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Date : 20030425

Dossier : IMM-5645-01

Référence neutre : 2003 CFPI 523

Ottawa (Ontario), le 25 avril 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE           

ENTRE :

                                                   PUVANESWARY NAVARATNAM

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, concernant la décision rendue par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section du statut) (la Commission), le 5 novembre 2001, par laquelle elle a jugé que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.

[2]                 La demanderesse cherche à obtenir une ordonnance qui annulerait la décision de la Commission et renverrait l'affaire à une Commission différemment constituée pour nouvel examen.

Historique

Introduction

[3]                 La demanderesse est une citoyenne du Sri Lanka. Elle prétend craindre avec raison d'être persécutée du fait de sa nationalité tamoule et de son appartenance à un groupe social, la famille.

[4]                 La demanderesse prétend que ses quatre filles et son fils vivent au Canada et que son mari est décédé en 1992. Elle prétend que sa famille a été harcelée par les parties en conflit pendant la guerre civile sri-lankaise.

[5]                 La demanderesse prétend que, en 1995, elle et ses deux filles, ont été déplacées dans la région de Vanni. Elle prétend que les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (TLET) leur ont extorqué de l'argent. La demanderesse prétend qu'elle est retournée à Jaffna parce qu'il n'y avait pas d'installation médicale dans la région de Vanni.

[6]                 La demanderesse prétend qu'elle a encouragé ses filles à quitter le Sri Lanka et que l'une d'elles est arrivée au Canada en 1999 et la seconde, en 2000. La demanderesse prétend qu'elle s'est fait extorquer de l'argent.

[7]                 À la fin de 2000, la situation s'est détériorée à Jaffna. La demanderesse prétend qu'elle est partie pour Colombo en janvier 2001. Elle prétend qu'elle a été harcelée par la police et qu'on lui a extorqué de l'argent.

[8]                 La demanderesse aurait quitté le Sri Lanka le 20 février 2001. La demanderesse est arrivée au Canada le 18 mars 2001. Elle a revendiqué le statut de réfugiée dix jours plus tard.

[9]                 Une audience a été tenue le 22 octobre 2001. La revendication de la demanderesse a été entendue par un seul commissaire, et ce, après qu'elle y eût consenti. Dans une décision rendue le 5 novembre 2001, la Commission a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention. La Commission a conclu que la demanderesse n'était pas crédible et qu'il n'existait aucune chance raisonnable qu'elle soit persécutée pour l'un des motifs prévus dans la Convention si elle devait retourner au Sri Lanka. Voici les motifs de la Commission.


Les motifs de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section du statut de réfugié)

[10]            Compte tenu de l'ensemble de la preuve, la Commission a conclu que la demanderesse n'était pas crédible. La Commission n'a pas cru que la maison de la demanderesse à Pungudutivu ait été saccagée et pillée en 1991 car la demanderesse n'avait pas fait mention de cet événement dans son exposé, et ce, sans qu'elle ne sache pourquoi. La demanderesse a déclaré que, en 1995, elle vivait avec sa fille et la famille de celle-ci à Jaffna et que ses autres enfants vivaient dans un autre endroit. Les TLET leur ont alors demandé de partir. Elle a mentionné dans son exposé qu'elle est alors partie avec ses deux filles. Elle a mentionné que sa seconde fille avait quitté Jaffna le jour précédent. La Commission n'a pas compris comment la seconde fille avait pu quitter Jaffna le jour précédent alors qu'elle vivait dans un autre endroit. La Commission a également relevé une contradiction concernant le moment auquel la demanderesse a déclaré être retournée à Jaffna et concernant la durée de son séjour à Colombo avant qu'elle quitte pour le Canada.


