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Date : 20030717

Dossier : IMM-4306-01

Référence : 2003 CF 893

OTTAWA (ONTARIO), LE 17 JUILLET 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU                                

ENTRE :

                                                              VADIM KOUHTA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision en date du 27 juillet 2001 par laquelle Iwona Dabrowska-Duda (l'agente des visas) a refusé sa demande de résidence permanente au Canada.


[2]                Le demandeur est un citoyen de la République du Bélarus. Il a déposé une demande de résidence permanente au Canada en tant qu'immigrant indépendant le 16 mars 1998. Sa demande était fondée sur son expérience, ses compétences et sa profession envisagée d'ingénieur électricien et électronicien, conception et élaboration (CNP 2133.0).

[3]                La demande a été examinée sous le régime du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, modifié (le Règlement). Après avoir reçu le demandeur en entrevue et après avoir évalué sa demande, l'agente des visas lui a attribué les points suivants :

Âge                                                       10

Facteur professionnel                             05

Éducation et de la formation                   17

Expérience                                            00

Emploi réservé

ou profession désignée               00

Facteur démographique                         08

Études                                      15

Anglais                                      07

Français                                                00

Point supplémentaire                              00

Personnalité                                           04

---

Total                                                     66

[4]                Comme le demandeur n'avait pas recueilli les 70 points minimums exigés par le Règlement, l'agente des visas a refusé de lui accorder un visa.


[5]                L'agente des visas n'a attribué au demandeur aucun point pour son expérience de travail à titre d'ingénieur électronicien, parce qu'elle a mis en doute l'expérience professionnelle qu'il prétendait posséder. Elle a notamment mis en doute la véracité et l'authenticité de ses lettres de références. L'agente des visas a déclaré ce qui suit dans sa lettre de refus :

[TRADUCTION]

Au cours de votre entrevue, vous avez affirmé qu'entre 1993 et 1998, vous travailliez pour l'Entreprise commerciale scientifique et de recherche Sedma à Minsk, en Bélarus, et vous avez produit votre carnet de travail comme preuve de votre travail à cet endroit. Le 15 mai 2001, nous avons tenté de vérifier la véracité de vos affirmations au sujet de votre expérience professionnelle en téléphonant à cette entreprise. À ce moment-là, un tiers désintéressé nous a informé qu'il s'agissait d'un appartement privé appartenant à l'un des cofondateurs de la Sedma et qu'il n'y avait aucun bureau à cette adresse. Ce renseignement m'a amenée à mettre en doute l'exactitude et l'authenticité des lettres de références que vous nous aviez fournies.

Je vous ai fait part de mes préoccupations dans ma lettre du 25 juin 2001 et je vous ai offert la possibilité de me fournir des renseignements complémentaires pour me convaincre de l'authenticité de vos lettres de références. Vous avez produit certaines pièces, notamment une lettre signée par le directeur de la Sedma, M. Sechko, qui expliquait que l'adresse de la rue Y. Mavra de sa société était fictive. Lorsque je vous ai interrogé au sujet de l'adresse exacte de la Sedma, vous avez mentionné la rue Partizanskiy. Ce n'est qu'après que je vous ai signalé que, selon les renseignements fournis, la société se trouvait à une autre adresse, que vous avez reconnu votre erreur.

[...]

En conséquence, je doute que vous ayez l'expérience de travail que vous avez prétendu posséder lors de votre entrevue et dans votre formule de demande. Qui plus est, je doute de la véracité et de l'authenticité des lettres de références que vous avez produites, de sorte qu'il m'est impossible de vous attribuer des points pour le facteur de l'expérience.

[...]

Comme vous n'êtes pas en mesure de satisfaire aux exigences minimales vous permettant d'être choisi dans la catégorie des parents aidés, je ne puis, aux termes des paragraphes 6(1) et 9(2) de la Loi sur l'immigration, vous délivrer un visa d'immigrant et je n'ai par conséquent d'autre choix que de refuser votre demande.


