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Date : 20050117

Dossier : IMM-1609-04

Référence : 2005 CF 42

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN                                

ENTRE :

                                                          PETRONELLA EIMANI

                                                                                                                                       demanderesse

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 3 février 2004 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître à la demanderesse la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou de personne à protéger.


LES FAITS

[2]                La demanderesse (qui est née le 1er janvier 1978) est une citoyenne de l'Ouganda âgée de 27 ans. Elle allègue craindre avec raison d'être persécutée du fait qu'elle sera forcée à se marier si elle retourne en Ouganda. La demanderesse soutient qu'après le décès de son père en 1986, elle et sa famille ont déménagé à Kampala, la capitale, pour vivre chez son oncle. Lorsqu'elle a eu 22 ans, l'oncle de la demanderesse l'a présentée à M. Akuti, un ami riche et influent. Il a dit à la demanderesse qu'elle devait l'épouser. La demanderesse a allégué que pendant les deux semaines qu'elles a passées auprès de cet homme, elle a été forcée à cuisiner et à faire le ménage pour sa famille et a été agressée sexuellement.

[3]                Pendant la période en cause, la demanderesse faisait des études en journalisme. Elle affirme avoir réussi à convaincre M. Akuti que ses aspirations politiques seraient bien servies par le fait d'avoir une femme journaliste. Par conséquent, il a accepté qu'elle continue à vivre chez son oncle et que le mariage soit repoussé jusqu'à ce qu'elle ait fini ses études. La demanderesse a obtenu son diplôme en journalisme en août 2001, et elle a commencé un stage peu de temps après. En février 2002, elle a obtenu l'autorisation de participer à la Journée mondiale de la jeunesse qui s'est déroulée à Toronto cet été-là. Elle est arrivée au Canada le 16 juillet 2002, et elle a demandé l'asile trois semaines plus tard.

[4]                Dans son Formulaire de renseignements personnels, la demanderesse allègue qu'elle craint de retourner en Ouganda parce que son futur mari la punira pour avoir fui le pays. Elle craint également que les autorités ougandaises l'arrêteront et la tortureront, compte tenu de la déclaration d'un fonctionnaire du gouvernement qui a affirmé que les citoyens ougandais qui ont demandé l'asile à l'occasion de la Journée mondiale de la jeunesse devaient être arrêtés dans le cadre de l'opération Wembley, un programme de répression brutale visant les criminels ougandais.

LA DÉCISION

[5]                La Commission a rejeté la demande de la demanderesse en se fondant essentiellement sur l'absence de crédibilité de celle-ci. Sa conclusion repose sur les constatations suivantes :

(i)          la demanderesse a commencé à vivre chez son oncle au cours de l'année 2000 et y a vécu jusqu'en juillet 2002 sans être forcée à épouser M. Akuti, malgré leurs fiançailles. La Commission a jugé invraisemblable que la demanderesse ait pu reporter le mariage en persuadant les deux hommes que son diplôme en journalisme allait aider M. Akuti;

(ii)         il était invraisemblable que l'oncle de la demanderesse et M. Akuti ne l'aient pas forcée à épouser celui-ci immédiatement après qu'elle a obtenu son diplôme en journalisme en août 2001. Le stage n'était pas une exigence professionnelle à laquelle elle devait satisfaire pour pouvoir devenir journaliste, et la Commission n'a pas cru que l'oncle de la demanderesse et M. Akuti auraient accepté de repousser aussi loin la date du mariage;

(iii)        la déclaration de la demanderesse selon laquelle elle voulait travailler comme journaliste après son mariage était incompatible avec la façon dont elle aurait été traitée pendant son séjour de deux semaines chez M. Akuti, où elle a été traitée comme une _ esclave _;

(iv)        le fait que la demanderesse ait attendu presque deux ans après avoir appris l'existence du mariage arrangé avant de quitter le pays était incompatible avec l'existence d'une crainte subjective. L'explication de la demanderesse selon laquelle elle n'a pas pu quitter le pays avant n'était pas convaincante étant donné qu'elle s'était rendue au Kenya en 2000 et en Tanzanie en décembre 2000.


