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     T-821-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 18 NOVEMBRE 1997

EN PRÉSENCE DU JUGE ROULEAU

ENTRE :

     GARY BARNETT,

     requérant,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

     LE COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA,

     F.G. PALMER, SOUS-COMMISSAIRE À LA POLICE OPÉRATIONNELLE, et

     LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA,

     intimés.

     ORDONNANCE

     La demande est rejetée.

                             P. ROULEAU

                                     JUGE

Traduction certifiée conforme             

                                 François Blais, LL.L.

     T-821-96

ENTRE :

     GARY BARNETT,

     requérant,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

     LE COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA,

     F.G. PALMER, SOUS-COMMISSAIRE À LA POLICE OPÉRATIONNELLE, et

     LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

     Il s'agit d'une demande d'ordonnance en vue d'annuler la décision en date du 17 février 1996 par laquelle le sous-commissaire à la police opérationnelle de la GRC a rejeté le grief que le requérant avait déposé à l'encontre d'une politique de la GRC appelée bulletin du Manuel d'administration ou (AM) 1646.

     Le requérant a commencé à travailler pour la GRC en août 1979 à titre de gendarme spécial. Il est devenu membre régulier le 5 mai 1990.

     Les gendarmes spéciaux reçoivent une formation modifiée lorsqu'ils sont engagés pour exécuter des tâches spécifiques et qu'ils exercent différentes fonctions au sein de la Gendarmerie, notamment à titre de gendarmes spéciaux autochtones, de gendarmes spéciaux aux aéroports, de gardes stationnaires (protection des personnalités canadiennes et des agents diplomatiques ou protection des biens), de mécaniciens d'entretien d'aéronefs, de gardiens de prévôté et de techniciens d'enlèvement des explosifs.

     En 1988, la GRC a annoncé des modifications fondamentales touchant sa structure et sa philosophie de recrutement. Une partie des changements concernaient la conversion des membres spéciaux en membres réguliers. Le Manuel d'administration, qui renferme les lignes directrices de la Gendarmerie en matière d'administration, a été modifié en conséquence.

     Après une réévaluation des rôles et des responsabilités de la GRC aux aéroports, il a été décidé qu'il fallait offrir une formation supplémentaire aux gendarmes spéciaux afin d'assurer les services de surveillance nécessaires. Par conséquent, les gendarmes spéciaux devaient suivre une formation supplémentaire avant de pouvoir être convertis en membres réguliers. Dans le cas du requérant, en qualité de gendarme spécial aux aéroports, il avait reçu à l'origine une formation de 286 heures, alors que les membres réguliers suivent une formation de 862 heures.

     Le 31 mars 1988, le bulletin 1215 a été publié et, pour être admissibles à une promotion, les gendarmes spéciaux devaient être prêts à déménager immédiatement. Ils devaient également signer un engagement par lequel ils consentaient à être rétrogradés immédiatement au rang de gendarme spécial s'ils ne réussissaient pas le cours de formation. Par la suite, le 10 novembre 1989, le bulletin 1215-A modifiant le bulletin 1215 a été publié. Par suite des modifications, le déménagement n'était plus un critère d'admissibilité et l'échec de la formation n'entraînait plus automatiquement la démotion.

     Le requérant a été promu aux termes de cette politique modifiée en mai 1990. À l'origine, il ne voulait pas déménager et n'était donc pas admissible à une promotion. Cependant, sa demande a été examinée lorsque la condition de déménagement a été supprimée en novembre 1989 et, six mois plus tard, le requérant a été promu après sa formation et a automatiquement reçu une augmentation de salaire à compter de mai 1990.

     Lorsque les bulletins MA 1215 et 1215-A étaient tous deux en vigueur, la date des promotions dépendait des calendriers de formation. Par conséquent, étant donné qu'un gendarme spécial ne pouvait être promu avant d'avoir terminé sa formation, les promotions et les augmentations salariales sont survenues à différents intervalles. Au cours de la formation et des promotions, les fonctions de la GRC aux aéroports sont demeurées les mêmes pour les gendarmes spéciaux et les membres réguliers. Par conséquent, les anciens gendarmes spéciaux qui avaient suivi leur formation et avaient été promus recevaient le plein salaire de gendarme alors qu'ils travaillaient avec d'autres gendarmes spéciaux qui exécutaient les mêmes tâches, mais qui n'avaient pas encore terminé leur formation.

     Le 6 juin 1990, un deuxième changement de politique a été publié dans le bulletin MA 1646. Selon ce changement, les autres gendarmes spéciaux devaient immédiatement être promus au rang de membres réguliers. Ils devaient suivre leur formation le plus tôt possible et recevoir le salaire de gendarme dès la fin de leur formation.

