Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     Date : 19980116

     Dossier : IMM-4912-96

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 1998

En présence de : Monsieur le juge MacKay

ENTRE

     ROSA EMILIA CARDOZA YADA et

     VICTOR LOPEZ CAMPOS,

     requérants,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

         intimé.

         VU la demande présentée par les requérants en vue d'obtenir le contrôle judiciaire et l'annulation de la décision en date du 6 décembre 1996 dans laquelle la section du statut de réfugié, de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié,

a conclu qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, compte tenu de la définition figurant dans la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2, modifiée;

         APRÈS avoir entendu l'avocat des requérants et celui du ministre intimé à Toronto, le 5 septembre 1997, date à laquelle le prononcé de la décision a été remis à plus tard, et après avoir examiné les arguments invoqués;

     ORDONNANCE

         LA COUR ORDONNE :

     1. Que la demande soit accueillie
     2. Que la décision contestée, datée du 6 décembre 1996, soit annulée et que les demandes des requérants soient renvoyées à un autre tribunal de la section du statut de réfugié pour qu'il procède à un nouvel examen.

                             W. Andrew MacKay

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Tan Trinh-viet

     Date : 19980116

     Dossier : IMM-4912-96

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 1998

En présence de : Monsieur le juge MacKay

ENTRE

     ROSA EMILIA CARDOZA YADA et

     VICTOR LOPEZ CAMPOS,

     requérants,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

         intimé.

         VU la demande présentée par les requérants en vue d'obtenir le contrôle judiciaire et l'annulation de la décision en date du 6 décembre 1996 dans laquelle la section du statut de réfugié, de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié,

a conclu qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, compte tenu de la définition figurant dans la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2, modifiée;

         APRÈS avoir entendu l'avocat des requérants et celui du ministre intimé à Toronto, le 5 septembre 1997, date à laquelle le prononcé de la décision a été remis à plus tard, et après avoir examiné les arguments invoqués;

     ORDONNANCE

         LA COUR ORDONNE :

     1. Que la demande soit accueillie
     2. Que la décision contestée, datée du 6 décembre 1996, soit annulée et que les demandes des requérants soient renvoyées à un autre tribunal de la section du statut de réfugié pour qu'il procède à un nouvel examen.

                             W. Andrew MacKay

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Tan Trinh-viet

     Date : 19980116

     Dossier : IMM-4912-96

ENTRE

     ROSA EMILIA CARDOZA YADA et

     VICTOR LOPEZ CAMPOS,

    

     requérants

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

         intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire et d'annulation de la décision en date du 6 décembre 1996 dans laquelle la section du statut de réfugié (le tribunal), de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a conclu que les requérants n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]      Le tribunal a rendu sa décision parce qu'il a jugé que le témoignage des requérants n'était pas crédible compte tenu des invraisemblances qu'il a relevées. De plus, il a conclu que même si le témoignage des requérants était crédible, la situation du Salvador, pays que les requérants avaient quitté pour gagner le Canada, était telle qu'on n'avait pas établi qu'il existait une possibilité raisonnable qu'ils soient persécutés dans l'éventualité de leur retour au Salvador, leur pays d'origine.

[3]      Les deux requérants prétendent craindre qu'ils ne soient tués par des escadrons de la mort dans l'éventualité de leur retour. Ils étaient tous deux des étudiants en droit de dernière année agissant comme avocats de la défense, comme ils étaient autorisés à le faire, pour trois étudiants qui étaient accusés d'avoir enlevé un certain Dabaud, et deux autres. Les requérants, bien qu'ils fussent relativement inexpérimentés, se sont occupés de cette affaire parce que celle-ci a fait grand bruit et parce qu'ils se préoccupaient des étudiants accusés. Ils prétendent que, après avoir déposé l'avis de leur rôle d'avocat, Dabaub leur a parlé, et il leur a demandé de se retirer de la défense de l'affaire, autrement ils risqueraient d'être étiquetés par lui comme complices des accusés. Ils ne se sont pas retirés de l'affaire. Ils ont plutôt signalé l'incident aux autorités, qui n'ont rien fait, alléguant qu'il n'existait pas suffisamment d'éléments de preuve pour étayer leur plainte.

