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Date : 20051220

Dossier : IMM-9498-04

Référence : 2005 CF 1715

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

AIDA ZENUNAJ

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 74 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), qui vise la décision en date du 9 novembre 2004 par laquelle une agente d'expulsion, Yashmin Damji, a rejeté la demande de Mme Zenunaj en vue de différer son renvoi du Canada en exécution d'une mesure de renvoi valide.

[2]                La demanderesse, citoyenne d'Albanie, vit au Canada depuis le 15 octobre 2000. Elle et son époux sont venus au Canada et ont présenté des demandes d'asile fondées sur leur engagement politique au sein du Parti démocratique d'Albanie. Leurs demandes ont été rejetées à la suite d'une audience conjointe devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, la Commission ayant conclu principalement que l'époux n'était pas un témoin crédible et que leurs documents n'étaient pas fiables. La demanderesse n'a pas témoigné.

[3]                Une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d'ordre humanitaire (demande CH), datée du 15 avril 2003, a été déposée pour le compte de la demanderesse et de son époux. L'avocate qui les représentait a précisé, dans une lettre d'accompagnement portant la même date, que les documents déposés comprenaient notamment la preuve du paiement des droits exigibles pour le traitement de la demande.

[4]                Les dossiers du défendeur indiquent que la demande a été retournée le 20 juin 2003 ou aux alentours de cette date, sans avoir été traitée. Selon le dossier informatisé, elle a été retournée parce que les renseignements exigés dans le formulaire concernant l'historique des emplois et des adresses n'avaient pas été fournis et parce que les droits exigibles n'avaient pas été payés. Il est consigné au dossier que la demande a été renvoyée par la poste à l'ancienne avocate de la demanderesse. Or, celle-ci a souscrit un affidavit dans lequel elle affirme qu'il n'existe à son bureau aucune trace de ce renvoi. Cependant, l'agente Damji n'était pas en possession de cet affidavit au moment où elle a rendu sa décision.

[5]                La demanderesse a un fils né au Canada en décembre 2002. Son époux a été renvoyé du Canada en novembre 2003 en raison de ses activités criminelles, mais Mme Zenunaj et son fils y sont demeurés. L'époux est rentré illégalement au Canada peu de temps après son renvoi; la demanderesse a appris son retour en avril 2004 alors que, allègue-t-elle, il a communiqué avec elle et l'a accusée d'avoir un petit ami et de ne pas s'occuper convenablement de leur fils. La demanderesse soutient que son époux a continué de téléphoner chez elle pour la menacer. Elle soutient qu'il lui a infligé des sévices tant en Albanie qu'au Canada.

[6]                L'époux de la demanderesse a été arrêté en juin 2004 alors qu'il se livrait à d'autres activités criminelles; il a été renvoyé en Albanie en août 2004. La demanderesse allègue que depuis, il continue de lui téléphoner et qu'il a harcelé sa gardienne d'enfants au Canada ainsi que les membres de sa famille en Albanie.   

[7]                Mme Zenunaj a présenté une demande d'évaluation des risques avant renvoi (ERAR) en mars 2004. À cette époque, elle n'avait pas encore été informée du renvoi de sa demande CH. Elle a eu recours à la ligne d'information des services d'immigration, et on lui a dit que rien dans le système du défendeur ne montrait qu'elle avait déposé une demande CH, mais que sa demande d'ERAR avait bien été reçue en mars 2004.

[8]                La demanderesse a retenu les services d'un nouvel avocat, qui a été informé par téléphone le 4 août 2004 que, d'après les dossiers du défendeur, aucune demande CH concernant la demanderesse n'était en cours. L'avocat a reçu une lettre en date du 2 octobre 2004 d'un agent du Centre de traitement des demandes de Vegreville qui confirmait cet état de choses et invitait la demanderesse à déposer une demande CH accompagnée des documents requis et des droits exigibles.