     Des délais sont survenus lors de l'envoi des gendarmes spéciaux convertis à l'école de la GRC. Par conséquent, certaines personnes qui avaient été promues le même jour recevaient un salaire différent selon la date à laquelle elles avaient terminé leur formation. Cette iniquité a été reconnue en novembre 1990 lors d'une conférence des commandants divisionnaires et des représentants divisionnaires des relations fonctionnelles (RDRF) et cette deuxième politique a donc été modifiée le 31 janvier 1991 par le bulletin MA 1646-A. Selon cette modification, tous les gendarmes spéciaux promus de façon conditionnelle le 7 juin 1990 devaient recevoir une augmentation de salaire rétroactive à la date de leur promotion, s'ils réussissaient leur formation. Cependant, cette modification ne s'appliquait pas au requérant, qui avait été promu aux termes du bulletin MA-1215 ou 1215-A (la "première politique") un mois avant le 6 juin 1990, la date d'entrée en vigueur de la deuxième politique.

     Le requérant a déposé un grief dans lequel il a allégué que la deuxième politique n'assurait pas l'égalité entre les gendarmes spéciaux qui étaient convertis. Il a soutenu que la rétroactivité de l'augmentation de salaire devait s'appliquer à tous les gendarmes spéciaux à compter de l'adoption de la première modification de la politique qui était entrée en vigueur en 1988. Le grief initial a été examiné au niveau I par le surintendant principal Proke et rejeté. Il a ensuite été examiné au niveau II par l'inspecteur H.L. Kennedy et a à nouveau été rejeté.

     Le requérant a alors engagé devant la Cour une action en vue d'obtenir une ordonnance annulant la décision de l'inspecteur Kennedy. Le 8 septembre 1993, le juge Nadon a annulé la décision de l'inspecteur Kennedy et ordonné que le grief soit soumis à une instance décisionnelle d'un niveau différent. Par conséquent, un nouvel arbitre du niveau II a examiné le grief et, le 7 juillet 1994, le grief en question a encore une fois été rejeté.

     Par suite de cette décision, le requérant a demandé à nouveau à la Cour de réviser cette dernière décision. Le 21 décembre 1995, Madame le juge Simpson a fait droit à la demande et ordonné que l'affaire soit renvoyée pour nouvel examen. Madame le juge Simpson a conclu que l'arbitre avait commis une erreur de droit en omettant de rendre une décision portant sur les questions que le requérant avait soulevées, notamment celles qui concernaient la Loi canadienne sur les droits de la personne. De plus, elle a statué que l'arbitre n'avait pas tenu compte du fait que les gendarmes spéciaux et les membres réguliers exécutaient des tâches identiques aux aéroports, que, en raison de leur calendrier de formation, les augmentations de salaire étaient déterminées aux termes de la première politique et que cette situation était inéquitable aux termes de la deuxième politique.

     Le 27 février 1996, le sous-commissaire à la police opérationnelle de niveau II F.G. Palmer a examiné le grief du requérant, notamment la politique concernant l'équité salariale en ce qui a trait à la promotion des gendarmes spéciaux au rang de membres réguliers, et a tenté de déterminer si cette politique était inéquitable et constituait un manquement à la Loi canadienne sur les droits de la personne. De l'avis du requérant, ce salaire rétroactif aurait dû être offert à tous les gendarmes spéciaux convertis qui ont été touchés par la conversion depuis le début de la démarche, soit le 24 juin 1988.

     Le sous-commissaire a rejeté le grief du requérant pour les motifs suivants :

     [TRADUCTION]         
     a) aucun manquement à la Loi canadienne sur les droits de la personne n'a été commis. La question de l'égalité des tâches ne s'est pas posée, puisque le travail des membres réguliers et celui des gendarmes spéciaux n'étaient pas le même. De plus, les dispositions concernant l'égalité du salaire pour un travail de valeur égale ne s'appliquent pas non plus, puisqu'elles concernent uniquement l'égalité entre les sexes;         
     b) l'école de la GRC ne pouvait recevoir qu'un certain nombre de stagiaires à la fois et il fallait tenir compte des priorités en matière de formation dans d'autres secteurs;         
     c) il n'est pas raisonnable de soutenir que les membres devraient se voir offrir une possibilité de promotion dès qu'ils deviennent admissibles à celle-ci. Bon nombre de membres sont admissibles à la promotion, mais ne l'obtiennent que lorsqu'une ouverture est créée et qu'ils sont identifiés dans le cadre de la démarche à titre de candidats retenus. Il se peut que d'autres membres admissibles à la promotion soient promus plus tôt ou plus tard que leurs collègues, en raison des caprices du système sur les plans administratif et logistique;         
     d) l'attribution d'un salaire rétroactif ou d'une promotion dans la mesure invoquée par le requérant aurait occasionné des frais élevés. À une époque marquée par des restrictions et des difficultés financières, la direction a dû prendre des décisions difficiles, mais elle l'a fait afin de régler de la meilleure manière qui soit tous les aspects du problème;         
     e) la décision qui a été prise relevait entièrement du pouvoir discrétionnaire de ceux qui étaient aux postes de commande à l'époque;         
     f) le requérant n'est devenu admissible à la promotion que lors de la délivrance du bulletin MA 1215-A le 10 novembre 1989. Sa demande de promotion a immédiatement été examinée et il a effectivement été promu le 6 mai 1990;         
     g) pour qu'un grief soit valable, le plaignant doit prouver qu'il a été lésé par la mesure qu'il conteste. Dans la présente affaire, le requérant n'a pas été touché par la non-rétroactivité du bulletin MA 1646-A, sauf peut-être dans le cas de la période de six mois allant de novembre 1989 à mai 1990. Cette période ne peut être considérée comme un délai déraisonnable, car il était nécessaire de prendre des mesures administratives afin que le requérant puisse entreprendre son programme de formation après avoir obtenu la confirmation de son admissibilité à la promotion aux termes de la nouvelle politique.         

