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Date : 20010308

Dossier : IMM-2310-00

Référence neutre : 2001 CFPI 160

ENTRE :

GHASEM MOHAJERPOUR

demandeur

et

LE MINISTRE DE

LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

[1]    M. Ghasem Mohajerpour (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 6 avril 2000 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui a rejeté sa revendication de la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention au Canada.

[2]    Le demandeur est un citoyen iranien. Il est venu au Canada en provenance de l'Iran en 1990 et a sollicité le statut de réfugié au sens de la Convention en invoquant le motif des opinions politiques, c'est-à-dire la perception qu'il est un partisan des moudjahiddins.


[3]    Le demandeur a été jugé ne pas être un réfugié au sens de la Convention en 1993, et la demande de contrôle judiciaire de cette décision de la Commission a été rejetée.

[4]    Le demandeur est néanmoins demeuré au Canada. Il a vécu à Toronto et a eu divers emplois entre 1990 et 1997. Il a témoigné devant la Commission qu'après avoir passé plusieurs années au Canada sans avoir obtenu le statut de résident permanent, il avait décidé de retourner en Iran. Il a consulté son frère aîné en Iran et, au début de l'année 1997, il a obtenu un passeport iranien de l'ambassade de l'Iran à Ottawa, même s'il a informé cette dernière qu'il avait déjà été un partisan des moudjahiddins.

[5]    Le demandeur a témoigné avoir quitté le Canada le 14 septembre 1997 en direction d'Haïti. Il avait décidé d'aller en Haïti afin de devenir résident de ce pays. Il a affirmé avoir récemment rencontré une personne qu'il connaissait et qui lui a dit qu'il n'était pas très difficile de devenir résident de ce pays. Le demandeur a versé à son « ami » une somme d'environ 2 000 $ pour qu'il l'aide relativement aux documents à remplir. Le demandeur a quitté le Canada d'un aéroport de Montréal sans en informer à l'avance les fonctionnaires de l'immigration canadiens.

[6]    Le demandeur a déclaré qu'il était arrivé en Haïti mais qu'il avait été incapable de trouver son ami à l'adresse indiquée. Il a conclu qu'il avait été dupé et il a décidé de poursuivre son voyage pour se rendre en Iran.


[7]                Il a témoigné qu'à son arrivée à l'aéroport de Mehrabad à Téhéran, il a été détenu, torturé et interrogé pendant deux semaines par les autorités iraniennes. Il a ensuite été amené à la prison de Ghasr. Il a dit avoir pu s'évader de la prison après avoir été drogué. Cette évasion a été organisée par son frère et le demandeur a été envoyé à la maison d'un ami de son frère pour sa sécurité.

[8]                Après être resté dans cette maison pendant environ un mois, le demandeur s'est rendu en Turquie et ensuite en France. Il a quitté la France pour finalement arriver au Canada, apparemment via la République Dominicaine, même s'il n'était pas certain de son passage dans ce pays.

[9]                Il est entré de nouveau au Canada le 3 janvier 1998 à Québec (Québec). Il a présenté une nouvelle demande de statut de réfugié au sens de la Convention à cette date et a rempli son Formulaire de renseignements personnels (FRP) à l'appui de cette revendication le 28 avril 1998. Sa revendication a été entendue le 23 novembre 1999 et la Commission a rendu sa décision le 6 avril 2000.


[10]            Le demandeur a soulevé plusieurs questions à l'encontre des conclusions relatives à la crédibilité tirées par la Commission de même que le fait que cette dernière aurait omis de tenir compte de tous les éléments de preuve qu'il a présentés et aurait examiné de façon très partielle les éléments de preuve qu'elle a décidé d'évaluer.

[11]            Pour sa part, le défendeur adopte la position que les conclusions relatives à la crédibilité sont raisonnablement appuyées par la preuve et que la décision de la Commission doit être respectée par la Cour. En outre, le défendeur soutient qu'il est inutile que la Commission analyse chaque aspect de la preuve présentée par le demandeur et, à cet égard, il invoque la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 11 Imm L.R. (2d) 81.

[12]            Dans sa décision, la Commission a mis l'accent sur le témoignage du demandeur concernant son passeport (soit le genre de passeport qu'il a obtenu en 1997), sur les réponses qu'il a inscrites dans le FRP quant au fait qu'il détenait un passeport à son retour au Canada ainsi que sur l'absence de confirmation écrite de la part de l'ambassade qu'un passeport lui avait été délivré. La Commission a également fait preuve d'un intérêt particulier relativement à l'absence de mention dans le FRP de son séjour en Haïti en septembre 1997. La Commission a fait plusieurs commentaires négatifs au sujet de l'absence de crédibilité du demandeur, particulièrement en ce qui a trait à ces questions.


