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                                                                                                                                           Date : 20030714

                                                                                                                             Dossier : IMM-5372-02

                                                                                                                           Référence : 2003 CF 872

OTTAWA (ONTARIO), LE 14 JUILLET 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

                                                               ALCY KHUKU SAHA

                                                                     MONICA SAHA

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                   MOTIF DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Introduction

[1]                 La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision négative rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). Le 15 octobre 2002, la Commission a conclu que la demanderesse et sa fille n'étaient pas des réfugiées au sens de la Convention et qu'elles n'avaient pas non plus qualité de « personnes à protéger » au sens des alinéas 97(1)a) et b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi), L.C. 2001, ch. 27.


Les faits

[2]                 La demanderesse Alcy Khuku Saha et sa fille Monica Saha (une mineure) revendiquent le statut de réfugiées au motif qu'elles sont persécutées dans leur pays natal, le Bangladesh, du fait de leur religion chrétienne. Elles prétendent aussi être persécutées du fait de leur appartenance aux groupes sociaux suivants : la minorité chrétienne et les femmes au Bangladesh.

[3]                 La demanderesse principale déclare dans son FRP qu'elle est née le 20 juin 1977 à Gopalganj, Bangladesh. Sa fille serait née le 6 juin 1997. La demanderesse a fait 10 années d'études. Elle travaillait pour la mission Nazarene, un organisme exploité par une église chrétienne. Son mari, qui est aussi de religion chrétienne, travaillait avec elle à la mission.

[4]                 La demanderesse déclare que son mari était un partisan de la Ligue Awami (LA), un parti politique musulman. Elle déclare qu'il a bénéficié des faveurs du gouvernement de la LA et obtenu des avantages sociaux pour la région. Toutefois, les partis politiques d'opposition ont commencé à harceler le couple, les accusant de tenter de convertir des musulmans au christianisme et d'inciter les femmes musulmanes à désobéir à leur mari. La demanderesse déclare que le 5 juin 2001 elle a dû faire face à deux fanatiques, qui l'ont insultée. Elle s'est plainte à la police et ils ont été arrêtés.

[5]                 La demanderesse déclare que les problèmes ont commencé lorsque la LA a transféré le pouvoir à un gouvernement de transition. Le 20 juillet 2001, des hommes de main du Parti national du Bangladesh (PNB) ont fait une descente à son domicile pour chercher à se saisir de son mari, alors absent. Le mari a quitté la région par la suite et la demanderesse n'a plus de contact avec lui depuis octobre 2001. La demanderesse a participé à une manifestation le 12 octobre 2001, et les fanatiques ont vandalisé sa résidence et l'ont insultée.


[6]                 Le 15 novembre 2001, les hommes de main sont revenus à la résidence de la demanderesse et l'ont accusée d'être un agent étranger. Ils ont réclamé son mari. Elle a décidé de quitter le Bangladesh. La demanderesse s'est adressée à des passeurs, qui ont accepté de l'amener au Canada contre le versement d'une somme de 520 000 taka, la moitié d'avance et l'autre à payer à l'arrivée au Canada.

[7]                 La demanderesse déclare avoir quitté le Bangladesh le 25 janvier 2002, pour arriver aux États-Unis le jour suivant. La demanderesse déclare qu'il a fallu du temps pour organiser le virement du paiement final et que le passeur l'a menée à la frontière canadienne le 12 mars 2002. Elle déclare que le passeur lui a conseillé de dire qu'elle n'était arrivée aux États-Unis que deux jours plus tôt, soit le 10 mars 2002, mais qu'elle a dit la vérité à l'agent d'immigration (l'agent Croteau) dès son arrivée.

