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Date : 20031024

Dossier : T-340-92

Référence : 2003 CF 1238

ENTRE :

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                             intimée (demanderesse)

                                                                                   et

                                                   SMILING SPRUCE FARMS LTD.

                    (également connue sous la dénomination SMILING SPRUCE FARMS)

                                                  et WALTER THEODORE BARTEL

                                                  (aussi appelé WALTER T. BARTEL)

                                                    (aussi appelé WALTER BARTEL)

                                                                                                                             requérants (défendeurs)

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION


[1]                 Par un avis de requête déposé le 6 octobre 2003, Walter Theodore Bartel (M. Bartel) a interjeté appel de l'ordonnance rendue par la protonotaire Aronovitch en date du 29 septembre 2003, et demandé la radiation de la requête sur laquelle se fonde cette ordonnance. Dans sa requête, M. Bartel demande également à la Cour de prononcer une ordonnance portant radiation de la déclaration déposée en l'espèce dans la mesure où elle le concerne personnellement :

[traduction] [...] en raison du retard injustifié de la demanderesse à intenter des poursuites et du préjudice extrême que cette situation a causé au défendeur Walter Bartel [...]

[2]                 J'ai entendu les requêtes de M. Bartel à Winnipeg, au Manitoba, le 20 octobre 2003. Les deux parties ont soulevé des objections au sujet de certaines formalités liées à l'audience et du processus ayant mené à celle-ci. Comme M. Bartel, qui se représente lui-même, était présent dans la salle d'audience et que la Couronne était représentée, et comme il a fallu beaucoup de temps pour faire avancer l'affaire, je me suis fondé sur l'article 3 des Règles de la Cour fédérale (1998)[1] pour écarter les objections de forme et de procédure et poursuivre l'audition des requêtes de façon à permettre d'apporter une solution aux requêtes qui soit la plus expéditive et économique possible. Je suis convaincu qu'aucune des parties n'a subi de préjudice important du fait des vices de forme et de procédure.


[3]                 Le présent litige dure depuis longtemps. La transaction qui lui a donné naissance a été conclue entre septembre 1986 et la mi-février 1987. La demanderesse a introduit sa déclaration le 11 février 1992 et M. Bartel a déposé sa défense le 22 avril 1992. Aucune défense n'a jamais été produite pour le compte de la personne morale poursuivie. Aucune autre mesure n'a été prise jusqu'au 6 août 1999, date où la Cour a procédé à un examen de l'état de l'instance. À cette occasion, la Cour a ordonné que l'instance soit poursuivie à titre d'instance à gestion spéciale et, par une ordonnance datée du 26 janvier 2000, la protonotaire Aronovitch a été désignée comme juge responsable de la gestion de l'instance.

[4]                 Depuis son affectation à titre de juge responsable de la gestion de l'instance, la protonotaire Aronovitch s'est acquittée de ses obligations avec diligence mais, au printemps 2003, aucune date n'avait encore été fixée pour l'instruction de l'affaire.

[5]                 Dans une direction délivrée le 24 mars 2003, la protonotaire Aronovitch, à la suite d'une audience préparatoire à l'instruction, a donné aux parties l'occasion de présenter des observations écrites avant la reprise de la conférence préparatoire. Pour une raison quelconque, M. Bartel n'a produit aucune observation écrite dans le délai imparti. Par conséquent, la protonotaire Aronovitch a délivré une autre directive le 25 août 2003, laquelle est ainsi rédigée :

[traduction] Comme M. Bartel a choisi de ne pas donner suite à sa défense dans la présente action, la Couronne peut, au plus tard le 4 septembre 2003, présenter une requête afin d'obtenir la radiation de la défense.


[6]                 Or, M. Bartel n'a pas répondu à cette autre directive. Le 3 septembre 2003, la Couronne a donc demandé à la Cour de radier la défense de M. Bartel. Pour des raisons qu'il m'a exposées en détail à l'audience, M. Bartel a à nouveau omis de répondre à cette directive et a attendu au 26 septembre 2003 pour présenter par écrit une demande de directives. La protonotaire Aronovitch a par la suite rendu l'ordonnance du 29 septembre 2003 portant radiation de la défense de M. Bartel. Il s'agit de l'ordonnance visée par le présent appel.

