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Date : 20030515

Dossier : T-97-00

Référence : 2003 CFPI 612

ENTRE :

                        LOUIS JAMES ZAZULA

                                                           demandeur

                                 et

                       SA MAJESTÉLA REINE,

LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA,

L'ÉTABLISSEMENT DE DRUMHELLER,

RICHARD ROE

et JOHN DOE

                                                          défendeurs

                      MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                  La Couronne défenderesse a gain de cause dans cette requête visant la radiation de la demande du demandeur parce que les interrogatoires préalables n'ont pas été menés à bonne fin comme il avait été ordonné et parce qu'il y a eu un retard déraisonnable.


HISTORIQUE

[2]                  En l'espèce, la déclaration, visant l'obtention de dommages-intérêts pour une blessure subie à la suite d'une chute le 23 janvier 1998, a été déposée le 24 janvier 2000. Étant donné que l'affaire n'avait pas avancé d'une façon satisfaisante, la gestion de l'instance a été ordonnée et les personnes responsables de la gestion ont été désignées le 10 octobre 2001. M. Zazula devait subir une opération au genou à la mi-octobre 2001 de sorte que la première conférence en vue de la gestion de l'instance a eu lieu le 11 janvier 2002. À ce moment-là, M. Zazula ne savait pas jusqu'à quel point il se rétablirait et il n'avait aucun avis médical écrit. Toutefois, les deux parties ont confirmé qu'elles voulaient échanger les documents au plus tard le 29 mars 2002.

[3]                  Le 28 mai 2002, j'ai tenu une autre conférence de gestion de l'instance et, par une lettre datée du même jour, j'ai demandé aux parties de tenter d'achever les interrogatoires préalables avant la fin du mois d'août 2002.


[4]                  À la suite de la conférence de gestion de l'instance qui a eu lieu le 24 octobre 2002, le demandeur n'avait toujours pas communiqué les documents aux défendeurs et les interrogatoires préalables n'avaient pas encore eu lieu; le 29 octobre 2002, j'ai donc rendu une ordonnance enjoignant au demandeur de fournir les documents visés par la communication préalable avant la fermeture des bureaux du greffe, le 2 décembre 2002, les interrogatoires préalables devant être achevés au plus tard le 17 février 2003 et les engagements qui étaient pris devant être respectés dans la mesure du possible au plus tard le 17 mars 2003. Le demandeur a déposé un affidavit de documents non établi sous serment le 27 novembre 2002 et des copies de documents le 16 janvier 2003. Toutefois, même si les avocats des défendeurs, à savoir la Couronne, le Service correctionnel du Canada et l'établissement de Drumheller, avaient demandé que des dates soient fixées aux fins des interrogatoires préalables, ceux-ci n'ont toujours pas eu lieu.

[5]                  La requête ici en cause a été présentée le 24 mars 2003. Le 20 avril 2003, j'ai organisé une téléconférence relative à la gestion de l'instance afin de déterminer si l'avocat du demandeur pouvait répondre à la requête visant la radiation de la déclaration. Il semble que M. Zazula avait de temps en temps été incarcéré et qu'au 20 avril 2003, il était assujetti à un type de détention à domicile. L'avocat du demandeur espérait que les interrogatoires préalables aient lieu avant la mi-mai 2003. Au 12 mai, le demandeur avait non seulement omis de fournir les dates des interrogatoires préalables, mais il n'avait pas non plus demandé de prorogation des dates de communication préalable fixées dans l'ordonnance du 29 octobre 2002.