[6]                Devant la Cour, le demandeur soutient que, dans sa lettre, M. Sechko a précisé que la Sedma était officiellement enregistrée aux bureaux d'une coopérative de construction de logements située au 28 de la rue Y. Mavra, et que cette façon de procéder était permise par la législation qui était en vigueur en 1991. Comme ce bureau n'a pas d'adresse postale, la réception de sa correspondance commerciale posait problème. Le demandeur fait par conséquent valoir que la conclusion de l'agente des visas suivant laquelle l'adresse de la rue Y. Mavra de la société Sedma était une adresse « fictive » est une conclusion arbitraire et abusive.

[7]                Le demandeur s'élève aussi contre le fait que, dans sa décision, l'agente des visas n'a pas tenu compte de l'expérience qu'il avait acquise comme ingénieur électronicien au Centre scientifique et technique Radel. Le demandeur affirme donc que l'agente des visas a commis une erreur en ne tenant pas compte de cet élément de preuve lorsqu'elle a décidé de ne lui attribuer aucun point d'appréciation pour son expérience professionnelle.

[8]                Il ressort des mots qu'a employés l'agente des visas dans sa lettre de refus qu'elle n'a tout simplement pas cru que le demandeur avait l'expérience professionnelle qu'il prétendait posséder. Les passages suivants des notes du STIDI que l'agente a prises le 16 novembre 2000 et le 26 juillet 2001 font ressortir cette appréciation généralement défavorable :

[TRADUCTION]

Il n'a pas répondu lorsque je lui ai demandé pourquoi il m'avait menti au sujet de son séjour aux États-Unis. Il admet maintenant y avoir séjourné à trois reprises.

Les seules réserves que j'ai concernent la crédibilité de l'intéressé. Il n'a pas voulu admettre combien de fois il avait visité les États-Unis. Il a d'abord prétendu qu'il s'y était rendu muni d'un permis de travail pour y mener des recherches à titre officiel. Il ressort pourtant de la photocopie du permis de travail de cinq mois qui lui a été délivré en 1996, qu'il était un domestique. Il prétendait par ailleurs que sa société, la Sedma. l'avait envoyé aux États-Unis à trois reprises et qu'elle avait chaque fois payé tous ses frais (1000 $USD par mois en chèques).


Il reconnaît maintenant qu'il a aux États-Unis un frère chez qui il a habité durant son séjour aux États-Unis [...] À la fin de l'entrevue, l'intéressé m'a présenté ses excuses pour m'avoir menti. Il a habité chez son frère alors qu'il travaillait illégalement aux États-Unis. Il avait peur de dire la vérité au sujet de son travail illégal aux États-Unis.

                                                              16 nov. 2000

M. Kuhta a produit les documents suivants en réponse à ma lettre du 25 juin dans laquelle je mettais en doute sa crédibilité et l'authenticité de ses lettres de références de la société Sedma :

- Deux exemplaires d'un certificat professionnel de Bélarus;

- Original du certificat de naissance de Mixima Kouhta;

- Lettre de recommandation de Centre scientifique et technique Radel confirmant que l'intéressé y travaille depuis 1998 à la suite de son transfert de la Sedma;

- Certificat d'enregistrement officiel de la Sedma daté du 31 mai 1993. Adresse : Minsk, rue YA.MAVRA, 28;

- Extrait des statuts constitutifs de la Sedma. On y trouve notamment le nom de Vladimir Beloliptsev parmi les associés. L'adresse du domicile de M. Beloliptsev est la même que celle de la société Sedma, c.-à-d. Minsk, rue YA.MAVRA, 28, APP. 45;

[...]