[8]                 Le 12 mars 2002, la demanderesse a été interrogée par l'agent Croteau au bureau de la CIC à Lacolle. Elle a d'abord déclaré avoir quitté le Bangladesh le 8 mars 2002, pour arriver aux États-Unis le 9 mars 2002, à New York. Dans ses notes, l'agent indique avoir constaté que la fille de la demanderesse parlait l'anglais et il a discuté avec elle en présence d'un autre agent. L'agent Croteau a interrogé la demanderesse au sujet de la qualité de l'anglais parlé par sa fille, et elle a répondu qu'elle n'en savait rien et qu'elle ne parlait jamais anglais avec elle. Elle a ensuite déclaré être restée deux mois aux États-Unis, sans connaître l'adresse du lieu où elle a vécu à New York.


[9]                 L'audition de la demande d'asile de la demanderesse s'est tenue le 3 octobre 2002. Le ministre a déposé les documents suivants en preuve :(i) le formulaire complété par la demanderesse au point d'entrée de la CIC à Lacolle; (ii) une copie des notes de l'agent Croteau; et (iii) une copie d'une télécopie de la patrouille des frontières des États-Unis - Canadian Border Intelligence Center (PFEU).

[10]            La télécopie de la patrouille des frontières des É.-U. indiquait qu'une femme du Bangladesh et son enfant, identifiés respectivement comme Aley Khuku Saha (née le 20 juin 1978) et Monika Saha (née le 2 juin 1992), étaient arrivées à Washington, D.C., le 14 juin 2001. Leur destination était l'hôtel Crown Plaza à Indianapolis, Indiana, et leurs visas étaient valables jusqu'au 13 décembre 2001.

La décision de la Commission

[11]            La Commission a déclaré qu'au vu de la preuve soumise par le ministre et suite au consentement de l'avocat de la demanderesse, elle étudierait d'abord la question de l'identité de la demanderesse. Après avoir entendu les observations à ce sujet et posé des questions, la Commission a jugé qu'il n'était pas nécessaire de poursuivre, puisqu'elle était arrivée à la conclusion que la demanderesse et sa fille n'avaient pas qualité de réfugiées au sens de la Convention ou de « personnes à protéger » en vertu de la Loi.

[12]            La Commission a fait remarquer que la demanderesse a dit à l'agent Croteau à Lacolle qu'elle était arrivée deux jours plus tôt à New York, sans passeport. La Commission a aussi pris note du commentaire de l'agent que la fille parlait un très bon anglais pour une enfant de cinq ans et de la déclaration de la demanderesse que sa fille ne parlait jamais anglais avec ses parents.


[13]            La Commission mentionne que la demanderesse, dans une déclaration rédigée après son entrevue avec l'agent Croteau, déclare avoir quitté le Bangladesh en janvier 2002 et être restée à New York jusqu'au 11 mars. Elle a ajouté que sa fille avait alors fréquenté un centre préscolaire pendant deux semaines. Elle a aussi déclaré que le passeur lui avait conseillé de dire aux autorités canadiennes qu'elle n'était restée que deux jours à New York.

[14]            La Commission a pris note du fait que le séjour de deux mois à New York était réitéré dans le FRP de la demanderesse, celle-ci expliquant qu'elle avait été retenue à cause du temps requis pour obtenir la deuxième moitié du paiement à verser au passeur.

[15]            Voici ce que la Commission déclare, aux pages 4 et 5 de ses motifs :

Ce récit aurait été plausible n'eût été de la preuve obtenue par le ministre auprès de la patrouille frontalière des États-Unis, Canadian Border Intelligence Center, laquelle a été soumise à titre de pièce M-3. Selon un imprimé d'ordinateur obtenu auprès des autorités américaines, il est clair que Mme Aley Khuku Saha, née le 20 juin 1977, est arrivée par British Airways avec le passeport bangladais no Q0027774 à Washington, DC, le 10 juin 2001. Elle a été admise jusqu'au 31 décembre 2001 et avait l'intention de se rendre à Indianapolis, en Indiana. Selon le même document, Monika Saha, née le 2 juin 1992, est entrée avec un passeport bangladais (no Q0027781) en même temps et sa destination était la même.

