Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20030723

Dossier : T-1119-02

Référence : 2003 CF 914

ENTRE :

                                             GUNTHER MAX WILLI MIELKE

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                         défendeur

et

           LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

                                                                                                                                     intervenante

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]         La Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) demande l'autorisation d'intervenir non pas pour défendre sa décision ni pour traiter de la question de la norme de contrôle, mais plutôt pour traiter de la jurisprudence, du régime légal et des considérations de droit administratif sous-jacentes qui se rapportent aux deux questions soulevées par le demandeur :


(i)          La Commission doit-elle motiver ses décisions?

(ii)         Quels sont les droits et obligations de la Commission lorsqu'elle reçoit une opinion juridique?

Cela revient à défendre la compétence de la Commission ou en fait partie intégrante.

[2]         J'arrive à la conclusion que la Commission devrait avoir qualité d'intervenante parce qu'elle peut remplir les critères d'intervention exposés dans la décision Canadian Broadcasting Corp. c. Graham (1998), 155 F.T.R. 257 (C.F. 1re inst.). Ces critères, qui ont été énoncés dans Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Procureur général), [1990] 1 C.F. 74 (C.F. 1re inst.), confirmé [1990] 1 C.F. 90 (C.A.F.), ont été rappelés par Monsieur le juge Dubé qui en a appliqué quelques-uns dans la décision Lee c. Commission canadienne des droits de la personne (1996), 108 F.T.R. 75. D'ailleurs, Monsieur le juge Rouleau a précisé très clairement dans la décision Rothmans qu'il n'était pas nécessaire de remplir tous les critères pour avoir la qualité d'intervenant (voir la décision Rothmans, Section de première instance, à la page 82). Les facteurs ou critères sont les suivants :

(1)         La personne qui se propose d'intervenir est-elle directement touchée par l'issue du litige?

(2)         Y a-t-il une question qui est de la compétence des tribunaux ainsi qu'un véritable intérêt public?

(3)         S'agit-il d'un cas où il semble n'y avoir aucun moyen raisonnable ou efficace de soumettre la question à la Cour?

(4)         La position de la personne qui se propose d'intervenir est-elle défendue adéquatement par l'une des parties au litige?

(5)         L'intérêt de la justice sera-t-il mieux servi si l'intervention demandée est autorisée?   

(6)         La Cour peut-elle entendre l'affaire et statuer sur le fond sans autoriser l'intervention?


[3]         Ayant tenu compte en l'espèce de tous les critères, je conclus que la Commission est à coup sûr touchée directement par le litige tout comme par son issue. De plus, la question posée est de la compétence des tribunaux et devrait soulever un intérêt public. Le critère de l'absence d'un moyen raisonnable ou efficace de soumettre la question à la Cour commande quelques observations. Il y a deux cas dans lesquels les questions dont la Commission veut traiter pourraient éventuellement être soumises à la Cour. Cependant, il n'est pas du tout certain que l'une ou l'autre de ces causes soit entendue un jour ni qu'un juge ou la Cour d'appel ait éventuellement à statuer sur celles-ci. Je n'ai pas l'impression que la position de la Commission pourrait être présentée et défendue adéquatement par l'une des parties à l'instance; d'ailleurs, le Procureur général du Canada, défendeur en l'espèce, consent à ce que la Commission intervienne. L'intérêt de la justice serait certainement mieux servi si tel était le cas puisque, sans l'aide de la Commission, il est peu probable que les parties présentent à la Cour des documents lui permettant de trancher les questions concernant la Commission.

[4]         J'ajouterais même qu'à mon avis, le tribunal peut fort bien apporter en l'espèce une contribution particulière à l'instance en portant à l'attention de la Cour des considérations qui reposent sur la compétence et les connaissances spécialisées de la Commission, considérations [traduction] « qui peuvent rendre raisonnable ce qui autrement paraîtrait déraisonnable à quelqu'un qui n'est pas versé dans les complexités de ce domaine spécialisé » , une observation faite par Monsieur le juge Taggart dans l'arrêt British Columbia Government Employees' Union c. Industrial Relations Council (1988), 26 B.C.L.R. (2d) 145, 32 Admin. L.R. 78 (C.A.C.-B.) dans le passage suivant :


