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Date : 20201026


Dossier : IMM‑6993‑19

Référence : 2020 CF 1004

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 26 octobre 2020

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

ADENIYI IDRIS SANUSI

ARINOLA EUNICE SANUSI

ANUOLUWAPO OLUWADARASIMI SANUSI

ADESOLA OLUWATOYOSI SANUSI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de rejeter la demande d’asile présentée par les demandeurs, aux termes de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]  Les demandeurs, un couple avec deux filles mineures, sont des citoyens du Nigéria. Le 10 septembre 2017, ils se sont envolés pour les États‑Unis, dans une tentative de quitter définitivement leur pays. Aux États‑Unis, la situation politique et les politiques d’immigration leur ont rendu la vie difficile. Le 29 novembre 2017, les demandeurs ont donc quitté les États‑Unis et sont entrés au Canada pour demander l’asile. Le couple refuse de soumettre ses filles à la mutilation génitale féminine [MGF] et craint que, s’ils retournent au Nigéria, les membres de leur famille élargie les traquent pour soumettre leurs filles à cette pratique.

[3]  La SAR a réaffirmé la conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger, parce qu’ils avaient une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Port Harcourt, et qu’ils n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve démontrant que leur réinstallation à Port Harcourt était déraisonnable, compte tenu de leur situation particulière. À cet égard, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la SAR a conclu que la SPR avait correctement appliqué le critère à deux volets établi par la Cour d’appel fédérale dans les décisions Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 [Rasaratnam], et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589.

[4]  Dans ses observations orales devant la Cour, l’avocat des demandeurs se concentre sur le premier volet du critère, qui, selon lui, n’est pas rempli sur le plan juridique, à savoir : le décideur doit être convaincu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y a aucune possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés dans la partie du pays où il constate l’existence d’une PRI (Rasaratnam à la p 710). Ainsi, puisque cette première exigence n’est pas remplie, l’avocat des demandeurs soutient qu’il n’est pas nécessaire maintenant pour la Cour de déterminer si la SAR a commis une erreur en ce qui concerne le deuxième volet du critère, à savoir : la situation dans la partie du pays considérée comme une PRI est telle qu’il ne serait pas déraisonnable, dans toutes les circonstances, y compris la situation propre aux demandeurs, d’y chercher refuge (Rasaratnam aux p 710‑711).

[5]  L’argument des demandeurs est circulaire. En particulier, à l’audience devant la SPR, le commissaire a demandé aux demandeurs s’ils pouvaient [traduction] « se cacher » à Port Harcourt et, ce faisant, il a commis une erreur de droit (dossier du défendeur à la p 55). Dans ses observations orales devant la SPR, l’ancienne conseil des demandeurs a souligné que le fait de pouvoir [traduction] « se cacher » n’était pas la norme applicable (dossier du défendeur aux p 57‑58); le commissaire a rapidement clarifié son énoncé, déclarant qu’il entendait demander si les demandeurs pouvaient [traduction] « vivre » à Port Harcourt, et non [traduction] « se cacher » (dossier du défendeur à la p 61). Bien que la SPR ait renvoyé au critère approprié dans sa décision, le commissaire n’a pas soumis de nouveau sa question aux demandeurs (dossier du défendeur à la p 61; décision de la SPR à la p 3). Ainsi, la SPR a enfreint le droit des demandeurs à l’équité procédurale, et donc, la norme de la décision correcte s’applique en l’espèce. Les demandeurs contestent également le caractère raisonnable de la décision, mais cette violation de l’équité procédurale suffit pour annuler la décision de la SAR, et renvoyer l’affaire pour nouvelle décision.

[6]  En bref, le défendeur répond que l’ancienne conseil expérimentée des demandeurs n’a jamais contesté ou corrigé la SPR pendant l’interrogatoire, et n’a jamais demandé au commissaire de reformuler la question et de demander formellement si les demandeurs pouvaient [traduction] « vivre » en toute sécurité à Port Harcourt, plutôt que de s’y [traduction] « cacher ». Il est clair que les demandeurs ont eu amplement la possibilité de témoigner concernant leur crainte de persécution à Port Harcourt, et la question de savoir s’il était raisonnable pour eux de vivre à Port Harcourt. Par conséquent, il est maintenant trop tard pour soulever devant la Cour la question de l’équité procédurale. De fait, lorsqu’elle est lue dans son ensemble, la décision de la SAR de confirmer celle de la SPR est étayée par la preuve et est raisonnable à tous égards.