[11]            La demanderesse a affirmé dans son témoignage que son mari avait été propriétaire d'un magasin à Pungudutivu, entre 1945 et 1985. Cette affirmation contredisait ce que son fils avait mentionné dans son FRP, c'est-à-dire que c'est à Colombo que son mari avait était propriétaire d'un magasin. La demanderesse a expliqué que son mari a vécu à Colombo entre 1980 et 1983 et que le magasin appartenait au frère cadet de celui-ci. Elle a expliqué que, durant l'absence de son mari, c'est elle et d'autres personnes qui se sont occupés du magasin de Pungudutivu. Lorsqu'on lui a fait part de l'histoire racontée par son fils, elle a alors affirmé que son mari était parti pour Colombo en 1975 et que le commerce familial principal se trouvait à Pungudutivu. Cette version ne correspondait toujours pas à celle de son fils. On a également souligné que si c'est elle qui s'est occupée du magasin, elle avait omis de mentionner cette activité professionnelle ainsi que toute autre activité professionnelle dans son FRP. Elle a répondu que les gens qui vivaient à Pungudutivu ne diront jamais qu'elle travaillait dans le magasin parce que d'autres personnes y travaillaient avec elle.

[12]            Les seuls documents d'identité personnelle que la demanderesse a produits ont été son registre de naissance ainsi que les certificats de naissance de deux de ses enfants. La demanderesse a affirmé dans son témoignage qu'elle possédait une carte d'identité datant de 1981 mais qu'elle l'avait égarée lorsqu'elle avait fui la péninsule de Jaffna en 1995. Lorsqu'on lui a demandé comment elle avait fait pour vivre sans carte d'identité durant la guerre civile, elle a prétendu qu'elle se trouvait à Jaffna, lorsqu'en 1996 et 1997, respectivement, on lui a émis un passeport ainsi qu'une lettre à laquelle était jointe sa photographie. Voilà qui contredisait son témoignage antérieur selon lequel elle se trouvait dans la région de Vanni depuis 1995.


[13]            La Commission a conclu que la demanderesse n'était pas capable de décrire la situation qui prévalait à Jaffna depuis son retour. La Commission a donc déclaré qu'elle n'avait aucune idée de l'endroit où la demanderesse avait résidé au cours des 20 dernières années et qu'elle ne croyait pas qu'elle avait été persécutée comme elle l'avait prétendu.        

[14]            La Commission a également déclaré qu'elle comprenait que des troubles de mémoire pouvaient expliquer les contradictions figurant dans le témoignage de la demanderesse, mais pas autant que celle-ci l'avait laissé croire. La Commission a souligné que la demanderesse avait pu fournir la date exacte de son départ du Sri Lanka et celle de son arrivée au Canada.

[15]            Il s'agit du contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission selon laquelle la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention.

Les prétentions de la demanderesse

[16]            La demanderesse prétend que la Commission est tenue de fonder sa décision sur l'ensemble de la preuve dont elle est saisie et de justifier ses conclusions quant à la crédibilité. La demanderesse affirme que la Commission a commis une erreur en concluant qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention parce qu'elle avait décidé que certains aspects de son témoignage n'étaient pas crédibles ou dignes de foi, malgré une preuve documentaire qui étayait son témoignage. La demanderesse prétend donc que la Commission a commis une erreur de droit.

[17]            La demanderesse prétend que la Commission s'est montrée trop exigeante quant à la preuve en ne tenant pas compte de l'effet que l'écoulement du temps peut avoir sur la mémoire, en particulier lorsqu'il s'agit de la mémoire d'une demanderesse âgée qui a été traumatisée par les effets d'une longue guerre.

[18]            Quant à son témoignage selon lequel l'une de ses filles aurait quitté Jaffna un jour avant elle, la demanderesse prétend que sa fille vivait dans la même région mais dans une autre maison et que la Commission avait mal interprété la preuve lors de l'audience. De plus, la demanderesse prétend que la date à laquelle, elle et sa famille, ont quitté Jaffna, ainsi que la durée de son séjour à Colombo ou aux environs de Colombo, ne constituent pas l'essence de sa revendication du statut de réfugiée.

[19]            Quant à l'époque à laquelle le mari de la demanderesse avait été propriétaire d'un magasin, la demanderesse a prétendu qu'elle avait de la difficulté à retenir les dates et que le contenu de son témoignage était juste. La demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur en interprétant de façon erronée ou en ignorant la preuve dont elle était saisie quant au témoignage qu'elle a fourni concernant les dates et quant à son identité.