Après examen des documents produits et après avoir entendu les explications de M. Kouhta, je ne suis pas convaincue de la crédibilité du demandeur pour les raisons qui suivent :

Dans sa lettre de référence du 7 février 1998, l'adresse de la société qui figure sur le papier à en-tête est toujours la suivante : APP. 45, 28, rue Y.MAVRA, bien que la société Sedma serait allée s'installer ailleurs quatre ans plus tôt. Il n'existe aucun bail officiel entre Sedma et le propriétaire de l'appartement, M. Beloliptsev. Au cours d'un appel téléphonique placé au Y MAVRA, 28, APP. 45, nous avons appris qu'aucune société n'avait jamais eu de bureau à cette adresse mais on nous a confirmé que le président de la société, M. Setchko était un ami personnel du propriétaire de l'appartement.

                                                             26 juillet 2001


Lorsque nous lui avons parlé en personne, M. Kouhta a de nouveau confirmé que la société Sedma n'avait jamais occupé physiquement de local à l'adresse indiquée dans sa lettre de référence. L'adresse en question servait surtout de boîte postale pour la correspondance avec les banques. Il a confirmé que Sedma se trouvait sur la rue Partizanky pendant toutes les années où il y avait travaillé (au même endroit que la société Radel). Je lui ai dit que c'était étrange, parce que la société Radel a déjà eu une autre adresse, celle de l'avenue Skoryna. En attendant cela, M. Kouhta est de nouveau revenu sur ses déclarations antérieures en déclarant qu'il s'était trompé et que l'adresse exacte de la Sedma était celle de l'avenue Skoryna. Je lui ai fait savoir que ses explications ne me convainquaient pas et que je ne trouvais pas crédible sa lettre de référence de la Sedma.

                                                             26 juillet 2001

(Non souligné dans l'original) (Reproduction fidèle)

[9]                Je suis convaincu qu'il était loisible à l'agente des visas de tirer ces conclusions. Elle a aussi relevé que [TRADUCTION] « Il a été confirmé que le président de la société, M. Sechko, était un ami personnel [du demandeur] » .

[10]            Il ressort aussi de ses notes SITCI que l'agente des visas a expressément examiné la lettre de référence provenant du Centre scientifique et technique Radel. Toutefois, après avoir découvert que la demande présentée par le demandeur reposait sur des documents contradictoires se rapportant à ses emplois antérieurs et que, de son propre aveu, le demandeur lui avait menti au sujet de sa présumée expérience de travail aux États-Unis, l'agente des visas n'était nullement tenue d'examiner et de traiter différemment la lettre de référence du Centre scientifique et technique Radel.

[11]            Aux termes du paragraphe 8(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), la charge de la preuve repose entièrement sur le demandeur :


8. (1) Il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'il en a le droit ou que le fait d'y être admis ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

8(1) Where a person seeks to come into Canada, the burden of proving that that person has the right to come into Canada or that his admission would not be contrary to this Act or the regulations rests on that person.


[12]            Par ailleurs, le paragraphe 9(3) de la Loi oblige le demandeur à répondre franchement à toutes les questions qui lui sont posées :


(3) Toute personne doit répondre franchement aux questions de l'agent des visas et produire toutes les pièces qu'exige celui-ci pour établir que son admission ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

(3) Every person shall answer truthfully all questions put to that person by a visa officer and shall produce such documentation as may be required by the visa officer for the purpose of establishing that his admission would not be contrary to this Act or the regulations.


[13]            L'évaluation de la crédibilité du demandeur est une question qui relève entièrement du pouvoir souverain d'appréciation de l'agent des visas, qui n'est pas tenu de poursuivre ses recherches s'il décèle des lacunes dans la preuve soumise par le demandeur (voir les jugements Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 168 F.T.R. 111, au paragr. 7, et Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 153 F.T.R. 247, au paragr. 3).