[4]          Le procès portant sur l'enlèvement a commencé en février 1993. Au cours du procès, il est dit que la voiture de la revendicatrice a été saccagée et, bien que la police ait semblé inspecter la voiture endommagée lorsque l'incident lui a été signalé, elle n'a rien fait en réponse à la plainte de la revendicatrice. Plus tard, on est entré par effraction dans la maison de celle-ci et l'a saccagée le 9 mars 1993 et, selon les requérants, après le cambriolage, ils ont trouvé chez eux une lettre de menaces. La requérante a signalé cet incident à la police, mais celle-ci, prétend-elle, a refusé de faire enquête parce qu'on croyait qu'un escadron de la mort y était impliqué. Les requérants prétendent que, le 11 mars 1993, alors qu'ils allaient à moto, on les a forcés à quitter la route et ils ont été légèrement blessés. Ils étaient convaincus qu'il s'agissait d'un attentat à leur vie.

[5]      Les requérants croient que les escadrons de la mort étaient liés au gouvernement, en particulier à un député, membre du gouvernement, qui était un frère de Dabaud, la victime de l'enlèvement. De plus, les requérants croient qu'une partie de la police se trouvait liée aux escadrons de la mort, et que cela explique pourquoi la police hésitait à enquêter sur leur plainte impliquant les escadrons de la mort.

[6]      À la suite de l'accident de moto, ils se sont réfugiés à Soyapango et, plus tard, à San Miguel, au Salvador. À la fin de mars, la requérante a demandé un visa américain, mais elle a essuyé un refus. Au début d'avril 1993, le requérant s'est rendu aux États-Unis par voie de terre, sans visa. Il a été aidé par des parents qui y vivaient. La requérante s'est cachée à San Miguel jusqu'à ce que son beau-frère, un résident du Canada, l'ait emmenée au Consulat canadien où elle a obtenu un visa canadien le 21 mai 1993. Lorsqu'elle a demandé un visa, la requérante savait apparemment qu'il existait un processus de présentation d'une revendication de la protection des réfugiés au Canada mais, craignant de demeurer au Salvador, elle a fait part à l'agent des visas du Consulat canadien de son intention de retour, parce qu'elle croyait que si elle faisait autrement, elle n'obtiendrait pas de visa. Elle est allée en avion à Toronto le 8 juin 1993. À peu près un mois après son arrivée au Canada, elle a demandé à être acceptée comme réfugiée au sens de la Convention.

[7]      Quant au requérant, il est arrivé au Canada à partir des États-Unis où il avait auparavant présenté une demande de séjour. Après avoir demandé le statut de réfugié au Canada, il a alors demandé au Consulat salvadorien à Toronto de lui délivrer un nouveau passeport parce que, selon lui, un agent d'immigration canadien lui a dit que pour demeurer au Canada, il avait besoin d'un passeport aux fins d'identité. Il dit qu'il a accepté cette directive parce qu'il croyait qu'un agent d'immigration canadien représentant le gouvernement canadien connaîtrait les conditions d'immigration au Canada, et les conditions qui s'imposaient aux immigrants ou aux réfugiés dans ce pays. Quoi qu'il en soit, après avoir signé la formule de demande de nouveau passeport, il n'est pas allé au Consulat salvadorien dans lequel il craignait, selon lui, d'entrer même s'il a prétendu être un citoyen salvadorien ordinaire. La requérante est allée au Consulat pour obtenir le passeport pour lui.