[20]            La demanderesse prétend que la Commission n'a pas tenu compte de l'effet du traumatisme sur sa mémoire lorsqu'elle a été incapable de se rappeler certains événements récents qui se sont déroulés vers la fin de son séjour à Jaffna.


[21]            La demanderesse prétend que la Commission était saisie d'une preuve crédible qui démontrait qu'elle venait du nord du Sri Lanka et que tous ses enfants craignaient avec raison d'être persécutés puisqu'ils avaient été reconnus comme des réfugiés au sens de la Convention. La demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de la preuve documentaire préparée par le gouvernement.

[22]            La demanderesse prétend qu'elle serait persécutée car elle serait détenue et battue par la police sri lankaise pour la simple raison qu'elle est Tamoule et que ses enfants ont fui le pays. Par conséquent, la demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve ou en interprétant d'une façon erronée la preuve dont elle était saisie.

[23]            La demanderesse prétend que son témoignage et les événements relatés dans son FRP correspondaient à la situation notoire qui prévalait dans la région et étaient conformes à l'ensemble de la preuve documentaire qui a été présentée.


[24]            La demanderesse prétend que la Commission était saisie de certains éléments de preuve établissant qu'elle avait ressenti une crainte subjective de persécution et que cela était étayé par des éléments de preuve objectifs. Elle prétend en outre qu'elle a démontré que sa crainte de la persécution était sérieuse et qu'il y avait une possibilité réelle qu'elle soit persécutée si elle devait retourner au Sri Lanka. Elle prétend que, selon les éléments de preuve dont la Commission a été saisie, les Tamouls du nord étaient toujours victimes de harcèlement, d'arrestations et de violences de la part du gouvernement.

[25]            La demanderesse prétend que, compte tenu de la preuve documentaire dont la Commission a été saisie et du fait qu'elle ait été identifiée comme Tamoule du nord, la Commission disposait d'éléments de preuve crédibles lui permettant de conclure que la demanderesse était une réfugiée au sens de la Convention.

Les prétentions du défendeur

[26]            Le défendeur prétend qu'il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure comme elle l'a fait, au vu du dossier, quant à la crédibilité et à la vraisemblance de la preuve.

[27]            Le défendeur prétend que rien dans la preuve n'indique que la Commission ait refusé d'examiner certains éléments de preuve, qu'elle n'ait pas tenu compte de certains éléments de preuve ou qu'elle ait tiré une conclusion erronée quant à certains éléments de preuve.


[28]            Le défendeur prétend que la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle qui consiste à savoir si la Commission a agi d'une manière manifestement déraisonnable. Il prétend que la principale question qu'il faut se poser est de savoir si la conclusion qui a été tirée pouvait raisonnablement être tirée compte tenu des éléments de preuve dont la Commission a été saisie. Il prétend que la Commission n'a pas tiré de conclusions qui étaient abusives et qu'elle était saisie d'éléments de preuve justifiant ses conclusions.

[29]            Le défendeur prétend que la Commission avait compris que des troubles de mémoire pouvaient expliquer les contradictions figurant dans un témoignage mais qu'ils ne permettaient pas d'excuser l'ensemble des contradictions contenues dans la preuve soumise par la demanderesse. Il prétend qu'il était loisible à la Commission de conclure que la demanderesse n'avait pas démontré que ses troubles de mémoire permettaient d'expliquer l'ensemble des difficultés qu'elle avait éprouvées lorsqu'elle avait rendu son témoignage, compte tenu qu'elle n'a présenté aucune preuve psychologique ou psychiatrique qui aurait permis à la Commission de situer ses contradictions dans leur contexte. Le défendeur prétend que la Commission a examiné les effets du traumatisme sur la mémoire en plus d'examiner l'ensemble de la preuve.

[30]            Le défendeur prétend que la demanderesse n'a pas réussi à s'acquitter du fardeau qui lui incombait de prouver qu'elle craignait avec raison d'être persécutée si elle retournait au Sri Lanka. Le défendeur prétend que la demanderesse n'a pas démontré qu'elle se trouvait dans la même situation que celle des membres de sa famille qui ont obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention.