[9]                Le 3 novembre 2004, la demanderesse s'est rendue au Centre d'exécution de la loi du Toronto métropolitain pour connaître le résultat de sa demande d'ERAR. On l'a alors informée de la décision négative de l'agent d'ERAR et on lui a remis une convocation lui enjoignant de se présenter à l'Aéroport international Pearson le 30 novembre 2004. Elle a immédiatement demandé qu'on diffère son renvoi. Elle a confirmé cette demande par lettre en date du 6 novembre 2004, dans laquelle elle a relaté les faits exposés ci-dessus et à laquelle elle a annexé une copie du reçu bancaire du paiement des droits exigibles pour le traitement de sa demande CH ainsi qu'un document de suivi de Fedex confirmant la remise de la demande au Centre de traitement des demandes de Vegreville.

[10]            Le 25 novembre 2004, la Cour a accueilli une requête en sursis d'exécution de la mesure de renvoi jusqu'à ce qu'il soit statué sur la présente demande de contrôle judiciaire, qui porte sur le refus de l'agente de différer le renvoi. La demanderesse a présenté une deuxième demande d'ERAR immédiatement après avoir transmis sa demande visant à différer le renvoi; elle a aussi présenté une deuxième demande CH après que la Cour eut accordé le sursis. Le défendeur a accepté d'imputer à cette demande CH les droits perçus pour la première. La demande d'autorisation de contrôle judiciaire a été accordée le 24 juin 2005. Ni la deuxième demande d'ERAR ni la deuxième demande CH n'avaient encore été tranchées à la date d'audience de la présente instance, le 7 décembre 2005.

LA DÉCISION

[11]            L'agente d'expulsion a refusé de différer l'exécution de la mesure de renvoi prise contre la demanderesse. Dans sa décision, l'agente d'expulsion affirme : [Traduction] « Après avoir étudié votre demande, je suis d'avis que le report de l'exécution de la mesure de renvoi n'est pas justifié dans les circonstances de votre cas. »

[12]            Les « notes au dossier » de l'agente Damji font partie du dossier certifié déposé par les autorités du Centre d'exécution de la loi du Toronto métropolitain. Selon les notes, l'agente savait que la demanderesse avait présenté une deuxième demande d'ERAR fondée sur un nouveau motif, soit la crainte que lui inspire son époux en Albanie. L'agente a déclaré que ce facteur [Traduction] « ne constitue pas un empêchement au renvoi, suivant l'article 165 du Règlement » , faisant ainsi référence au fait que le sursis administratif qu'opère la présentation d'une demande initiale d'ERAR ne s'applique pas dans le cas d'une demande subséquente : Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, article 165.

[13]            L'agente a aussi relevé qu'aucune demande CH n'était en cours, puisque le système informatisé du défendeur indiquait que le dossier concernant la demande présentée par l'époux en mai 2003 avait été fermé. Elle a conclu qu'aucune erreur n'avait été commise au centre de traitement du défendeur, comme l'alléguait la demanderesse dans la demande de report de son renvoi, parce que suivant les informations contenues dans le système, certains renseignements n'avaient pas été fournis et les droits exigibles n'avaient pas été acquittés.

[14]            Quant à l'enfant, alors âgé de deux ans, l'agente a fait observer qu'à cet âge, son intérêt supérieur consistait à demeurer avec sa mère. Elle s'est dite d'avis que les questions de santé et d'éducation ne constituaient pas un problème sérieux. L'enfant avait été confié aux soins d'une gardienne pendant que sa mère était au travail. Mère et enfant auraient besoin de temps pour s'ajuster à leur nouvelle situation et pour s'installer, mais il était dans l'intérêt supérieur de l'un et de l'autre de vivre ensemble en Albanie.

[15]            Mme Zenunaj n'était pas autorisée à travailler au Canada depuis qu'elle avait été avisée de la décision négative relative à L'ERAR et elle ne serait pas en mesure de pourvoir à ses besoins et à ceux de son fils.