[6]                  Dans un affidavit établi sous serment le 5 mai 2003, M. Zazula mentionnait les difficultés financières auxquelles il faisait face, la perte de son permis de conduire et le fait qu'il avait été sous garde du 2 mai au 16 septembre 2002, date à laquelle il avait été condamné à une autre peine d'emprisonnement de 30 jours; il devait être mis en liberté le 6 octobre 2002. Le 21 mars 2003, M. Zazula a été déclaré coupable à la suite d'une accusation portant sur des armes à feu et il doit se présenter devant la Cour, pour le prononcé de la sentence, le 10 juin 2003 : dans l'intervalle, il doit entrer à une heure déterminée chez lui. Il déclare espérer que, sur demande à la Cour, il pourra se rendre à Edmonton pour les interrogatoires préalables, au mois de mai 2003.

ANALYSE

Violation de l'ordonnance relative à la communication préalable

[7]                  Les délais fixés par la Cour, conformément aux Règles et par ordonnance, ne sont pas simplement des dates cibles. Ces délais doivent être respectés, parce qu'un retard peut causer un préjudice et parce qu'un litige doit arriver à une conclusion en temps opportun. Cela ne veut pas dire que les délais sont fixés d'une façon absolue, car il y a bien longtemps que les tribunaux judiciaires ne refusent plus d'entendre un plaideur simplement à cause d'une erreur ou de circonstances indépendantes de sa volonté qui l'ont empêché de respecter les délais. Toutefois, en l'espèce, les retards et les délais non respectés sont devenus chose courante. Ce genre d'approche à un litige, de la part d'un demandeur qui est tenu de faire progresser l'affaire jusqu'à sa conclusion d'une façon ordonnée et opportune, peut constituer un abus de procédure, comme l'a souligné Monsieur le juge Muldoon dans la décision Pioneer Grain Co. c. Far-Eastern Shipping Co. (FESCO) (2000), 181 F.T.R. 161, aux pages 165 et 166 :

[...] Assurément, le fait d'intenter une action en justice et de faire fi, par la suite, des ordonnances rendues par la Cour pour faciliter la gestion de l'instance constitue un abus du processus judiciaire. Dans les instances civiles où il est possible de remédier aux abus d'une partie en radiant simplement ses actes de procédure (par lesquels elle tente d'obtenir l'assistance de la Cour), la Cour est amplement justifiée, selon ses règles bien connues, de refuser son aide à l'auteur d'un abus.


Dans la décision Pioneer Grain, rien ne permettait de ne pas tenir compte des ordonnances de la Cour. Le juge Muldoon a donc confirmé une ordonnance rejetant l'action par suite de l'omission de produire les documents.

[8]                  En l'espèce, l'excuse invoquée par le demandeur est qu'il ne peut pas déterminer l'étendue et l'effet de sa blessure qu'il a subie il y a plus de cinq ans, et ce, même s'il ne produit pas maintenant de preuve à ce sujet. Dans son affidavit, le demandeur déclare que les démêlés en justice auxquels il faisait face et sa situation financière l'ont empêché de faire progresser le litige.

[9]                  Dans la décision Semenduev c. Canada, une décision non publiée en date du 17 janvier 1997 rendue dans le dossier IMM-4727-96, Monsieur le juge Noël, tel était alors son titre, examinait le cas d'une personne incarcérée indigente qui, pour ces motifs, n'avait pas pu faire progresser la procédure judiciaire en temps opportun. Le juge a fait remarquer que l'incarcération et l'indigence n'étaient pas assimilables à l'incapacité :

Le fait d'être incarcéré et d'être impécunieux ne prive pas une personne de sa capacité juridique.


[10]            Dans l'affaire Semenduev, il y avait eu un retard de deux ans. En l'espèce, la procédure de M. Zazula n'a pas avancé d'une façon notable pendant environ trois ans. Comme il a été dit dans la décision Semenduev, les démêlés en justice, qui ont entraîné l'incarcération et l'indigence, tout en étant une situation malheureuse, n'expliquent pas pourquoi, pendant plus d'un an, M. Zazula n'a pas fourni de dates aux fins des interrogatoires préalables, et ce, bien qu'une directive ait été donnée et qu'une ordonnance ait été rendue. Étant donné que la directive du 28 mars 2003 et l'ordonnance du 29 octobre 2002 n'ont pas été observées, l'action est radiée.

