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     Date : 19981201

     Dossier : IMM-5407-97

ENTRE :

     RAJANAYAGAM VAIRAMUTHU

     RAJANAYAGAM NAVAMANI,

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]      Les demandeurs sollicitent l'annulation de la décision en date du 12 novembre 1997 par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) a rejeté les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention qu'ils ont présentées au Canada.

[2]      Les demandeurs sont des Sri-Lankais âgés. Le mari, Vairamuthu, a 65 ans, et la femme, Navamani, a 55 ans. Ils revendiquent le statut de réfugié au sens de la Convention au motif qu'ils ont une crainte fondée de persécution en raison de leurs opinions politiques et de leur appartenance à un groupe social, soit les Tamouls âgés du Nord qui ont vécu et travaillé à l'étranger.

[3]      Voici les faits pertinents qui ont été allégués par les demandeurs : ils ont quitté le Sri Lanka en 1981 et ont vécu au Nigéria jusqu'en 1994. Pendant un séjour qu'ils ont fait à Jaffa pour aller voir la mère du demandeur en 1989, les demandeurs ont été kidnappés par l'" EPDP " et ont dû verser 50 000 roupies pour qu'on les relâche. Ensuite, le 25 août 1994 à Colombo, cinq personnes qui se sont présentées comme des membres de l'" EPDP " ont tenté d'extorquer de l'argent aux demandeurs en leur disant que, en tant que migrants de retour, ils devaient avoir beaucoup d'argent. Les demandeurs n'ont pas signalé cet incident aux autorités. Le 1er septembre 1994, ils ont de nouveau été victimes d'extorsion par un autre groupe de l'" EPDP ". Le 5 octobre 1994, les demandeurs se sont enfuis au Canada et ont présenté des revendications du statut de réfugié. Après avoir obtenu une décision défavorable, puis s'être vu refuser l'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire, les demandeurs se sont rendus aux États-Unis en juillet 1996 où ils sont demeurés pendant au moins quatre mois. À leur retour au Canada, les demandeurs ont présenté de nouvelles revendications en novembre 1996. Le 12 novembre 1997, la Commission a rejeté leurs revendications.

[4]      La première question litigieuse consiste à savoir si la Commission a été dépossédée de la compétence dont elle était investie de rendre une décision en l'espèce parce que la maladie a empêché un des membre de continuer.

[5]      Les revendications des demandeurs ont été entendues le 20 mai 1997 par les membres Eva Allmen et Julie Taub. La décision de la Commission a été rendue le 12 novembre 1997 par Mme Taub seulement. Dans sa décision, Mme Taub mentionne que Mme Allmen est tombée gravement malade le 3 juin 1997 et n'a pas été en mesure de reprendre le travail. En conséquence, conformément au paragraphe 63(2) de la Loi sur l'immigration, (la Loi), Mme Taub a rendu la décision de la Commission. L'article 63 dispose :

     Le membre de la section du statut, de la section d'appel ou de la section d'arbitrage qui a cessé d'exercer sa charge par suite de démission ou pour tout autre motif peut, à la demande du président et dans un délai de huit semaines après la cessation de ses fonctions, participer aux décisions à rendre sur les affaires qu'il avait préalablement entendues. Il conserve à cette fin sa qualité de membre.         
     En cas de décès ou d'empêchement du membre visé au paragraphe (1), ou de tout autre membre y ayant participé, les autres membres qui ont également entendu l'affaire peuvent rendre la décision, et sont, à cette fin, réputés constituer la section d'appel ou du statut, selon le cas.         

Selon une interprétation franche de cette disposition, il est clair qu'une formation d'un membre peut rendre une décision sans le consentement de l'intéressé lorsque l'autre membre est incapable de participer à la décision. La maladie grave d'un membre le rend certainement incapable de participer à la décision à rendre sur une affaire.

[6]      Dans l'affaire Weerasinge c. Canada (M.E.I.), [1994] 1 C.F. 330, la Cour d'appel fédérale a statué qu'une décision rendue par un seul membre n'était pas valide parce qu'il n'y avait rien au dossier sur la raison pour laquelle on avait invoqué le paragraphe 63(2). Le juge Mahoney a déclaré, à la p. 335 :

     Le recours au paragraphe 63(2) est une action grave qui nie au demandeur un droit conféré par la Loi. La décision d'un seul membre est à première vue rendue sans compétence. Lorsque le demandeur consent à être jugé par un seul membre, le dossier doit, comme il l'a toujours fait, l'indiquer clairement. Il devrait en être de même lorsque l'on s'est prévalu du paragraphe 63(2).         