[16]            L'agente a conclu qu'après avoir tenu compte des observations de l'avocat de la demanderesse, elle jugeait qu'il n'était ni justifié ni raisonnablement possible de différer le renvoi.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[17]            1.           L'agente d'expulsion a-t-elle fait erreur en refusant la demande visant le report du renvoi de la demanderesse?

      2.         L'agente a-t-elle omis de tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant              de la demanderesse?

DISPOSITION LÉGISLATIVE

[18]            La disposition législative applicable est l'article 48 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d'effet dès lors qu'elle ne fait pas l'objet d'un sursis.

(2) L'étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

[Non souligné dans l'original]

48. (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it has been made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable. [emphasis added]

ARGUMENTS ET ANALYSE

La norme de contrôle

[19]            Dans l'examen des actes de nature administrative, il convient d'établir en premier lieu la norme de contrôle applicable à la décision contestée. Aucune des deux parties n'a abordé cette question dans ses observations. Dans la décision Adviento c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2003), 242 F.T.R. 295, 2003 CF 1430, le juge Luc J. Martineau a appliqué la méthode d'analyse pragmatique et fonctionnelle pour conclure que la norme de contrôle applicable à la décision d'un agent de renvoi est celle de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, dans cette décision, le juge Martineau a aussi écrit au paragraphe 29 :

En l'espèce, l'agente chargée du renvoi a pris une décision essentiellement factuelle. Conformément à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, la décision devrait uniquement être examinée si elle a été rendue de façon « abusive » ou « arbitraire » ou sans que l'agente chargée du renvoi tienne compte des éléments dont elle disposait. Comme il en a déjà été fait mention, les termes forts de cette disposition, « abusive » et « arbitraire » , donnent à entendre que les décisions factuelles doivent être examinées selon la norme de la « décision manifestement déraisonnable » [...]

[20]            La Cour a cité le passage qui précède dans des décisions postérieures à l'appui de la conclusion selon laquelle la norme applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable : Hailu c. Canada (Solliciteur général) (2005), 27 Admin. L.R. (4th) 222, 2005 CF 229; J.B. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1720, [2004] A.C.F. no 2094 (QL). La Cour suprême du Canada a définitivement confirmé cette conclusion dans l'arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, 2005 CSC 40, pour ce qui est des décisions factuelles d'un agent. La Cour suprême a jugé au paragraphe 38 que le tribunal de révision doit manifester une grande déférence à l'égard de ce type de décision. Voir aussi l'arrêt Canadian Pasta Manufacturers' Assn. c. Aurora Importing & Distributing Ltd. (1997), 208 N.R. 329 aux paragraphes 6 et 7, [1997] A.C.F. no 115 (QL) (C.A.F.).

[21]            En appliquant la méthode l'analyse pragmatique et fonctionnelle ainsi que l'a prescrit la Cour suprême dans l'arrêt Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19, je conclus que les facteurs suivants sont pertinents pour arrêter la norme de contrôle :

·         la décision en cause de l'agente d'expulsion n'est pas protégée par une clause privative et ne peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire qu'avec l'autorisation de la Cour - ce facteur favorise la déférence envers le décideur;

·         l'expertise de l'agente d'expulsion quant aux circonstances dans lesquelles un renvoi peut être exécuté est plus grande que celle de la Cour, bien que la Cour ait une expertise dans l'examen de la question de savoir si un sursis d'exécution de la mesure de renvoi devrait ou non être accordé; il s'agit donc, tout bien pesé, d'un facteur neutre;

·         le troisième facteur, l'objet de la loi, incite clairement à la déférence puisqu'il contraint les personnes visées par une mesure de renvoi exécutoire à « immédiatement quitter le territoire du Canada » et ordonne que le renvoi soit exécuté « dès que les circonstances le permettent » ;

·         enfin, la nature de la question invite aussi à la déférence; l'enquête de l'agent d'expulsion qui examine une demande de report est essentiellement fondée sur les faits et dépend du contexte.