Le retard

[11]            Il existe un autre motif justifiant la radiation de l'action, à savoir un retard important et l'absence de plan visant à faire progresser l'affaire jusqu'à sa conclusion. Je mentionnerai ici les décisions Govit c. Doctor, [1997] 1 W.L.R. 640 (H.L.) et Arbuthnot Latham Bank Ltd. c. Trafalgar Holdings, [1998] 1 W.L.R. 1426 (C.A.). Dans l'affaire Govit c. Doctor, on n'avait fait aucun cas des dates limites et il y avait eu un retard inexcusable de la part du demandeur, qui n'avait manifesté aucun intérêt réel à poursuivre le litige. La Chambre des lords était d'avis que, puisqu'on n'avait pas tenu compte des dates limites et que l'on n'avait aucunement cherché à faire entendre l'affaire en temps opportun, une demande de rejet pour défaut de poursuite n'avait pas à dépendre du préjudice subi par le défendeur, mais qu'elle pouvait aussi être examinée compte tenu de l'abus de procédure et du préjudice causé à la bonne administration de la justice.


[12]            Dans la décision Arbuthnot Latham Bank, on a fait état de l'évolution, pour ce qui est du défaut de poursuite, entre l'arrêt Birkett c. James [1978] A.C. 297 (H.L.) et la décision Govit c. Doctor, et l'on a ensuite examiné le retard du point de vue de la procédure civile assujettie à la gestion de l'instance :

[TRADUCTION] Le passage progressif à une procédure administrée actuellement constatéimpose de nouvelles contraintes aux tribunaux, non seulement au niveau de la formation mais aussi au niveau de la mise en place de toute l'infrastructure technologique rendue nécessaire. Dans l'intérêt de l'ensemble des plaideurs, il faut donc éviter d'accaparer inutilement le temps de la Cour en lui imposant l'examen de questions annexes soulevées par le non-respect des délais prévus par les règles [page 1436].

Lord Woolf, qui est par la suite devenu maître du rôle, a ensuite fait la remarque suivante :

[TRADUCTION] Dans l'affaire Birkett c. James, [1978] A.C. 297, il n'y avait pas lieu de s'interroger sur les conséquences d'un retard excessif pour les autres plaideurs et pour les tribunaux. Ce facteur va dorénavant prendre de plus en plus d'importance. Les plaideurs et leurs conseils doivent donc savoir que, dorénavant, tout retard sera jugé non seulement en fonction du préjudice qu'il peut entraîner pour tel ou tel plaideur en l'action, mais également par rapport aux répercussions qu'il peut avoir sur d'autres plaideurs qui tiennent à être entendus, ainsi que du préjudice que subit la bonne administration de la justice civile. [loc. cit.]

Dans l'arrêt Arbuthnot Latham Bank, la Cour d'appel était d'avis que l'abus de procédure constituait un motif distinct de radiation d'une action, un motif n'exigeant pas que le défendeur démontre l'existence d'un préjudice. La Cour d'appel a ensuite déploré le fait que les tribunaux judiciaires servaient à « mettre en veilleuse » les procédures tant qu'il n'était pas utile d'aller de l'avant, ce qui aboutit à des procédures altérées par le passage du temps et qui jette le discrédit sur la gestion de l'instance effectuée par la Cour :