[8]      Lorsque la requérante a quitté le Salvador, elle a laissé à son cousin avocat le soin de défendre les accusés dans l'affaire d'enlèvement. Il a été tué lorsqu'on a tiré sur lui au début d'octobre 1993. On a dit que l'affaire d'enlèvement était une affaire qui avait fait grand bruit, en partie parce que Dabaud, l'une des victimes, appartenait à une famille bien connue et influente. À l'époque, son frère, le député, encourageait l'acceptation par la législature de la peine capitale pour des crimes tel l'enlèvement. Les accusés dans l'affaire d'enlèvement n'avaient pas d'argent pour payer des avocats expérimentés. Si les requérants ne s'étaient pas occupés de l'affaire, les accusés auraient probablement été représentés par un défenseur public, dont les requérants croient qu'il aurait été facilement manipulé, et Dabaud aurait pu s'assurer que la poursuite des accusés aboutirait. Selon eux, Dabaud avait la richesse, l'influence et le pouvoir pour organiser le harcèlement de la part des escadrons de la mort, et les requérants n'avaient aucune raison de douter des déclarations que Dabaud leur avait faites, savoir qu'il avait le soutien des gens au pouvoir, ce que les requérants ont interprété comme faisant allusion à son frère et à ses liens influents.

[9]      Après que les requérants eurent commencé à recevoir des notes menaçantes et des appels téléphoniques, ils sont allés à la police à trois occasions. La première a eu lieu après la réception de la première note menaçante dont il est dit qu'elle a été signée par l'escadron de la mort. À cette occasion, la police a, alors qu'on ne s'y attendait pas, gardé la note menaçante et les requérants n'en ont pas conservé une copie. La seconde s'est produite lorsque la voiture de la requérante a été saccagée. Essentiellement, la police n'a rien fait, sauf à inspecter sa voiture endommagée. La troisième a eu lieu après que sa maison eut été saccagée et, encore une fois, la police n'a pris aucune mesure positive.

[10]      Cinq ou six autres notes menaçantes auraient été reçues par les requérants. Bien que toutes les notes n'aient pas fait état de l'affaire d'enlèvement, les requérants ne doutent nullement que les messages les visaient en raison de leur participation à la défense des étudiants accusés. Les requérants n'ont pas signalé à la police la réception de ces notes après la première fois, car ils ne s'attendaient plus à une réaction positive de la part de la police. Ces notes n'ont pas été signalées ou n'ont pas été données à la police, mais la requérante les a conservées et elle les a laissées au Salvador parce qu'elle avait peur qu'elles ne fussent découvertes dans une fouille d'elle-même et de ses effets personnels à l'aéroport à l'occasion de son départ pour le Canada, et que, si elles étaient découvertes, on l'empêchât de quitter le pays.

La décision du tribunal

[11]      Le tribunal a rejeté la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention présentée par les requérants. Il a conclu que leur témoignage n'était pas crédible, relevant plusieurs invraisemblances dans leur récit.

[12]      En premier lieu, le tribunal a jugé invraisemblable le fait pour la victime Dabaud d'avoir parlé aux requérants pour leur demander de se retirer de la défense des accusés, menaçant de les impliquer comme complices s'ils ne s'exécutaient pas. Selon le tribunal, c'était avantageux pour les victimes de l'enlèvement de faire représenter les accusés par des avocats inexpérimentés, comme les requérants l'étaient de l'aveu de tous, et le tribunal n'a pas convenu qu'un défenseur public aurait été plus facilement été manipulé que les requérants ne l'auraient été.

[13]      En second lieu, le tribunal a conclu qu'il était invraisemblable que les requérants, ayant la formation d'avocat, se fussent rendus à la police avec [TRADUCTION] "6 ou 7 lettres signées par l'escadron de la mort demandant que les revendicateurs se retirent de l'affaire" et eussent remis les lettres à la police sans les recouvrer ou sans en conserver des copies. À l'évidence, le tribunal a commis une erreur en consignant et interprétant les éléments de preuve dont il disposait car, selon le témoignage des requérants, seulement la première de ces lettres a été remise à la police et retenue par celle-ci. Les lettres ultérieures n'ont pas été signalées, montrées à la police ou n'ont pas été retenues par celle-ci. C'est la requérante qui les a conservées. Elles les a laissées au Salvador lors de son départ pour le Canada.

