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Date : 20041101

Dossier : IMM-309-04

Référence : 2004 CF 1513

Ottawa (Ontario) le 1er novembre 2004

Présent:           L'honorable juge Harrington

ENTRE :

                                          CHANTAL MODRI BONKENDO SITOO

                                                                                                                                   Demanderesse

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                          Défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, rendue le 22 décembre 2003, selon laquelle le tribunal a conclu que le demanderesse n'était ni une réfugiée au sens de la Convention, ni une personne à protéger.


[2]                La demanderesse, Chantal Modri Bonkendo Sitoo, est citoyenne de la République démocratique du Congo. Elle craint d'être persécutée dans son pays à cause de ses liens avec M. Mubengay Medard, un militant de l'U.D.P.S. (l'Union pour la démocratie et le progrès social), son ancien amant et le père de son fils. M. Mubengay Medard et son fils ont tous deux reçu le statut de réfugié au Canada il y a déjà quelques années.

CONTEXTE FACTUEL

[3]         Au mois de juin 2001 la demanderesse a participé à une conférence de presse pour le parti U.D.P.S. au cours de laquelle les militaires ont interrompu la conférence et ont procédé à l'arrestation de certaines personnes. Elle s'est enfuie avec quelques autres personnes pour plus tard être arrêtée et questionnée.    Elle a été détenue, battue et violentée sexuellement par des agents de sécurité à Kinshasa. Le 4 octobre 2001, après avoir reçu un mandat de gardes à sa porte, elle a été interrogée et accusée d'atteinte à la sécurité de l'État ainsi que d'avoir tenu des réunions clandestines de l'U.D.P.S à son domicile. Le magistrat militaire qui la questionnait, lui faisait des avances sexuelles ce qui lui faisait encore plus peur que le fait de la questionner. On lui a demandé de revenir le 10 octobre 2001, ce qu'elle a fait et elle a encore une fois été interrogée par la police au sujet de son ancien conjoint de fait, M. Mubengay Medard qui était maintenant réfugié au Canada avec leur fils. À cinq différentes reprises Mme Bonkendo Sitoo a reçu des demandes pour aller au poste de police pour un interrogatoire. Elle se présenta seulement pour trois des convocations et se cacha chaque fois que la police venait à sa porte. Par la suite, un mandat d'arrestation datée du 12 octobre 2001 a été émis.


[4]                Mme Bonkendo Sitoo a finalement traversé la rivière entre la République démocratique du Congo et le Congo pour se rendre à Brazzaville, où elle est restée pendant un an. Brazzaville se trouve être une ville très proche de Kinshasa. Elle atteste que les autorités de Brazzaville et Kinshasa sont connus pour s'entre-aider quand ils ont à retourner des personnes recherchées par les autorités. Quand elle a su qu'on la recherchait encore, elle s'est enfuie avec un vrai passeport belge au nom de quelqu'un d'autre. Elle est passée par le Cameroun et la France, pour ensuite arriver à Montréal.

[5]                Dès son arrivée au Canada, elle a détruit le passeport qu'elle avait utilisé pour voyager et son billet d'avion comme on lui avait dit de faire.

DÉCISION CONTESTÉE

[6]         L'analyse de la preuve soumise ainsi que le témoignage donnée par le demanderesse amène le Tribunal à conclure que Mme Bonkendo Sitoo n'est pas crédible. Le Tribunal remet en question plusieurs documents qui sont datés de plus de dix ans, ont une photo difficile à identifier, détiennent des identifications contraire à la documentation consultée ou sont munis d'incohérents.

[7]                Concernant les documents de voyages utilisés, la demanderesse les auraient détruits une fois arrivée au Canada. Par conséquent, il est difficile pour le Tribunal de connaître l'itinéraire suivi par la demanderesse pour se rendre au Canada. Le Tribunal reproche aussi à la demanderesse d'avoir passé trois jours en France sans jamais faire des démarches pour obtenir le statut de réfugié.


QUESTIONS EN LITIGE

[8]         En dépit des nombreux documents d'identité soumis, le Tribunal a-t-il commis des erreurs déraisonnables en concluant que l'identité de la demanderesse n'était pas établie et qu'il existait toujours un manque général de crédibilité de la demanderesse?

PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE

[9]         Mme Bonkendo Sitoo a présenté son document d'identité national, un permis de conduire, un diplôme d'état, trois convocations au poste de police, un mandat d'arrestation et deux certificats de cours d'anglais qu'elle a réussis. Le Tribunal a erré quand il n'a pas accordé de valeur probante aux documents soumis. L'avocat de Mme Bonkendo Sitoo soumet que le Tribunal doit reconnaître les documents de la demanderesse comme authentiques à moins de preuve contraire. Il s'appuie sur l'arrêt Osipenkov v. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] F.C.J. No 59 (QL).

PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[10]       Le défendeur soumet que la conclusion du Tribunal que Mme Bonkendo Sitoo n'était pas crédible et n'avait même pas établi son identité était justifiée. Face aux nombreuses contradictions et invraisemblances relevées par le Tribunal dans ses motifs, dont plusieurs portent sur le fond du récit de la demanderesse, le Tribunal était justifié quand il a conclu que Mme Bonkendo Sitoo n'était pas une réfugiée.