[TRADUCTION] Alors qu'on ne pouvait naguère faire valoir que le fait, pour une partie, de décider, de son propre chef, de mettre en veilleuse une procédure qu'elle avait engagée, en attendant le moment qui lui semble propice, ne constitue pas un abus de procédure, dorénavant, il n'en sera plus ainsi. Cette conception aboutissait à des procédures altérées par le passage du temps, ce qui jetait le discrédit sur la gestion des tribunaux. Au fur et à mesure qu'on adopte un régime de procédure de gestion des instances, les tribunaux s'intéresseront de plus en plus aux raisons pour lesquelles une action donnée n'avance pas. Si le demandeur n'a pour l'instant pas l'intention de poursuivre son action, c'est une déperdition d'effort. Le simple fait d'avoir à rechercher les motifs du manque d'avancement des procédures accapare sans besoin l'attention de la Cour. Si, sous réserve des directives pouvant être émises par la Cour, un plaideur n'a aucunement l'intention de poursuivre son action dans le respect des règles, l'action n'aurait jamais dû être introduite. En ce qui concerne les actions qui sont intentées mais qu'on n'entend pas voir avancer, il y a lieu d'envisager leur interruption ou d'obtenir en général de la Cour un ajournement. Les tribunaux sont là pour aider les parties à résoudre leurs litiges et ne doivent pas être utilisés à d'autres fins par les plaideurs. Cette nouvelle manière de voir ne s'appliquera pas rétroactivement aux retards qui se sont déjà produits, mais s'appliquera aux retards à venir. [ibid., p. 1437.]

L'avis exprimépar lord Woolf, à savoir que les tribunaux sont là pour aider les parties à résoudre leurs litiges et ne doivent pas être utilisés à d'autres fins, est ici pertinent.


[13]            En l'espèce, je sympathise avec le demandeur, qui a eu des troubles de santé et qui a été incarcéré. Toutefois, le demandeur n'a fait état d'aucun plan réel destiné à assurer que l'affaire soit menée à bonne fin. Je ne blâme pas l'avocat du demandeur, qui a toujours fait des efforts et qui a invoqué les meilleurs arguments possibles au nom de son client. Étant donné que les promesses passées du demandeur, pour ce qui est de la poursuite de l'affaire, n'ont rien donné, je n'accorde aucun poids au fait que le demandeur a indiqué qu'il sera peut-être en mesure de procéder aux interrogatoires préalables au mois de mai de l'année courante. De fait, le mois est déjà en bonne partie écoulé et aucune date ferme n'a été fixée aux fins des interrogatoires préalables. Je puis uniquement conclure que l'absence de plan raisonnable, lorsqu'il s'agit de mener l'action à bonne fin, est une preuve convaincante montrant que le demandeur s'intéresse à autre chose et qu'il ne cherche pas réellement à mener l'action à bonne fin en temps opportun. En l'absence de progrès ou de plan, l'action constitue un abus. L'absence de progrès est injuste pour les défendeurs. C'est là manquer de respect envers les contribuables, qui doivent payer les frais de la Cour. Cela cause un préjudice aux autres plaideurs, qui s'adressent à la Cour afin de faire résoudre leurs différends dans un délai raisonnable. Cela place la Cour, qui manque de ressources pour servir ses clients, dans une situation difficile. L'action est donc également rejetée pour le motif que le retard constitue un abus.

[14]            Il n'y aura qu'un seul mémoire de frais pour la Couronne, tant en ce qui concerne la requête que l'action dans son ensemble.

                      « John A. Hargrave »                   

    Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 15 mai 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                            COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                          AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

DOSSIER :                                                              T-97-00

INTITULÉ :                                                              Louis James Zazula

c.

La Reine et les al.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                      Monsieur le protonotaire Hargrave

DATE DES MOTIFS :                                           Le 15 mai 2003

ARGUMENTATION ÉCRITE :

M. R. Douglas Vigen                                              POUR LE DEMANDEUR

Mme Tracy J. King                                                    POUR LA DÉFENDERESSE, Sa Majesté la Reine

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. R. Douglas Vigen                                              POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Edmonton (Alberta)

M. Morris A Rosenberg                                        POUR LA DÉFENDERESSE,

Sous-procureur général du Canada                   Sa Majesté la Reine

Ministère de la Justice

Edmonton (Alberta)

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