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Date : 20201020


Dossier : T-412-19

Référence : 2020 CF 989

Ottawa, Ontario, le 20 octobre 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

ARI BEN MENASHE

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Ari Ben Menashe [M. Ben Menashe], allègue s’être fait refuser injustement l’accès à des services bancaires de base par de nombreuses institutions financières canadiennes. Il demande à la Cour donc d’obliger, par voie de mandamus, l’Agence de la consommation en matière financière du Canada [Agence] et le ministère des Finances [Ministère] à enquêter sur ces institutions et à leur décerner les sanctions et ordonnances appropriées, à se prononcer sur le droit du demandeur d’avoir accès aux services bancaires de base ainsi qu’à mettre en place un système de contrôle des décisions des institutions financières.

[2]  Pour les raisons qui suivent, je rejette la demande.

[3]  M. Ben Menashe est un homme d’affaires canadien qui allègue être privé de services bancaires de base par les principales institutions financières canadiennes depuis 2012. Le ministre des Finances est le ministre responsable de l’Agence, constituée en vertu de l’article 3 de la Loi sur l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, LC 2001, c 9 [Loi sur l’Agence].

[4]  Le 29 septembre 2011, la Banque canadienne impériale de commerce [CIBC] a mis fin aux services bancaires de M. Ben Menashe en invoquant le risque pour la réputation de la CIBC ainsi que des préoccupations concernant l’activité de son compte.

[5]  Le 23 décembre 2011, après que M. Ben Menashe ait intenté une demande en injonction pour le maintien de ses services bancaires contre la CIBC, celle-ci et M. Ben Menashe se sont entendus pour le maintien de ces services bancaires jusqu’au 31 janvier 2012, afin de permettre M. Ben Menashe de se trouver une autre institution financière. L’affaire a été réglée et la demande d’injonction retirée.

[6]  Pendant cette période, M. Ben Menashe se serait supposément adressé à toutes les principales institutions financières du Québec, lesquelles, semble-t-il, lui auraient toutes refusé l’accès à des services bancaires de base, et ce, sans énoncer leurs motifs, contrairement à certaines dispositions du Règlement sur l’accès aux services bancaires de base, DORS/2003-184 [Règlement].

[7]  Plus de six ans et demi plus tard, soit le 17 septembre 2018, M. Ben Menashe a transmis une plainte à l’Agence concernant le refus des institutions financières de lui donner accès aux services bancaires de base sans justification écrite. Le 13 décembre 2018, insatisfait des développements de sa plainte auprès de l’Agence, M. Ben Menashe a porté sa plainte auprès du Ministère.

[8]  Le 26 avril 2019, soit après l’introduction du présent recours, le Ministère a répondu aux lettres de M. Ben Menashe du 17 septembre et du 13 décembre 2018.

[9]  M. Ben Menashe allègue que l’Agence et le Ministère n’ont pas fait enquête malgré sa plainte et qu’ils n’ont pas mis en place un système de surveillance des institutions financières. M. Ben Menashe demande à la Cour de décerner un mandamus contre l’Agence et le Ministère leur ordonnant de :

Faire enquête sur les institutions financières suivantes et appliquer les sanctions et ordonnances appropriées de manière à faire respecter les obligations découlant de la Loi sur les banques, LC 1991, c. 46 [Loi sur les banques] et de ses règlements ainsi que de la Loi sur l’Agence relatives au droit du demandeur d’avoir accès aux services bancaires de bases :

Banque de Montréal, Banque Royale du Canada, Banque de Nouvelle-Écosse, Toronto Dominion, Banque Laurentienne du Canada, Fédération des caisses Desjardins du Québec

[Les Banques]

Se prononcer sur le droit du demandeur d’avoir accès aux services bancaires de bases et se prononcer sur la validité des motifs invoqués par les institutions financières, le cas échéant, pour refuser de donner accès au demandeur à ces services, le cas échéant;

Mettre en place un système de contrôle et de révision des décisions prises par les institutions financières et plus particulièrement des décisions prises en vertu de la Loi sur les banques et de ses règlements ainsi que de la Loi sur l’Agence relatives au droit du demandeur d’avoir accès aux services bancaires de base.

[10]  Le défendeur, Procureur général du Canada, soulève plusieurs questions préliminaires, telles que le fait que M. Ben Menashe cherche à obtenir, contrairement à la règle 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [RCF], plusieurs ordonnances pour lesquelles une réparation est demandée et que les RCF nont pas été respectées en ce qui concerne la manière dont le dossier du demandeur a été préparé.

[11]  Compte tenu de ma décision concernant le bien-fondé de la demande de M. Ben Menashe, je n’ai pas à me prononcer sur les questions préliminaires.

[12]  À l’appui de sa demande, M. Ben Menashe ne présente aucune preuve de défaut d’action ou de violation d’une obligation légale, ou même suggérant un vice d’administration de la part de l’Agence ou du Ministère. Bien que, pour des raisons inconnues, le dossier du demandeur contenait un affidavit de documents ainsi qu’une copie des documents qui y sont énumérés, il ne contenait aucun affidavit de la part de M. Ben Menashe pour appuyer les importantes allégations de sa demande, comme l’exigeait la règle 309 des RCF. En fait, aucun affidavit de ce type n’a été signifié au Procureur général du Canada par les procureurs de M. Ben Menashe, comme l’exigeait la règle 306 des RCF.