Lorsqu'on lui a demandé des explications, la demanderesse a dit qu'elle ne savait rien à ce sujet et qu'elle était arrivée aux États-Unis à la fin de janvier 2002, conformément à ce qu'elle avait écrit dans son FRP et au témoignage qu'elle avait fourni plus tôt. Je n'ajoute pas foi à cette explication. D'après moi, il n'est pas plausible que les deux personnes mentionnées dans la pièce M-3, une femme et une petite fille dont les noms tout comme les dates de naissance sont vraiment semblables à ceux de la demanderesse et de sa fille, venant du Bangladesh, ne soient pas les mêmes personnes que la demanderesse et sa fille. Je ne crois pas que pareille coïncidence soit vraisemblable. Je crois plutôt, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse et sa fille sont Aley Khuku Saha, née le 20 juin 1978, et Monika Saha, née le 2 juin 1992, conformément à ce qui figure dans leurs passeports du Bangladesh qu'elles ont remis aux autorités américaines lorsqu'elles sont entrées aux États-Unis le 10 juin 2001, et non Alcy Khuku Saha, née le 20 juin 1977, et Monica Saha, née le 6 juin 1997, conformément à ce qu'elles ont déclaré lorsqu'elles sont arrivées au Canada afin de demander l'asile. Je crois que des petites modifications ont été apportées à leurs noms et dates de naissance afin de rendre la recherche et leur identification plus complexes.


[16]            La Commission a déclaré que la déclaration manuscrite de la demanderesse au point d'entrée indiquait que sa fille avait fréquenté un centre préscolaire aux États-Unis pendant deux semaines. Elle a toutefois conclu que le témoignage de la demanderesse était vague et ambigu, et que pour que sa fille soit admise dans une école aux États-Unis, la demanderesse devait y avoir un statut différent que celui qu'elle prétend avoir eu.

[17]            La Commission a aussi conclu que le témoignage de la demanderesse au sujet de son voyage du Bangladesh à New York n'était pas crédible. Elle a déclaré avoir quitté le Bangladesh à 15 heures et être arrivée à New York le jour suivant à midi, après une escale d'une heure. La Commission a noté que les vols de Dacca vers l'Europe durent huit heures. Le vol vers New York étant de sept heures et le décalage horaire soustrayant 11 heures d'horloge, la demanderesse aurait dû arriver dans la soirée du jour de son départ.

[18]            La Commission a pris note du fait que la demanderesse a soumis son certificat de naissance et celui de sa fille, son certificat de mariage, son certificat de baptême, et des lettres de soutien de pasteurs au Bangladesh. La Commission a déclaré qu'elle acceptait que la demanderesse était de religion chrétienne, mais elle a émis des doutes quant à l'authenticité du certificat de naissance, écrit à la main sur ce qui était de toute évidence un formulaire photocopié. La Commission a aussi conclu que le certificat de mariage était une photocopie, sur laquelle des renseignements avaient été ajoutés à la main.

[19]            La Commission a pris note du fait que le certificat de naissance de Monica donne comme adresse des parents « Shewrapar, Mirpur » , alors que la demanderesse a déclaré avoir vécu à Gopalganj de 1992 à 2002. La Commission déclare que Mirpur est un quartier central de Dacca et n'est pas situé dans le district de Gopalganj. La Commission a déclaré que cette divergence soulève aussi des doutes sérieux quant à l'authenticité du certificat de naissance de l'enfant.


[20]            La Commission a conclu que la demanderesse et sa fille n'avaient pas prouvé leur identité et qu'au vu des problèmes de crédibilité et de détermination de l'identité, il n'y avait pas lieu d'accorder le moindre poids aux lettres de soutien en provenance du Bangladesh. La Commission a conclu que la demanderesse avait « réussi à anéantir sa crédibilité » .