REQUÊTE INTERJETANT APPEL DE L'ORDONNANCE DE LA PROTONOTAIRE ARONOVITCH PORTANT RADIATION DE LA DÉFENSE DE M. BARTEL

[7]                 Le critère applicable dans le cadre d'une requête interjetant appel d'une ordonnance rendue par un protonotaire est établi dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd.[2]. La Cour suprême du Canada a récemment approuvé ce critère dans l'arrêt Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Ligne N.V.[3], où le juge Bastarache, au nom de la Cour, s'est exprimé en ces termes au paragraphe 18 :

Le juge des requêtes ne doit modifier l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire que dans les cas suivants : a) l'ordonnance est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire sur le fondement d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits, ou b) le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire relativement à une question ayant une influence déterminante sur la décision finale quant au fond [...]

[8]                 Dans l'arrêt Bande de Sawridge c. Canada[4], le juge Rothstein, rédigeant l'opinion majoritaire, a fait sien le passage suivant tiré d'un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta qui concerne un appel formé à l'égard d'une décision rendue par un protonotaire agissant à titre de juge responsable de la gestion de l'instance :


Nous avons déjà dit et nous tenons à répéter qu'il faut donner une certaine « marge de manoeuvre » au juge responsable de la gestion de l'instance dans une affaire complexe lorsqu'il s'agit de régler des questions interlocutoires interminables et de faire avancer l'affaire jusqu'à l'étape du procès. Dans certains cas, le juge responsable de la gestion de l'instance doit faire preuve d'ingéniosité de façon à éviter que l'on s'embourbe dans un tas de questions procédurales. La Cour n'intervient que dans les cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé.

[9]                 À la lumière des faits dont je suis saisi, la décision frappée d'appel n'est pas une ordonnance qui vise à faire avancer l'action en vue de son instruction. Au contraire, elle a pour effet de mettre fin à la défense à l'action. Cela étant dit, je suis convaincu que le principe énoncé par le juge Rothstein est néanmoins applicable. Lorsque le protonotaire responsable de la gestion de l'instance - lequel, vraisemblablement, connaît beaucoup mieux les faits de l'affaire que le juge siégeant en appel de l'une de ses ordonnances - estime, peu importe la raison, qu'il n'est plus dans l'intérêt de la justice d'autoriser la poursuite d'une action ou de la défense à une action, il faut respecter son jugement. En d'autres termes, le protonotaire responsable de la gestion de l'instance est beaucoup mieux placé que le juge siégeant en appel de l'une de ses ordonnances pour décider quand la poursuite de la défense à une action ne devient rien de plus qu'un abus de procédure.


[10]            Bien que la protonotaire Aronovitch n'ait prononcé aucun motif à l'appui de sa décision de radier la défense produite par M. Bartel dans la présente action, ce n'est pas la première fois que cet acte de procédure est radié. En effet, la défense a déjà été radiée et rétablie à une occasion. Malgré cette mesure, l'action n'a pas vraiment progressé vers l'étape de l'instruction. Comme la protonotaire Aronovitch a décidé, à la lumière de toutes les circonstances et de son expérience à titre de protonotaire responsable de la gestion de l'action, que la responsabilité liée à cette situation incombait à M. Bartel et que la défense de ce dernier devait encore être radiée, je ne puis conclure que cette décision appartient à la catégorie des « [...] cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé [...] » et qu'il y a lieu de la modifier. Par conséquent, malgré les valables observations formulées par M. Bartel pour son propre compte, j'ai informé ce dernier et l'avocat que l'appel interjeté par voie de requête par M. Bartel à l'égard de l'ordonnance de la protonotaire Aronovitch datée du 29 septembre 2003 serait rejeté.

REQUÊTE EN RADIATION DE LA DÉCLARATION DE LA DEMANDERESSE

[11]            Comme il est mentionné plus haut dans les présents motifs, la déclaration a été déposée le 11 février 1992. Elle a été signifiée aux défendeurs le 25 mars 1992. Par la suite, à l'exception du dépôt de la défense de M. Bartel le 22 avril 1992, l'affaire a continué de traîner en longueur jusqu'à ce que la Cour décide d'effectuer un examen de l'état de l'instance le 6 août 1999. Il importe de signaler que, pendant toute cette période, M. Bartel n'a jamais tenté d'invoquer ce retard pour faire radier la demande déposée contre lui. La gestion de l'instance a donc eu lieu. La défense de M. Bartel a été radiée à une occasion, puis rétablie. Elle a ensuite été radiée à nouveau. Malgré ces indices qui permettaient à M. Bartel de penser qu'il pouvait s'adresser à la Cour et demander réparation au titre du retard, il n'a pris aucune mesure afin de tenter d'obtenir le rejet de l'action pour cause de retard ou de défaut de poursuite avant le prononcé de la deuxième ordonnance portant radiation de sa défense.