[14]            La norme de contrôle du pouvoir discrétionnaire conféré à l'agent des visas est la norme la plus exigeante. Ainsi, lorsque l'agent des visas a exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi et de manière équitable, la Cour ne doit pas intervenir, à moins qu'il soit démontré que la décision de l'agent des visas est manifestement déraisonnable ou qu'elle est entachée d'une erreur de droit (voir les arrêts Lim c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1991), 121 N.R. 241, à la page 243 (C.A.F.) et To c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 696 (C.A.F.)).

[15]            En ce qui concerne l'autre argument du demandeur suivant lequel le nombre de points qui lui ont été attribués pour le facteur de la demande dans la profession (5 points) est incompatible avec l'évaluation que l'agente des visas a faite du facteur de l'expérience (aucun point), l'agente des visas a reconnu qu'il s'agissait d'une « faute de transcription » . Voici ce qu'elle dit dans son affidavit :

[TRADUCTION]

Le demandeur a obtenu cinq points d'appréciation sur un total possible de dix pour ce facteur. Il s'agit d'une faute de transcription que j'ai commise, car j'avais déjà conclu que je ne pouvais accorder de valeur à ses déclarations au sujet de sa présumée expérience de travail. En conséquence, selon le facteur 4b) de l'annexe I, le demandeur n'aurait dû recueillir aucun point d'appréciation pour le facteur de la demande dans la profession.


[16]            Il ne s'agit pas d'un cas dans lequel l'agent des visas défend deux positions incompatibles (voir les jugements Hamed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1157, 2002 CFPI 884, aux paragr. 12 et 13, Abusalih c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1321, 2001 CFPI 961, au paragr. 9, et Kapustynska c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 170, 2001 CFPI 29, au paragr. 19). Il n'y a pas de contradiction. En l'espèce, l'agente des visas a reconnu son erreur. Il est évident qu'aucun point n'aurait dû être attribué pour le facteur de la demande dans la profession. Cette erreur n'est pas fatale, étant donné qu'elle a joué en faveur du demandeur. Au lieu d'obtenir 66 points, le demandeur aurait dû en recueillir 61. Comme j'ai déjà conclu que la décision de l'agente des visas de n'accorder aucune valeur aux déclarations du demandeur au sujet de son expérience de travail était raisonnable eu égard aux circonstances de l'espèce, toute erreur commise relativement au facteur professionnel n'a de toute façon aucune incidence. Le fait que l'agente des visas n'avait déjà attribué aucun point d'appréciation pour le facteur de l'expérience empêche en soi la délivrance d'un visa d'immigrant, selon le paragraphe 11(1) du Règlement.

[17]            En conclusion, malgré l'habile plaidoyer de l'avocat du demandeur, j'estime que l'agente des visas n'a commis aucune erreur grave qui justifierait l'intervention de la Cour. Selon l'avocat, une question de portée générale pourrait se poser en l'espèce par suite de l'abrogation du Règlement et de l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. Toutefois, compte tenu de la conclusion à laquelle j'en suis venu, une pareille question, qui ne concerne strictement que la réparation que la Cour devrait accorder si la demande est accueillie, devient théorique. En conséquence, aucune question de portée générale ne sera certifiée.

                                        ORDONNANCE


LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 27 juillet 2001 par laquelle une agente des visas du Haut-commissariat du Canada à Varsovie a refusé la demande de résidence permanente au Canada du demandeur. Aucune question de portée générale ne sera certifiée.

                                                                                 « Luc Martineau »            

                                                                                                     Juge                     

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-4306-01

INTITULÉ :                                           VADIM KOUHTA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                   Le 25 juin 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                           Monsieur le juge Martineau

DATE DES MOTIFS :                          Le 17 juillet 2003

COMPARUTIONS :

                     

Me MICHAEL F. BATTISTA                           POUR LE DEMANDEUR

Me KAREENA WILDING                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :        

Me MICHAEL F. BATTISTA                           POUR LE DEMANDEUR

TORONTO (ONTARIO)

M. MORRIS ROSENBERG                                         POUR LE DÉFENDEUR

TORONTO (ONTARIO)

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