[21]            Étant donné la prétention de la demanderesse qu'elle a été persécutée au Bangladesh à partir de juillet 2001 et la conclusion de la Commission qu'elle était déjà aux États-Unis le 10 juin 2001, la Commission a conclu que la demanderesse n'avait pas prouvé qu'elle craignait avec raison d'être persécutée, non plus qu'elle avait qualité de « personne à protéger » en vertu de la Loi. La Commission a insisté sur le fait que la demanderesse « était non crédible en général et [qu']elle a soumis des éléments de preuve fabriqués et intéressés pour prouver son identité, ainsi que celle de sa fille, de même que pour étayer leurs demandes d'asile » . En conséquence, la demande a été rejetée.

Les questions en litige

[22]            La demanderesse soulève deux questions principales dans le cadre du contrôle judiciaire :

1)          La Commission a-t-elle fondé sa décision au sujet de l'identité des demanderesses sur une preuve qui n'était ni fiable, ni digne de foi, ou sans égard pour l'ensemble de la preuve?

2)          La Commission a-t-elle accordé une audition équitable à la demanderesse?

La norme de contrôle

[23]            L'évaluation de la crédibilité de la preuve est essentiellement une question de fait. Il est de commune renommée qu'en ces matières le contrôle d'une décision de la Commission doit faire l'objet de retenue et utiliser la norme de la décision « manifestement déraisonnable » . Il est aussi généralement reconnu que les conclusions de la Commission sur la plausibilité et les inférences qui s'imposent sont à l'abri du contrôle judiciaire, à moins qu'elles soient déraisonnables au point de justifier l'intervention de la Cour. [Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL), (1993), 160 N.R. 315.]


Analyse

1)          La Commission a-t-elle fondé sa décision au sujet de l'identité des demanderesses sur une preuve qui n'était ni fiable, ni digne de foi, ou sans égard pour l'ensemble de la preuve?

[24]            La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en s'appuyant sur les renseignements fournis par la PFEU. Elle soutient que la conclusion de la Commission portant que les personnes mentionnées dans la télécopie de la PFEU sont la demanderesse et son enfant est déraisonnable, puisque les renseignements en cause sont peu fiables et incomplets. Elle fait aussi remarquer qu'on n'a présenté aucune information portant sur le mode d'acquisition de ces renseignements. La demanderesse soutient qu'il y a plusieurs différences entre elle et sa fille et les personnes mentionnées dans la télécopie de la PFEU, alors que la Commission ne s'est intéressée qu'aux ressemblances. La demanderesse déclare que sa fille est née le 6 juin 1997, alors que la date de naissance de la fille mentionnée dans la télécopie de la PFEU est donnée comme étant le 2 juin 1992, savoir qu'il s'agissait d'une enfant de 10 ans. La demanderesse soutient que le membre de la Commission a vu l'enfant à l'audience, sans s'arrêter à la question de savoir si elle était âgée de cinq ans, comme le déclare la demanderesse, et non de 10 ans, comme on le dit dans la télécopie de la PFEU.

[25]            Le défendeur soutient que les objections à la preuve déposée par le ministre auraient dû être soulevées à l'audience devant la Commission et non à l'étape du contrôle judiciaire. Le défendeur soutient de plus que la Commission a un large pouvoir discrétionnaire en matière d'admissibilité de la preuve. Les alinéas 170g) et h) de la Loi sont rédigés comme suit :



170. Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de la protection des réfugiés :

g) n'est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;

170. The Refugee Protection Division, in any proceeding before it,

(g) is not bound by any legal or technical rules of evidence;                  h) peut recevoir les éléments qu'elle juge crédibles ou dignes de foi en l'occurrence et fonder sur eux sa décision;

(h) may receive and base a decision on evidence that is adduced in the proceedings and considered credible or trustworthy in the circumstances;


[26]            Le défendeur soutient que les documents en provenance du port d'entrée ont été utilisés par le passé par la Commission dans l'évaluation des revendications de statut de réfugié. Dans Mongu c. Canada (Solliciteur général), [1994] A.C.F. no 1526 (QL), le juge Richard (alors à la Section de première instance) déclare ceci, aux paragraphes 3 et 4 :

Le procureur du requérant monsieur Mongu a prétendu que le tribunal a erré en acceptant en preuve la fiche d'interrogatoire faite par l'agent d'immigration qui a procédé à l'examen du requérant au point d'entrée en l'absence de son témoignage. Il allègue aussi que l'agent a outrepassé ses pouvoirs par certaines des questions qu'il a posées au requérant portant sur le fondement de la revendication au statut de réfugié en vertu de l'article 12 de la Loi sur l'immigration.