[12]            Le critère classique à appliquer dans le cas d'une requête en radiation d'une déclaration comporte trois éléments. En premier lieu, le retard est-il excessif? En deuxième lieu, le retard est-il inexcusable? En troisième lieu, les défendeurs sont-ils susceptibles de subir un préjudice grave en raison de ce retard[5]?

[13]            Dans la décision Viacom Ha! Holding Co. c. Madame Unetelle[6], le juge Pelletier, alors juge à la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, a mentionné ce qui suit au paragraphe 35 :

Tout compte fait, on a tardé à faire progresser l'instance, mais il s'agit d'un retard auquel les défendeurs et la Cour ont contribué. Dans ces circonstances, il ne serait pas approprié de rejeter la demande pour cause de retard ou pour abus de procédure. Le processus de gestion d'instance constitue une meilleure façon de traiter le problème.


Même si aucune allégation relative à la contribution de la Cour au retard occasionné dans la progression de la présente affaire n'a été formulée, il est certainement possible de considérer que M. Bartel a contribué à ce retard. Le problème du retard a été examiné dans le cadre du processus de gestion de l'instance lorsque la protonotaire Aronovitch a une deuxième fois ordonné la radiation de la défense de M. Bartel. La protonotaire Aronovitch aurait également pu ordonner la radiation de la déclaration, mais la Cour ne peut que présumer qu'elle a conclu à cet égard qu'au moins depuis l'introduction de la gestion de la présente action, il était plus sage d'attribuer le retard à M. Bartel et de radier sa défense. Quant au retard précédant le début de la gestion de l'instance, si la Cour avait estimé qu'il justifiait la radiation de la déclaration, cette mesure aurait pu être prise beaucoup plus tôt dans l'instance. De toute évidence, cela ne s'est pas produit.

[14]            Dans les circonstances, compte tenu de la décision de la protonotaire Aronovitch de radier la défense de M. Bartel et de ma décision de ne pas modifier l'ordonnance de la protonotaire Aronovitch, j'ai décidé de ne pas radier la déclaration de la demanderesse, ce dont j'ai informé l'avocat et M. Bartel à la suite du débat sur cette question.

DÉPENS

[15]            Les deux parties devant moi réclament des dépens. Comme la demanderesse a entièrement obtenu gain de cause dans le cadre des deux requêtes dont je suis saisi, il devrait normalement en aller de même pour les dépens. Cela étant dit, et compte tenu du long historique de la présente action, le fait que M. Bartel se soit représenté lui-même et que le retard à faire progresser l'affaire jusqu'à l'instruction soit au moins partiellement attribuable à la demanderesse tout autant qu'à M. Bartel me justifie d'exercer mon pouvoir discrétionnaire de n'adjuger aucuns dépens relativement aux requêtes présentées devant moi.


RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS

[16]            Par conséquent, l'appel par voie de requête interjeté par M. Bartel à l'égard de l'ordonnance de la protonotaire Aronovitch rendue en l'espèce le 29 septembre 2003 sera rejeté. La requête de M. Bartel visant la radiation de la déclaration de la demanderesse sera également rejetée. Aucuns dépens ne seront adjugés au titre des requêtes dont je suis saisi.

                « Frederick E. Gibson »                

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 24 octobre 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                               T-340-92

INTITULÉ :                              SA MAJESTÉ LA REINE

c.

SMILING SPRUCE FARMS LTD.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                REQUÊTE ENTENDUE À WINNIPEG (MANITOBA)

                                                         

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 20 octobre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                     Le 24 octobre 2003

COMPARUTIONS :

Chris Bernier                               POUR L'INTIMÉE (DEMANDERESSE)

Walter Bartel                               REQUÉRANT (DÉFENDEUR), POUR SON PROPRE COMPTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chris Bernier                              POUR L'INTIMÉE (DEMANDERESSE)

Ministère de la Justice

Bureau régional de la Saskatchewan

Saskatoon (Sask.) S7K 7E6

Walter Bartel                               REQUÉRANT (DÉFENDEUR), POUR SON PROPRE COMPTE



[1]         DORS/98-106.

[2]         [1993] 2 C.F. 425 (C.A.).

[3]         (2003), 30 C.P.C. (5th) 1.

[4]         [2002] 2 C.F. 346 (C.A.).

[5]         Voir Ruggles c. Fording Coal Ltd. (1998), 152 F.T.R. 96, au paragraphe 3.

[6]         [2002] A.C.F. no 23 (Q.L.) (C.F. 1re inst.).


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