[14]      En troisième lieu, le tribunal a conclu qu'il était peu vraisemblable que le requérant, ayant une formation de droit, s'appuyât sur l'instruction d'un seul agent d'immigration au Canada pour obtenir un nouveau passeport salvadorien après qu'il eut présenté une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Pour le tribunal, le récit était inconsistant dans sa représentation de Dabaud comme quelqu'un si puissant que les requérants ne pouvaient être en sûreté au Salvador, et dans son observation selon laquelle le gouvernement de leur pays n'aurait aucun intérêt à alerter les ambassades à l'étranger ni à retrouver le requérant parce qu'il n'était qu'un citoyen ordinaire. Le tribunal a jugé qu'il était invraisemblable qu'un gouvernement qui les aurait surveillés au Salvador n'alertât pas les ambassades à l'étranger pour avoir l'oeil sur les requérants, probablement à l'égard d'une demande d'assistance comme la délivrance d'un nouveau passeport. Le tribunal a noté que la requérante [TRADUCTION] "était bien moins confiante lorsqu'elle avait demandé un VVC [visa de visiteur canadien] et avait de façon flagrante menti aux autorités d'immigration canadiennes quant à son statut au Salvador et quant à son intention de "retour" après sa visite du Canada même si elle avait dit qu'elle savait qu'il existait un processus d'obtention du statut de réfugié au Canada".

[15]      D'après le tribunal, les requérants ayant eu la possibilité de clarifier les invraisemblances et ne l'ayant pas convaincu de leurs explications, les invraisemblances étaient si importantes pour les revendications des requérants que le tribunal a conclu qu'il n'existait aucune menace pour les requérants au Salvador. En l'absence d'éléments de preuve dignes de foi, puisque le récit des requérants n'était pas vraisemblable, le préjudice qu'auraient craint les requérants n'est pas un préjudice qui se rapporte

à l'un quelconque des motifs énumérés dans la définition de "réfugié au sens de la Convention" figurant dans la Loi sur l'immigration .

[16]      Le tribunal a conclu en outre que la situation actuelle du Salvador est telle que les requérants ne s'exposeraient pas à une bonne possibilité ou à une sérieuse probabilité de persécution, ni même à une possibilité objectivement prévisible d'une telle persécution dans l'éventualité de leur retour au Salvador. Le tribunal s'est appuyé sur la preuve documentaire pour conclure que dans les années commençant 1993, le gouvernement salvadorien avait pris et prenait actuellement des mesures pour réduire les risques provenant de groupes d'autodéfense tels les escadrons de la mort.

Les points litigieux

[17]      Les requérants soutiennent que le tribunal a commis une erreur

     1)      en mal interprétant, en exposant incorrectement ou en méconnaissant les éléments de preuve, ce qui fait qu'il a tiré des conclusions de fait de façon abusive ou arbitraire sans tenir des éléments de preuve;
     2)      en ne motivant pas toutes ses conclusions concernant les invraisemblances figurant dans le récit des requérants;
     3)      en rejetant les revendications des requérants en raison des invraisemblances qui n'existaient pas. Si je comprends bien, il est dit que ces invraisemblances sont inexpliquées et déraisonnables.

[18]      Ainsi qu'il a été débattu à l'audition de l'espèce, les requérants soutiennent essentiellement que les conclusions d'invraisemblance tirées par le tribunal étaient déraisonnables, et que sa conclusion quant à la situation actuelle du Salvador se rapportait seulement à la preuve documentaire choisie qui ne tenait pas compte de toute la documentation contraire plus récente.

Analyse

[19]      Ainsi que nous l'avons fait remarquer, le tribunal fait état de plusieurs invraisemblances relevées dans le témoignage des requérants qui l'ont amené à conclure que le témoignage n'était pas crédible ou digne de foi. Dans le cas habituel, une telle conclusion n'invite pas la Cour à intervenir à l'occasion d'une demande de contrôle judiciaire. Dans une décision antérieure, Akinhole c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (14 mars 1997, IMM-551-96, [1997] F.C.J. No 296 (C.F.1re inst.), j'ai fait les remarques suivantes :