[31]            Le défendeur prétend qu'il était loisible à la Commission de tirer la conclusion générale selon laquelle le témoignage de la demanderesse n'était pas crédible parce qu'il contenait des invraisemblances et des contradictions en rapport avec de nombreuses questions, ce qui a amené la Commission à douter de l'ensemble du témoignage de la demanderesse. Le défendeur prétend que la date à laquelle la demanderesse a quitté Jaffna, la date à laquelle elle y est retournée, la date à laquelle les membres de sa famille ont quitté Jaffna en 1995 et la période de temps passée par la demanderesse à Colombo sont des éléments pertinents et importants quant à l'examen de sa revendication de statut de réfugiée. Le défendeur prétend que la Commission a mesuré et apprécié la preuve et a conclu qu'elle n'était ni crédible ni cohérente. Le défendeur prétend que la présente affaire est semblable à la décision Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 536 (QL) (1re inst.) dans laquelle la Cour a conclu qu'il était raisonnable que la Commission « ait regardé d'un mauvais oeil le fait que le demandeur ait omis plusieurs faits importants » .


[32]            Le défendeur prétend que, lors de l'audience, la Commission a été saisie d'une preuve documentaire concernant le Sri Lanka et qu'elle a mesuré et apprécié de façon appropriée cette preuve au regard du témoignage de la demanderesse. Le défendeur prétend que le fait que les motifs écrits ne résument pas l'ensemble de la preuve qui a été présentée ne constitue pas une erreur de droit donnant ouverture à un contrôle judiciaire. Le défendeur prétend que c'est l'ensemble de la preuve, avec ses contradictions et ses incohérences considérées ensemble, qui a permis de conclure que la demanderesse n'était pas un témoin crédible et que cette conclusion n'est pas déraisonnable au point de justifier l'intervention de la Cour.

[33]            Le défendeur prétend que la Commission a compris les faits entourant la revendication de la demanderesse et a conclu que la preuve à l'appui ne justifiait pas une conclusion positive.

Les questions en litige

[34]            Voici comment la demanderesse définit les questions en litige :

1.          La Commission a-t-elle commis une erreur en ce qu'elle aurait tiré des conclusions de fait en interprétant d'une façon erronée la preuve qui lui a été soumise ou en n'en tenant pas compte et qu'elle aurait tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse en se fondant sur ces conclusions de fait?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur en n'évaluant pas de façon raisonnable la crédibilité de la demanderesse et en ne lui soumettant pas sa conclusion défavorable afin qu'elle puisse apporter des éclaircissements quant à la présumée invraisemblance?

3.          La Commission a-t-elle commis une erreur en décidant que la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention, en ne tenant pas compte de la documentation récente concernant le respect des droits de la personne au Sri Lanka et de la possibilité que la demanderesse soit persécutée si elle retournait au Sri Lanka?


4.          La Commission a-t-elle commis une erreur en n'évaluant pas d'une façon raisonnable la preuve qui lui a été soumise et a-t-elle commis une erreur additionnelle en se fondant sur cette évaluation pour rendre sa décision dans la présente affaire?

5.          La Commission a-t-elle commis une erreur en ne concluant pas que la demanderesse craignait avec raison d'être persécutée si elle retournait au Sri Lanka?

Les dispositions législatives pertinentes

[35]            Le paragraphe pertinent de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, est ainsi libellé :

« réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

"Convention refugee" means any person who

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country, or

(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;

(ii) not having a country of nationality, is outside the country of the person's former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to return to that country, and

b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Convention en application du paragraphe (2).

(b) has not ceased to be a Convention refugee by virtue of subsection (2),

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;

Analyse et décision

[36]            Question en litige no 1

La Commission a-t-elle commis une erreur en ce qu'elle aurait tiré des conclusions de fait en interprétant d'une façon erronée la preuve qui lui a été soumise ou en n'en tenant pas compte et aurait tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la demanderesse en se fondant sur ces conclusions de fait?

La preuve

La Commission a déclaré ce qui suit à la page 1 de ses motifs :

Pour déterminer si la [demanderesse] est réfugiée au sens de la Convention, le tribunal a examiné l'ensemble de la preuve, les argumentations des conseils et la jurisprudence pertinente. Il a aussi tenu compte des Guidelines on Civilian Non-Combatants Fearing Persecution in Civil War Situations. Le tribunal a conclu que la preuve de la [demanderesse] [n'était] pas crédible.


