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Date : 20200630


Dossier : IMM-3735-19

Référence : 2020 CF 735

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2020

En présence de l’honorable madame la juge Roussel

ENTRE :

JEAN JULIEN JOSEPH

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Contexte

[1]  Le demandeur, Jean Julien Joseph, est citoyen d’Haïti. Il sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 29 mai 2019 par la Section d’appel des réfugiés [SAR]. Dans cette décision, la SAR confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] selon laquelle le demandeur est exclu de la protection du Canada en vertu de la section E de l’article premier [l’article 1E] de la Convention relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 à la page 156 [Convention].

[2]  Dans son formulaire de Fondement de demande d’asile, le demandeur allègue être ciblé par des adhérents du Parti haïtien Tèt Kale [PHTK] depuis 2011 parce qu’il est un partisan du parti politique Rassemblement des démocrates nationaux progressistes [RDNP]. Il affirme s’être enfui au Brésil en novembre 2011 après avoir reçu des menaces de mort. En 2015, il retourne en Haïti croyant que la situation s’est améliorée. Il reçoit à nouveau des menaces de mort et son oncle, lui-même partisan du RDNP, est assassiné par les partisans du PHTK. Afin de ne pas subir le même sort, il retourne au Brésil en janvier 2016. Au mois de septembre de la même année, il quitte à nouveau le Brésil en raison de la « haine et discrimination » subis par les Haïtiens et parce qu’il apprend que l’un des meurtriers de son oncle est rendu au Brésil. Il arrive aux États-Unis en décembre 2016 après avoir transité par onze (11) pays. Le 29 juillet 2017, il entre au Canada et présente une demande d’asile.

[3]  Le 6 juin 2018, la SPR rejette la demande d’asile au motif que le demandeur est exclu de l’application de la Convention en vertu de son article 1E puisqu’il détient un statut de résident permanent au Brésil, où il a des droits et obligations similaires à ceux des ressortissants de ce pays. Dans le cadre de son analyse, la SPR conclut que les allégations du demandeur de menaces et risques au Brésil sont non crédibles et que la preuve documentaire objective sur le racisme et la discrimination contre les Haïtiens au Brésil n’est pas suffisante pour démontrer que le demandeur est à risque de persécution au Brésil.

[4]  Le demandeur porte cette décision en appel devant la SAR. Il ne conteste pas le fait qu’au moment de son audience devant la SPR il avait la résidence permanente au Brésil. Il soutient plutôt que la discrimination qu’il a subie alors qu’il était au Brésil fait en sorte qu’il ne jouissait pas d’un statut semblable à celui des ressortissants de ce pays.

[5]  La SAR rejette l’appel et confirme la décision de la SPR.

II.  Analyse

[6]  La norme de contrôle applicable en matière d’exclusion au sens de l’article 1E de la Convention est celle de la décision raisonnable puisqu’il s’agit d’une question mixte de faits et de droit (Majebi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 274 au para 6; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Zeng, 2010 CAF 118 au para 11; Jean c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 242 au para 14). La décision de la Cour suprême dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] ne change pas cette conclusion (Vavilov aux para 10, 16-17).

[7]  Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov au para 100). La Cour « doit s’intéresser à la décision effectivement rendue par le décideur, notamment au raisonnement suivi et au résultat de la décision » (Vavilov au para 83) pour déterminer si la décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). Il faut accorder une attention particulière aux motifs écrits du décideur et les interpréter de façon globale et contextuelle (Vavilov au para 97). Il ne s’agit pas non plus d’une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Vavilov au para 102). Si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci », il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Vavilov au para 99).

[8]  Dans son mémoire, le demandeur soulève plusieurs questions qui n’ont pas été présentées dans le cadre de son appel devant la SAR. Ces questions portent notamment sur le risque de persécution en Haïti. La Cour n’entend pas les examiner puisqu’il est bien établi qu’un demandeur ne peut contester le caractère raisonnable d’une décision en se fondant sur une question qui est soulevée pour la première fois en contrôle judiciaire (Kalonji c Canada (Procureur général), 2018 CAF 8 au para 7; Canada (Citoyenneté et Immigration) c RK, 2016 CAF 272 au para 6; Idris c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 24 aux para 23-28). Le demandeur peut difficilement reprocher à la SAR de ne pas avoir examiné des arguments qu’il n’a pas soulevés en appel (Kanawati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 12 aux para 23-24; Constant c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 990 au para 25).