        
         Il appartient à la formation de jugement de la section du statut d'apprécier la crédibilité et la force probante des preuves et témoignages, dans son instruction des revendications du statut de réfugié. C'est ainsi qu'elle peut rejeter des preuves non réfutées si elles ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l'affaire prise dans son ensemble, si elle relève des contradictions dans le témoignage ou si elle juge celui-ci invraisemblable. Dans le cas où il y a eu une audience de vive voix et que l'appréciation de la formation de jugement est, comme en l'espèce, clairement subordonnée, du moins en partie, au fait qu'elle voit et entend le témoin, la Cour n'interviendra pas à moins de conclure que la formation de jugement fonde sa décision sur des considérations étrangères à l'affaire ou ignore des preuves dignes d'attention. En bref, la Cour n'interviendra que si elle juge la décision manifestement déraisonnable au regard des éléments de preuve produits.

[20]      En l'espèce, le tribunal a commis une erreur dans sa mention du témoignage qu'il a jugé invraisemblable lorsqu'il a fait état de ce que les requérants avaient [TRADUCTION] "reçu 6 ou 7 lettres signées par l'escadron de la mort" qu'ils avaient remises à la police sans en conserver des copies. Ainsi qu'il a été noté ci-dessus, les requérants ont clairement témoigné qu'une seule lettre avait été remise à la police, les autres lettres ayant été retenues par la requérante qui les avait laissées au Salvador seulement lors de son départ pour le Canada. Le tribunal a également eu tort dans sa décision lorsqu'il a fait état du [TRADUCTION] "frère du revendicateur, un député élu [qui] était un principal partisan de la peine capitale pour l'enlèvement". Il ressort clairement du témoignage que le député en question était le frère de la victime d'enlèvement, Dabaud, et non le frère de l'un des revendicateurs. Bien que, ailleurs, la décision fasse effectivement état de [TRADUCTION] "député Dabaud", la première mention était erronée, et le tribunal a commis une erreur ou a été négligent dans la relation du témoignage sur lequel il s'est appuyé.

[21]      Les requérants prétendent que d'autres invraisemblances relevées ont été exposées sans motifs ni une explication suffisante de la part du tribunal. J'en conviens. Ainsi donc, la conclusion selon laquelle la victime de l'enlèvement leur a demandé de se retirer de la défense des accusés pour éviter d'être reconnus par elle comme complices de ces derniers est jugée invraisemblable [TRADUCTION] "puisque le frère du revendicateur, un député élu, était un principal partisan de la peine capitale pour l'enlèvement"; il s'agit là d'une mauvaise interprétation du témoignage comme nous l'avons déjà noté. De plus, la décision dit [TRADUCTION] "pour le tribunal, il semble que c'était avantageux pour la victime de faire défendre les accusés par un cabinet d'avocats qui était encore relativement inexpérimenté. Le revendicateur a dit que si un défenseur public avait été nommé au cas où les requérants auraient laissé tomber l'affaire, le défenseur public aurait été plus facilement manipulé qu'ils ne l'étaient. Le tribunal n'est pas d'accord". Aucune raison n'est invoquée pour justifier ce désaccord; le tribunal n'a pas non plus invoqué de motifs pour conclure que ce témoignage était invraisemblable à part la mention erronée du [TRADUCTION] "frère du revendicateur". Il existe dans la transcription, dans des questions posées par l'agent chargé de la revendication, une brève mention de rapports dans des documents publics concernant les changements dans le bureau du défenseur public au Salvador jusqu'à la fin de 1993, mais le tribunal n'a pas cité cela comme fondement de sa conclusion d'invraisemblance du témoignage du revendicateur.