           

[22]            En conséquence, je suis convaincu que la norme de contrôle applicable au refus de l'agente de différer le renvoi est celle de la décision manifestement déraisonnable. Constitue une décision manifestement déraisonnable la décision « clairement irrationnelle » ou « de toute évidence non conforme à la raison » , viciée à un point tel qu'aucun degré de déférence judiciaire ne saurait justifier son maintien : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 52, 2003 CSC 20. Dans l'arrêt Voice Construction Ltd. c. C.G.W.U., [2004] 1 R.C.S. 609 au paragraphe 18, 2004 CSC 23, la Cour suprême a dit que pour être manifestement déraisonnable, la décision doit être si manifestement erronée « qu'il doit s'agir d'une décision frôlant l'absurde » .

1.         L'agente a-t-elle fait erreur en refusant de différer le renvoi?

[23]            Le principal argument de la demanderesse relativement à cette question est que l'agente a fait erreur en n'acceptant pas l'avis qu'elle a reçu de son avocat, dans lequel celui-ci informait l'agente du dépôt d'une deuxième demande d'ERAR fondée sur des motifs différents de ceux formulés dans la demande initiale, refusée en septembre 2004. L'agente d'expulsion n'a effectué aucune démarche pour enquêter sur les allégations de risque exposées dans la deuxième demande d'ERAR. Sa décision écrite refusant la demande en vue de faire différer l'exécution de la mesure de renvoi a été rendue le 9 novembre 2004, le lendemain du dépôt de la deuxième demande d'ERAR.

[24]            À titre subsidiaire, la demanderesse fait valoir que l'agente aurait dû tenir compte de l'information qui lui avait été transmise selon laquelle la demande CH qu'elle avait présentée avait vraisemblablement été égarée au Centre de traitement de Vegreville ou lors du renvoi de la demande au bureau de l'avocate qui la représentait alors. L'agente d'expulsion avait l'obligation d'agir équitablement et elle a failli à cette obligation en refusant la demande visant à différer le renvoi pour permettre à la demanderesse de déposer une nouvelle demande CH. Elle a omis de prendre en compte les circonstances exceptionnelles de la demanderesse, dont la demande, présentée quelque dix-neuf mois plus tôt, avait été égarée à la suite d'une confusion administrative.

[25]            La demanderesse soutient que l'agente pouvait facilement remarquer que les risques exposés dans la demande pour différer le renvoi étaient différents de ceux que l'agente d'ERAR avait examinés dans la décision du 8 septembre 2004. Si l'agente s'était renseignée, elle aurait vu clairement qu'aucune évaluation adéquate du risque auquel était exposée la demanderesse n'avait été effectuée et qu'il était nécessaire qu'elle procède à cet exercice pour prendre une décision éclairée sur l'opportunité en l'espèce d'exercer son pouvoir discrétionnaire quant à la demande de report du renvoi.

[26]            Pour étayer cet argument, la demanderesse s'appuie principalement sur la déclaration suivante du juge Frederick Gibson dans la décision Saini c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 4 C.F. 325 au paragraphe 19, 150 F.T.R. 148 :

[U]n agent chargé du renvoi peut tenir compte d'une preuve concluante au sujet du risque que représente le renvoi de la personne visée dans un pays de destination donné et se demander si une évaluation du risque a été effectuée de façon appropriée et une décision prise à cet égard, simplement pour savoir s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi.

[27]            Dans la décision Saini, rendue sous le régime de l'ancienne Loi sur l'immigration, la mesure de renvoi contre le demandeur avait été prise par suite d'un avis de danger émis par le ministre portant que le demandeur constituait un risque pour la sécurité du public. Toutefois, aucune évaluation n'avait été faite ni aucune décision rendue concernant le risque auquel le demandeur pourrait être exposé du fait de son renvoi. C'est dans ce contexte que le juge Gibson a déclaré que le demandeur avait droit à ce qu'une telle évaluation soit faite à son égard avant son renvoi.