Dans l'affaire Odameh c. Canada (M.E.I.) (1995), 185 N.R. 9, la Cour d'appel fédérale a conclu que le membre restant avait satisfait à l'exigence voulant qu'une explication soit versée au dossier concernant le recours au paragraphe 63(2) en déclarant simplement que l'autre membre avait cessé d'exercer sa charge. À mon avis, la déclaration de Mme Taub selon laquelle Mme Allmen n'avait pas été en mesure de reprendre le travail à cause de la maladie remplit la condition énoncée dans l'affaire Weerasinge (précitée).

[7]      Les demandeurs soutiennent que puisque Mme Allmen est tombée malade le 3 juin 1997, elle n'a donc pu examiner les observations qu'ils ont présentées après l'audience ni la preuve documentaire supplémentaire qu'ils ont soumise en juillet 1997. En conséquence, les demandeurs soutiennent que Mme Allmen n'a pas " entendu l'affaire " ainsi que le prévoit le paragraphe 63(2) de la Loi.

[8]      À mon avis, cet argument est mal fondé. Mme Allen a entendu l'affaire soumise à la Commission. Malheureusement, après le 3 juin 1997, elle ne pouvait pas participer à la décision à rendre sur l'affaire qu'elle avait entendue avec Mme Taub. Dans l'affaire M.C.I. c. Singh, [1998] 3 C.F. 127, le juge Stone, qui s'exprimait au nom de la Cour fédérale, a déclaré, à la p. 137 :

     À mon sens, l'article 63 vise à permettre à la Commission de conserver sa compétence au sujet d'une demande de statut en cas d'empêchement de l'un des membres de la Commission qui ont entendu l'affaire de participer à la décision. Cette disposition a pour but de libérer la Commission de l'obligation de rouvrir l'enquête et de tenir une nouvelle audience lorsque l'un des membres de la formation qui ont entendu l'affaire a cessé d'exercer sa charge, notamment par suite de démission, ou en cas de décès ou d'empêchement de ce membre qui le rend incapable de participer à la décision finale.         

[9]      Selon les demandeurs, c'est seulement si Mme Allmen avait lu les observations faites après l'audience et examiné la preuve documentaire supplémentaire qu'elle aurait entendu l'affaire. Cet argument est mal fondé. Ainsi que le juge Stone l'a dit dans l'affaire Singh, le but du paragraphe 63(2) est d'empêcher la réouverture de l'enquête et la tenue d'une nouvelle audience lorsque l'un des membres est incapable de participer à la décision à rendre. Si je souscrivais à l'argument des demandeurs, le but de cette disposition, dans les circonstances de l'espèce, serait sans aucun doute mis en échec. Je suis donc d'avis que la Commission n'a pas outrepassé sa compétence du fait de la décision rendue par Mme Taub le 12 novembre 1997.

[10]      De plus, le fait que les demandeurs ont soumis, après l'audience, des observations écrites non sollicitées et ont produit de nouveaux éléments de preuve documentaire après que Mme Allmen fut devenue gravement malade ne permet pas, selon moi, de conclure qu'il y a eu entorse à la justice naturelle ou à l'équité procédurale puisque le membre restant a examiné les documents supplémentaires avant de parvenir à une décision. De toute évidence, c'est ce que la Loi prévoit.

[11]      La question suivante qui se pose est de savoir si la Commission a tiré une conclusion de fait de façon abusive en affirmant que la crainte de persécution des demandeurs à Colombo n'était pas fondée. Voici l'essentiel de la décision de la Commission :

     [traduction] Le tribunal n'est pas convaincu de l'existence d'une " possibilité raisonnable " ou d'une " possibilité sérieuse " que les requérants soient persécutés s'ils retournent au Sri Lanka, compte tenu des motifs prévus dans la définition d'un réfugié au sens de la Convention.         
     Les points litigieux         
     Le tribunal et les avocats se sont accordés pour dire que les principaux points litigieux étaient le bien-fondé de la crainte de persécution et la possibilité de refuge à Colombo.         
     Le bien-fondé         
     En ce qui concerne le bien-fondé, le critère applicable est énoncé par Ponniah et précisé par Rajudeen. Le profil des intéressés, un mari et une femme âgés de 65 et 55 ans, n'est pas celui des Tamouls qui sont le plus exposés à un risque, c'est-à-dire les jeunes célibataires tamouls originaires du Nord. Les personnes âgées ne sont pas directement ciblées par les forces de sécurité, sauf dans le cas des contrôles de sécurité périodiques. En outre, le tribunal remarque que les intéressés n'ont pas revendiqué le statut de réfugié aux États-Unis. Quand on lui a demandé pourquoi ils ne l'avaient pas fait, l'intéressé a répondu franchement que tous leurs parents sont au Canada et que le diplôme de fin d'études qui lui a été décerné au Sri Lanka a été reconnu par le gouvernement de l'Ontario. En réalité, l'accusé de réception relatif à la " Lettre d'admissibilité, requérants admissibles " que le ministère de l'Éducation a envoyé à l'intéressé indique que le Ministère exige une preuve de citoyenneté canadienne, le statut de résident permanent ou un permis de travail pour enseigner en Ontario avant de délivrer le document voulu. La section du statut a reçu cette lettre le 2 juin 1997. Le tribunal n'est pas satisfait des explications que le demandeur lui a données et conclut que si, effectivement, les intéressés craignaient pour leur vie, ils auraient présenté une revendication à la première occasion, c'est-à-dire aux États-Unis.         