[22]      Le tribunal a également trouvé une autre invraisemblance dans l'explication par le revendicateur de sa demande d'un nouveau passeport salvadorien après son arrivée au Canada et de sa réception de ce passeport. Il était invraisemblable qu'[TRADUCTION] "un gouvernement qui pouvait les trouver au Salvador ne fût en mesure de demander à ses ambassades dans le monde d'avoir l'oeil sur eux". Je me permets de dire que le tribunal interprète mal le témoignage. Les revendicateurs n'ont pas tenté d'établir que le gouvernement salvadorien cherchait à les persécuter. Ils ont plutôt témoigné que certains éléments au sein du gouvernement et de la police n'interviendraient pas pour les protéger contre les actes menacés par les escadrons de la mort. Juger invraisemblable une conclusion concernant le gouvernement que le témoignage des requérants ne voulait pas établir ne constitue pas un motif pour rejeter le témoignage des requérants. De plus, il me semble erroné de ne pas tenir compte de l'explication par le requérant de ce qu'il a demandé le nouveau passeport salvadorien après son arrivée au Canada, pour le motif que le tribunal a considéré que cela n'aurait pas été une mesure qu'un avocat compétent (venant d'un autre pays et d'une autre culture) prendrait sur avis d'un agent d'immigration canadien, ou, on peut le présumer, pour le motif que le tribunal a conclu que la requérante était [TRADUCTION] "beaucoup moins confiante" dans ses rapports avec les agents consulaires canadiens au Salvador, ayant admis avoir menti aux autorités d'immigration canadiennes de là-bas au sujet de ses intentions de retour, que dans ses rapports avec les agents consulaires salvadoriens à Toronto. Les actes antérieurs de la revendicatrice au Salvador, et plus récemment au Canada, ne permettent pas d'évaluer la vraisemblance des actes du revendicateur après son arrivée au Canada.

[23]      Telles étaient les invraisemblances que le tribunal a relevées, invraisemblances qui étaient importantes pour les revendications des requérants. Compte tenu des ces invraisemblances, le tribunal a rejeté le témoignage des revendicateurs concernant les menaces de la part de Dabaud ou de la part de l'escadron de la mort, et il a donc rejeté le fondement de la prétention des requérants selon laquelle ils craignaient la vengeance dans l'éventualité de leur retour au Salvador. À mon avis, cette conclusion ne saurait être confirmée et elle est maintenant annulée.

[24]      Les motifs invoqués pour conclure à l'invraisemblance des aspects particuliers du témoignage des requérants ne se rapportent raisonnablement pas aux éléments de preuve dont disposait le tribunal. Un autre tribunal pourrait tirer ses conclusions, mais les motifs de ces conclusions doivent se rapporter rationnellement aux éléments de preuve. Or, ce n'est pas le cas de l'espèce. La décision est manifestement déraisonnable en l'absence de motifs liés aux éléments de preuve produits.

[25]      Lorsque la conclusion de non-crédibilité repose sur des invraisemblances relevées par le tribunal, la Cour peut, à l'occasion d'un contrôle judiciaire, intervenir pour annuler la conclusion si les motifs invoqués ne sont pas étayés par les éléments de preuve dont était saisi le tribunal, et la Cour ne se trouve pas en pire situation que le tribunal connaissant de l'affaire pour examiner des inférences et conclusions fondées sur des critères étrangers aux éléments de preuve tels que le raisonnement ou le sens commun (voir Giron c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.).

[26]      Je me penche maintenant sur l'autre conclusion principale du tribunal et sur les arguments des requérants selon lesquels ce dernier a méconnu la preuve documentaire récente et pertinente contredisant sa conclusion que la situation du Salvador, depuis l'arrivée des requérants au Canada en 1993, était telle que, au moment de son audition en décembre 1996, ils ne s'exposeraient à aucune possibilité raisonnable ni à aucune possibilité sérieuse de persécution dans l'éventualité de leur retour. La preuve documentaire a été présentée par l'agent chargé de la revendication et par les requérants. Le tribunal a fait particulièrement état d'un rapport d'août 1992 des Nations Unies, d'un article d'août 1994 de LaPrensa Grafica, de Central American Reports de 1994 et d'un rapport d'Interpress Service de décembre 1994, qui commentent tous les changements de situation pour assurer la protection contre les morts violentes et les activités criminelles et pour promouvoir la primauté du droit. Dans sa décision, après avoir cité des extraits de documents appuyant son évaluation de la situation du pays d'origine, le tribunal dit [TRADUCTION] "Pour le tribunal, la preuve documentaire est particulièrement persuasive parce qu'elle est objective et provient d'une variété de sources indépendantes et internationales", comme si toute la preuve documentaire dont il disposait et qui provenait de "sources indépendantes et internationales" étayait complètement l'évaluation que le tribunal avait faite de la situation du pays d'origine.