     Le requérant demande maintenant à la Cour d'infirmer cette décision. Il soutient que le choix du 7 juin 1990 comme date d'augmentation rétroactive du salaire était arbitraire et ne tenait pas compte des personnes qui ont été promues sur une base conditionnelle entre le 24 juin 1988 et le 7 juin 1990, mais qui n'étaient pas admissibles à une augmentation de salaire avant d'avoir terminé leur formation. Selon le requérant, si tous les faits pertinents avaient été pris en compte, tous les gendarmes spéciaux auraient reçu, à la fin de leur formation, une augmentation de salaire remontant rétroactivement à la date de la première conversion.

     Je rejette la demande pour les motifs qui suivent.

     Avant que la décision du sous-commissaire puisse être annulée, il doit être prouvé qu'il a commis une erreur susceptible de révision qui justifierait l'intervention de la Cour. Je ne puis déceler aucune erreur de cette nature en l'espèce. Il appert clairement des motifs qu'il a invoqués qu'il a tenu compte de tous les facteurs pertinents pour en arriver à sa conclusion. De plus, il s'est conformé aux directives que la Cour a données lorsqu'elle a renvoyé l'affaire pour nouvelle décision à deux reprises. Enfin, le sous-commissaire a agi entièrement dans les limites de sa compétence lorsqu'il a rejeté le grief que le requérant avait déposé à l'encontre de la politique en question de la GRC.

     En réalité, l'objet de la plainte du requérant en l'espèce ainsi que de la contestation réside dans la décision politique de la Gendarmerie. Cependant, les tribunaux sont très réticents à modifier des décisions politiques et financières qu'un organisme public prend pour mieux exercer ses pouvoirs discrétionnaires. Dans le cas qui nous occupe, la politique contestée a été formulée conformément aux pouvoirs discrétionnaires énoncés dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, qui confirme le pouvoir discrétionnaire du Conseil du Trésor de déterminer l'organisation de la fonction publique ainsi que d'attribuer et de classer les postes au sein de celle-ci, et dans la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, qui énonce que l'employeur a le droit de fixer le salaire et les allocations à verser aux membres de la Gendarmerie. De plus, le commissaire a le droit d'accorder des promotions aux membres de la Gendarmerie et le Conseil du Trésor a le pouvoir de prescrire les rangs et les niveaux des membres ainsi que le nombre maximal de personnes pouvant être désignées à chaque rang et à chaque niveau.

     Il est donc indubitable que le Conseil du Trésor et le commissaire disposent de larges pouvoirs discrétionnaires en ce qui a trait à la classification des postes à l'intérieur de la Gendarmerie, aux fonctions attribuées à ces postes ainsi qu'à la rémunération et à la promotion. Selon un principe bien reconnu, avant de modifier une décision prise dans le cadre de l'exercice de ces pouvoirs discrétionnaires ou une décision politique et financière prise par un palier de gouvernement, la Cour doit être convaincue que le pouvoir discrétionnaire a été exercé dans un but ultérieur ou non autorisé, de mauvaise foi ou pour des facteurs non pertinents, ce qui n'a tout simplement pas été prouvé en l'espèce.

     Par ces motifs, la demande est rejetée.

                             P. ROULEAU

                                     JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 18 novembre 1997

Traduction certifiée conforme             

                                 François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-821-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :          GARY BARNETT c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA ET AL

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          23 OCTOBRE 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE ROULEAU

EN DATE DU :              18 NOVEMBRE 1997

ONT COMPARU :

Me STACEY REGINALD BALL                  POUR LE REQUÉRANT

Me CHARLEEN H. BRENZALL                  POUR LES INTIMÉS

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

KURETZKY VASSOS

TORONTO (ONTARIO)                      POUR LE REQUÉRANT

Me GEORGE THOMSON

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA                          POUR LES INTIMÉS

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