Les demandeurs soutiennent que la Commission n'a tenu aucun compte de récits dignes de foi concernant l'extorsion pratiquée par les responsables de la sécurité contre des détenus tamouls appréhendés lors de contrôles de sécurité périodiques. Ils affirment en outre que la Commission a mal interprété la question qui lui a été soumise et a évité d'examiner la situation qui, comme elle l'admet, doit être prévue à Colombo : des contrôles de sécurité périodiques et la détention de Tamouls appartenant à tous les groupes d'âge et l'extorsion comme éventuelle condition importante rattachée à leur libération. De plus, les demandeurs prétendent que la Commission n'a tenu aucun compte d'éléments de preuve plus récents selon lesquels les Tamouls qui retournent au Sri Lanka doivent obtenir un permis pour séjourner pendant une brève période à Colombo, et n'a de ce fait tenu aucun compte de l'éventuel retour forcé des demandeurs dans le Nord du Sri Lanka.

[12]      Dans sa décision, la Commission a traité la question de la crainte de persécution des demandeurs en tant que membres d'un groupe particulier : [traduction] " Le profil des intéressés, un mari et une femme âgés de 65 et 55 ans, n'est pas celui des Tamouls qui sont le plus exposés à un risque, c'est-à-dire les jeunes célibataires tamouls originaires du Nord. Les personnes âgées ne sont pas directement ciblées par les forces de sécurité, sauf dans le cas des contrôles de sécurité périodiques. " La Commission invoque des éléments de preuve documentaire au soutien de cette conclusion : pièce R-1, point 1.10, Documentation de fond , avril 1996, " Mise à jour sur la situation politique et sur les droits de la personne ", série Questions et réponses , DGDIR, CISR, août 1996, p. 28. Par conséquent, la conclusion de la Commission selon laquelle le groupe constitué des Tamouls âgés qui retournent au Sri Lanka n'a pas de crainte de persécution à Colombo est étayée par certains éléments de preuve et, partant, n'est pas déraisonnable.

[13]      La conclusion de fait de la Commission selon laquelle les demandeurs avaient une possibilité de refuge à Colombo repose sur des [traduction] " éléments de preuve documentaire indiquant qu'il y a une importante population tamoule à Colombo, ce qui permettra aux intéressés de socialiser dans leur propre langue avec des personnes possédant la même origine ethnique qu'eux ". On ne m'a pas convaincu que l'intervention de la Cour est justifiée en ce qui concerne cette conclusion.

[14]      Les demandeurs admettent qu'ils ont séjourné aux États-Unis pendant au moins quatre mois avant de revenir au Canada et de présenter leurs revendications. La Commission n'a pas commis d'erreur en concluant que, si les demandeurs avaient craint pour leur vie, ils auraient présenté de nouvelles revendications à la première occasion, c'est-à-dire à leur arrivée aux États-Unis. Cette conclusion de fait se rapporte à la crédibilité des demandeurs. Vu la preuve, cette conclusion n'est pas déraisonnable et je ne la modifierai donc pas.

[15]      Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[16]      L'avocat des demandeurs a fait valoir que je devrais certifier la question suivante : Quand considère-t-on qu'une affaire a été entendue en application du paragraphe 63(2) de la Loi? Je ne suis pas convaincu qu'il convient de certifier cette question. Pour répondre à cette question, il suffit simplement de tirer une conclusion de fait. La question de savoir si un membre a entendu l'affaire dépendra des circonstances particulières de l'espèce. Dans le cas qui nous occupe, je suis convaincu que Mme Allmen a entendu l'affaire soumise à la Commission. Par conséquent, il ne me paraît pas utile de certifier la question proposée par les demandeurs. Je refuse donc de certifier la question proposée.

                                 (S) " Marc Nadon "

                                         J.C.F.C.

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 1er décembre 1998

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DATE :                          Le 27 août 1998

NUMÉRO DU GREFFE :                  IMM-5407-97

INTITULÉ :                          Rajanayagam Vairamuthu

                             Rajanayagam Navamani

                             c.

                             Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE NADON

en date du 1er décembre 1998

COMPARUTIONS :

     Kirk Cooper                      pour les demandeurs

     Diane Dagenais                  pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     Kirk J. Cooper

     Avocat                      pour les demandeurs

     Morris Rosenberg                  pour le défendeur

     Sous-procureur général

     du Canada

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