ANALYSE

Identité

[11]       Le Tribunal s'est arrêté en particulier sur une des pièces déposées par Mme Bonkendo Sitoo en vue d'établir son identité. Sur l'attestation de naissance, on y retrouve un timbre de 2 FF. Le Tribunal s'appuie sur deux documents disponibles au centre de recherche de la Commission, pour conclure que l'attestation de naissance présentée par la demanderesse n'est rien de plus qu'un faux document. La documentation consultée indique que les frais administratifs ou juridiques liés à l'obtention des documents officiels sont payés en Francs Congolais. Par conséquent, ils devraient donc être munis de timbre indiquant FC.

[12]            Les documents consultés par le Tribunal indiquent tout simplement qu'il n'y a pas d'information qui pourrait appuyer les cachets (timbres) apposés comme étant FF. Ils n'indiquent aucunement que l'inscription FF serait signe d'un faux document. La présomption qu'un document provenant d'un État étranger est valide demeure en l'espèce puisqu'elle n'a pas été réfutée.

[13]            La demanderesse a également déposé trois documents intitulés « invitation » . La première invitation est datée du 24 octobre 2001, la deuxième du 1er novembre 2001 et la troisième du 3 octobre 2001. Confrontée par les invraisemblances à cause de dates et d'énumérations qui ne correspondent aucunement, la demanderesse dit ne pas comprendre et ne pas pouvoir expliquer l'erreur de la police. Il n'est pas raisonnable de s'attendre que la demanderesse puisse expliquer des erreurs dans un document dont elle n'était pas l'auteure.


[14]            L'identité de la demanderesse a été confirmée par voie de lettre de son frère qui se trouve être réfugié en France ainsi que par M. Mubengay Medard, qui a témoigné de son identité à l'audience.

[15]            Étant donné les erreurs précédentes, il est manifestement déraisonnable de conclure du manque d'identité de Mme Bonkendo Sitoo.

[16]            De plus, le Tribunal s'est arrêté sur des invraisemblances qu'il a lui-même crée d'après ses adhérences à des concepts occidentaux. La demanderesse a expliqué en détail un élément important de sa demande, soit une conférence de presse auquelle elle avait participé. Le Tribunal croyait que Mme Bonkendo Sitoo parlait plutôt d'un rassemblement, qu'une conférence de presse et que ceci entamait sa crédibilité. Le Tribunal s'est attardé à des points mineurs qui n'avaient aucune importance, qui impliquaient des inférences culturelles (Bains v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1993] F.C.J. No. 497 (T.D.) (QL); Ye c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. No. 584 (C.F.A.) (QL)).

[17]            On a aussi reproché à Mme Bonkendo Sitoo d'avoir détruit son billet d'avion et le passeport qu'elle avait utilisé pour voyager au Canada. En circonstances ordinaires, ceci rendrait très difficile de vérifier l'itinéraire de la demanderesse. Cependant, la demanderesse a donné le nom qu'elle avait utilisé pour voyager et les vols qu'elle avait pris, en détail.

[18]            Il est raisonnable de s'attendre à ce que le Tribunal vérifie des informations qui sont importantes à la revendication du statut de réfugié si elle en a la possibilité de le faire (Florez v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) 2004 FC 1230, [2004] F.C.J. No. 1478 (QL)). Cette analyse est conforme aux principes énoncés au paragraph 196 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le "Guide du HCNUR", qui lit:

196.      C'est un principe général de droit que la charge de la preuve incombe au demandeur. Cependant, il arrive souvent qu'un demandeur ne soit pas en mesure d'étayer ses déclarations par des preuves documentaires ou autres, et les cas où le demandeur peut fournir des preuves à l'appui de toutes ses déclarations sont l'exception bien plus que la règle. Dans la plupart des cas, une personne qui fuit la persécution arrive dans le plus grand dénuement et très souvent elle n'a même pas de papiers personnels. Aussi, bien que la charge de la preuve incombe en principe au demandeur, la tâche d'établir et d'évaluer tous les faits pertinents sera-t-elle menée conjointement par le demandeur et l'examinateur. Dans certains cas, il appartiendra même à l'examinateur d'utiliser tous les moyens dont il dispose pour réunir les preuves nécessaires à l'appui de la demande. Cependant, même cette recherche indépendante peut n'être pas toujours couronnée de succès et il peut également y avoir des déclarations dont la preuve est impossible à administrer. En pareil cas, si le récit du demandeur paraît crédible, il faut lui accorder le bénéfice du doute, à moins que de bonnes raisons ne s'y opposent.

                                        ORDONNANCE

La Cour ordonne que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision de la Commission est rejetée et l'affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci procède à une nouvelle audition et statue à nouveau sur l'affaire. Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

« Sean Harrington »

                                                                                                     Juge                    


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-309-04

INTITULÉ :                                                    CHANTAL MODRI BONDENKO SITOO

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 7 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                                                LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 1 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy                                                POUR LE DEMANDEUR

Lucie St-Pierre                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Istvanffy                                                POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur Général du Canada


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