À mon avis, le tribunal n'a pas commis d'erreur en acceptant en preuve la fiche d'interrogatoire faite par l'agent d'immigration. [...]

[27]            Le juge Richard cite ensuite l'ancien paragraphe 68(3), qui a maintenant été remplacé par les alinéas 170g) et h) de la Loi.

[28]            Selon moi, la Commission n'a pas commis d'erreur en acceptant les renseignements fournis par la PFEU et en s'appuyant sur ceux-ci. Dans les circonstances, je considère cette preuve pertinente et digne de foi.


[29]            S'agissant des ressemblances entre la preuve en provenance de la PFEU et les renseignements que l'on trouve dans le FRP de la demanderesse, la Commission prend note du fait que les noms de la demanderesse et de sa fille sont identiques à ceux qui ont été transmis par la PFEU, à l'exception d'une seule lettre dans chaque nom. Le document de la PFEU parle de « Aley Khuku Saha » alors que la demanderesse déclare que son nom est « Alcy Khuku Saha » . L'autre passagère était « Monika Saha » , alors que le nom de la fille de la demanderesse est donné comme étant « Monica Saha » . Dans le document de la PFEU, la date de naissance d'Alcy est donnée comme étant « le 20 juin 1978 » alors que la demanderesse déclare que sa date de naissance est « le 20 juin 1977 » . Dans le document de la PFEU, la date de naissance de Monika est donnée comme étant « le 2 juin 1992 » alors que la demanderesse indique que sa fille est née « le 6 juin 1997 » . Dans les deux cas, les deux personnes sont de sexe féminin et elles arrivent du Bangladesh.

[30]            Il est clair qu'il y a cinq ans de différence entre l'âge indiqué pour « Monika » et celui indiqué pour « Monica » . Toutefois, au vu des ressemblances entre les noms, dates de naissance et origine des deux personnes en cause dans chaque cas, la Commission a déclaré ne pas croire que les demanderesses n'étaient pas les personnes mentionnées dans le document de la PFEU. Elle a déclaré qu'une telle coïncidence était invraisemblable et qu'il était probable que des petites modifications avaient été faites afin de rendre la recherche et leur identification plus complexes. Selon moi, la conclusion de la Commission, qui est une conclusion de fait, n'est pas manifestement déraisonnable et elle n'ouvre donc pas droit à révision.

[31]            La demanderesse soutient aussi qu'elle a présenté plusieurs documents comme preuve à l'appui qui ont été rejetés par la Commission, y compris son certificat de baptême et une lettre d'un missionnaire de l'Oratoire Saint-Joseph, à Montréal. La demanderesse soutient qu'on a rejeté cette preuve à tort.

[32]            S'agissant du défaut pour la Commission de tenir compte des documents de la demanderesse, je renvoie à Hamid c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1293 (QL), où le juge Nadon (alors à la Section de première instance) déclare ceci, au paragraphe 21 :


Lorsqu'une commission, comme vient de le faire la présente, conclut que le requérant n'est pas crédible, dans la plupart des cas, il s'ensuit nécessairement que la Commission ne donnera pas plus de valeur probante aux documents du requérant, à moins que le requérant ne puisse prouver de façon satisfaisante qu'ils sont véritablement authentiques.