[9]  Quant aux autres questions soulevées par le demandeur, celles-ci se résument à ceci : le demandeur est en désaccord avec la conclusion qu’il avait des droits similaires à ceux des ressortissants du Brésil. Il soutient que sa preuve documentaire démontrait que « le racisme et la violence contre les personnes de couleurs au Brésil sont systématiques, répandus et communs parmi les autorités brésiliennes » et que, de ce fait, il existe pour lui une possibilité sérieuse de persécution au Brésil en raison de sa nationalité haïtienne et de sa race. Il reproche à la SPR et à la SAR d’avoir omis de procéder à une analyse de la discrimination cumulative à son endroit et d’avoir erré dans leur évaluation de la protection de l’État brésilien.

[10]  La Cour ne peut souscrire aux arguments du demandeur.

[11]  Un examen des motifs de la SAR montre qu’elle était bien consciente que les effets cumulatifs de la discrimination et de harcèlement peuvent équivaloir à de la persécution. Toutefois, comme la SPR, la SAR juge les allégations du demandeur non crédibles. Elle souligne, avec raison, les contradictions et omissions soulevées par la SPR dans le témoignage du demandeur et l’absence d’explications en appel permettant de comprendre les divergences dans le témoignage du demandeur. De plus, elle rejette l’argument du demandeur selon lequel il ne bénéficiait pas des mêmes droits que les ressortissants du Brésil puisqu’il recevait quotidiennement des menaces dans la rue et avait perdu son emploi en raison de la couleur de sa peau et de sa nationalité haïtienne. À cet égard, la SAR note que le demandeur a été en mesure de gagner sa vie au Brésil jusqu’à son départ en 2016 et qu’il a pu quitter le pays pour aller visiter sa famille en Haïti en 2015 pour ensuite y revenir l’année suivante. Elle souligne également le témoignage du demandeur qu’il n’a jamais porté plainte à la police et qu’il n’a fourni aucune preuve pour réfuter la présomption de protection de l’État. À la lumière du dossier, la Cour estime qu’il était raisonnable pour la SAR de conclure, comme la SPR, que le demandeur n’avait pas démontré que la discrimination qu’il alléguait au Brésil équivalait à de la persécution.

[12]  Le demandeur soutient que la SAR a erré dans son évaluation de la protection de l’État. Cet argument est mal fondé. Le demandeur n’ayant pas établi le fondement de sa crainte au Brésil, il n’était pas nécessaire pour la SAR d’analyser si le demandeur pouvait bénéficier de la protection de l’État.

[13]  Enfin, le demandeur reproche à tort à la SAR de ne pas avoir commenté toute la preuve documentaire objective. La SAR a clairement considéré cette preuve, mais elle n’était pas tenue de commenter chaque document. Il est bien reconnu qu’un décideur administratif est présumé avoir soupesé et examiné l’ensemble de la preuve (Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86 au para 36; Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (QL) au para 1 (CA)). L’omission de mentionner un élément de preuve en particulier ne signifie pas qu’il ait été ignoré ou écarté (Vavilov au para 91; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16), et un décideur n’est pas tenu de référer à tous les éléments de preuve qui étayent ses conclusions.

[14]  Pour conclure, le demandeur n’a soulevé aucune erreur de la part de la SAR qui justifie l’intervention de cette Cour.

[15]  La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT au dossier IMM-3735-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3735-19

INTITULÉ :

JEAN JULIEN JOSEPH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 JANVIER 2020

JUGEMENT ET motifs :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 30 juin 2020

COMPARUTIONS :

Dorin Cosescu

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Suzanne Trudel

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Dorin Cosescu

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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