Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                                                       

                                                                                                                                           Date : 20030211

                                                                                                                             Dossier : IMM-4344-01

                                                                                                           Référence neutre : 2003 CFPI 144

Ottawa (Ontario), le 11 février 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER

ENTRE :

                                                   RAYMOND IZUFIOLLIS EZEBUO

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Dans la présente demande, le demandeur sollicite l'annulation de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) en date du 14 août 2001.


[2]         Le demandeur est un citoyen du Nigéria, âgé de 28 ans, qui est arrivé au Canada le 31 janvier 1999, et a immédiatement manifesté son intention de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention. À l'appui de sa demande, le demandeur a allégué une crainte de persécution de la part des « Ogboni » qui l'ont recherché, trouvé, battu et torturé parce que la famille de M. Eze Ego, le défunt dirigeant des Ogboni qui avait perdu la vie dans un accident, lui avait imputé sa mort. Le demandeur a également allégué que le gouvernement nigérian et la police ne pouvaient pas le protéger vu que certains membres de la société des Ogboni étaient membres du gouvernement et influençaient le comportement de la police. Dans le dossier dont disposait le tribunal, les Ogboni sont présentés comme une société secrète ou un culte.

[3]         La CISR a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, principalement parce qu'elle n'a trouvé aucun lien entre la revendication du demandeur et les motifs reconnus par la Convention. La CISR a conclu que même si elle acceptait l'allégation d'enlèvement et de torture du demandeur par les Ogboni, à la demande de la famille de M. Eze Ego, ces actes étaient fondés sur une vendetta individuelle et étaient de nature criminelle; ils n'équivalent pas à de la persécution suivant la définition de réfugié au sens de la Convention donnée par la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. La CISR a également conclu que le demandeur a omis de solliciter la protection de l'État avant de fuir le Nigéria, et qu'il aurait une protection appropriée de l'État contre les Ogboni s'il retournait dans son pays.

[4]         Le demandeur a soulevé deux questions que la Cour doit examiner :

(i)         La CISR a mal interprété la preuve et mal appliqué la définition de réfugié au sens de la Convention en concluant qu'il n'y avait aucun lien entre la revendication du demandeur et les motifs reconnus par la Convention.


(ii)        La CISR a commis une erreur en décidant que le demandeur peut bénéficier d'une protection appropriée de l'État au Nigéria vu que certains documents versés au dossier montraient effectivement que la police ne pouvait pas protéger les citoyens contre la violence interethnique, interreligieuse, collective ou criminelle. D'autres éléments contenus au dossier révélaient qu'à plusieurs occasions liées à des cas de disparition ou de meurtre, les gens ne les signalent pas à la police par crainte de représailles et ceux qui osent porter plainte n'obtiennent pas toujours des garanties de protection de la part de la police.

Analyse

[5]         Il n'y a aucun doute que la situation dans laquelle s'est trouvé le demandeur suscite de la sympathie, mais comme le dit la Cour dans Canada (MEI) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.), aux pages 132 et 133, cette situation n'entraîne pas automatiquement que le demandeur est un réfugié au sens de la Convention. Pour examiner sa revendication, la CISR devait décider si le demandeur était une « personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques » se trouvait hors du pays dont elle a la nationalité [paragraphe 2(1), Loi sur l'immigration, voir maintenant l'article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés , L.C. (2001), ch. 27, (la LIPR)].


[6]         Dans l'arrêt Canada c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a examiné comment l'expression groupe social peut être définie pour conclure que l'appartenance à un groupe social peut servir de fondement du statut de réfugié. Le juge La Forest a décrit trois catégories de « groupe social » entrant dans la définition de réfugié au sens de la Convention :

(1)        les groupes définis par une caractéristique innée ou immuable;

(2)        les groupes dont les membres s'associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu'ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; et

(3)        les groupes associés par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique.

[7]         Le demandeur prétend qu'il se classe dans la première catégorie décrite ci-dessus. Le demandeur soutient qu'être membre d'un groupe persécuté par les Ogboni est une caractéristique innée et immuable parce que, entre autres, une fois visés par les Ogboni, tous les membres de ce groupe craindront toujours d'être persécutés.


[8]         En revanche, le défendeur prétend que les représailles de la part des Ogboni constituent une [TRADUCTION] « situation malléable » qui pourrait prendre fin à tout moment et qui n'existe pas indépendamment de la persécution elle-même. Le défendeur a attiré l'attention de la Cour sur la preuve contenue dans le dossier qui pouvait constituer un motif raisonnable permettant à la Commission de conclure que la persécution du demandeur pourrait cesser à tout moment. Le demandeur lui-même a témoigné que sa mère et un adepte du culte lui avaient dit que la persécution allait diminuer après l'inhumation de M. Eze Ego. En conséquence, d'après le défendeur, les conclusions de la CISR n'étaient pas déraisonnables.