[13]  Le 5 février 2020, M. Ben Menashe a déposé une requête pour l’autorisation de déposer un affidavit complémentaire, l’autorisation de faire entendre des témoins à l’audience et la prolongation du délai pour déposer une demande d’audience. Hormis la demande de prolongation du délai pour déposer une demande d’audience, la requête a été rejetée par cette Cour le 30 avril 2020.

[14]  De nouveau, le 2 juin 2020, M. Ben Menashe a déposé une deuxième requête, cette fois-ci pour demander l’autorisation de témoigner en personne et oralement lors de l’audience de sa demande de mandamus. Dans une décision très détaillée, la protonotaire Steele a rejeté la requête de M. Ben Menashe le 10 septembre 2020.

[15]  Malgré l’absence d’un affidavit ou de toute preuve à l’appui des importantes allégations de sa demande, M. Ben Menashe a toutefois déposé une demande d’audience le 17 juillet 2020 demandant ainsi une audience d’une durée maximale de trois jours. Par ordonnance en date du 21 septembre 2020, cette Cour a donc ordonné que la présente affaire ait lieu par vidéoconférence Zoom le mardi, 20 octobre 2020 pour une durée de trois jours.

[16]  Quoique l’audience a été fixée pour une durée de trois jours, les parties n’ont eu besoin que de 90 minutes pour traiter de cette affaire. La seule question en litige est de savoir si la demande de mandamus devrait être accordée.

[17]  Les critères classiques pour l’octroi d’un mandamus sont énoncés succinctement par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Santé) c The Winning Combination Inc, 2017 CAF 101 au paragraphe 60 :

(1) Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public;

(2) l’obligation doit exister envers le requérant;

(3) il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation;

(4) lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, des principes additionnels s’appliquent;

(5) le requérant n’a aucun autre recours;

(6) l’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique;

(7) le tribunal estime que rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé;

(8) compte tenu de la balance des inconvénients, une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

[18]  De plus, un courant jurisprudentiel relativement récent a ouvert la porte à l’octroi d’un mandamus dans les cas de vices d’administration (D'Errico c Canada (Procureur général), 2014 CAF 95 au para 16; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c LeBon, 2013 CAF 55 au para 14, citant les motifs dissidents du juge LeBel dans Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44 au para 148).

[19]  Toutefois, M. Ben Menashe ne précise pas dans son mémoire quelle disposition légale obligerait l’Agence ainsi que le Ministre à agir. Il se contente de référer généralement à la Loi sur l’Agence et à la Loi sur les banques.

[20]  Devant moi, M. Ben Menashe a fait valoir que chacune des Banques avait l’obligation, en vertu de l’article 448.1 de la Loi sur les banques, de lui donner accès à un compte bancaire et que si elles refusaient de le faire en vertu du Règlement, elles étaient tenues de lui fournir par écrit les raisons de ce refus, comme le prévoit l’article 5 du Règlement.

[21]  Toutefois, en l’absence de toute preuve légitime que M. Ben Menashe s’est effectivement adressé aux Banques pour avoir accès à un compte bancaire et qu’elles ont refusé de le faire, il me serait difficile de conclure que les Banques ont agi de manière illégale en refusant de fournir les raisons écrites de leur refus.

[22]  M. Ben Menashe a tenté de suggérer que les lettres de plainte envoyées à l’Agence et au Ministère qui étaient jointes à son affidavit de documents, ainsi que celles qui se trouvaient dans le dossier du Procureur général du Canada, prouvent que les Banques lui ont refusé l’accès à un compte bancaire. Franchement, outre le fait d’établir que les lettres de plainte ont été envoyées par ses avocats, je ne vois pas en quoi ces lettres constituent une preuve de leur contenu.

[23]  En l’absence de toute obligation légale claire obligeant l’Agence ou le Ministère d’agir conformément aux ordonnances demandées à la Cour et en l’absence de toute preuve qu’ils ont violé une obligation quelconque envers M. Ben Menashe, je ne vois pas comment je pourrais accorder les ordonnances demandées par ce dernier.

[24]  En conséquence, je rejette la demande de mandamus avec dépens.

[25]  De plus, je considère que l’attribution des dépens en faveur du Procureur général du Canada devrait refléter le fait que cette demande était vouée à l’échec en raison d’un manque total de preuves déposées à l’appui.

[26]  Les procureurs de M. Ben Menashe étaient manifestement conscients des lacunes de leur procédure, comme ils me l’ont d’ailleurs concédé, puisqu’ils ont tenté à deux reprises de remédier la situation, mais ont échoué les deux fois. Plutôt que de s’arrêter là et de retirer sa demande, M. Ben Menashe a procédé au dépôt d’une demande d’audience, mobilisant ainsi de manière inappropriée les ressources de cette Cour et du Procureur général du Canada pour préparer une audience de trois jours. M. Ben Menashe a également laissé entendre que l’audience de trois jours avait été demandée en partant du principe que la Cour autoriserait son témoignage en personne pour compléter sa preuve. Cette hypothèse était non seulement peu judicieuse, mais s’est finalement révélée tout à fait erronée.

 


JUGEMENT au dossier T-412-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Le demandeur paiera au défendeur la somme de 7 500 $ à titre de dépens.

« Peter G. Pamel »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-412-19

 

INTITULÉ :

ARI BEN MENASHE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 OCTOBRE 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 octobre 2020

 

COMPARUTIONS :

Me Meriem Amir

Me Robert Astell

 

Pour le demandeur

Me Marie-Ève Sirois Vaillancourt

Me Sherry Rafai Far

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Astell Lachance Du Sablon De Sua

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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