[37]            Les troubles de mémoire

La demanderesse prétend que la Commission s'est montrée trop exigeante quant à la preuve en ne tenant pas compte de l'effet que l'écoulement du temps peut avoir sur la mémoire. La demanderesse prétend également que la Commission n'a pas tenu compte des effets du traumatisme sur sa mémoire. La Commission a écrit ce qui suit à la page 3 de ses motifs :

[. . .] Le tribunal peut comprendre que des troubles de mémoire pourraient expliquer les contradictions d'un témoignage, mais pas dans cette mesure. Le tribunal souligne que la [demanderesse] a pu fournir la date exacte de son départ du pays et de son arrivée au Canada.

La demanderesse n'a présenté aucune preuve psychologique ou psychiatrique qui aurait permis de situer dans leur contexte les contradictions figurant dans son témoignage. Je suis convaincu que la Commission a tenu compte de l'effet de l'écoulement du temps et du traumatisme sur la mémoire de la demanderesse.

[38]            Le saccage de la maison de Pungudutivu

La Commission a conclu qu'un tel événement ne s'était pas produit. Le FRP de la demanderesse ne faisait pas mention de cet événement et celle-ci ne savait pas pourquoi. Il était loisible à la Commission de tirer cette conclusion.


[39]            Le départ de Jaffna en 1995

À la page 440 du dossier du tribunal, la demanderesse a déclaré dans son témoignage devant la Commission :

A.     Je me trouvais avec la plus jeune de mes filles, [Indradevi].

Q.     Quel autre membre de votre famille, s'il en est, se trouvait avec vous en 95?

A.     Sa famille et moi-même.

Q.     Et restait-il encore des membres de votre famille à Jaffna en 95?

A.     Non.

Ce témoignage contredisait le FRP de la demanderesse dans lequel il était mentionné que deux des filles de la demanderesse se trouvaient à Jaffna en 95. La Commission n'a pas accepté l'explication fournie par la demanderesse quant à cette contradiction. Il était loisible à la Commission d'utiliser cet élément comme fondement de sa conclusion selon laquelle la demanderesse n'était pas crédible.

[40]            Le retour à Jaffna et le séjour à Colombo

La Commission a déclaré ce qui suit à la page 2 de ses motifs :


La [demanderesse] a déclaré qu'elle est retournée à Jaffna en janvier 2000, mais a indiqué au début de l'audience que c'était en février 1999. Elle a expliqué qu'elle a tout oublié. Au début de l'audience, elle a indiqué qu'elle est demeurée une semaine à Colombo avant de quitter son pays pour le Canada. Par la suite, elle a déclaré qu'elle est demeurée là pendant trois semaines. Lorsqu'on l'a confrontée à cette contradiction, la [demanderesse] a expliqué qu'elle avait passé une semaine dans une pension et deux semaines à la maison de l'agent, un endroit qu'elle ne connaissait pas. On lui a demandé pourquoi, si elle ne se sentait pas en sécurité à Colombo et si l'atmosphère était aussi tendue qu'elle le prétend dans son exposé, elle était aussi incertaine de la durée de son séjour. Elle a déclaré que l'agent l'a amenée chez lui à Kandi ou ailleurs. Le tribunal estime qu'elle n'est pas crédible.

La demanderesse prétend que ce témoignage ne constitue pas le noeud de sa revendication du statut de réfugiée et que la Commission a commis une erreur en interprétant d'une façon erronée la pertinence de la preuve dont elle était saisie. Toutefois, je suis d'avis que ces deux contradictions permettaient raisonnablement à la Commission de conclure que la demanderesse n'était pas crédible.

