier, l'administrateur de la bande, ont estimé que ND n'était pas l'employeur. Il n'avait guère été nécessaire de réfléchir à la question avant l'arrivée de l'évaluateur.

28.           Dans sa correspondance avec ND, le gouvernement provincial décrit les aides familiales comme des « employés de la bande » .

[9]                L'arbitre a fait les commentaires suivants au sujet des principes juridiques devant servir à déterminer le statut de Mme Logan :

Les tribunaux se sont heurtés à la distinction établie entre employé et entrepreneur indépendant, et ils ont mis au point des critères qu'ils ont appelés le critère de contrôle, le critère d'organisation ou d'intégration, le critère multiple et le critère général. Malgré leur utilité, ces appellations décrivent une méthode qui consiste à examiner la relation globale que les parties concernées entretiennent et, règle générale, elles découlent d'une relation qui est essentiellement commerciale. Ainsi donc, le contrôle est souvent l'élément clé. Plus une personne exerce un contrôle sur l'activité en cause qu'accomplit l'autre personne, plus il est vraisemblable que cette autre personne est une employée.

[10]            Appliquant les principes juridiques aux faits particuliers de la présente affaire, l'arbitre a indiqué :

Plusieurs facteurs semblent indiquer que Mme Logan était employée de ND, plutôt qu'entrepreneur indépendant. Parmi eux, mentionnons les numéros 1, 7, 9, 10, 11, 12, 13, 16, 17, 21, 25 et 28. Dans la résolution de ce problème, le fait que le gouvernement provincial qualifie le remboursement de subvention et ne rembourse qu'à concurrence de 80 % du coût total est particulièrement convaincant. Bien qu'il soit neutre entre ND et DL, ce facteur laisse croire que ND est responsable de la prestation des services. Ce facteur ne semble pas avoir été soulevé devant l'inspecteur. En outre, à l'exception du libellé de la politique de gestion du personnel, dans les documents écrits par la Nation Delaware, les aides familiales sont considérées comme des employés, elles ont payé des cotisations à titre d'employés, ont reçu des avantages à titre d'employés et, dans le cas de Mme Logan, ont été qualifiées d'employés dans un relevé d'emploi. Elles n'étaient pas très surveillées par ND, si ce n'est par l'administrateur de l'aide sociale, et le gouvernement provincial n'a assuré aucune surveillance. Pour ce qui est du critère de la [traduction] « fourniture des instruments de travail » , expression utilisée dans les affaires portant sur la distinction entre entrepreneur indépendant et employé, appliqué aux aides familiales, ce critère semble un peu boiteux. Je remarque que ND a fourni un lit, des rampes et un fauteuil roulant. Le critère de la [traduction] « possibilité de profit et du risque de perte » ne s'applique pas à la présente affaire qui porte sur des soins prodigués à ceux qui en ont besoin par des proches vivant dans la collectivité. La majorité des facteurs semblent indiquer que DL était une employée de ND. Elle ne semble pas avoir eu la liberté d'action que possèdent les entrepreneurs indépendants. Elle a été intégrée au cadre administratif de ND.

Cependant, la décision ne doit pas seulement être fondée sur une énumération et sur un compte de facteurs. Selon une méthode plus globale, il faut situer ces facteurs dans le cadre du travail effectué, du lieu où ce travail a été effectué et du degré de participation de ND et du gouvernement provincial dans ce travail. Qu'est-ce qu'une vue d'ensemble de la relation de travail de DL avec ND nous dévoile?

[...]

Pour les motifs susmentionnés, j'estime qu'il ressort dans l'ensemble que, pendant la période pertinente, DL était employée de la Nation Delaware. Je ne suis pas d'accord avec l'évaluation à laquelle ont procédé les gens de l'A-E. Cette évaluation a été faite en fonction des renseignements fournis par l'inspectrice. Je ne suis pas non plus d'accord avec la décision de l'inspectrice. J'ai eu l'avantage d'entendre le témoignage oral de plusieurs personnes et de voir des documents dont elle n'a pas été saisie.

ANALYSE

[11]            Les questions en litige en l'espèce sont les suivantes :

(a)         Quelle est la norme de contrôle appropriée?

(b)         L'arbitre a-t-il appliqué les bons principes juridiques pour déterminer si Mme Logan était une employée de la Bande?

(c)         L'arbitre a-t-il appliqué ces principes aux faits conformément au droit?

(d)         L'arbitre a-t-il commis une erreur en décidant que le droit de Mme Logan au paiement de ses heures supplémentaires n'était soumis à aucun délai de prescription?

            La norme de contrôle

[12]            À mon avis, il est bien établi en droit que, en ce qui concerne une décision rendue par un arbitre en application du Code, la norme de la décision correcte s'applique aux questions de droit et celle de la décision raisonnable simpliciter, aux questions de fait et aux questions mixtes de droit et de fait. Voir Dynamex Canada Inc. c. Mamona et al., [2003] A.C.F. no 907 (C.A.F.). Compte tenu de cet arrêt, il n'est pas nécessaire que la Cour procède à l'analyse pragmatique et fonctionnelle de ce type de décision.

Les principes juridiques

[13]            Les parties reconnaissent que le critère et le raisonnement juridiques servant à déterminer si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant ont été exposés dans 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983, et dans Wiebe Door Services Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [1986] 3 C.F. 553.