[9]         Dans la décision Serrano c. Canada (M.C.I.) (1999), 166 F.T.R. 227, le juge Sharlow (maintenant juge à la Cour d'appel) a dit :

L'idée qu'un groupe social puisse être identifié uniquement par la persécution dont il est victime ne donnerait aucun effet aux mots « du fait de » qui figurent dans la définition d'un réfugié au sens de la Convention. Je suis d'accord avec le commentaire suivant qu'a fait le juge McHugh dans la décision A. v. Minister for Immigration and Ethnic Affairs (1997), 142 A.L.R. 331, à la page 358 du recueil:

[TRADUCTION]

La seule persécution qui soit pertinente est celle qui est commise pour des motifs d'appartenance à un groupe, ce qui signifie que ce dernier doit exister indépendamment de la persécution et ne pas être défini par elle [...]

[10]       La Cour a également déjà dit que les personnes suivantes n'entrent pas dans la définition d'un groupe social particulier :

·           les personnes qui refusent de se faire extorquer (Karpounin c. MEI (1995), 92 F.T.R. 219 (1re inst.)),

·           les citoyens mexicains respectueux de la Loi (Serrano c. MCI (1999), 166 F.T.R. 227, [1999] A.C.F. no 570 (1re inst.)),

·           les personnes d'une grande force morale opposées au commerce de la drogue (Mason c. Canada (Secrétaire d'État), [1995] A.C.F. 815 (1re inst.)),

·           les victimes du crime organisé (Calero c. Canada (MEI), [1994] A.C.F. 1159 (1re inst.)).


[11]       Je conclus que le demandeur n'a pas démontré que le groupe social auquel il prétend appartenir peut être défini par une caractéristique innée ou immuable ou par une caractéristique qui existe indépendamment de la persécution même qu'il craint. Ainsi, la décision de la CISR qu'il n'y avait aucun lien entre les motifs de la revendication du statut de réfugié et la situation du demandeur n'est pas déraisonnable.

[12]       Dans la présente affaire, ceux qu'on allègue être des persécuteurs ne sont ni l'État ni ses représentants. Dans la décision Zhuravlev c. Canada (MEI), [2000] 4 C.F. 3, le juge Pelletier (maintenant juge à la Cour d'appel) a conclu que lorsque l'agent persécuteur n'est pas l'État « l'absence de protection étatique doit être appréciée au point de vue de la capacité de l'État d'assurer une protection plutôt qu'au point de vue de la question de savoir si l'appareil local a fourni une protection dans un cas donné. »

[13]       Ceci impose un lourd fardeau au demandeur (Canada (MCI) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.)). Dans la décision Sultan c. Canada (MCI), [2002] A.C.F. 1513 (1re inst.), le juge Layden-Stevenson a conclu au paragraphe 12 que « il n'est pas facile de s'acquitter du fardeau d'établir qu'on ne peut se prévaloir de la protection de son propre pays. Le critère est objectif. Pour établir qu'il ne peut pas se réclamer de la protection de son propre pays, le demandeur doit démontrer qu'il lui est physiquement impossible de demander l'aide du gouvernement ou que le gouvernement lui-même ne peut de quelque façon la lui accorder. »


[14]       Il ne suffit pas que le demandeur renvoie à quelques extraits des documents dont dispose la CISR qui étayent sa position pour établir que la CISR a rendu une décision erronée. Manifestement, la CISR a tenu compte du document cité par le demandeur, mais elle a choisi de se fonder sur d'autres articles qui montrent effectivement que la situation au Nigéria s'améliorait et que par-dessus tout le demandeur pourrait bénéficier d'une protection appropriée de l'État.

[15]       Je ne suis pas convaincue que la conclusion de fait de la CISR à cet égard était tirée de façon abusive ou ne tenait pas compte des éléments dont elle disposait (alinéa18.1(4)c), Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985) ch. F-7).

[16]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[17]       Aucune des parties n'a dit que la présente affaire soulevait une question à certifier en application de l'alinéa 74d) de la LIPR.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Johanne Gauthier »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                                   IMM-4344-01

INTITULÉ :                                                                                  Raymond Izufiollis Ezebuo c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                        Le 4 février 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE GAUTHIER

DATE DES MOTIFS :                                                               Le 11 février 2003

COMPARUTIONS :

Donald M. Greenbaum, c.r.                                                           POUR LE DEMANDEUR

Stephen Jarvis                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Donald M. Greenbaum, c.r.                                                           POUR LE DEMANDEUR

258, avenue Wilson

Toronto (Ontario) M3H 1S6

Morris Rosenberg                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

2, First Canadian Place

Bureau 2400, C.P. 36

Tour Exchange

Toronto (Ontario) M5X 1K6

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.