[27]      Comme on peut s'y attendre, ce n'était pas si aussi clair et net. Une partie de la preuve documentaire présentée par l'agent chargé de la revendication portait sur les activités continues des escadrons de la mort et la tentative incomplète du gouvernement d'empêcher celles-ci, jusqu'aux rapports cités par le tribunal et après ceux-ci. Une grande partie de la preuve documentaire produite par les requérants, y compris une partie provenant de sources régulièrement invoquées dans l'examen des revendications du statut de réfugié, et une grande partie de cette preuve plus récemment publiée que les documents cités et invoqués par le tribunal, décrivent les difficultés permanentes dans la tentative par le Salvador d'établir la primauté du droit et d'enrayer les activités criminelles comprenant celles des escadrons de la mort.

[28]      L'avocat de l'intimé a reconnu à l'audition de la présente demande que la preuve documentaire n'appuyait pas uniformément l'évaluation du tribunal, mais qu'elle représentait également une situation différente, celle où il y avait constamment de la difficulté à enrayer la violence et les activités criminelles au Salvador. Habituellement, la preuve documentaire donne effectivement une illustration variée, et si l'évaluation du tribunal s'appuie sur une partie de la preuve, la Cour n'interviendra pas à moins que ce recours ne soit jugé déraisonnable. À mon avis, le recours en l'espèce était déraisonnable à deux égards. En premier lieu, le tribunal dit que la conclusion est [TRADUCTION] "particulièrement persuasive", mais il ne fait nullement mention du fait qu'il disposait de la preuve contradictoire. En second lieu, une grande partie de la preuve contradictoire dont disposait le tribunal, provenant de sources ordinairement acceptées, a été publiée ultérieurement aux documents invoqués par le tribunal et pourtant, il n'a pas été fait état de cette preuve. Je suis d'accord avec l'idée de l'avocat des requérants selon laquelle la décision du tribunal semblerait méconnaître toute preuve documentaire contredisant son évaluation de la situation du pays d'origine. À mon avis, le fondement de l'évaluation par le tribunal de la situation du pays d'origine, exposé dans la décision, était déraisonnable compte tenu de la preuve documentaire dont disposait le tribunal.

[29]      À l'audition de la présente demande, l'avocat de l'intimé a fait valoir que la crainte par les requérants de la persécution de la part des escadrons de la mort n'était pas raisonnable puisqu'elle était survenue uniquement à la suite de leur participation antérieure, en 1993, à titre d'avocat de la défense, à un procès qui avait terminé depuis longtemps. Cette crainte n'était pas une crainte de persécution par le gouvernement lui-même, et était raisonnable la conclusion du tribunal selon laquelle, compte tenu de la situation actuelle du pays d'origine, il n'a pas été établi que les requérants s'exposeraient à des menaces de la part des escadrons de la mort. Il en est peut-être ainsi, mais la Cour doit se préoccuper de la décision en question et des motifs invoqués pour une telle décision, et non de la justification du résultat pour un motif autre que celui invoqué par le tribunal.

Conclusion

[30]      Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision en date du 6 décembre 1996 est annulée, et les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention présentées par les requérants sont renvoyées à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'un tribunal de composition différente procède à un nouvel examen conforme à la loi.

                                 W. Andrew MacKay

                                         Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 16 janvier 1998

Traduction certifiée conforme

Tan Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                      IMM-4912-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :              Rosa Emilia Cardoza Yada et al. c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 5 septembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE MACKAY

EN DATE DU                      16 janvier 1998

ONT COMPARU :

    Adelso Carpio                      pour le requérant
    Cynthia Mancia             
                        
    James Brender                      pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

    Mancia et Mancia                  pour le requérant
    Toronto (Ontario)
    George Thomson
    Sous-procureur général du Canada
                                 pour l'intimé
   
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.