[7]  Je suis d’accord avec le défendeur. Les questions relatives à l’équité procédurale doivent être soulevées à la première occasion, et le défaut de ce faire équivaut à une renonciation tacite relativement à tout manquement perçu à l’équité procédurale (voir Kamara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 448 au para 26; Sayeed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 567 au para 23; Duversin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 466 au para 26; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 aux para 22‑26).

[8]  Le commentaire du commissaire lors de l’interrogatoire sur le fait de [traduction] « se cacher » a été dûment examiné par la SAR qui a revu l’ensemble du dossier, y compris l’enregistrement audio de l’audience devant la SPR. En fin de compte, les demandeurs n’ont pas réussi à convaincre la SAR que la SPR avait commis une erreur de droit, considérant que le bon critère est appliqué dans la décision de la SPR, et considérant en outre les précisions données par le commissaire à l’audience. Le manquement allégué à l’équité procédurale est un nouvel argument. Par conséquent, les demandeurs auraient pu et dû soulever la question de l’équité procédurale, et demander que la question leur soit expressément reformulée et posée par le commissaire. Cela aurait permis à la SPR de prendre en considération une éventuelle réponse. La SAR n’a pas non plus enfreint l’équité procédurale. De fait, devant la SAR, les demandeurs n’ont pas fait valoir de façon convaincante qu’il leur avait été impossible de présenter des éléments de preuve à l’audience devant la SPR, ou que la SAR devait convoquer une audience et leur permettre de présenter d’autres témoignages sur la question de la PRI (voir les paragraphes 110(4) et (6) de la LIPR).

[9]  J’ai également examiné les autres moyens de recours soulevés par les demandeurs dans leurs plaidoiries écrites (qui n’ont pas été présentés oralement devant la Cour par leur avocat). Ils sont tous infondés, et rejetés en conséquence. Je souscris pour l’essentiel aux arguments de rejet avancés par l’avocate du défendeur dans ses observations écrites.

[10]  Lue dans son ensemble, la décision de la SAR est étayée par la preuve et est raisonnable à tous égards. Plus précisément, les demandeurs n’ont pu fournir aucun détail sur les personnes qui les menaçaient. Lorsqu’on leur a demandé comment on les retrouverait à Port Harcourt, les demandeurs ont insisté sur le fait que ce serait à cause des médias sociaux. La SPR a conclu que toute présence sur les médias sociaux pouvait être contrôlée par les demandeurs, et cette conclusion n’a pas été contestée en appel. En outre, il ressort de la preuve documentaire que la décision de soumettre ou non les demanderesses mineures à une MGF revient aux parents et, en l’espèce, les deux parents sont opposés à cette pratique. En ce qui concerne la situation particulière des demandeurs, ils parlent le yoruba, mais aussi l’anglais, langue largement parlée à Port Harcourt. De plus, ils sont des chrétiens engagés, et le christianisme est la religion majoritaire dans le delta du Niger, où se trouve Port Harcourt. Les parents sont tous deux instruits, ont fait des études postsecondaires et ont une expérience professionnelle importante au Nigéria. Je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans la manière dont la SAR a examiné les éléments de preuve pertinents, étant donné qu’il était également du ressort de la SAR d’apprécier la valeur probante, la pertinence ou la suffisance de la preuve documentaire, du guide jurisprudentiel et de la pièce C‑18 sur lesquels reposaient les arguments des demandeurs.

[11]  La Cour rejettera la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune question de portée générale n’est soulevée en l’espèce.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑6993‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste‑traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6993‑19

 

INTITULÉ :

ADENIYI IDRIS SANUSI, ARINOLA EUNICE SANUSI, ANUOLUWAPO OLUWADARASIMI SANUSI, ADESOLA OLUWATOYOSI SANUSI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR vidÉoconfÉrence À montrÉal (quÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 OCTOBRE 2020

 

JUGeMENT et motifs :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 26 OCTOBRE 2020

COMPARUTIONS :

Jonathan Gruszczynski

 

POUR LES DEMANDEURS

Édith Savard

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gruszczynski, Romoff

Westmount (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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