[6]                La Commission a également conclu que le profil de la demanderesse ne correspondait pas à celui de la victime type des mariages forcés. Elle a conclu que la demanderesse n'était pas originaire des régions de l'Ouganda où les mariages forcés étaient courants selon la preuve documentaire. De plus, le fait que la demanderesse était instruite et avait voyagé librement donnait à penser qu'elle n'était pas aussi dominée et soumise qu'elle le prétendait.

QUESTIONS EN LITIGE

[7]                Les questions suivantes ont été soulevées :

1.          La Commission a-t-elle mal apprécié la crédibilité de la demanderesse?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n'était pas originaire des régions de l'Ouganda où les mariages forcés étaient courants et qu'il était peu probable que l'opération Wembley soit invoquée dans son cas?

ANALYSE


[8]                Les motifs de la Commission sont bien étayés, et ses conclusions au sujet de la crédibilité de la demanderesse semblent raisonnables compte tenu des nombreuses contradictions relevées dans son témoignage. Plus précisément, la vie qu'elle a menée en tant que membre de profession libérale en formation pouvant voyager librement contraste singulièrement avec l'allégation selon laquelle elle avait un fiancé de longue date qui souhaitait la contrôler et la dominer.

[9]                Cependant, il y a deux erreurs dans les motifs de la Commission. D'abord, la Commission a énuméré les régions de l'Ouganda où le mariage forcé était chose courante, y compris le Nord de l'Ouganda, et a ensuite dit : _ La demandeure n'est originaire d'aucun de ces endroits, elle est de Kampala, la capitale urbaine._ Ceci n'est pas exact. La demanderesse a vécu à Kampala après avoir atteint l'âge adulte, mais elle a clairement mentionné dans son FRP que sa famille était originaire du Nord de l'Ouganda, et que c'est là qu'elle avait passé son enfance après la mort de son père, jusqu'à ce que les choses se détériorent au point où sa famille a dû emménager chez son oncle. La demanderesse a également témoigné devant la Commission qu'elle appartenait à la tribu Madi, qui a traditionnellement recours aux mariages arrangés. De plus, M. Akuti habite dans le Nord de l'Ouganda.

[10]            La Commission n'a mentionné nulle part qu'elle ne croyait pas l'affirmation de la demanderesse selon laquelle elle appartenait à la tribu Madi, qui vit dans le Nord de l'Ouganda. Elle s'est plutôt contentée de dire qu'elle n'était pas originaire du Nord de l'Ouganda, comme s'il n'en avait jamais été question, et elle s'est servie du lieu d'origine de la demanderesse non seulement pour remettre en question le caractère objectif de sa crainte, mais encore pour mettre en doute sa crédibilité.

[11]            Comme la crédibilité de la demanderesse a été expressément mise en doute pour le motif qu'elle n'était pas originaire du Nord de l'Ouganda, alors qu'en fait la demanderesse avait dit qu'elle l'était, et comme une telle conclusion est illogique et inexplicable du point de vue d'un observateur sensé, j'en conclus que la décision de la Commission comporte une conclusion de fait manifestement déraisonnable et doit être renvoyée à celle-ci pour nouvel examen.

[12]            Ensuite, la conclusion de la Commission selon laquelle l'opération Wembley n'allait pas être invoquée dans le cas de la demanderesse est incompatible avec la déclaration d'un ministre ougandais, qui a affirmé qu'on allait y avoir recours à l'égard de certains jeunes Ougandais qui s'étaient rendus au Canada pour participer à la Journée mondiale de la jeunesse et qui avaient ensuite demandé l'asile au Canada. Par conséquent, cette conclusion est elle aussi manifestement déraisonnable.

[13]            Les avocats des parties n'ayant proposé aucune question aux fins de certification, aucune question ne sera certifiée.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission en date du 3 février 2004 est annulée, et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen.

                                   _ Michael A. Kelen _                                                                                                         _______________________________

            Juge

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-1609-04

INTITULÉ :                                        PETRONELLA EIMANI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE JEUDI 13 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                       LE LUNDI 17 JANVIER 2005

COMPARUTIONS:                             

Chris Opoka-Okuma                             POUR LA DEMANDERESSE

Marian Stefanovic                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:          

Chris Opoka-Okuma                                     POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


                         COUR FÉDÉRALE

Date : 20050117

Dossier : IMM-1609-04

ENTRE :

PETRONELLA EIMANI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                              

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                           


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