[41]            Le magasin du mari


La demanderesse a témoigné que son mari avait été propriétaire d'un magasin à Pungudutivu entre 1945 et 1985 et qu'il n'avait été propriétaire d'aucun autre magasin ailleurs (voir dossier du tribunal, p. 427). Confrontée au FRP de son fils mentionnant que son mari avait été propriétaire d'un magasin à Colombo, la demanderesse a expliqué que son mari avait vécu à Colombo entre 1980 et 1983 et que le magasin appartenait à son frère cadet. La demanderesse a témoigné qu'elle s'était occupée du magasin principal à Pungudutivu avec l'aide d'autres personnes. La demanderesse a par la suite été informée que le FRP de son fils mentionnait que l'entreprise familiale se trouvait à Colombo. La demanderesse a affirmé que son mari était allé vivre à Colombo en 1975 (voir dossier du tribunal, p. 428-432). La Commission a conclu que la version de la demanderesse ne correspondait toujours pas à la version de son fils, laquelle mentionnait que c'était à Colombo que se trouvait l'entreprise familiale et qu'il avait commencé à travailler dans le magasin avec son père en 1974. Au cours de l'audience, la Commission a souligné que cette question [traduction] « n'était pas un élément essentiel de la revendication de la [demanderesse] » (voir dossier du tribunal, p. 430).

[42]            La demanderesse a été interrogée quant à la raison pour laquelle elle n'avait jamais mentionné dans son FRP qu'elle avait travaillé dans le magasin de Pungudutivu durant l'absence de son mari. La demanderesse a répondu que les gens ne diront jamais qu'elle a travaillé dans le magasin parce qu'elle [traduction] « avait embauché des personnes pour travailler dans le magasin » (dossier du tribunal, p. 438).

[43]            L'omission d'un fait important dans le FRP d'un demandeur peut servir de fondement à une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Par conséquent, je suis d'avis qu'il était raisonnable que la Commission se fonde sur le fait que la demanderesse n'avait fait mention d'aucune activité professionnelle dans son FRP pour conclure qu'elle n'était pas crédible.

[44]            La carte d'identité

La Commission a déclaré ce qui suit aux pages 2 et 3 de ses motifs :

[. . .] On lui a demandé comment elle a réussi à demeurer dans un pays déchiré par la guerre civile, pendant toutes ces années, sans carte d'identité. Elle a prétendu qu'elle se trouvait à Jaffna, lorsqu'en 1996 et 1997, respectivement, on lui a émis une lettre contenant sa photographie et un passeport. Voilà qui contredit son témoignage antérieur, selon lequel elle se trouvait dans la région de Vanni depuis 1995. Elle a répondu qu'elle était troublée. Elle a été confrontée à la preuve documentaire, laquelle indique que, pour obtenir un passeport, une personne doit présenter sa carte d'identité nationale et son certificat de naissance ainsi qu'une demande et des photographies. Elle a répondu avoir fourni des photographies. Le tribunal ne l'estime pas honnête et il ne croit pas qu'il existe de preuve crédible établissant son lieu de résidence au moment où elle prétend avoir été persécutée.


Je crois qu'il était loisible à la Commission de conclure sur cette question comme elle l'a fait.

[45]            La situation à Jaffna

La demanderesse a été interrogée sur la situation qui prévalait à Jaffna depuis son retour. Selon ce qui est écrit à la page 3 des motifs de la Commission, elle a été incapable de relater certains événements qui s'y étaient déroulés. La Commission a déclaré qu'elle « n'[avait] aucune idée de l'endroit où la [demanderesse] [avait] vécu pendant les 20 dernières années et ne [croyait] pas qu'elle [avait] été persécutée comme elle le [prétendait] » . La demanderesse prétend qu'elle a été très traumatisée par le fait que ses cinq enfants avaient fui le Sri Lanka et que la Commission n'a pas tenu compte de l'effet qu'avait pu avoir ce traumatisme sur sa mémoire. Toutefois, comme je l'ai expliqué, il semble que la Commission n'ait pas tenu compte de l'effet du traumatisme sur sa mémoire.

[46]            La crédibilité

Dans l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (QL), la Cour d'appel fédérale a conclu ce qui suit au paragraphe 4 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire [...]

[47]            De plus, dans l'arrêt Giron c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 481 (QL) (C.A.), la Cour a déclaré au paragraphe 1 que les contradictions internes et les incohérences constituent « l'essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » . Dans cette affaire, la Commission avait décelé de nombreuses contradictions dans le témoignage du demandeur. Compte tenu de ces contradictions, la Commission avait conclu que le témoignage du demandeur n'était pas crédible. Je suis d'avis qu'il était loisible à la Commission de conclure comme elle l'avait fait et qu'il s'agissait d'une conclusion raisonnable compte tenu de la preuve dont elle avait été saisie.