[28]            Dans le cas présent, une évaluation des risques avant renvoi a déjà été effectuée, et une décision portant que la demanderesse ne serait pas exposée à un risque advenant son retour dans son pays a déjà été rendue. La première demande d'ERAR a été déposée après que l'époux de la demanderesse a été renvoyé du Canada et il était loisible à la demanderesse, dès cette époque, de décrire les mauvais traitements que son époux lui avait infligés et sa crainte qu'il ne lui fasse du mal si elle devait rentrer dans leur pays d'origine.

[29]            La seule explication offerte pour justifier que la demanderesse a omis de mentionner ces problèmes dans les observations au soutien de sa demande d'ERAR a été formulée par son avocate durant la plaidoirie : la demanderesse, à cette époque, n'avait plus d'avocat et la consultante en immigration qui la représentait alors a omis de faire état du nouveau facteur de risque que constituaient les menaces de l'époux; elle s'est contentée de reprendre le récit douteux de persécution politique que la Commission avait rejeté au motif qu'il n'était pas crédible. Toutefois, bien qu'il soit regrettable que la demande n'ait pas traité des facteurs de risque personnels, il incombait à la demanderesse de s'assurer que la preuve et les arguments présentés à l'agent d'ERAR étaient complets et à jour.

[30]            Comme l'a fait observer le juge Dubé dans Jamal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 766 (QL), 2001 CFPI 494, les personnes qui invoquent un nouveau risque à la dernière minute s'exposent à ce qu'on ne lui accorde pas une grande importance. Ainsi qu'il écrit au paragraphe 7, « l'agent de renvoi ne peut examiner cette demande que lorsque le risque allégué est évident et très grave et qu'il était impossible de l'invoquer précédemment » .

[31]            Les agents d'exécution jouissent d'une certaine flexibilité dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire néanmoins limité; ils peuvent tenir compte de divers facteurs susceptibles d'empêcher ou de retarder l'exercice de leur devoir de renvoyer les personnes concernées « dès que les circonstances le permettent » , par exemple des facteurs liés à la sécurité ou à la santé personnelle de la personne sous le coup d'une mesure de renvoi : Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 614, [2003] A.C.F. no 805 (1re inst.) (QL); Pavalaki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 338 (C.F. 1re inst.) (QL); Boniowski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1161, [2004] A.C.F. no 1397 (QL).

[32]            La Cour a aussi reconnu qu'un agent d'exécution peut considérer le fait qu'une demande fondée sur des considérations d'ordre humanitaire a été présentée au moment opportun dans l'examen visant à décider s'il y a lieu de différer le renvoi : Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 187 F.T.R. 219, 7 Imm. L.R. (3d) 141 (C.F. 1re inst). Cependant, il est bien établi que la seule existence d'une demande CH en instance ne donne pas lieu à l'obligation pour le défendeur de différer le renvoi jusqu'à ce que la demande soit réglée : Shchelkanov c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'Immigration) (1994), 76 F.T.R. 151, [1994] A.C.F. no 496 (C.F. 1re inst.) (QL); Okoawoh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 24 (C.F. 1re inst.) (QL).

[33]            Dès lors, en l'espèce, même s'il était loisible à l'agente de tenir compte des observations de la demanderesse portant que sa demande CH de 2003 a été égarée ou qu'on y a mis fin par erreur, le fait que l'agente a plutôt choisi de se fier à une indication contraire figurant aux dossier du défendeur ne constitue pas, à mon avis, une erreur donnant lieu à révision.

[34]            À la lumière de l'information dont disposait l'agente concernant la récente demande d'ERAR, présentée à la dernière minute, et la demande CH qui aurait été égarée en 2003, la décision de l'agente de ne pas différer le renvoi en raison de ces facteurs n'est pas « clairement irrationnelle » et elle n'est donc pas manifestement déraisonnable.