[33]            La Commission est arrivée à des conclusions négatives sérieuses quant à la crédibilité, portant sur la date de l'arrivée de la demanderesse aux États-Unis, sur la question de savoir si sa fille parlait l'anglais, ainsi que sur l'authenticité des certificats de naissance et du certificat de mariage. Au vu de la preuve présentée par le ministre, notamment la télécopie de la PFEU, et de l'analyse qu'a fait la Commission de l'authenticité des documents de naissance et de mariage, je suis d'avis que les conclusions quant à la crédibilité ne sont pas manifestement déraisonnables et par conséquent qu'elles ne sont pas susceptibles de révision. Au vu des conclusions sur la crédibilité et en appliquant Hamid, précité, je ne suis pas d'avis que le rejet des lettres de soutien par la Commission soit injustifié dans les circonstances.

            2)          La Commission a-t-elle accordé une audition équitable à la demanderesse?

[34]            La demanderesse présente un certain nombre de contestations sous la rubrique « audition équitable » : (i) le fait de ne pas avoir entendu toute la preuve; (ii) le fait de ne pas avoir tenu compte de toute la preuve documentaire; et (iii) le fait de s'être appuyée sur une preuve obtenue au cours d'une entrevue inappropriée avec un enfant.

[35]            La demanderesse soutient qu'une fois que la Commission avait accepté qu'ils étaient des chrétiens du Bangladesh, elle était tenue d'entendre tous les témoignages avant de rejeter la revendication en ne se fondant que sur l'identité.

[36]            Le défendeur fait remarquer que la Commission déclare ceci, à la page 7 de ses motifs :


...il est clair, selon la preuve soumise par le ministre (pièce M-3), que durant les prétendus incidents de persécution, la demanderesse et sa fille étaient en sécurité aux États-Unis, et non au Bangladesh, comme elle le prétend. La demanderesse était non crédible en général et elle a soumis des éléments de preuve fabriqués et intéressés pour prouver son identité, ainsi que celle de sa fille, de même que pour étayer leurs demandes d'asile.

[37]            Au vu de la preuve examinée par la Commission, j'arrive à la conclusion qu'elle n'a pas commis d'erreur en arrivant à sa conclusion. La Commission pouvait tout à fait accepter la preuve indiquant que la demanderesse était aux États-Unis lors des incidents de persécution qu'elle décrit, plutôt que la preuve présentée par la demanderesse.

[38]            La demanderesse soutient que la preuve documentaire vient appuyer la plausibilité de son histoire et elle cite en exemple une nouvelle des médias au sujet d'un attentat à la bombe perpétré contre une église catholique le 3 juin 2001. La demanderesse soutient aussi que même si la Commission arrivait à la conclusion qu'elle était aux États-Unis en juin 2001, la Commission devait examiner sa demande au vu de la preuve documentaire étant donné que la définition de la persécution est prospective.

[39]            Dans Sinora c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 725 (QL), le juge Noël (alors à la Section de première instance) déclare ceci, au paragraphe 5 :

Il est bien établi qu'un requérant doit démontrer une crainte objective et subjective de persécution. En l'occurrence, il n'était pas suffisant de simplement déposer de la preuve documentaire. Il fallait tout au moins démontrer que le requérant lui-même avait une crainte réelle de persécution.

[40]            La Commission a conclu que la demanderesse était aux États-Unis au moment où la plupart des actes de persécution dont elle fait état auraient été perpétrés. En conséquence, la Commission a conclu que la demanderesse n'avait pas démontré qu'elle avait une crainte de persécution et elle a rejeté sa demande d'asile. La preuve documentaire ne pouvait établir que la crainte objective de persécution, et non la crainte subjective de la demanderesse. Dans les circonstances, la décision de la Commission de ne pas poursuivre son examen de la demande en considérant la preuve documentaire n'est pas une erreur ouvrant droit à révision.