[48]            Question en litige no 2

La Commission a-t-elle commis une erreur en n'évaluant pas de façon raisonnable la crédibilité de la demanderesse et en ne lui soumettant pas sa conclusion défavorable afin qu'elle puisse apporter des éclaircissements quant à la présumée invraisemblance?

À mon avis, cette prétention n'est pas fondée étant donné que la Commission a fait part à la demanderesse de ses doutes quant à la crédibilité en lui soulignant les diverses contradictions figurant dans son témoignage.

[49]            Question en litige no 3

La Commission a-t-elle commis une erreur en décidant que la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention, en ne tenant pas compte de la documentation récente concernant le respect des droits de la personne au Sri Lanka et de la possibilité que la demanderesse soit persécutée si elle retournait au Sri Lanka?


Cette question en litige a été abordée au début de la discussion portant sur la question en litige no 1.

[50]            Question en litige no 4

La Commission a-t-elle commis une erreur en n'évaluant pas d'une façon raisonnable la preuve qui lui a été soumise et a-t-elle commis une erreur additionnelle en se fondant sur cette évaluation pour rendre sa décision dans la présente affaire?

Cette question en litige a été discutée dans mon analyse portant sur la question en litige no 1.

[51]            Question en litige no 5

La Commission a-t-elle commis une erreur en ne concluant pas que la demanderesse craignait avec raison d'être persécutée si elle retournait au Sri Lanka?

La Commission a souligné ce qui suit à la page 3 de ses motifs :

On a demandé à la [demanderesse] de décrire la situation à Jaffna depuis son retour. Elle a été incapable d'indiquer qu'à la fin de mars 2000, l'armée sri-lankaise a subi de lourdes pertes lorsque les TLET ont déclenché une attaque massive, par mer et par terre, dans la péninsule de Jaffna. Des milliers de personnes ont manifesté devant le gouvernement de Jaffna en avril 2000, parce qu'elles étaient immobilisées à Palai et à Kilali. En outre, des centaines de civils, qui ont fui cette dernière flambée de combats entre les forces gouvernementales et les Tigres, ont cherché refuge dans des églises, des temples, des écoles et des maisons inoccupées de diverses villes de la péninsule de Jaffna. Une alliance de 40 organisations non gouvernementales, y compris des organisations religieuses et l'union des étudiants de l'université de Jaffna, ont déclenché une grève pour manifester relativement aux civils qui attendaient la permission de quitter leurs villages situés près des combats dans la partie sud de la péninsule de Jaffna. Enfin, la ville de Jaffna a repris son cours normal, comme en fait foi un article du Daily News en date du 4 juillet 2000. Par conséquent, le tribunal n'a aucune idée de l'endroit où la [demanderesse] a vécu pendant les 20 dernières années et ne croit pas qu'elle a été persécutée, comme elle le prétend.


Je suis d'avis que la conclusion tirée par la Commission quant à la crainte de persécution de la demanderesse est raisonnable compte tenu des diverses contradictions et omissions qui ont été soulignées par la Commission dans ses motifs.

[52]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[53]            Aucune des deux parties n'a désiré soumettre une question grave de portée générale à mon attention.

ORDONNANCE

[54]            LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

                                                                                 « John A. O'Keefe »            

                                                                                                             Juge                        

Ottawa (Ontario)

Le 25 avril 2003

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. A.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                        IMM-5645-01

INTITULÉ :                       PUVANESWARY NAVARATNAM

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le jeudi 21 novembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :      MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :     Le vendredi 25 avril 2003

COMPARUTIONS :

Helen Luzius                                                POUR LA DEMANDERESSE

Alexis Singer                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Helen P. Luzius                                            POUR LA DEMANDERESSE

3080, rue Yonge

Bureau 5030

Toronto (Ontario)

M4N 3N1

Morris Rosenberg, c.r.                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

                                                                                                                   


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