[13]            Toutefois, malgré l'attention qu'a prêtée la Commission à la crédibilité du demandeur sur ces questions, celle-ci ne s'est pas penchée sur l'ensemble de la preuve relative à l'élément fondamental de la revendication du demandeur, soit sa crainte de persécution en Iran.

[14]            Il s'agit d'une erreur de droit. À cet égard, voir Armson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1989), 9 Imm L.R. (2d) 150, et Ahangaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] F.C.J. No. 172, où le juge McGillis a dit au paragraphe 5 :

L'avocat du demandeur a soutenu, entre autres, que la Commission avait commis une erreur lorsqu'elle avait omis d'examiner l'ensemble des éléments de preuve déposés pour étayer la revendication de son client. Je souscris à cet argument. Un examen des motifs de la Commission confirme que celle-ci a effectivement omis d'examiner le fondement de la prétention du demandeur concernant le fait qu'il serait persécuté en Iran. En effet, les conclusions que la Commission a tirées en matière de crédibilité sont fondées exclusivement sur des questions concernant les déplacements du demandeur après qu'il a quitté l'Iran, y compris des questions telles l'utilisation qu'il a faite de faux documents de voyage et d'identité. Bien que la Commission eût le droit de tenir compte de toutes les questions sur lesquelles elle s'est fondée pour apprécier la crédibilité du demandeur, elle devait également apprécier la crédibilité du témoignage du demandeur concernant le fondement de la revendication du statut de réfugié qu'il a déposée. L'omission, de la part de la Commission, de tenir compte de l'ensemble de la preuve dont elle disposait constitue une erreur de droit.

[15]            Il incombe à la Commission de déterminer si un revendicateur est visé par la définition de réfugié au sens de la Convention aux termes de la Loi. Lorsqu'elle s'acquitte de cette responsabilité, la Commission est obligée de fournir les motifs de ses conclusions. Ces motifs doivent être clairs et ne comporter aucune ambiguïté; voir Hilo c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.).


[16]            Dans la présente affaire, j'estime que les motifs de la Commission relativement à la délivrance d'un passeport iranien au demandeur sont ambigus. L'énoncé suivant constitue un exemple évident d'ambiguïté :

[TRADUCTION] Le tribunal n'a pas jugé le témoignage du revendicateur crédible et digne de foi relativement à la délivrance à son endroit d'un passeport iranien par l'ambassade de l'Iran à Ottawa en 1997.

[17]            Cet énoncé peut être interprété soit comme signifiant que la Commission n'a pas cru que le demandeur avait obtenu un passeport, soit comme signifiant qu'elle a cru qu'il l'avait obtenu mais qu'elle n'a pas cru son témoignage au sujet de la façon dont il l'a obtenu. L'énoncé de la Commission est donc susceptible de donner lieu à deux interprétations différentes et contradictoires.

[18]            Compte tenu de l'importance que la Commission a apparemment accordée à la question du passeport et du témoignage du demandeur à cet égard, le langage flou utilisé par la Commission lorsqu'elle a tiré la conclusion susmentionnée ne satisfait pas à la norme requise du raisonnement « clair et ne comportant aucune ambiguïté » .

[19]            Pour les présents motifs, je suis convaincue que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et que l'affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue de nouveau sur l'affaire.


[20]                        Même si l'avocat du demandeur a sollicité la certification de deux questions, je suis d'avis qu'aucune question ne doit être certifiée dans la présente affaire.

                                                                                   « E. Heneghan »                    

                                                                                               J.C.F.C.                       

Ottawa (Ontario)

Le 8 mars 2001.

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


Date : 20010308

Dossier : IMM-2310-00

OTTAWA (ONTARIO), le 8 mars 2001

DEVANT MADAME LE JUGE HENEGHAN

ENTRE :

                             GHASEM MOHAJERPOUR

demandeur

et

LE MINISTRE DE

LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue de nouveau sur l'affaire.       

                                                                                   « E. Heneghan »                    

                                                                                               J.C.F.C.                     

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                               IMM-2310-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :             GHASEM MOHAJERPOUR c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 27 FÉVRIER 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN

EN DATE DU :                                   8 MARS 2001

ONT COMPARU

M. CRANE                                                                              POUR LE DEMANDEUR

C. WELSH                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. CRANE, TORONTO                                                         POUR LE DEMANDEUR

M. MORRIS ROSENBERG                                                     POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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