[41]            La demanderesse soutient que la procédure utilisée par les agents d'immigration (à Lacolle) pour interroger l'enfant est contraire à ce qui est prévu dans la « Directive du président » qui porte sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié, ainsi qu'à l'article 9 de la Convention relative aux droits de l'enfant, qui précise que dans toutes les décisions concernant un enfant il faut lui désigner un représentant et adopter comme principe directeur l'intérêt supérieur de l'enfant. La demanderesse soutient que la Commission ne s'est pas posé la question de savoir si les procédures en cause avaient été respectées.

[42]            Cet argument n'a aucun mérite. L'article 9 de la Convention porte que l'enfant ne peut être séparé de ses parents contre leur gré. Selon l'affidavit de l'agent Croteau, il a posé quelques questions à la fillette lorsqu'il s'est aperçu que la demanderesse essayait de l'empêcher de lui parler. Il déclare aussi qu'il essayait de déterminer si la fillette était vraiment la fille de la demanderesse, sans toutefois procéder à une interrogation formelle de l'enfant. Rien dans la preuve n'indique que Monica n'était pas disposée à quitter sa mère afin de parler aux agents de la CIC, et il semble que c'est de son plein gré qu'elle a parlé à l'agent. Je suis convaincu qu'il n'y a pas de question liée aux procédures régissant les entrevues avec les enfants qui soit pertinente dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire.


[43]            La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en se fondant sur les notes de l'agent, puisque selon elle ces notes ont été préparées lorsqu'un autre agent s'est aperçu que l'enfant parlait l'anglais. La demanderesse soutient que le fait de s'appuyer sur cette preuve sans que le membre de la Commission vérifie lui-même les connaissances de l'enfant est une violation du principe qui veut que c'est la personne qui entend l'affaire qui doit en décider. Je rejette cet argument. Les notes au point d'entrée indiquent qu'une fois que l'agent s'est aperçu que la fille parlait l'anglais, il a pris une pause et [traduction] « a demandé à un autre agent de lui parler » . Dans sa preuve, l'agent a déclaré qu'il avait posé quelques questions à la fille. Au paragraphe 11 de son affidavit, il déclare ceci :

« Afin de m'assurer que la demanderesse principale était bien la mère de la fillette, je lui ai posé quelques questions sans la présence de la demanderesse principale, mais je n'ai pas procédé à un interrogatoire formel. »

Cette preuve déposée par le ministre est fondée sur les observations d'un agent d'immigration impartial. Dans les circonstances, je considère cette preuve pertinente et fiable, et la Commission pouvait tout à fait préférer cette preuve à celle de la demanderesse, qui s'est avérée être généralement non crédible. Je suis convaincu que la Commission n'a pas violé la règle audi alteram partem en procédant comme elle l'a fait. De toute façon, je conclus que les renseignements obtenus de la fille n'ont pas un poids tel qu'ils permettraient de trancher la demande.

Conclusion

[44]            Au vu de l'ensemble de la preuve présentée à l'audition et examinée par la Commission, on ne peut dire que la décision de rejeter la demande d'asile de la demanderesse est déraisonnable. Pour les motifs que je viens d'énoncer, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[45]            Les parties ont eu l'occasion de soulever une question grave de portée générale, comme le prévoit l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, chapitre 27, mais ils ne l'ont pas fait. Je n'ai donc pas l'intention de certifier une question grave de portée générale.


                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, datée du 15 octobre 2002, est rejetée.

2.         Il n'y a pas de question de portée générale à certifier.

                                                                                                                             « Edmond P. Blanchard »             

                                                                                                                                                                 Juge                                

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-5372-02

INTITULÉ :                                        Alcy Khuku Saha et autre c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 14 mai 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                     Le 14 juillet 2003

COMPARUTIONS :

Mme Diane N. Doray                                                                      POUR LA DEMANDERESSE

Mme Michèle Joubert                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Diane N. Doray                                                                      POUR LA DEMANDERESSE

203 - 6855, de l'Épée

Montréal (Québec) H3N 2C7

M. Morris Rosenberg                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Montréal (Québec) H2Z 1X4

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