2.          Le défaut de tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant

[35]            Dans ses observations écrites, la demanderesse fait valoir que l'agente Damji n'a pas accordé l'attention requise à l'intérêt supérieur de l'enfant né au Canada, qui serait directement touché par le renvoi de sa mère, et qu'elle n'a pas du tout abordé cette question dans la lettre laconique par laquelle elle a signifié son refus de différer le renvoi. L'avocate n'a pas insisté sur cet argument dans sa plaidoirie, mais elle a soutenu que l'agente a commis une erreur en ne fournissant pas des motifs plus élaborés quant à l'intérêt supérieur de l'enfant.

[36]            Elle a invoqué l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] J.C.S. no 39 (QL), dans lequel la Cour suprême du Canada a jugé que les décideurs administratifs, comme les agents qui évaluent les considérations d'ordre humanitaire, ont le devoir d'examiner sérieusement l'intérêt supérieur des enfants touchés par la décision.

[37]            Dans la décision Boniowski, mentionnée ci-dessus, j'ai conclu que, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire limité conféré à l'agent d'exécution, celui-ci peut tenir compte de tout problème découlant du renvoi d'un enfant avec ses parents ou évaluer si des dispositions ont été prises pour qu'un enfant soit confié aux soins de tierces personnes au Canada lorsque les parents doivent être renvoyés. Cependant, la loi n'a pas été conçue de façon à permettre aux agents de renvoi de procéder à un examen approfondi du large éventail de facteurs dont il est tenu compte dans l'examen d'une demande fondée sur des considérations d'ordre humanitaire. J'ai aussi jugé que l'exigence relative aux motifs, dans le contexte du renvoi, est minimale.   

[38]            Il ressort clairement des notes incluses dans le dossier présenté par les autorités du Centre d'exécution de la loi du Toronto métropolitain que l'agente, dans sa décision, a évalué quel était [Traduction] « l'intérêt supérieur de l'enfant né au Canada » . Ses notes révèlent qu'à son avis, il allait de l'intérêt supérieur du fils de la demanderesse qu'il demeure avec sa mère. L'agente a examiné les questions relatives à la santé et à l'éducation ainsi que les répercussions du renvoi sur l'enfant. Elle écrit plus particulièrement : [Traduction] « Mère et enfant auront sûrement besoin de temps pour s'ajuster à leur nouvelle vie et pour s'installer, mais il est dans l'intérêt supérieur de l'un et de l'autre de vivre ensemble en Albanie. »

[39]            Je conclus en conséquence que l'agente n'a commis aucune erreur susceptible de révision en ce qui concerne l'intérêt supérieur de l'enfant de la demanderesse. Dans l'ensemble, je suis convaincu que le refus de différer le renvoi n'était pas manifestement déraisonnable; aussi la présente demande doit-elle être rejetée.

[40]            Le défendeur a proposé à la Cour d'examiner la possibilité de certifier une question semblable à celle qui a été certifiée dans la décision Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2001), 214 F.T.R. 282 , 2001 CFPI 1307, dont l'appel a fait l'objet d'un désistement. La question proposée est la suivante :

            [Traduction]

            Quelle est l'étendue et/ou la nature du pouvoir discrétionnaire conféré à un agent de       renvoi dans l'examen d'une demande en vue de différer le renvoi présentée par une personne sous le coup d'une ordonnance de renvoi valide qui fait valoir qu'une demande fondée sur des considérations d'ordre humanitaire est en cours?

[41]            La présente affaire repose en grande partie sur les faits, et j'estime qu'une question formulée en des termes aussi larges ne serait pas déterminante en cas d'appel. Par conséquent, je ne suis pas disposé à certifier la question.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-9498-04

INTITULÉ :                                        AIDA ZENUNAJ

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 7 décembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                       Le 20 décembre 2005

COMPARUTIONS :

Marjorie Hiley

POUR LA DEMANDERESSE

David Tyndale

            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marjorie Hiley

Flemington Community Legal Services

Toronto (Ontario)

                   POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

            POUR LE DÉFENDEUR

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