[traduction] Le principe selon lequel un tribunal administratif ne devrait pas comparaître pour défendre le bien-fondé de sa décision repose traditionnellement sur l'impression qu'il serait malséant et déplacé pour lui de se mettre dans cette position. Mais lorsque le point en litige devient, notamment en relation avec le critère de l'interprétation manifestement déraisonnable, la question de savoir si la décision était raisonnable, il existe une raison de principe impérieuse de permettre au tribunal de présenter des arguments. En effet, le tribunal est le mieux placé pour attirer l'attention de la cour sur les considérations, enracinées dans la compétence ou les connaissances spécialisées du tribunal, qui peuvent rendre raisonnable ce qui autrement paraîtrait déraisonnable à quelqu'un qui n'est pas versé dans les complexités de ce domaine spécialisé. Il peut arriver, dans certains cas, que les parties au différend ne présentent pas adéquatement ces considérations à la cour, soit parce qu'elles n'en perçoivent pas l'importance, soit parce qu'elles estiment ne pas avoir intérêt à le faire.

Le juge La Forest, dans l'arrêt CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983 à la page 1016, a souscrit à ces propos qu'exposait le juge Taggart dans l'arrêt B.C.G.E.U. Je le répète, il ne s'agit pas en l'espèce d'un tribunal administratif qui veut défendre la justesse de sa décision, ce qui serait malséant et déplacé. C'est plutôt que la Commission, en tant que tribunal concerné, pourrait mieux servir l'intérêt de la justice en aidant la Cour à instruire les deux questions pointues et à statuer sur celles-ci.

[5]         Le demandeur, M. Mielke, présente un argument valable en soutenant qu'une intervention de la Commission retarderait ou compliquerait l'instance. Je signale toutefois qu'une date d'audience a déjà été demandée, bien que la Cour n'ait pas encore répondu à la demande. Un retard, qui serait minime à mon avis, ne m'inquiète pas outre mesure puisque M. Mielke, probablement parce qu'il connaît mal les règles de la Cour, a reçu un Avis d'examen de l'état de l'instance parce qu'il n'a pas donné suite avec diligence à sa demande de contrôle judiciaire. Il s'ensuit que cette affaire est maintenant une instance à gestion spéciale.


[6]         Je ne crains pas non plus particulièrement d'alourdir la charge de travail de la Cour en autorisant la Commission à intervenir, puisque les questions soulevées par cette dernière sont des questions qu'il faut finir par trancher de toute façon. En outre, si ces questions pouvaient être tranchées plus rapidement dans des actions parallèles, je suis convaincu que la Commission fera ce qu'il faut en se retirant du dossier.

[7]         La question qui reste à trancher est celle des conditions auxquelles la Commission devrait être autorisée à intervenir. En l'espèce, les conditions devraient être très générales. Je crois, comme l'avocat de la Commission, que sur les deux questions exposées ci-dessus, le devoir de motiver les décisions et les droits et obligations eu égard à une opinion juridique, la Commission, en qualité d'intervenante, peut déposer un mémoire des faits et du droit, assister à l'audience et présenter une plaidoirie, se faire signifier les documents des parties et avoir le droit d'en appeler de la décision sur les deux questions qui l'intéressent.

[8]         Ni la Commission ni le demandeur n'ayant soulevé la question des dépens, aucuns ne sont adjugés.

« John A. Hargrave »

       Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

23 juillet 2003

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                           COUR FÉDÉRALE

                                       SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                           AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

DOSSIER :                                                                         T-1119-02

INTITULÉ :                                                                        Gunther Max Willi Mielke

c.

Procureur général du Canada

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                     Monsieur le protonotaire Hargrave

DATE DES MOTIFS :                                                   Le 23 juillet 2003

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Gunther M W Mielke                    

Andrea Wright

LE DEMANDEUR en son propre nom

                                         

POUR L'INTERVENANTE PROPOSÉE la Commission canadienne des droits de la personne

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gunther M W Mielke

Vancouver (Colombie-Britannique)

Andrea Wright

Commission canadienne des droits de la personne

Ottawa (Ontario)

LE DEMANDEUR en son propre nom

                                      

                                      

                                      

POUR L'INTERVENANTE PROPOSÉE la Commission canadienne des droits de la personne

                                      

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.