[14]            Pour savoir si une personne est un employé ou un entrepreneur indépendant, il faut déterminer si elle est engagée pour fournir des services en tant que personne travaillant à son compte. Il y a plusieurs facteurs qui doivent être pris en compte, notamment :

·                     le degré de contrôle exercé sur les activités du travailleur;

·                     le fait que le travailleur se sert de ses propres outils ou de ceux qui lui sont fournis;

·                     le fait que le travailleur embauche ou non du personnel;

·                     l'étendue des risques financiers pris par le travailleur;

·                     l'étendue de la responsabilité du travailleur en ce qui concerne les mises de fonds et la gestion;

·                     les chances de profit du travailleur.

[15]            Dans Wiebe, précité, la Cour d'appel fédérale a statué qu' « [i]l est toujours important de déterminer quelle relation globale les parties entretiennent entre elles » .Il n'y a pas de formule toute faite et le poids à accorder à chaque facteur dépendra des faits particuliers de l'affaire.

[16]            Il ressort des extraits de sa décision reproduits ci-dessus que l'arbitre connaissait les principes juridiques applicables et qu'il les a appliqués.

L'application du droit aux faits

[17]            La principale question sur laquelle la Cour doit se prononcer dans le cadre du présent contrôle judiciaire est celle de savoir si l'arbitre a correctement appliqué les principes juridiques aux faits. Il incombait à la demanderesse d'établir que l'examen des faits effectué par l'arbitre était déraisonnable.

[18]            Or, lorsqu'on examine la décision dans l'ensemble ou eu égard à chacun des facteurs, on constate que la décision dans l'ensemble ou ses parties importantes ne sont pas déraisonnables.

[19]            Selon la demanderesse, la décision Family Services Perth-Huron c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [2000] A.C.I. no 2 (Cour de l'impôt), montre que la conclusion de l'arbitre est déraisonnable. Dans cette affaire, le juge Rip de la Cour de l'impôt a conclu qu'une personne effectuant une grande partie des activités de Mme Logan dans le cadre d'un programme semblable n'était pas une employée.

[20]            À mon avis, la décision Family Services indique que des personnes raisonnables peuvent tirer des conclusions différentes, chacune de ces conclusions étant néanmoins raisonnable. De plus, chaque cas dépend des faits et une conclusion relative à un régime prévu par la loi ne signifie pas a fortiori que la conclusion s'applique à une preuve différente produite relativement à un autre régime prévu par la loi.

[21]            Une décision déraisonnable est une « [...] décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion » . Voir Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56.

[22]            Appliquant ce critère juridique, j'estime que l'arbitre a examiné la question de la relation d'emploi tripartite moderne qui existe entre des organismes gouvernementaux, d'autres organisations et le travailleur. De plus, il a tenu compte d'un grand nombre de facteurs au regard du statut de Mme Logan, certains favorables à la demanderesse, d'autres, à la défenderesse. Sa conclusion, eu égard aux faits de l'espèce, est raisonnable.

[23]            La demanderesse allègue que l'arbitre a commis une erreur de fait au regard des facteurs 1, 2, 12 et 13. J'ai lu chacune de ces conclusions en tenant compte du contexte et j'estime que l'arbitre a commis une erreur seulement au regard du facteur 12 - la fourniture de l'équipement. Ce facteur est important aux fins de la détermination de la nature de la relation, mais il n'est pas important au point où, si l'arbitre n'avait pas commis d'erreur, sa conclusion aurait été différente.

Le délai de prescription

[24]            La demanderesse prétend que l'arbitre a commis une erreur en ne limitant pas aux trois dernières années la période pour laquelle Mme Logan avait droit au paiement de ses heures supplémentaires. Elle fait valoir que, comme le Code impose un délai de prescription de trois ans pour les pénalités et que le règlement sur les normes du travail exige des employeurs qu'ils conservent les registres d'emploi pendant trois ans, le législateur devait vouloir qu'un délai de prescription de trois ans s'applique aussi aux autres réclamations. Selon elle, il n'est que juste et équitable d'imposer un délai de prescription de trois ans car elle n'est pas coupable de ne pas avoir payé d'heures supplémentaires.

[25]            Le fait que le législateur a prévu un délai de prescription pour certaines questions comme les pénalités et la conservation des documents, mais qu'il n'a pas jugé bon d'établir un délai de prescription plus général semble indiquer qu'il s'est délibérément abstenu de le faire. Il n'appartient pas à la Cour de créer un délai de prescription.

[26]            Même si la Bande n'a pas délibérément omis de payer les heures supplémentaires, l'objet de la loi à cet égard est de faire en sorte que les travailleurs reçoivent ce qui leur est dû. Il n'est pas question de faute.

[27]            Finalement, le gouvernement de l'Ontario, qui voulait réaliser des économies et qui a chargé un évaluateur d'examiner le programme, est responsable du présent différend. La défenderesse Logan a le droit de faire valoir ses droits et de réclamer le paiement de ses heures supplémentaires pour toute la durée de son emploi.

CONCLUSION

[28]            Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         T-1089-04

INTITULÉ :                                                        LA NATION DELAWARE

                                                                            (LES MORAVIENS DE LA THAMES)

                                                                            c.

                                                            GEORGINA DOREEN LOGAN, L'ARBITRE PETER BARTON et LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET DES SOINS DE LONGUE DURÉE DE L'ONTARIO

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                LE 14 DÉCEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                   LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                                      LE 16 DÉCEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

John Peters                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Donald Elliott                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

                                                                            GEORGINA DOREEN LOGAN

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Peters                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Muncey (Ontario)

Dally & Elliott                                                       POUR LA DÉFENDERESSE

Avocats                                                                GEORGINA DOREEN LOGAN

Sarnia (Ontario)

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